Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme G== a demandé au tribunal administratif de B== de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de B== à lui verser une indemnité de 30 000 euros, assortie des intérêts et de leur capitalisation, en réparation du préjudice moral qu’elle estime avoir subi du fait de l’administration de transfusions sanguines entre le 29 février et le 2 mars 2016 et d’un défaut d’information.

Par un jugement n°1902340 du 15 juillet 2020, le tribunal a condamné le CHU de B== à lui verser une somme de 1 000 euros au titre du défaut d’information, avec intérêts au taux légal à compter du 17 janvier 2019 et capitalisation à compter du 17 janvier 2020, et a rejeté le surplus de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 10 septembre 2020 et le 21 avril 2021, Mme G==, représentée par Me K==, demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement en ce qu’il n’a pas fait droit à l’intégralité de sa demande ;

2°) de condamner le CHU de B== à lui verser une indemnité de 30 000 euros, majorée des intérêts à compter du 17 janvier 2019, avec capitalisation des intérêts ;

3°) de mettre à la charge du CHU de B== une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Considérant ce qui suit :

1. Mme G== a été admise le 28 février 2016 dans le service de chirurgie digestive de l’hôpital S==, rattaché au CHU de B==, pour une ablation de la vésicule biliaire. Elle avait informé l’équipe médicale de son refus de recevoir des transfusions sanguines et de sa demande de bénéficier, le cas échéant, de techniques alternatives. Lors de l’intervention réalisée le 29 février, une perforation accidentelle de l’artère iliaque droite a causé une hémorragie qui n’a pas pu être compensée par le mécanisme d’autotransfusion (« cell saver ») mis en place conformément à la volonté de la patiente. Le pronostic vital étant engagé avec une perte de sang évaluée à quatre litres et une majoration du collapsus et de l’hypotension, des transfusions de sept concentrés de globules rouges et de deux unités de plasma frais congelé ont été réalisées. Dans les suites immédiates de l’intervention, deux autres unités de plasma frais congelé ont été administrées dans le service de réanimation. Le 1er mars, la patiente a présenté une anémie sévère avec un taux d’hémoglobine de 7,3 g/dl à 12 heures 30 et de 5,8 g/dl à 21 heures 30 et a refusé la transfusion de culots globulaires, de sorte qu’elle a seulement reçu 200 mg de fer et 10 000 unités d’érythropoïétine. Le 2 mars, le taux d’hémoglobine a encore baissé, jusqu’à 5 g/dl à 18 heures, et l’anémie s’est compliquée d’une souffrance myocardique et d’une dégradation de la fonction respiratoire avec l’installation d’une hypoxie sévère engageant le pronostic vital à court terme. Malgré le refus réitéré de la patiente, une transfusion sanguine a été réalisée sur la décision collégiale de deux médecins, à l’insu de l’intéressée qui a été endormie et ne l’a appris qu’un an plus tard, lorsque son dossier médical lui a été communiqué à sa demande. Après des complications septiques, l’évolution a été favorable, et Mme G== est sortie de l’hôpital le 17 mars 2016.

2. Sa réclamation préalable ayant été rejetée, Mme G== a saisi le tribunal administratif de B== d’une demande de condamnation du CHU de B== à lui verser une indemnité de 30 000 euros en réparation de son préjudice moral, en invoquant le caractère fautif des transfusions réalisées contre sa volonté, ainsi qu’un manquement au devoir d’information, tant sur le risque d’hémorragie lors de l’intervention que sur l’existence des deuxième et troisième transfusions. Par un jugement du 15 juillet 2020, le tribunal a seulement condamné le CHU de B== à lui verser une somme de 1 000 euros au titre d’un défaut d’information sur le risque hémorragique lié à l’intervention d’ablation de la vésicule biliaire. Mme G== relève appel de ce jugement en tant qu’il n’a pas fait droit à sa demande relative au préjudice moral subi du fait de la réalisation des transfusions qu’elle avait refusées.

Sur la régularité du jugement :

3. Les circonstances dans lesquelles les transfusions ont été réalisées sont exposées avec une précision suffisante au point 3 du jugement, et les premiers juges n’avaient pas à répondre à un moyen tiré de la méconnaissance du pacte international relatif aux droits civils et politiques qui n’était pas soulevé, Mme G== s’étant bornée à faire valoir que les principes énoncés aux articles 5, 6, 7, 17, 18, 26 et 27 de ce pacte avaient été repris par la loi française. Par suite, Mme G== n’est pas fondée à invoquer une irrégularité du jugement.

