Procédure contentieuse antérieure :

La Mutuelle des architectes français et M. NE ont demandé au tribunal administratif de Toulouse de fixer définitivement le montant de la dette de ce dernier à l’égard de la communauté de communes Axe Sud, devenue la communauté d’agglomération du Muretain, à la suite du marché de construction d’une école de musique, de locaux administratifs et d’une cuisine centrale, et de condamner la communauté de communes à leur rembourser les sommes respectives de 28 350,29 euros à la Mutuelle des architectes français et de 907,79 euros à M. NE, assorties des intérêts légaux capitalisés.

Par un jugement n° 1100971 du 10 décembre 2015, le tribunal administratif de Toulouse a fixé le montant définitif des dettes respectives de M. NE et de la société Ingénierie Studio à l’égard de la communauté de communes Axe Sud à la somme de 7 950 euros TTC chacun et a rejeté le surplus des demandes des parties.

Procédure devant la cour avant cassation :

Par une requête, enregistrée le 9 février 2016, et des pièces et mémoires enregistrés le 23 mai 2017, les 30 octobre et 21 novembre 2018 et le 29 avril 2019, la communauté de communes Axes Sud, devenue la communauté d’agglomération du Muretain, représentée par Me Courrech, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 10 décembre 2015 ;

2°) de condamner solidairement M. NE, M. M, la société Ingénierie Studios, la société Norisko Construction devenue Dekra Inspection, la société Pailhé Frères et la société Sesen au paiement de la somme globale de 988 748,94 euros, à actualiser à la date de l’arrêt à intervenir à raison d’une indemnité de 100 euros par jours à compter du 30 octobre 2018 ;

3°) de condamner les mêmes défendeurs au paiement de la somme de 159 007,94 euros au titre des travaux de reprise des fissurations, déduction faite de la provision de 158 000 euros déjà versée ;

4°) de mettre à la charge solidaire des défendeurs les frais d’expertises, taxés et liquidés à la somme de 42 260,40 euros ;

5°) de mettre à la charge des défendeurs la somme de 3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un arrêt n° 16BX00572 du 28 juin 2019, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté la requête de la communauté d’agglomération du Muretain et les autres conclusions des parties.

Par une décision n° 433940 du 6 novembre 2020, le Conseil d’État a annulé cet arrêt et renvoyé l’affaire à la cour.

Procédure devant la cour après cassation :

Par des mémoires, enregistrés les 10 décembre 2020, 11 mars et 8 avril 2021, ce dernier mémoire n’ayant pas été communiqué, la communauté d’agglomération du Muretain conclut aux mêmes fins que ses précédentes écritures par les mêmes moyens.

Elle fait valoir en outre que les conclusions reconventionnelles présentées devant le tribunal administratif de Toulouse dans le cadre de la procédure initiée par les débiteurs sur le fondement de l’article R. 541-4 du code de justice administrative se rattachaient au même litige que celui soumis au juge des référés du tribunal administratif de Toulouse tendant au versement d’une provision, dès lors que les désordres constatés se rattachent au même fait générateur.

Considérant ce qui suit :

1. En 2006, dans le cadre de la construction d’une école de musique, de locaux administratifs destinés à devenir son siège et d’une cuisine centrale à Roques-sur-Garonne (Haute-Garonne), la communauté de communes Axe Sud, devenue communauté d’agglomération du Muretain, a confié la maitrise d’œuvre des travaux à un groupement conjoint composé de MM. NE et M, architectes, et de la société Ingénierie Studio. Le lot n° l « terrassement-gros œuvre » a été attribué à la société Pailhé Frères, les travaux de voiries et réseaux divers ont été attribués, dans le cadre d’un marché distinct, à la société entreprise Sesen, et le contrôle technique de l’opération a été confié à la société Norisko Construction, devenue Dekra Industrial.

2. En juin 2007, des fissures sont apparues sur les murs porteurs des trois bâtiments. La communauté de communes a saisi, le 2 août 2007, le tribunal administratif de Toulouse aux fins de désignation d’un expert. La réception des travaux a été prononcée le 17 mars 2008 avec des réserves portant sur ces fissures. Après le dépôt du rapport d’expertise de M. V, le 11 mars 2010, la communauté de communes Axe Sud a engagé une procédure de référé tendant à l’allocation d’une provision et, par ordonnance n° 1004240 du 5 janvier 2011, confirmée par le juge des référés de la présente cour le 8 juin 2011, le juge des référés du tribunal administratif a condamné solidairement MM. NE et M et les sociétés Ingénierie Studio, Pailhé Frères, Norisko et Sesen à verser une provision de 158.000 euros. La communauté de communes Axe Sud n’a pas engagé de procédure au fond.

