Vu la requête, enregistrée le 16 juillet 2012, présentée pour M. Essadiq A==, demeurant au ==, par Me Malabre, avocat ;

M. A== demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement n° 1001227 du 16 février 2012 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant, d’une part, à l’annulation de la décision de la caisse d’allocations familiales de la Haute-Vienne du 23 mars 2010, refusant de lui allouer le revenu de solidarité active pour la période antérieure à la reconnaissance de son statut de réfugié et de la décision du président du conseil général de ce département du 3 juin 2010, rejetant son recours contre la décision de la caisse d’allocations familiales, d’autre part, à ce qu’il soit enjoint à l’organisme compétent de lui verser, pour la période considérée, le revenu minimum d’insertion ou le revenu de solidarité active, ou de reprendre une décision dans un délai d’un mois, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

2°) d’annuler les deux décisions contestées ;

3°) d’ordonner, à titre principal, la liquidation et le paiement, pour la période considérée, du revenu minimum d’insertion ou du revenu de solidarité active, augmenté des intérêts au taux légal à compter de chaque mois des versements dus, à titre subsidiaire, l’intervention d’une nouvelle décision dans un délai d’un mois, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de condamner l’Etat à verser à son conseil la somme de 1 794 euros toutes taxes comprises au titre de la première instance et celle de 2 392 euros au titre de l’instance d’appel, en application des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut de réfugiés ;

Vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté le 16 décembre 1966 ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et son 1er protocole additionnel ;

Vu la charte sociale européenne du Conseil de l’Europe signée à Strasbourg le 3 mai 1996 ;

Vu le code de l’action sociale et des familles ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu la loi n° 2008-1249 du 1er décembre 2008 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 23 avril 2013 : - le rapport de M. Jean-Michel Bayle, président-assesseur ; - les conclusions de M. Olivier Gosselin, rapporteur public ; - et les observations de Me Jouteau substitut de Me Malabre, avocat de M. A== ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 24 avril 2013, présentée pour M. A== ;

1. Considérant que M. A==, de nationalité soudanaise, qui s’est vu reconnaître la qualité de réfugié politique par arrêt de la Cour nationale du droit d’asile du 22 février 2010, a réclamé, dès le 2 mars 2010, le paiement du revenu de solidarité active ; que, le président du conseil général de la Haute-Vienne ayant accordé à l’intéressé le bénéfice de ce revenu, la caisse d’allocations familiales de la Haute-Vienne a notifié à ce dernier, par décision du 23 mars 2010, l’attribution de cette allocation à compter du mois de mars 2010 ; qu’estimant toutefois tenir des droits au versement dudit revenu et, antérieurement à l’instauration de celui-ci, au versement du revenu minimum d’insertion depuis l’enregistrement de sa demande de statut de réfugié auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, soit le 9 novembre 2007, M. A== a formulé, par lettre du 19 avril 2010, un recours administratif auprès du président du conseil général contre la décision de la caisse d’allocations familiales faisant courir les versements à partir de mars 2010 ; que, par lettre du 3 juin 2010, le président du conseil général a rejeté ce recours ; que M. A== a saisi le tribunal administratif d’une demande tendant, d’une part, à l’annulation de ces deux décisions en tant qu’elles refusaient de l’admettre au bénéfice du revenu minimum d’insertion et du revenu de solidarité active avant le 1er mars 2010, d’autre part, à ce qu’il soit enjoint à l’autorité compétente de liquider et de lui payer lesdites allocations pour la période considérée, augmentées des intérêts au taux légal à partir ce chaque mois des versements dus ; que, par jugement du 16 février 2012, le tribunal administratif a transmis à la commission départementale d’aide sociale de la Haute-Vienne les conclusions de M. A== se rapportant au revenu minimum d’insertion, c’est-à-dire pour la période comprise entre le 9 novembre 2007 et le 30 mai 2009, et a rejeté le surplus de la demande ; que M. A== interjette appel de ce jugement ;

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne les conclusions se rapportant à la période antérieure au 1er juin 2009 :

2. Considérant que l’article L. 262-39 du code de l’action sociale et des familles disposait, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-1249 du 1er décembre 2008, que les recours formés contre les décisions relatives à l’allocation de revenu minimum d’insertion et à la prime forfaitaire instituée par l’article L. 262-11 étaient formés devant la commission départementale d’aide sociale ; que cette disposition demeure applicable, comme les autres dispositions de la section V intitulée « recours et récupération », au contentieux des décisions prises en matière de revenu minimum, la loi du 1er décembre 2008 ayant seulement entendu, en réformant l’article L. 134-1 du code de l’action sociale et des familles, confier au juge administratif de droit commun le contentieux du revenu de solidarité active ; que, dès lors, comme l’a jugé à juste titre le tribunal administratif, les conclusions de M. A== se rapportant à la période antérieure au 1er juin 2009, concernant le revenu minimum d’insertion, ressortissaient à la compétence de la commission départementale d’aide sociale de la Haute-Vienne ;

