Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. M. a demandé au tribunal administratif de Limoges d’annuler l’arrêté du 18 mai 2021 par lequel le préfet de la Haute-Vienne lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d’un an.

Par un jugement n° 2100861 du 8 juillet 2021, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté la requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 13 octobre 2021 et 2 mai 2022, M. M., représenté par Me Toulouse, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement ;

2°) d’annuler l’arrêté du 18 mai 2021 du préfet de la Haute-Vienne ;

3°) d’enjoindre au préfet de la Haute-Vienne de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois suivant la notification de l’arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 2 500 euros à verser à son conseil au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

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Par un mémoire en défense, enregistré le 12 mai 2022, la préfète de la Haute-Vienne conclut au rejet de la requête.

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Considérant ce qui suit :

1. M. M. de nationalité comorienne, est entré irrégulièrement en France en 2016 selon ses déclarations. Il a été interpellé le 17 mai 2021 et mis en cause pour usage de faux documents administratifs. Par un arrêté du 18 mai 2021, notifié à l’intéressé le jour même à 16h20 alors qu’il était placé en garde en vue, le préfet de la Haute-Vienne lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai et interdiction de retour pour une durée d’un an et a fixé le pays de renvoi. Par une requête enregistrée le 26 mai 2021, M. M. a demandé au tribunal administratif de Limoges d’annuler cet arrêté. Par un jugement du 8 juillet 2021, la magistrate désignée par le président du tribunal a rejeté cette demande comme irrecevable au motif qu’elle avait été enregistrée après l’expiration du délai de recours contentieux de 48 heures. M. M., qui se prévaut des stipulations des articles 8 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, relève appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l’article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles ». Il appartient ainsi à l’administration, sous le contrôle du juge administratif, d’assurer l’effectivité de l’ensemble des garanties en matière de droit au recours, en particulier lorsque l’étranger fait l’objet d’une mesure privative de liberté.

3. Aux termes de l’article L. 614-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « Lorsque la décision portant obligation de quitter le territoire français n'est pas assortie d'un délai de départ volontaire, le président du tribunal administratif peut être saisi dans le délai de quarante-huit heures suivant la notification de la mesure ». Aux termes de l’article R. 776-2 du code de justice administrative : « II. - Conformément aux dispositions de l'article L. 614-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la notification par voie administrative d'une obligation de quitter sans délai le territoire français fait courir un délai de quarante-huit heures pour contester cette obligation et les décisions relatives au séjour, à la suppression du délai de départ volontaire, au pays de renvoi et à l'interdiction de retour ou à l'interdiction de circulation notifiées simultanément. ». Aux termes de l’article R. 421-5 du même code : « Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu’à la condition d’avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision. ».

4. Il ressort des pièces du dossier que l’arrêté contesté du 18 mai 2021 par lequel le préfet de la Haute-Vienne a fait obligation à M. M. de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d’un an, a été notifié par voie administrative à l’intéressé le 18 mai 2021 à 16h20, durant sa garde à vue. Il n’est pas contesté qu’il n’était pas assisté par un avocat et que cet arrêté ne lui a pas été remis mais a été placé immédiatement dans sa fouille. Il ressort du formulaire de notification de cet arrêté qu’il lui a seulement été donné lecture des informations relatives aux voies et délais de recours, au rang desquelles ne figurait pas la possibilité de déposer une requête auprès de l’administration chargée de la rétention ou, en cas de détention, auprès du chef de l’établissement pénitentiaire. Si l’intéressé a été informé, au cours de la lecture de ses droits, de la possibilité de prévenir un conseil ou une personne de son choix, il soutient sans être sérieusement contredit qu’il n’a pas été effectivement mis en mesure d’avertir dans les meilleurs délais un conseil, n’ayant aucun accès à un moyen de communication durant la garde à vue. L’intéressé a été transféré le 19 mai 2021, après la fin de sa garde à vue, auprès d’un juge d’instruction, et placé le même jour en détention provisoire, sans qu’il lui soit davantage indiqué qu’il avait la possibilité de déposer une requête contre l’arrêté auprès du chef de l’établissement pénitentiaire au sein duquel il était incarcéré.