3. M. NE et la Mutuelle des Architectes Français, la société Ingénierie Studio, M. M et la compagnie Allianz et la société Dekra industrial ont alors saisi le tribunal administratif de Toulouse, sur le fondement des dispositions de l’article R. 541-4 du code de justice administrative, de demandes tendant à ce que fût fixé le montant définitif de leurs dettes respectives, et la communauté d’agglomération du Muretain, venant aux droits de la communauté de communes Axe Sud, a demandé, à titre reconventionnel, au tribunal administratif de condamner solidairement MM. NE et M et les sociétés Ingénierie studio, Pailhé, Dekra industrial et Sesen au paiement d’une indemnité complémentaire de 878 390 euros correspondant au coût des travaux de reprise des bâtiments en sous-œuvre. Par le jugement attaqué du 10 décembre 2015, le tribunal administratif de Toulouse a fixé le montant définitif de la dette de M. NE et de la société Ingénierie Studio à la somme de 7 950,39 euros TTC chacun, réparti les frais d’expertise entre les parties et rejeté le surplus de leurs conclusions.

4. La communauté d’agglomération du Muretain relève appel de ce jugement, et demande à la cour de condamner solidairement M. NE, M. M, la société Ingénierie Studios, la société Norisko Construction devenue Dekra Inspection, la société Pailhé Frères et la société Sesen à lui payer les sommes, dans le dernier état de ses écritures, de 987 741 euros, à actualiser à la date de l’arrêt à intervenir à raison d’une indemnité de 100 euros par jour à compter du 30 octobre 2018, et de 159 007,94 euros au titre des travaux de reprise des fissurations, déduction faite de la provision de 158 000 euros déjà versée.

5. Par la voie de l’appel incident, la société Ingénierie Studio demande que la communauté d’agglomération soit condamnée à lui rembourser un trop-versé de 19 882,94 euros. La société Dekra Industrial demande que sa dette soit définitivement fixée et à être le cas échéant garantie par les autres intervenants des condamnations prononcées à son encontre qui excéderaient un taux de responsabilité de 10 %. M. M et la compagnie Allianz lard sollicitent la condamnation de la communauté d’agglomération à rembourser à la compagnie Allianz la somme de 29 008,08 euros. Enfin, M. NE et la Mutuelle des Architectes Français sollicitent la condamnation de la communauté d’agglomération à leur rembourser respectivement les sommes de 20 571,57 euros et de 658,12 euros, constitutives, selon eux, de trop-versés.

Sur la recevabilité de la requête d’appel :

6. Aux termes de l’article L. 5211-10 du code général des collectivités territoriales : « (...) Le président, les vice-présidents ayant reçu délégation ou le bureau dans son ensemble peuvent recevoir délégation d'une partie des attributions de l'organe délibérant (...) ». Par délibération du 28 avril 2014, le conseil communautaire de la communauté de communes Axe Sud a donné délégation au président de cet établissement de coopération intercommunale pour « intenter au nom de l’intercommunalité les actions en justice et défendre l’intercommunalité dans les actions intentées contre elle, dans le cadre de ses compétences obligatoires, optionnelles et facultatives (...) ». La fin de non-recevoir tirée, par la société Dekra Industrial, du défaut d’habilitation du président pour relever appel du jugement attaqué doit, en conséquence, être écartée.

Sur la régularité du jugement :

7. En premier lieu, devant les juridictions administratives et dans l’intérêt d’une bonne justice, le juge a toujours la faculté de rouvrir l’instruction, qu’il dirige, lorsqu’il est saisi d’une production postérieure à la clôture de celle-ci. Il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance de cette production avant de rendre sa décision et de la viser. S’il décide d’en tenir compte, il rouvre l'instruction et soumet au débat contradictoire les éléments contenus dans cette production qu’il doit, en outre, analyser. Dans le cas particulier où cette production contient l’exposé d’une circonstance de fait ou d’un élément de droit dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et qui est susceptible d’exercer une influence sur le jugement de l’affaire, le juge doit alors en tenir compte, à peine d’irrégularité de sa décision.