En ce qui concerne les conclusions dirigées contre la décision du 23 mars 2010 :



3. Considérant qu’aux termes de l’article L. 262-47 du code de l’action sociale et des familles : « Toute réclamation dirigée contre une décision relative au revenu de solidarité active fait l’objet, préalablement à l’exercice d’un recours contentieux, d’un recours administratif auprès du président du conseil général. Ce recours est, dans les conditions et limites prévues par la convention mentionnée à l’article L. 262-25, soumis pour avis à la commission de recours amiable qui connaît des réclamations relevant de l’article L. 142-1 du code de la sécurité sociale. Les modalités d’examen du recours sont définies par décret en Conseil d’Etat » ;

4. Considérant que l’instauration, par ces dispositions, d’un recours administratif préalable obligatoire avant toute saisine du juge a pour objet de laisser à l’autorité administrative compétente le soin d’arrêter la position définitive de l’administration ; que, par suite, la décision rendue à la suite du recours administratif se substitue nécessairement, ainsi que l’a jugé sans erreur de droit le tribunal administratif, à la décision initiale ; que, dès lors, les conclusions de M. A== se rapportant à la décision de la caisse d’allocations familiales du 23 mars 2010 sont irrecevables ;

En ce qui concerne les conclusions dirigées contre la décision du 3 juin 2010 :

5. Considérant que lorsqu’il statue sur un recours dirigé contre une décision par laquelle l’administration, sans remettre en cause des versements déjà effectués, détermine les droits d’une personne à l’allocation de revenu de solidarité active, il appartient au juge administratif, eu égard tant à la finalité de son intervention dans la reconnaissance de droits à ces prestations d’aide sociale qu’à sa qualité de juge de plein contentieux, non de se prononcer sur les éventuels vices propres de la décision attaquée, mais d’examiner les droits de l’intéressé sur lesquels l’administration s’est prononcée, en tenant compte de l’ensemble des circonstances de fait qui résultent de l’instruction ; qu’au vu de ces éléments, il appartient au juge administratif d’annuler ou de réformer, s’il y a lieu, cette décision en fixant lui-même les droits de l’intéressé, pour la période en litige, à la date à laquelle il statue ou, s’il ne peut y procéder, de renvoyer l’intéressé devant l’administration afin qu’elle procède à cette fixation sur la base des motifs de son jugement ; qu’en revanche, lorsque le recours est dirigé contre une décision qui, remettant en cause des paiements déjà effectués, ordonne la récupération de montants d’allocation de revenu de solidarité active que l’administration estime avoir été indument versés, il appartient au juge d’examiner d’abord, les moyens tirés, le cas échéant, des vices propres de cette décision, pour en prononcer, s’il y a lieu, l’annulation ;

6. Considérant que la décision du président du conseil général du 3 juin 2010 ne remet pas en cause les versements perçus par M. A== à compter du 1er mars précédent au titre du revenu de solidarité active, mais refuse à l’intéressé le bénéfice de cette allocation pour la période antérieure ; qu’eu égard à l’office du juge de plein contentieux dans un tel litige, les moyens invoqués par M. A== et tirés de l’incompétence du signataire de la décision du 3 juin 2010, du défaut de motivation de cet acte et des erreurs de droit dont il serait entaché, notamment en ce que l’autorité administrative se serait fondée sur une disposition réglementaire inexistante, ne peuvent qu’être écartés ;

7. Considérant qu’aux termes de l’article L. 262-4 du code de l’action sociale et des familles : « Le bénéfice du revenu de solidarité active est subordonné au respect, par le bénéficiaire, des conditions suivantes : / 1° Etre âgé de plus de vingt-cinq ans ou assumer la charge d’un ou de plusieurs enfants nés ou à naître ; / 2° Etre français ou titulaire, depuis au moins cinq ans, d’un titre de séjour autorisant à travailler. Cette condition n’est pas applicable : / a) Aux réfugiés, aux bénéficiaires de la protection subsidiaire » ; qu’aux termes de l’article L. 262-18 de ce code : « Sous réserve du respect des conditions fixées à la présente section, le revenu de solidarité active est ouvert à compter de la date de dépôt de la demande » ; qu’aux termes de l’article R. 262-33 du même code : « Sans préjudice des dispositions particulières prévues aux articles L. 262-37 et L. 262-38, l’allocation est due à compter du premier jour du mois civil au cours duquel la demande a été déposée auprès d’un des organismes mentionnés à l’article D. 262-26 » ;

