Garantie décennale - Éléments d’équipement dissociables de l’ouvrage impropre à sa destination - Escaliers mécaniques des stations de métro
Par Benoît le vendredi 4 février 2022, 09:27 - MARCHES ET CONTRATS ADMINISTRATIFS - Lien permanent
La responsabilité décennale du constructeur peut être recherchée pour des dommages survenus sur des équipements dissociables de l'ouvrage s'ils rendent celui-ci impropre à sa destination. La circonstance que les désordres affectant un élément d'équipement fassent obstacle au fonctionnement normal de ce seul élément n'est pas de nature à engager la garantie décennale du constructeur si ces désordres ne rendent pas l'ouvrage lui-même impropre à sa destination. Cette impropriété couvre aussi les cas où l’ouvrage ne peut être utilisé dans des conditions de sécurité et de confort normales.
Les désordres affectant les escaliers mécaniques des stations de la ligne B du métro toulousain ne rendent pas la ligne de métro elle-même impropre à sa destination dès lors qu’ils n’ont pas conféré à celle-ci un caractère dangereux pour les usagers de la ligne et n’ont pas compromis son fonctionnement. La circonstance que le maître de l'ouvrage ait été contraint d’assurer une maintenance régulière et plus coûteuse qu’à l’ordinaire des escaliers mécaniques du métro n’est pas de nature à engager la garantie décennale du constructeur dès lors que cette maintenance a permis à l’ouvrage de fonctionner dans des conditions normales. Les désordres qui ne compromettent que le fonctionnement des escaliers mécaniques n’engagent pas la garantie décennale du constructeur.
Arrêt n° 19BX02138 – 31 janvier 2022 – 3ème chambre Syndicat mixte des transports en commun de l’agglomération toulousaine C+
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le syndicat mixte des transports en commun de l'agglomération toulousaine a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner la société Constructions Industrielles de la Méditerranée à lui verser la somme de 26 900 000 euros HT au titre du remplacement des escaliers mécaniques des stations de la ligne B du métro toulousain, la somme de 451 992,80 euros HT engagée auprès de l’exploitant Tisséo au titre du préfinancement des réparations et la somme de 5 966 000 euros HT engagée auprès de Tisséo au titre du plan d’action sécuritaire.
Par un jugement n° 1603521 du 27 mars 2019, le tribunal a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 23 mai 2019 et le 17 août 2021, le syndicat mixte des transports en commun de l'agglomération toulousaine, représenté par Me Lanéelle, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d’annuler ce jugement n° 1603521 du tribunal ;
2°) de condamner la société Constructions Industrielles de la Méditerranée (CNIM), sur le fondement de la garantie décennale, à lui verser la somme de 16 819 920 euros HT ;
3°) de condamner la société CNIM, sur le terrain de la responsabilité quasi-délictuelle, à lui verser la somme de 451 992,80 euros HT au titre du préfinancement des réparations et la somme de 5 966 000 euros HT au titre du plan d’action sécuritaire mis en œuvre ;
4°) de mettre à la charge de la société le coût des opérations d’expertise ainsi que la somme de 25 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
…………………..
Par des mémoires en défense, enregistrés le 29 mai 2020 et le 8 septembre 2021, la société CNIM Systèmes Industriels, venant aux droits de la société CNIM, représentée par Me Charbonneau, conclut :
1°) à titre principal, au rejet de la requête ;
2°) à titre subsidiaire, à ce que la cour déclare nulles les conclusions de l’expertise en raison de son irrégularité ; à ce que la condamnation qui pourrait être prononcée contre elle soit limitée à la reprise des escaliers mécaniques après application d’un abattement pour vétusté ;
3°) à ce qu'il soit mis à la charge du SMTC la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
……………………
Considérant ce qui suit :
1. Dans le cadre de la construction de la ligne B du métro toulousain, le syndicat mixte des transports en commun de l’agglomération toulousaine (SMTC) a, par un acte d’engagement signé le 15 novembre 2004, confié à la société Constructions Industrielles de la Méditerranée (CNIM devenue CNIM Systèmes Industriels) les travaux d’installation de quatre-vingts trois escaliers mécaniques devant équiper les vingt stations de la future ligne. Ces ouvrages, correspondant au lot n° 28 de l’opération de construction de la ligne de métro, ont été réceptionnés le 30 mars 2007 avec des réserves levées le 30 juin 2007.
