Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme Laurence P== a demandé au tribunal administratif de Poitiers d’annuler la décision du directeur de la maison centrale de Saint-Martin de Ré du 23 décembre 2013 rejetant sa demande de reconnaissance d’imputabilité au service de l’accident dont elle a été victime le 15 mars 2013, ensemble la décision du 10 avril 2014 par laquelle la directrice de l’administration pénitentiaire a rejeté son recours hiérarchique.

Par un jugement n° 1401758 du 29 juin 2016, le tribunal administratif de Poitiers a annulé les décisions contestées des 23 décembre 2013 et 10 avril 2014 et mis à la charge de l’Etat à verser à Mme P== la somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par un recours enregistré le 5 septembre 2016, le garde des sceaux, ministre de la justice, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du 29 juin 2016 du tribunal administratif de Poitiers ;

2°) de rejeter la demande de Mme P== présentée en première instance.

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Considérant ce qui suit :

1. Le 15 mars 2013, Mme P==, qui exerce les fonctions de surveillante pénitentiaire à la maison centrale de Saint Martin de Ré depuis le 12 janvier 2002, a tenté de mettre fin à ses jours avec une arme de service alors qu’elle se trouvait en faction au mirador de la maison centrale, vers 11 h 30. Par courrier du 23 mars 2013, elle a sollicité de son administration d’affectation la reconnaissance de l’imputabilité au service de cette tentative de suicide. A la suite de l’avis défavorable rendu par la commission de réforme compétente, le 13 décembre 2013, le directeur de la maison centrale de Saint Martin de Ré a, par une décision du 23 décembre 2013, rejeté sa demande. Par une décision du 10 avril 2014, la sous directrice des ressources humaines et des relations sociales relevant de la direction de l’administration pénitentiaire a rejeté le recours hiérarchique formé par Mme P== contre cette décision. Le garde des sceaux, ministre de la justice relève appel du jugement du 29 juin 2016 par lequel le tribunal administratif de Poitiers, saisi par l’intéressée, a annulé ces deux décisions des 23 décembre 2013 et 10 avril 2014 et mis à la charge de l’Etat la somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. D’une part, aux termes de l’article R. 611-1 du code de justice administrative : « La requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposés ou adressés au greffe. / La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-3, R. 611-5 et R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux. ». Il résulte de ces dispositions, destinées à garantir le caractère contradictoire de l'instruction, que si la méconnaissance de l'obligation de communiquer le premier mémoire d'un défendeur est en principe de nature à entacher la procédure d'irrégularité, il en va autrement dans le cas où il ressort des pièces du dossier que, dans les circonstances de l'espèce, cette méconnaissance n'a pu préjudicier aux droits des parties. D’autre part, l’article R. 741-2 du code de justice administrative dispose : « La décision (…) contient le nom des parties, l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application. (…) ».

3. Il ressort de l’examen du dossier de première instance que le mémoire en défense de l’administration, expressément visé et analysé dans le jugement attaqué, a bien été réceptionné, par télécopie, par le greffe du tribunal le vendredi 10 juin 2016 à 16 h 33, avant d’être régularisé, le 15 juin suivant, sous format papier. D’une part, contrairement à ce que soutient le ministre appelant, il ne résulte pas de l’instruction que le rapporteur public n’aurait pas disposé de ce mémoire en défense et de ses pièces annexes avant la mise en ligne du sens de ses conclusions, le lundi 13 juin 2016 à 17 heures. D’autre part, et à supposer même que le ministre appelant pourrait utilement se prévaloir d’un tel moyen, la circonstance qu’en méconnaissance des dispositions précitées de l’article R. 611-1 du code de justice administrative, ce premier mémoire en défense de l’administration n’ait pas été communiqué à Mme P== n’est pas de nature, dans les circonstances de l’espèce, à avoir pu préjudicier à ses droits et, partant, à avoir entaché la procédure suivie d’irrégularité dès lors que les premiers juges ont fait droit à ses conclusions tendant à l’annulation des décisions contestées des 23 décembre 2013 et 10 avril 2014.

4. Dès lors, le jugement attaqué n’est pas entaché d’irrégularité sur ces différents points.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

5. Aux termes de l’article 34 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée, dans sa rédaction applicable à la date des décisions contestées : « Le fonctionnaire en activité a droit : (…) / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. Le bénéfice de ces dispositions est subordonné à la transmission par le fonctionnaire, à son administration, de l'avis d'arrêt de travail justifiant du bien-fondé du congé de maladie, dans un délai et selon les sanctions prévus en application de l'article 35. Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident (…) ».