8. Considérant qu’il résulte des dispositions précitées de l’article L. 262-4 du code de l’action sociale et des familles que les personnes s’étant vu reconnaître la qualité de réfugié n’ont pas à justifier de la détention d’un titre de séjour autorisant à travailler depuis cinq ans et sont assimilées à des nationaux ; que, si les prescriptions susmentionnées ne prévoient pas la possibilité de reconnaître un droit à l’allocation de revenu de solidarité active aux personnes ayant la qualité de réfugié, rétroactivement, à compter de leur entrée en France ou de leur demande d’asile, elles ne permettent pas davantage aux nationaux de bénéficier de ladite allocation avant la date déterminée par l’article R. 262-33 précité, même s’ils remplissent antérieurement les conditions pour l’obtenir ; que, par suite, les dispositions précitées, qui fondent la décision attaquée, ne sont pas incompatibles avec les articles 23 et 24 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 qui prévoient l’égalité de traitement entre réfugiés politiques et nationaux en matière d’assistance et de secours publics ainsi qu’en matière de prestations de sécurité sociale ;

9. Considérant que les stipulations d’un traité ou d’un accord régulièrement introduit dans l’ordre juridique interne conformément à l’article 55 de la Constitution peuvent être utilement invoquées à l’appui d’une demande tendant à ce que soit annulé un acte administratif ou écartée l’application d’une loi ou d’un acte administratif incompatibles avec la norme juridique qu’elles contiennent, dès lors qu’elles créent des droits dont les particuliers peuvent directement se prévaloir ; que, sous réserve des cas où est en cause un traité pour lequel la Cour de justice de l’Union européenne dispose d’une compétence exclusive pour déterminer s’il est d’effet direct, une stipulation doit être reconnue d’effet direct par le juge administratif lorsque, eu égard à l’intention exprimée des parties et à l’économie générale du traité invoqué, ainsi qu’à son contenu et à ses termes, elle n’a pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requiert l’intervention d’aucun acte complémentaire pour produire des effets à l’égard des particuliers ; que, selon l’article 13 de la charte sociale européenne révisée, les parties s’engagent à prendre des mesures appropriées en vue d’assurer l’exercice effectif du droit à l’assistance sociale et médicale ; que ces stipulations, qui requièrent l’intervention des Etats pour fixer les mesures permettant d’en assurer l’exécution, ne produisent pas d’effets directs à l’égard des particuliers ; que, par suite, M. A== ne peut utilement les invoquer pour faire écarter les dispositions législatives et réglementaires mentionnées ci-dessus, ni pour faire valoir un droit à obtenir l’allocation de revenu de solidarité active à compter de la date de son entrée en France ; que, dans ces conditions, il en est de même du principe de non-discrimination posé par l’article E de la partie V de ladite charte ;

10. Considérant que les stipulations de l’article 26 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, selon lesquels « Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi... », ne sont invocables que par les personnes qui soutiennent qu’elles sont victimes d’une discrimination au regard de l’un des droits civils et politiques reconnus par le pacte ; que tel n’est pas le cas du droit à l’allocation de revenu de solidarité active, laquelle a pour objectif social, en vertu de l’article L. 262-2 du code de l’action sociale et des familles, de porter les ressources des foyers à un niveau de revenu garanti ;

11. Considérant, enfin, qu’aux termes de l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, la fortune, la naissance ou toute autre situation » ; qu’aux termes de l’article 1er du premier protocole additionnel à cette convention : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens » ; que les dispositions des articles L. 262-4, L. 262-18 et R. 262-33 du code de l’action sociale et des familles ne créent pas de différence de traitement entre les nationaux et les personnes s’étant vu reconnaître la qualité de réfugié ; que, par suite, M. A= n’est pas fondé à soutenir que le dispositif applicable comporterait une discrimination prohibée par les stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; qu’il ne résulte d’aucun élément au dossier que le refus de le faire bénéficier de ladite allocation porterait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale au regard des motifs qui le fondent, tirés de l’application des articles L. 262-18 et R. 262-33 précités ;

12. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède, sans qu’il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la requête et de la demande devant les premiers juges, que M. A== n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions aux fins de liquidation et de paiement de l’allocation :

13. Considérant que le présent arrêt, qui rejette les conclusions de M. A== tendant au bénéfice de l’allocation de revenu de solidarité active à compter de la date de son entrée en France n’implique pas que l’autorité administrative procède à la liquidation et au paiement de ladite allocation ; que, par suite, les conclusions susmentionnées ne peuvent qu’être rejetées ;

Sur les conclusions tendant au paiement des frais de procès :

14. Considérant que les conclusions de M. A== tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, qui sont dirigées contre l’Etat, non partie à l’instance, ne peuvent qu’être rejetées ; que, dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de faire droit aux conclusions du département de la Haute-Vienne présentées sur ce fondement ;

DECIDE :

Article 1er : La requête susvisée présentée pour M. A== est rejetée.

Article 2 : Les conclusions du département de la Haute-Vienne tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.