8. Alors que la clôture de l’instruction devant le tribunal administratif de Toulouse avait été fixée au 10 juin 2014, la communauté d’agglomération du Muretain a produit un mémoire, enregistré le 12 octobre 2013, accompagné des pièces d’un marché de travaux « pour la reprise, la consolidation et la réhabilitation des bâtiments administratifs » conclu en 2015, postérieurement à la clôture. Elle soutient qu’en ne rouvrant pas l’instruction pour prendre en compte ces éléments après les avoir soumis au contradictoire, les premiers juges ont entaché leur jugement d’irrégularité. Toutefois, les premiers juges ont rejeté les conclusions reconventionnelles de la requérante au motif qu’il ne résultait pas de l’instruction, et notamment du rapport de la société ICP Ingénierie, intitulé « état des lieux et principe de renforcement », que les travaux envisagés par la communauté d’agglomération correspondraient à des opérations strictement nécessaires à la réparation des dommages constatés et évalués par l’expert à la somme de 159 007,94 euros TTC. Les éléments produits par la commune le 12 octobre 2014 n’étaient pas de nature à remettre en cause l’appréciation des premiers juges quant au défaut de caractère strictement nécessaire des travaux excédant ceux prévus dans les opérations dont le coût a été évalué par l’expert ainsi qu’il vient d’être exposé, et n’étaient ainsi pas susceptibles d’exercer une influence sur le jugement de l’affaire. Par suite, c’est sans entacher leur jugement d’irrégularité que les premiers juges se sont abstenus de rouvrir l’instruction pour les communiquer.

9. En second lieu, aux termes de l’article R. 541-1 du code de justice administrative : « Le juge des référés peut, même en l’absence d’une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l’a saisi lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Il peut, même d’office, subordonner le versement de la provision à la constitution d’une garantie ». L’article R. 541-4 du même code dispose : « Si le créancier n’a pas introduit de demande au fond dans les conditions de droit commun, la personne condamnée au paiement d’une provision peut saisir le juge du fond d’une requête tendant à la fixation définitive du montant de sa dette, dans un délai de deux mois à partir de la notification de la décision de provision rendue en première instance ou en appel ».

10. Il résulte de ces dispositions que, sauf dans le cas où l’ordonnance fixant la provision a fait l’objet d’un recours, le débiteur qui n’a pas saisi le juge du fond dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’ordonnance de provision n’est plus recevable à demander la fixation définitive du montant de sa dette. Toutefois, en cas de pluralité de débiteurs condamnés solidairement à verser la provision et dès lors que l’un d’eux a saisi le juge du fond dans le délai, les autres débiteurs peuvent, même après l’expiration de ce délai, présenter des conclusions tendant à la fixation définitive du montant de leur dette, sous réserve qu’elles ne soulèvent pas un litige distinct de celui au titre duquel les débiteurs ont été condamnés par le juge des référés. Par suite, la société Dekra Industrial, M. M et la compagnie Allianz Iard, dont les conclusions ne soulèvent pas de litige distinct de celui au titre duquel les débiteurs ont été condamnés par le juge des référés, sont fondés à soutenir que c’est à tort que les premiers juges ont rejeté comme irrecevables leurs conclusions tendant à la fixation définitive du montant de leur dette. Le jugement attaqué doit, dans cette mesure, être annulé.

Sur l’appel principal de la communauté d’agglomération du Muretain :

En ce qui concerne la recevabilité des conclusions reconventionnelles portées devant les premiers juges :

11. En premier lieu, par délibération du 8 avril 2008, le conseil communautaire de la communauté de communes Axe Sud a donné délégation au président pour « ester en justice au nom de la communauté de communes Axe Sud, ou de défendre la communauté de communes dans les actions intentées contre elle, dans le cadre de ses compétences obligatoires, optionnelles et facultatives ... ». La société Dekra Industrial n’est, dès lors, pas fondée à soutenir que, faute de délégation du président, les conclusions reconventionnelles présentées le 18 juillet 2012 étaient irrecevables.