6. Un accident survenu sur le lieu et dans le temps du service, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice par un fonctionnaire de ses fonctions ou d’une activité qui en constitue le prolongement normal présente, en l’absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant cet événement du service, le caractère d’un accident de service. Il en va ainsi lorsqu'un suicide ou une tentative de suicide intervient sur le lieu et dans le temps du service, en l'absence de circonstances particulières le détachant du service. Il en va également ainsi, en dehors de ces hypothèses, si le suicide ou la tentative de suicide présente un lien direct avec le service. Il appartient dans tous les cas au juge administratif, saisi d’une décision de l’autorité administrative compétente refusant de reconnaître l’imputabilité au service d’un tel événement, de se prononcer au vu des circonstances de l’espèce.

7. Il ressort des pièces du dossier que, le 29 octobre 2007, Mme P== est intervenue, sur ordre de sa hiérarchie, afin de contenir l’une de ses collègues de travail, qui se trouvait dans la salle de repos de l’établissement, dans un état d'énervement et d’agitation physique tels que deux agents supplémentaires furent nécessaires pour la contenir, avant l’arrivée de l’infirmière et de la psychologue. En tentant de l’empêcher de se défenestrer, Mme P== a été frappée à plusieurs reprises par sa collègue, ce qui l’a conduite à être hospitalisée une semaine puis placée en arrêt de travail du 16 mars au 31 août 2013. Il ressort également des pièces du dossier, et notamment d’une lettre du secrétaire local de FO adressée au mois de septembre 2008 au directeur de la maison centrale de Saint Martin de Ré, dont les éléments factuels qui y sont relatés ne font l’objet d’aucun contredit utile du ministre appelant, que le 1er septembre 2008, Mme P==, qui se trouvait en poste au portique de détection, a fait l’objet, vers 9 h 30, de propos insultants et agressifs de cette même collègue, qui avait à cette occasion refusé de se soumettre aux contrôles d’usage. Il est tout autant établi qu’après avoir été avisée, le 14 mars 2013, de ce que ladite collègue, alors placée en arrêt de travail prolongé, serait amenée à réintégrer l’établissement non dans ses précédentes fonctions à caractère administratif, mais sur un poste de surveillance des détenus du « quartier Citadelle » au sein de l’équipe où le conjoint de Mme P== exerçait ses fonctions, cette dernière a été aperçue par plusieurs membres du personnel de l’établissement dans un état de très forte tension émotionnelle et d’inquiétude, en considération duquel le directeur de la maison centrale de Saint Martin de Ré avait estimé nécessaire de planifier un entretien avec elle le 15 mars 2013, pour lui « expliquer le positionnement au retour du travail de l’intéressée ». Le matin même, Mme P==, qui avait été invitée par haut-parleur à rejoindre son poste, s’est isolée dans un mirador puis s’est tirée une balle dans l’abdomen avec une arme de service entreposée dans un coffre.

8. Il ressort de l’ensemble des circonstances susrelatées que la tentative de suicide de Mme P==, avec son arme de service, est survenue sur le lieu et dans le temps de son service, dans l’exercice de ses fonctions. Dès lors, elle doit être présumée comme étant imputable en service, sans que la fonctionnaire concernée ait à démontrer, contrairement à ce qu’a indiqué l’administration dans les deux décisions contestées, que cet acte volontaire de l’intéressée aurait eu pour cause certaine, directe et déterminante un état pathologique se rattachant lui-même directement au service. En se bornant à soutenir, d’une part, que Mme P== ne saurait être regardée comme ayant été victime d’une « agression » le 29 octobre 2007, afin de tenter de minimiser la gravité de l’altercation survenue ce jour-là alors que l’intimée se trouvait en service et le traumatisme qui a pu en résulter, et que, d’autre part, l’acte désespéré de Mme P== commis le 15 mars 2013 n’a pu trouver son origine que dans un différend d'ordre privé à caractère personnel, inconnu de l'administration, avec la collègue à l’origine de l’altercation du 29 octobre 2007, ce que ne suffit pas à établir le rapport du docteur B== du 9 septembre 2013 dont il se prévaut, le garde des sceaux, ministre de la justice ne démontre pas que la tentative de suicide de l’intéressée trouverait sa cause dans des circonstances particulières étrangères au service. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme P== aurait commis, le jour des faits litigieux, une faute personnelle faisant obstacle à la reconnaissance de l’imputabilité au service de son geste. Par suite, et ainsi que l’ont relevé à juste titre les premiers juges, la tentative de suicide de Mme P== doit être regardée comme imputable au service.

9. Il résulte de tout ce qui précède que le garde des sceaux, ministre de la justice n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a annulé les décisions contestées des 23 décembre 2013 et 10 avril 2014 prises par le directeur de la maison centrale de Saint Martin de Ré puis la sous-directrice des ressources humaines et des relations sociales du ministère de la justice.

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :



10. Aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ».

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros à verser à Mme P== au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le recours du garde des sceaux, ministre de la justice est rejeté.

Article 2 : L’Etat versera la somme de 1 500 euros à Mme P== sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.