2. A la suite de désordres apparus sur certains escaliers mécaniques, le SMTC, en sa qualité de propriétaire des ouvrages, a, le 22 décembre 2009, demandé au juge des référés du tribunal administratif de Toulouse la désignation d’un expert chargé de décrire ces désordres, d’en déterminer les causes, de se prononcer sur leur imputabilité et sur les moyens d’y remédier. Après le dépôt de ce rapport, le 28 juillet 2014, le SMTC a saisi le juge des référés du tribunal d’une demande de provision, laquelle a été satisfaite à hauteur d’une somme de 950 000 euros mise à la charge de la société CNIM par une ordonnance du 30 octobre 2015. Ce montant a été porté à 4 966 000 euros par un arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 13 octobre 2016. Entre temps, soit le 26 juillet 2016, le SMTC a saisi le tribunal administratif de Toulouse d’une requête au fond demandant la condamnation de la société CNIM à réparer l’ensemble des préjudices résultant des dysfonctionnements affectant les escaliers mécaniques des stations de la ligne B du métro. Le SMTC relève appel du jugement rendu le 27 mars 2019 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.
Sur le fond du litige :
En ce qui concerne la responsabilité de la société CNIM au titre de la garantie décennale des constructeurs :
3. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d’épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l’ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s’ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l’expiration du délai de dix ans. La garantie décennale du constructeur peut être recherchée pour des dommages survenus sur des éléments d’équipement dissociables de l’ouvrage s’ils compromettent sa solidité ou s’ils rendent celui-ci impropre à sa destination. La circonstance que les désordres affectant un élément d’équipement fassent obstacle au fonctionnement normal de cet élément n’est pas de nature à engager la garantie décennale du constructeur si ces désordres ne rendent pas l’ouvrage lui-même impropre à sa destination. Cette impropriété couvre aussi les cas où l’ouvrage ne peut être utilisé dans des conditions de sécurité et de confort normales.
4. Les escaliers mécaniques permettant d’accéder et de quitter les stations du métro doivent être regardés comme des éléments d’équipement dissociables de l’ouvrage du métro lui-même dès lors qu’aucun élément du dossier, et notamment le rapport d'expertise, ne permet d’estimer que le démontage de ces escaliers ou leur remplacement ne pourrait s’effectuer sans détérioration de l’ouvrage lui-même. Par suite, les désordres qui affectent les escaliers mécaniques du métro ne sont de nature à engager la garantie décennale de la société CNIM, chargée de leur installation, que s’ils compromettent la solidité de la ligne de métro elle-même ou rendent celle-ci impropre à sa destination.
5. Il résulte de l’instruction, et notamment du rapport d'expertise, qu’un certain nombre d’escaliers mécaniques de la ligne B du métro toulousain ont présenté, à compter de l’année 2008, des désordres caractérisés par des empilages de marches qui ont fini par se casser. L’expert a comptabilisé, dans son rapport remis en juillet 2014, quarante-sept dysfonctionnements affectant vingt-neuf escaliers mécaniques sur les quatre-vingts trois qui équipent la ligne B du métro. Au cours des opérations d’expertise, d’autres désordres ont été constatés sur ces escaliers et sur d’autres, notamment une usure des chaînes des marches, des galets de chaînes défectueux, des marches affaissées ainsi qu’une usure prématurée des mains courantes.
6. Il résulte également de l’instruction, et notamment du rapport d'expertise, que les travaux de maintenance des escaliers mécaniques, rendus nécessaires par les désordres litigieux, ont permis d’assurer le fonctionnement de la ligne B du métro dont aucune des stations, en définitive, n’a cessé d’être exploitée depuis leur mise en service le 30 juin 2007. Si le SMTC soutient que le fonctionnement du métro n’a été rendu possible qu’au prix d’une maintenance régulière et coûteuse, cette circonstance ne permet pas, par elle-même, d’engager la garantie décennale du constructeur dès lors qu’il résulte de l’instruction que l’ouvrage a continué d’être utilisé dans des conditions normales et que le besoin d’une maintenance accrue ne révèle pas par elle-même que la solidité de la ligne B du métro serait compromise ni qu’elle serait impropre à sa destination. En particulier, il n’est pas établi par les éléments de l’instruction que les désordres observés auraient porté atteinte à la fluidité de la circulation des usagers qui ont continué de pouvoir accéder aux stations, et de quitter celles-ci, en utilisant également les ascenseurs et les escaliers fixes qui équipent la ligne B du métro. Il s’ensuit que les désordres en litige compromettaient seulement le fonctionnement des escaliers mécaniques des stations de la ligne du métro mais non le fonctionnement de celle-ci considérée dans son ensemble.