12. En second lieu, les dispositions de l’article R. 541-4 du code de justice administrative citées au point 9 ouvrent à la personne condamnée par le juge des référés au paiement d’une provision la faculté de saisir, dans les conditions qu’elles fixent, le juge du fond d’une demande de fixation définitive du montant de sa dette. Il lui est loisible à cette occasion de demander tant une limitation de la condamnation mise à sa charge que d’être totalement déchargée de la condamnation mise à sa charge. Ces dispositions ne font pas obstacle à ce que, à l’occasion de la même instance, le juge du fond puisse être saisi par le créancier de conclusions reconventionnelles, sous réserve qu’elles ne soulèvent pas un litige distinct de celui au titre duquel le débiteur a été condamné, aucune disposition ni aucun principe n’imposant que le juge du fond saisi sur le fondement de l’article R. 541-4 du code de justice administrative ne puisse fixer définitivement le montant de la dette que dans les limites du litige qui a donné lieu à la demande de versement d’une provision.

13. Les conclusions reconventionnelles de la communauté d’agglomération du Muretain relatives aux désordres nés de l’exécution des mêmes travaux de construction se rattachaient au même litige que celui soumis au juge des référés du tribunal administratif de Toulouse. Dès lors, elles ne soulevaient pas un litige distinct de celui au titre duquel M. NE et la Mutuelle des architectes français avaient été condamnés et étaient, par suite, recevables.

En ce qui concerne les conclusions tendant à ce que la créance soit définitivement fixée à la somme de 987 741 euros :

S’agissant des travaux de réfection :

14. Il résulte de l’instruction que les désordres litigieux consistent en l’apparition de nombreuses fissures sur les façades des trois bâtiments, qui, bien que stabilisées à la date du rapport d’expertise de mars 2010, peuvent s’aggraver dans le temps sous l’effet du gel et mettre en cause la solidité de l’ouvrage. Le rapport d’expertise de M. V explique que ces désordres ont trois causes : des défauts de conception de l’ossature, les murs de béton banchés initialement prévus ayant été remplacés par une maçonnerie de parpaings ; le manque de profondeur des fondations, en méconnaissance de l’étude de sols et du cahier des clauses techniques particulières ; la trop grande proximité des tranchées de réseaux d’eau pluviale et d’égout avec les façades, eu égard à la faible profondeur des fondations. Enfin, l’expert note que la grosse fissure affectant la cuisine centrale est la conséquence de l’absence de joint de dilatation, indispensable pour une construction ayant de telles proportions. S’agissant des travaux nécessaires pour remédier aux désordres, l’expert a estimé qu’il ne paraissait « pas nécessaire d’intervenir directement sur la maçonnerie car elle devrait se stabiliser dans le temps ». Il a préconisé le traitement préalable de toutes les fissures (ouverture, nettoyage, obturation), y compris des parties sous les bardages après la dépose de ces derniers, et la pose d’un revêtement d’imperméabilité de classe I4, avec un entoilage marouflé, permettant de résister à des fissures inférieures à 2mm. L’expert a évalué ces travaux à la somme de 132 949,78 euros HT soit 159 007,94 euros TTC. Par ordonnance du 5 janvier 2011, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a condamné solidairement M. NE, M. M, le BET Ingénierie Studio, la société Pailhé Frères, la société Dekra Inspection et la société Sesen à verser à la communauté de communes Axe Sud une provision de 158 000 euros, ainsi que les frais d’expertise liquidés et taxés à la somme de 16 048,50 euros.

15. La communauté d’agglomération du Muretain soutient que l’expert a lourdement sous-estimé les travaux de réfection nécessaires à la reprise des désordres. Il résulte de l’instruction que, par ordonnance n° 1602722 du 27 octobre 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a ordonné une nouvelle expertise, confiée à M. T. Son rapport, qui n’excède pas la mission confiée par le juge des référés à l’expert, constate, notamment, que les désordres « sont la résultante des mouvements de phase de stabilisation des fondations et font partie intégrante du sinistre avec, contrairement à ce qui avait été écrit en 2010, l’absence de stabilisation ». Ainsi, contrairement à ce que soutient la société Dekra Industrial, l’évolution des fissures ne résulte pas de l’inaction délibérée de la communauté de communes. L’expert a également relevé qu’il convenait, avant de réparer les fissures, de « stabiliser le support sur lequel reposent les murs », les maîtres d’œuvre et l’entrepreneur ayant préconisé une reprise par micropieux. L’expert estime que les réparations peuvent « se limiter à des injections de résines dans le sol afin d’améliorer la portance des sols et de stabiliser les terrains potentiellement évolutifs sous venue d’eau », et évalue le total des réparations à la somme de 594 741 euros TTC. La nécessité de ces travaux est avérée, contrairement à ce que soutiennent les défendeurs, et la communauté d’agglomération du Muretain est fondée à en demander le paiement.

