Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :

L’association Sea Shepherd France a demandé au tribunal administratif de La Réunion d’annuler l’arrêté du 15 février 2019 par lequel le préfet de La Réunion a autorisé des opérations ciblées de prélèvement de requins sur le littoral des communes de Saint-Paul, Trois-Bassins, Saint-Leu et l’Étang-Salé pour la période 2019-2021.

Par un jugement n° 1900786 du 27 septembre 2021, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 24 novembre 2021, l’association Sea Shepherd France, représentée par Me Moreau, demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement du 27 septembre 2021 du tribunal administratif de La Réunion ;

2°) d’annuler l’arrêté du 15 février 2019 du préfet de La Réunion ;

3°) de mettre à la charge de l’État la somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Considérant ce qui suit :

1. Plusieurs attaques de requins sur l’homme s’étant produites depuis 2011, le préfet de La Réunion a pris le 15 février 2019 un arrêté autorisant, pour la période 2019-2021, des opérations de prélèvement de requins-bouledogues et de requins-tigres, espèces auxquelles sont imputées majoritairement les attaques, dans un rayon d’un mille nautique autour du lieu où se situe chaque observation sur le littoral des communes de Saint-Paul, Trois-Bassins, Saint-Leu et l’Étang-Salé, lorsqu’elle intervient au sein des zones de protection renforcée de niveau 2A de la réserve naturelle nationale marine de La Réunion et hors platiers récifaux.

2. L’association Sea Shepherd France relève appel du jugement du 27 septembre 2021 par lequel le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande tendant à l’annulation de l’arrêté préfectoral du 15 février 2019 comme irrecevable au motif qu’elle ne justifiait pas d’un intérêt lui donnant qualité pour agir contre cet arrêté.

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

3. Aux termes de l’article L. 142-1 du code de l’environnement : « Toute association ayant pour objet la protection de la nature et de l'environnement peut engager des instances devant les juridictions administratives pour tout grief se rapportant à celle-ci (…) ». Pour apprécier si une association justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour agir contre un acte, il appartient au juge, en l’absence de précisions sur le champ d’intervention de l’association dans les stipulations de ses statuts définissant son objet, d’apprécier son intérêt à agir contre cet acte au regard de son champ d’intervention en prenant en compte les indications fournies sur ce point par les autres stipulations des statuts, notamment par le titre de l’association et les conditions d’adhésion, éclairées, le cas échéant, par d’autres pièces du dossier.

4. En vertu de ses statuts établis le 14 juillet 2010, l’association Sea Shepherd France a pour objet « de faire progresser l’éducation dans le domaine de l’écologie, notamment, mais non exclusivement, marine de l’eau – de promouvoir la conservation et la préservation des organismes vivants, notamment, mais non exclusivement, aquatiques – de promouvoir une éthique humaine à l'’égard des animaux, notamment, mais non exclusivement, des mammifères marins – de défendre le droit des générations futures à un environnement sain – de participer à la préservation, à la protection et à la gestion de ce patrimoine commun de l’Humanité qu’est l’environnement – de soutenir toute autre organisation caritative œuvrant dans ce sens et notamment la Sea Shepherd Conservation Society, organisation à but non lucratif enregistrée aux Etats-Unis. ».

5. Il ressort des termes des stipulations précitées que l’objet de l’association requérante consiste notamment à protéger les espèces aquatiques contre les atteintes susceptibles d’être portées à leur préservation. Ces stipulations ne précisent pas le champ géographique d’intervention de l’association et il ne ressort d’aucune autre stipulation de ses statuts que ce champ d’intervention concernerait spécifiquement le territoire de La Réunion, alors même que l’association a publié des articles dans la presse locale et mené des campagnes de sensibilisation et des pétitions à La Réunion entre 2011 et 2016 et qu’elle agissait par l’intermédiaire de son représentant local alors présent à La Réunion. Dans ces conditions et eu égard à la mention « France » figurant dans sa dénomination, l’association requérante doit être regardée comme ayant un champ d’intervention géographique national sans qu’ait d’incidence sur ce point la circonstance que des actions introduites les années précédentes par le représentant local de l’association devant le tribunal administratif de La Réunion n’aient pas été rejetées comme irrecevables ni la circonstance que son référent local a été contraint de quitter La Réunion en 2016 à la suite de menaces.

6. Toutefois, si, en principe, le fait qu'une décision administrative ait un champ d'application territorial fait obstacle à ce qu'une association ayant un ressort national justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour en demander l'annulation, il peut cependant en aller autrement lorsque la décision soulève, en raison de ses implications, des questions qui, par leur nature et leur objet, excèdent les seules circonstances locales.