5. Dans ces conditions, en l’absence d’indication appropriée sur les modalités de dépôt d’un recours, et alors en outre qu’il ne disposait pas de l’arrêté qui avait été placé dans sa fouille, M. M. est fondé à soutenir qu’il a été privé des garanties destinées à assurer l’effectivité du droit au recours au sens des stipulations précitées de l’article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Par suite, le délai de recours contentieux de 48 heures n’a pas commencé à courir.

6. Il résulte de ce qui précède que c’est à tort que la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté comme irrecevable la demande de M. M. au motif qu’elle avait été enregistrée plus de 48 heures suivant la notification administrative de l’arrêté contesté. Le jugement attaqué doit, dès lors, être annulé.

7. Il y a lieu d’évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. M. devant le tribunal administratif de Limoges.

Sur la fin de non-recevoir opposée par la préfète de la Haute-Vienne :

8. Le délai de recours contentieux n’ayant pas commencé à courir à compter de la notification de l’arrêté en litige, la demande de première instance, qui a en tout état de cause été enregistrée devant le tribunal dans un délai inférieur à 48 heures suivant la transmission, par l’établissement pénitentiaire au sein duquel le requérant était incarcéré, d’une copie de cet arrêté à son conseil, n’était pas tardive.

Sur les conclusions à fin d’annulation de l’arrêté attaqué :

9. Aux termes des stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. ».

10. M. M. entretient depuis 2019 une relation avec une compatriote titulaire d’une carte de séjour pluriannuelle en sa qualité de mère d’un enfant français né en janvier 2019 qui vit avec elle. Si l’autorité préfectorale conteste l’ancienneté de la vie commune alléguée, il ressort cependant des pièces qu’ils se sont mariés religieusement le 16 juin 2019 et que deux enfants sont nés de leur union, H., le 21 mai 2020, puis, deux mois après la décision attaquée, R., le 17 juillet 2021. Il ressort également des nombreux tickets de caisse produits, tous établis dans la commune de Bressuire où réside la compagne du requérant, que l’intéressé participe à l’entretien des enfants du foyer ainsi qu’en témoignent les achats réguliers, depuis 2019, de produits de puériculture. L’éducation commune des enfants est attestée par leur mère, dont les affirmations sont corroborées par les certificats de médecins généralistes et d’un pédiatre faisant état de l’implication de M. M. dans le suivi des enfants. Le requérant produit enfin les factures, établies à son nom et celui de sa compagne, afférentes aux frais de crèche de leurs deux enfants communs depuis février 2022, et fait valoir qu’ils ont conclu le 2 mai 2022 un pacte civil de solidarité. Si certains des éléments invoqués sont postérieurs à l’arrêté attaqué, ils sont néanmoins de nature à révéler l’intensité des liens préexistants du requérant avec sa compagne et les enfants du foyer. Dans ces circonstances, compte tenu de la stabilité des liens familiaux en France et de la difficulté à reconstituer la cellule familiale aux Comores du fait de présence d’un enfant français au sein du foyer, la décision faisant obligation de quitter le territoire français à M. M. a porté à son droit au respect de sa vie familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise et a ainsi méconnu les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Sur les conclusions à fin d’injonction :

11. Ainsi que le requérant le demande, l’exécution du présent arrêt implique d’enjoindre à la préfète de la Haute-Vienne de réexaminer la situation de M. M. Il y a lieu de lui enjoindre d’y procéder dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt.

Sur les frais liés au litige :

12. M. M. bénéficie de l’aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761 1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, et sous réserve que Me Toulouse renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’État, de mettre à la charge de l’État le versement de la somme de 1 500 euros au conseil de M. M. au titre des frais non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2100861 du 8 juillet 2021 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Limoges et l’arrêté du 18 mai 2021 du préfet de la Haute-Vienne sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint à la préfète de la Haute-Vienne de réexaminer la situation de M. M. dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt.

Article 3 : L’Etat versera à Me Toulouse une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

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