16. Le montant du préjudice dont le maître de l'ouvrage est fondé à demander réparation aux constructeurs en raison des désordres affectant l'immeuble qu'ils ont réalisé correspond aux frais qu'il doit engager pour les travaux de réfection. Ces frais comprennent, en règle générale, la taxe sur la valeur ajoutée, élément indissociable du coût des travaux, à moins que le maître de l'ouvrage ne relève d'un régime fiscal qui lui permet normalement de déduire tout ou partie de cette taxe de celle dont il est redevable à raison de ses propres opérations. En vertu du premier alinéa de l'article 256 B du code général des impôts, les personnes morales de droit public ne sont pas assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée pour l'activité de leurs services administratifs, sociaux, éducatifs, culturels et sportifs lorsque leur non-assujettissement n'entraîne pas de distorsions dans les conditions de la concurrence. Par suite, l’indemnité litigieuse doit être calculée en incluant la taxe sur la valeur ajoutée.

S’agissant des autres préjudices :

17. La communauté d’agglomération du Muretain demande en outre que lui soit versée la somme totale de 393 000 euros, correspondant à des déperditions énergétiques des bâtiments en raison de l’absence de revêtement, à l’achat de stores roulants qui n’ont pu être posés en raison de la fissuration des bâtiments, à des frais de gardiennage du fait de l’absence de volets roulants, et à un préjudice de jouissance. Ces conclusions, présentées pour la première fois en appel, une fois la seconde expertise terminée, se rattachent au même fait générateur et sont fondées sur la même cause juridique et sont, dès lors, recevables. Il y lieu de fixer le montant des réparations à hauteur de la somme de 107 100 euros préconisée par l’expert.

18. Il résulte de ce qui précède que la créance de la communauté d’agglomération du Muretain doit être définitivement fixée à la somme de 860 849 euros TTC, y compris la somme de 159 007,94 euros TTC, correspondant aux travaux de reprise des fissures évalués par le premier expert, et qui ont été réalisés. Ce montant n’excédant pas la somme de 878 390 euros, le moyen tiré par la société Dekra Industrial de ce que les conclusions de la communauté de communes seraient irrecevables car nouvelles en appel en ce qu’elles excèdent le montant de 878 390 euros réclamé en première instance doit, en tout état de cause, être écarté. Si la communauté d’agglomération du Muretain demande également que cette somme soit actualisée, à hauteur de 100 euros par jour écoulé entre le 30 octobre 2018 et la date de lecture du présent arrêt, elle n’établit ni même n’allègue qu’elle aurait été dans l’impossibilité d’entreprendre les travaux de réfection dès le dépôt du rapport d’expertise, alors même que, dans le rapport d’expertise de 2018, l’expert indique que la cuisine centrale a été réparée et que les façades des autres bâtiments ont fait l’objet de reprises.

Sur la répartition des responsabilités entre les défendeurs :

19 En premier lieu, la société Eiffage Route Sud-Ouest, venant aux droits de la société Sesen, soutient, sans être contredite, que ses travaux ont été réceptionnés sans réserve. Par suite, la communauté d’agglomération du Muretain ne peut demander à ce qu’elle soit condamnée, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, à l’indemniser des désordres litigieux. Au demeurant, il ne résulte pas de l’instruction que sa responsabilité puisse être retenue.

20. En deuxième lieu, aux termes de l’article L. 236-1 du code de commerce : « Une ou plusieurs sociétés peuvent, par voie de fusion, transmettre leur patrimoine à une société existante ou à une nouvelle société qu'elles constituent (...) ». Aux termes du I de l’article L. 236-3 du même code : « La fusion ou la scission entraîne la dissolution sans liquidation des sociétés qui disparaissent et la transmission universelle de leur patrimoine aux sociétés bénéficiaires, dans l'état où il se trouve à la date de réalisation définitive de l'opération (…) ».