Sur la responsabilité :

4. Aux termes de l’article L. 1110-1 du code la santé publique : « Le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en œuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne. (…). » L’article L. 1110-2 de ce code dispose que : « La personne malade a droit au respect de sa dignité ». Aux termes de l'article L. 1110-5 du même code : « Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir, sur l'ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérées. (…). » 5. L’article L. 1111-4 du code de la santé publique est relatif au droit du patient de consentir, ou pas, à tout traitement, et en fixe les modalités, selon que le patient est ou non en état d’exprimer sa volonté. Dans sa rédaction issue de la loi du 2 février 2016 visée ci-dessus, cet article dispose que : « Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu'il lui fournit, les décisions concernant sa santé. / Toute personne a le droit de refuser ou de ne pas recevoir un traitement. Le suivi du malade reste cependant assuré par le médecin, notamment son accompagnement palliatif. / Le médecin a l'obligation de respecter la volonté de la personne après l'avoir informée des conséquences de ses choix et de leur gravité. Si, par sa volonté de refuser ou d'interrompre tout traitement, la personne met sa vie en danger, elle doit réitérer sa décision dans un délai raisonnable. (…) / Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. / Lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté, aucune intervention ou investigation ne peut être réalisée, sauf urgence ou impossibilité, sans que la personne de confiance prévue à l'article L. 1111-6, ou la famille, ou à défaut, un de ses proches ait été consulté. / (…) ». 6. En outre, aux termes de l’article L. 1111-11 du code de la santé publique, relatif aux directives anticipées : « Toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d'état d'exprimer sa volonté. Ces directives anticipées expriment la volonté de la personne relative à sa fin de vie en ce qui concerne les conditions de la poursuite, de la limitation, de l'arrêt ou du refus de traitement ou d'acte médicaux. / A tout moment et par tout moyen, elles sont révisables et révocables (…). / Les directives anticipées s'imposent au médecin pour toute décision d'investigation, d'intervention ou de traitement, sauf en cas d'urgence vitale pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation et lorsque les directives anticipées apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale. / La décision de refus d'application des directives anticipées, jugées par le médecin manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale du patient, est prise à l'issue d'une procédure collégiale définie par voie réglementaire et est inscrite au dossier médical. Elle est portée à la connaissance de la personne de confiance désignée par le patient ou, à défaut, de la famille ou des proches. / (…) ». Aux termes de l’article R. 1111-17 du même code : « Les directives anticipées mentionnées à l'article L. 1111-11 s'entendent d'un document écrit, daté et signé par leur auteur, majeur, dûment identifié par l'indication de ses nom, prénom, date et lieu de naissance (…) ». En ce qui concerne les deux premières transfusions :

7. Il est constant que les médecins du CHU de B== avaient connaissance du document, intitulé « instructions médicales circonstanciées », par lequel Mme G== demandait, en sa qualité de témoin de Jéhovah, qu’on ne lui administre pas de transfusions de sang total, de globules rouges, de globules blancs, de plaquettes et de plasma, et qu’elle souhaitait bénéficier pleinement des techniques alternatives à la transfusion, dont le « cell saver ». Le dossier médical fait apparaître qu’un collapsus cardio-vasculaire est survenu au début de l’intervention du 29 février 2016 lors de l’insufflation de la cœlioscopie, qu’un saignement abdominal, ultérieurement localisé comme provenant de l’artère iliaque droite, a été identifié, que le « cell saver » a été mis en service, et que les transfusions ont été décidées et poursuivies en raison de l’impossibilité de maîtriser chirurgicalement l’hémorragie, alors que le pronostic vital se trouvait immédiatement en jeu. La transfusion complémentaire de deux unités de plasma frais congelé a été réalisée dans la continuité de l’intervention, à l’arrivée dans le service de réanimation et alors que la patiente était toujours inconsciente, en raison de l’effondrement des facteurs de coagulation consécutif à l’hémorragie. La situation d’urgence vitale, caractérisée par le dossier médical et non sérieusement contestée, ne permettait pas de s’assurer d’une réitération dans un délai raisonnable du refus du traitement et justifiait de s’écarter des directives anticipées. Dans ces circonstances, les transfusions de produits sanguins réalisées le 29 février 2016, alors que la technique alternative du « cell saver » ne suffisait pas à assurer la survie de la patiente, ne peuvent être regardées comme fautives au regard des dispositions des articles L. 1111-4 et L.1111-11 du code de santé publique.

8. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. » Aux termes de l'article 8 de la même convention : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée (…) / 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » Aux termes de l'article 9 de cette convention : « 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. / 2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » Aux termes de l'article 5 de la convention pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine, dite convention d’Oviedo : « Une intervention dans le domaine de la santé ne peut être effectuée qu'après que la personne concernée y a donné son consentement libre et éclairé. / Cette personne reçoit préalablement une information adéquate quant au but et à la nature de l'intervention ainsi que quant à ses conséquences et ses risques. / La personne concernée peut, à tout moment, librement retirer son consentement. » Selon l’article 9 de la même convention : « Les souhaits précédemment exprimés au sujet d'une intervention médicale par un patient qui, au moment de l'intervention, n'est pas en état d'exprimer sa volonté seront pris en compte. »

9. La portée de l’article 9 de la convention d’Oviedo est limitée par l’article 8 de cette convention qui stipule : « Lorsqu'en raison d'une situation d'urgence le consentement approprié ne peut être obtenu, il pourra être procédé immédiatement à toute intervention médicalement indispensable pour le bénéfice de la santé de la personne concernée. » Eu égard aux circonstances exposées au point 7, Mme G== n’est pas fondée à soutenir que les stipulations citées au point précédent auraient été méconnues. Ne peuvent davantage être regardées comme méconnues les stipulations du pacte international relatif aux droits civils et politiques dont elle se prévaut, soit l’article 5 selon lequel il ne peut être admis aucune restriction ou dérogation aux droits fondamentaux de l'homme, l’article 7, lequel est relatif à l’interdiction de soumettre une personne à une expérience médicale sans son libre consentement, sans application en l’espèce en l’absence de toute « expérience médicale », l’article 18 relatif à la liberté de pensée et de religion, l’article 26 affirmant l’égalité devant la loi, et enfin l’article 27 interdisant de priver les minorités religieuses du droit de professer et de pratiquer leur religion, qui doivent être combinées avec le droit à la vie reconnu à l’article 6, que les médecins ont en l’espèce fait prévaloir.

En ce qui concerne la troisième transfusion :

10. Il résulte de l’instruction que postérieurement à l’intervention chirurgicale, les médecins ont insisté à plusieurs reprises pour tenter de convaincre Mme G== , qui était parfaitement consciente, de la nécessité d’une nouvelle transfusion en raison du risque vital qu’elle encourait du fait de l’anémie sévère qu’elle présentait, et que la patiente a réitéré à plusieurs reprises son refus de ce traitement, malgré les explications des médecins et l’échec du traitement alternatif à base de fer et d’érythropoïétine et la dégradation de son état. Au regard de cette réitération telle que prévue par les dispositions précitées de l’article L. 1111-4 du code de santé publique relatives au respect de la volonté du patient, le fait d’avoir réalisé une transfusion contre son gré, de surcroît en procédant préalablement à une sédation pour l’empêcher de s’y opposer, constitue un manquement à ces dispositions. Dans ces circonstances, et sans qu’il soit besoin de rechercher si cette intervention était justifiée par une urgence vitale, cette troisième transfusion est de nature à engager la responsabilité du CHU de B==.

11. Les conditions dans lesquelles la transfusion du 2 mars 2016 a été réalisée ont été à l’origine d’une souffrance morale et de troubles dans les conditions d’existence de Mme G== . Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en lui allouant une somme de 3 000 euros.

12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme G== est seulement fondée à demander que la somme que le CHU de B== a été condamné à lui verser soit portée de 1 000 euros à 4 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 17 janvier 2019 et capitalisation à compter du 17 janvier 2020.

Sur les frais exposés à l’occasion du litige :

13. Il y a lieu dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge du CHU de B== une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La somme que le CHU de B== a été condamné à verser à Mme G== est portée de 1 000 euros à 4 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 17 janvier 2019 et capitalisation à compter du 17 janvier 2020.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de B== n° 1902340 du 15 juillet 2020 est réformé en ce qu’il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le CHU de B== versera à Mme G== une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.