7. Il ressort en l’espèce des pièces du dossier que l’arrêté préfectoral contesté a pour objet d’autoriser des prélèvements de requins appartenant à deux espèces non protégées mais classées espèces vulnérables par l'Union internationale pour la conservation de la nature, considérées comme responsables de 17 attaques avec victimes humaines depuis 2011, dans des zones déterminées du littoral de quatre communes réunionnaises, classées zone de protection renforcée A2 de la réserve naturelle nationale marine de La Réunion. Il ressort également des pièces du dossier que ces espèces, migratrices, ne vivent pas exclusivement dans les eaux du littoral de La Réunion. Ces prélèvements sont autorisés dans des zones de protection renforcée de la réserve, déterminées par le décret susvisé du 21 février 2007 portant création de la réserve et il ressort par ailleurs des pièces du dossier que le procédé employé pour ces prélèvements, consistant en des palangres verticales munies d’hameçons, n’évite pas toute prise accessoire de spécimens d’autres espèces. Il ressort ainsi du tableau des prélèvements effectués entre 2018 et 2021 que les prélèvements dits « accessoires », qui sont majoritaires, ont touché plusieurs espèces protégées ou classées vulnérables ou en danger par l'Union internationale pour la conservation de la nature et en particulier plusieurs espèces de raies, plusieurs espèces de requins autres que ceux spécifiquement visés, notamment des requins-marteaux, ainsi que des tortues. Eu égard à la portée de l’arrêté contesté, susceptible d’entrainer la destruction de spécimens d’espèces animales marines vulnérables ou en danger dans une réserve naturelle nationale créée en application de l’article L. 332-2 du code de l’environnement dont les dispositions prévoient que « le classement d'une réserve naturelle nationale est prononcé pour assurer la conservation d'éléments du milieu naturel d'intérêt national ou la mise en œuvre d'une réglementation européenne ou d'une obligation résultant d'une convention internationale », l’association requérante justifie d’un intérêt à son annulation.

8. Il résulte de ce qui précède que l’association Sea Shepherd France est fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande comme irrecevable et, par suite, à demander pour ce motif l’annulation du jugement attaqué. Il y a lieu d’évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par l’association Sea Shepherd France.

Sur la légalité de l’arrêté préfectoral du 15 février 2019 :

9. Aux termes de l’article L. 123-19-1 du code de l’environnement : « I.-Le présent article définit les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public, prévu à l'article 7 de la Charte de l'environnement, est applicable aux décisions, autres que les décisions individuelles, des autorités publiques ayant une incidence sur l'environnement lorsque celles-ci ne sont pas soumises, par les dispositions législatives qui leur sont applicables, à une procédure particulière organisant la participation du public à leur élaboration. / Les dispositions du présent article ne s'appliquent pas aux décisions qui modifient, prorogent, retirent ou abrogent les décisions mentionnées à l'alinéa précédent soumises à une procédure particulière organisant la participation du public à leur élaboration. / Ne sont pas regardées comme ayant une incidence sur l'environnement les décisions qui ont sur ce dernier un effet indirect ou non significatif (…) ».

10. Il ressort des pièces du dossier que l’arrêté préfectoral contesté a pour objet d’autoriser, de façon temporaire et ciblée, des prélèvements de requins appartenant à deux espèces, considérées comme responsables de 17 attaques avec victimes humaines depuis 2011, afin de réduire le risque aux abords immédiats des lieux d’observation, dans des zones déterminées du littoral de quatre communes réunionnaises, les opérations de prélèvement étant déclenchées et réalisées selon un protocole précisément défini par l’arrêté. Mais il ressort également des pièces du dossier que, comme il a été dit ci-dessus, ces prélèvements, autorisés durant trois ans, bien que motivés par un but de sécurité publique et encadrés dans leurs modalités, favorisent la destruction, dans les zones de protection renforcée d’une réserve naturelle nationale, de spécimens d’espèces animales marines dont certaines sont protégées ou considérées comme vulnérables ou en danger par l'Union internationale pour la conservation de la nature. Ainsi, ses effets ne peuvent être regardés comme indirects ou non significatifs, le procédé employé ayant conduit, entre 2018 et 2021, à la capture de 49 requins-bouledogues et 226 requins-tigres, mais aussi à 483 prises « accessoires » dont plusieurs mortelles.

11. Il résulte de ce qui précède que les dispositions de l’arrêté contesté, dont les effets sont directs et significatifs, ont une incidence sur l’environnement. Leur adoption devait, dès lors, être précédée, à peine d’illégalité, d’une consultation préalable du public conformément aux dispositions de l’article L. 123-19-1 du code de l’environnement précédemment citées qui instituent une garantie pour le public. Par suite, l’association requérante est fondée à soutenir que l’arrêté attaqué a été pris au terme d’une procédure irrégulière, dès lors que ses dispositions n’ont pas fait l’objet d’une telle consultation préalablement à leur adoption.

12. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens invoqués, que l’association Sea Shepherd France est fondée à demander l’annulation de l’arrêté préfectoral contesté.

13. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l’Etat le versement à l’association Sea Shepherd France d’une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de La Réunion du 27 septembre 2021 est annulé.

Article 2 : L’arrêté du préfet de La Réunion du 15 février 2019 est annulé.

Article 3 : L’Etat versera à l’association Sea Shepherd France la somme de 1 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.