21. La société Ingénierie Studio soutient qu’aucune condamnation ne peut être prononcée à son encontre, dès lors qu’elle a été radiée du registre du commerce et de l’industrie le 1er janvier 2011. Il résulte toutefois de l’extrait Kbis qu’elle produit que sa radiation est intervenue à la suite de la transmission universelle de son patrimoine à la SNC Lavallin SAS, qui doit ainsi être regardée comme venant aux droits de la société Ingénierie Studio, laquelle a d’ailleurs produit dans la présente instance les 18 avril, 23 juin et 23 août 2016 et le 13 janvier 2021.

22. En troisième lieu, aux termes de l’article R. 634-1 du code de justice administrative : « Dans les affaires qui ne sont pas en état d’être jugées, la procédure est suspendue par la notification du décès de l'une des parties ou par le seul fait du décès, de la démission, de l'interdiction ou de la destitution de son avocat. Cette suspension dure jusqu'à la mise en demeure pour reprendre l'instance ou constituer avocat ». La cour a été informée le 17 mars 2021 du décès de Pierre M survenu en janvier 2020. À cette date, l’affaire était en état d’être jugée. Il y a, par suite, lieu pour la cour de statuer sur les conclusions dirigées contre Pierre M.

23. En quatrième lieu, il résulte de l’instruction, et notamment des rapports d’expertise, que les désordres qui affectent les structures des différents bâtiments ont pour origine une mauvaise réalisation des fondations par la société Pailhé frères, titulaire du lot « terrassement gros-œuvre » en méconnaissance de l’étude de sol, des plans d’exécution, des documents techniques unifiés 13.11 et 13.12 et des règles de l’art. Les fautes relevées consistent, notamment, en l’absence de curage des fouilles avant culage, ayant eu pour conséquence de configurer les fondations avec des formes non conventionnelles et non adaptées aux charges reçues, en des ferraillages mal positionnés et une assise la plupart du temps en pointe de diamant reposant sur des sols hétérogènes. Ces désordres ont également pour origine des fautes dans leur mission de direction du chantier des maîtres d’œuvre, MM. NE et M et la société Ingénierie Studio, tous trois chargés, notamment, de la mission de direction de l’exécution des contrats de travaux. En revanche, aucune faute n’est imputable au contrôleur technique, la société Norisko construction, aux droits de laquelle vient la société Dekra Industrial. Il en résulte que la part de responsabilité de chacun des intervenants doit être fixée à 60 %, s’agissant de la société Pailhé frères, 20 % s’agissant de Pierre M, 10 %, chacun, pour M. NE et pour la société Ingénierie Studio, la société Dekra industrial devant être mise hors de cause.

24. Il résulte de ce qui précède que la société Pailhé frères doit être condamnée à payer à la communauté d’agglomération du Muretain la somme de 516 509 euros, la somme incombant à Pierre M s’élevant à 172 170 euros, celle au versement de laquelle M. NE et la société Ingénierie Studio sont condamnés à 86 085 euros pour chacun.

25. Il en résulte également que les conclusions de la société Ingénierie Studio tendant à la condamnation de la communauté d’agglomération à lui reverser la somme de 19 882,24 euros, correspondant au montant des sommes mises à sa charge par le juge des référés excédant la part de responsabilité retenue par les premiers juges, doivent être rejetées, ainsi que les conclusions de même nature présentées par Pierre M, la compagnie Allianz IARD, M. NE et la Mutuelle des architectes français.

Sur les appels en garantie :

26. Le présent arrêt ne condamnant les défendeurs qu’à hauteur de leur responsabilité dans la survenance des désordres litigieux, les conclusions d’appel en garantie présentées par la société Dekra Industrial, les ayants droits de Pierre M et M. NE doivent être rejetées.

Sur les frais d’expertise :

27. Les frais et honoraires des experts, liquidés et taxés aux sommes de 42 260,40 euros et 16 048,50 euros, soit 58 309 euros, sont mis à la charge des défendeurs selon la répartition définie au point 23.

Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

28. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative s’opposent à ce que soient mises à la charge de la communauté d’agglomération du Muretain, qui n’est pas partie perdante dans la présente instance, les sommes que les défendeurs demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées sur ce fondement par la communauté d’agglomération.