7. Certes, le rapport d'expertise indique que trois chaussures ont été coincées entre des marches d’escaliers automatiques qui se sont empilées, causant des blessures à leurs propriétaires. Toutefois, ces incidents sont restés très ponctuels et limités au sein d’un ouvrage qui accueille quotidiennement plusieurs milliers de voyageurs et qui a fonctionné sans interruption depuis le 30 juin 2007. Ils n’ont d’ailleurs pas conduit l’exploitant Tisséo à interdire aux usagers l’utilisation des escaliers mécaniques. Dans ces circonstances, ces incidents isolés ne sont pas suffisants pour permettre d’estimer que les désordres observés ont rendu les escaliers mécaniques dangereux pour les usagers au point de compromettre la destination de la ligne de métro dans son ensemble.
8. Il n’est pas non plus établi au dossier que l’arrêt du fonctionnement des escaliers mécaniques aurait conduit à ce que le temps d’évacuation des usagers en cas d’incendie ne soit pas conforme aux exigences de l’arrêté du 20 février 1983 portant approbation des règles de sécurité et des modalités de contrôle applicables aux locaux accessibles au public situés sur le domaine public du chemin de fer. La note intitulé « principe de calcul du temps d’évacuation d’une station » que produit le SMTC, dont l’auteur n’est d’ailleurs ni identifié ni identifiable, ne parvient pas à cette conclusion en indiquant au contraire que le temps d’évacuation est de 2 minutes et 52 secondes, très inférieur aux dix minutes maximales règlementaires fixées à l’article G 23 de l’arrêté.
9. Il résulte de ce qui précède que les désordres litigieux n’ont pas eu pour effet de compromettre la solidité de la ligne B du métro toulousain ni de rendre impropre à sa destination comme l’ont relevé à bon droit les premiers juges. Dès lors, le SMTC n’est pas fondé à soutenir que la responsabilité de la société CNIM est engagée sur le terrain de la garantie décennale.
En ce qui concerne la responsabilité de la société CNIM sur le terrain quasi-délictuel :
10. Le SMTC sollicite la condamnation de la société CNIM sur le fondement quasi-délictuel à lui verser les sommes de 451 992,80 euros HT et de 5 966 000 euros HT engagées auprès de l’exploitant Tisséo au titre, respectivement, du préfinancement des réparations et du financement d’un plan d’action sécuritaire.
11. Toutefois, la relation contractuelle qui a uni le SMTC et la société CNIM présente un caractère exclusif de tout autre fondement de responsabilité. Après l’extinction de ces relations contractuelles, consécutive à la levée des réserves prononcée lors de la réception définitive de l’ouvrage, le SMTC pouvait encore rechercher la garantie biennale applicable aux éléments d’équipements dissociables de l’ouvrage et la garantie décennale, pour autant que les conditions propres à chacune de ces garanties soient remplies. En revanche, le SMTC n’est pas en droit de rechercher la responsabilité de la société sur le terrain de la faute quasi-délictuelle.
12. Au demeurant, il résulte de l’instruction que les sommes mentionnées au point 10 ont été payées par l’établissement public Tisséo, et si le SMTC soutient qu’il a assumé la charge finale des versements, il ne l’établit pas, pas plus qu’il n’établit avoir financé le plan d’action sécuritaire.
13. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’examiner la fin de non-recevoir opposée à la requête d’appel, que le SMTC n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté ses demandes.
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Il y a lieu de faire application de ces dispositions en mettant à la charge du SMTC la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société CNIM et non compris dans les dépens. En revanche, les conclusions présentées par le SMTC sur ce même fondement doivent être rejetées dès lors que la société CNIM n’est pas la partie perdante à l’instance d’appel.
DECIDE
Article 1er : La requête n° 19BX02138 du syndicat mixte des transports en commun de l'agglomération toulousaine est rejetée.
Article 2 : Le syndicat mixte des transports en commun de l'agglomération toulousaine versera à la société CNIM Systèmes Industriels la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.