conséquences dommageables subies par des tiers à raison de la levée d’une mesure d’hospitalisation sans consentement dans un établissement de santé de droit privé. – absence de mise en œuvre de prérogatives de puissance publique
Par Administrateur le mardi 7 août 2018, 14:23 - COMPETENCE - Lien permanent
Dans sa décision n°352747 du 20 décembre 2013 (1), le Conseil d’Etat a déjà eu l’occasion de rappeler que l’autorité judiciaire est seule compétente pour statuer sur l’ensemble des conséquences dommageables d’une mesure d’hospitalisation à la demande d’un tiers. En revanche, il n’a jamais eu l’occasion de se prononcer relativement à la compétence de l’autorité judiciaire pour statuer sur l’ensemble des conséquences dommageables d’une levée de cette mesure, en particulier pour les tiers.
En premier lieu et selon une jurisprudence constante du Tribunal des conflits, il n’appartient qu’aux juridictions judicaires de connaître des litiges opposant des personnes physiques et morales de droit privé sauf lorsque sont mises en œuvre des prérogatives de puissance publique.
En second lieu, les dispositions de l’article L. 3212-4 du code de la santé publique prévoient que la levée d’une mesure d’admission en soins psychiatriques d’un patient est proposée par le psychiatre qui participe à la prise en charge de la personne malade et que le directeur de l’établissement de santé est tenu de faire droit à cette proposition.
Par cet arrêt la cour juge que la levée d’une mesure d’hospitalisation d’office ne caractérise pas la mise en œuvre d’une prérogative de puissance publique.
Au cas d’espèce, le directeur de 1'association hospitalière Sainte-Marie de Rodez, établissement de santé privé, a prononcé la levée d’une mesure d’admission en soins psychiatriques sans consentement d’un patient le 4 octobre 2013, mesure qui n’a pu intervenir que sur proposition du psychiatre qui participe à la prise en charge de ce patient. Le 6 décembre 2013, celui-ci s’est introduit au domicile de la famille D== et a asséné 25 coups de couteau à A== R==, âgée de 14 ans, entraînant son décès.
Est ainsi confirmée l’ordonnance n° 1705361 du 14 décembre 2017 par laquelle la présidente de la 2ème chambre du tribunal administratif de Toulouse avait rejeté comme présentée devant une juridiction incompétente pour en connaître la demande des consorts D== tendant à la condamnation de 1'association hospitalière Sainte-Marie de Rodez, personne morale de droit privée, à indemniser les préjudices qu’ils ont subis à raison du décès d’A== R==.
Arrêt 18BX00275 - 2ème chambre – 24 juillet 2018 – Consorts D==
Lire les conclusions du rapporteur public
(1) Décision du Conseil d’Etat du 20/12/2013 n°352747 publiée aux tables du recueil Lebon p. 510, 511, 735 et 846
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C== D==, Mme A== D==, M. R== D== et Mme N== D== ont demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner le centre hospitalier Sainte-Marie de Rodez à leur verser une somme globale de 102 228 euros en réparation des préjudices qu’ils ont subis.
Par une ordonnance n° 1705361 du 14 décembre 2017, la présidente de la 2ème chambre du tribunal administratif de Toulouse a rejeté cette demande comme présentée devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 22 janvier 2018, les consorts D==, représentés par Me Dupey, demandent à la cour :
1°) d’annuler cette ordonnance du 14 décembre 2017 ;
2°) de condamner 1'association hospitalière Sainte-Marie, exploitant le centre hospitalier Sainte-Marie Rodez, à leur verser une somme globale de 102 228 euros, assortie des intérêts au taux légal, en réparation des préjudices qu’ils ont subis ;
3°) de mettre à la charge de 1'association hospitalière Sainte-Marie la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. Les consorts D== demandent à la cour d’annuler l’ordonnance du 14 décembre 2017 par laquelle la présidente de la 2ème chambre du tribunal administratif de Toulouse a rejeté, comme présentée devant une juridiction incompétente pour en connaître, leur demande tendant à la condamnation de 1'association hospitalière Sainte-Marie à les indemniser des préjudices que leur a causés le décès dramatique de A== R==, qu’ils attribuent aux fautes commises par cette association dans la prise en charge psychiatrique de M. G==.
2. D’une part, il n’appartient qu’aux juridictions judicaires de connaître des litiges opposant des personnes physiques et morales de droit privé sauf lorsque sont mises en œuvre des prérogatives de puissance publique.
3. D’autre part, aux termes des dispositions de l’article L. 3212-4 du code de la santé publique, : « Lorsque l'un des deux certificats médicaux mentionnés aux deuxième et troisième alinéas de l'article L. 3211-2-2 conclut que l'état de la personne ne justifie plus la mesure de soins, le directeur de l'établissement d'accueil prononce immédiatement la levée de cette mesure. (…) Lorsque le psychiatre qui participe à la prise en charge de la personne malade propose de modifier la forme de prise en charge de celle-ci, le directeur de l'établissement est tenu de la modifier sur la base du certificat médical ou de l'avis mentionnés à l'article L. 3211-11. ».
4. Les appelants font valoir qu’en application des dispositions des articles L. 6112-3 du code de la santé publique et 2 du décret n° 2016-1505 du 8 novembre 2016, 1'association hospitalière Sainte-Marie, personne morale de droit privée, participe au service public hospitalier, au même titre que l’ensemble des établissements privés habilités. Toutefois, cette circonstance demeure sans incidence sur la compétence des juridictions judiciaires pour connaître de la responsabilité de cette association à raison de la faute qu’elle aurait commise en levant la mesure d’admission en soins psychiatriques d’un patient dangereux dès lors que cette décision, proposée par le psychiatre qui participe à la prise en charge de la personne malade et à laquelle le directeur de l’établissement de santé était tenu de faire droit en application des dispositions précitées de l’article L. 3212-4 du code de la santé publique, ne caractérise pas la mise en œuvre d’une prérogative de puissance publique.
5. Il résulte de ce qui précède que les appelants ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par l’ordonnance attaquée, la présidente de la 2ème chambre du tribunal administratif de Toulouse a rejeté leur demande comme étant présentée devant une juridiction incompétente pour en connaître. Ainsi, leur requête doit être rejetée, y compris ses conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête des consorts D== est rejetée.