Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. Fabrice B== a demandé au tribunal administratif de Pau d’annuler la décision du 23 novembre 2016 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a ordonné la prolongation de son placement à l’isolement du 23 novembre 2016 au 23 février 2017.

Par un jugement n° 1700178 du 21 juin 2018, le tribunal administratif de Pau a rejeté la requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 14 septembre 2018, M. B==, représenté par Me D==, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Pau du 21 juin 2018 ;

2°) d’annuler la décision du 23 novembre 2016 du garde des sceaux, ministre de la justice ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 2 000 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Considérant ce qui suit :

1. M. B==, incarcéré depuis le 12 février 2010, a été placé à l’isolement à compter du 26 mars 2010. Alors que l’intéressé était incarcéré au sein du centre pénitentiaire de Lannemezan, le garde des sceaux, ministre de la justice a, par décision du 23 novembre 2016, ordonné la prolongation de son placement à l’isolement du 23 novembre 2016 au 23 février 2017. M. B== relève appel du jugement du 21 juin 2018 par lequel le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande tendant à l’annulation de cette décision.

Sur la régularité du jugement attaqué :



2. En premier lieu, l’article R. 711-3 du code de justice administrative dispose que : « Si le jugement de l’affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l’audience, le sens de ces conclusions sur l’affaire qui les concerne (...) ».



3. La communication aux parties du sens des conclusions, prévue par les dispositions précitées de l’article R. 711-3 du code de justice administrative, a pour objet de mettre les parties en mesure d’apprécier l’opportunité d’assister à l’audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu’elles peuvent y présenter, après les conclusions du rapporteur public, à l’appui de leur argumentation écrite et d’envisager, si elles l’estiment utile, la production, après la séance publique, d’une note en délibéré. En conséquence, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l’audience, l’ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d’adopter, à l’exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire, notamment celles qui sont relatives à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Cette exigence s’impose à peine d’irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public.



4. Par ailleurs, pour l’application de l’article R. 711-3 du code de justice administrative et eu égard aux objectifs de cet article, il appartient au rapporteur public de préciser, en fonction de l’appréciation qu’il porte sur les caractéristiques de chaque dossier, les raisons qui déterminent la solution qu’appelle, selon lui, le litige, et notamment d’indiquer, lorsqu’il propose le rejet de la requête, s’il se fonde sur un motif de recevabilité ou sur une raison de fond, et, de mentionner, lorsqu’il conclut à l’annulation d’une décision, les moyens qu’il propose d’accueillir. La communication de ces informations n’est toutefois pas prescrite à peine d’irrégularité de la décision.



5. M. B== soutient que les indications données préalablement à l’audience qui s’est tenue le 7 juin 2018, concernant les conclusions du rapporteur public, étaient trop imprécises. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que, conformément à l’article R. 711-3 du code de justice administrative, le rapporteur public a mis en ligne sur l’application « Sagace », le 5 juin 2018 à 9 heures 30, soit dans un délai raisonnable, le sens de ses conclusions et qu’il indiquait de manière suffisante qu’il conclurait dans le sens d’un « rejet au fond ». Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué aurait été rendu au terme d’une procédure irrégulière doit être écarté, sans que M. B== ne puisse utilement invoquer la circulaire du vice-président du Conseil d’Etat du 9 janvier 2009, laquelle ne comporte aucune exigence supplémentaire au regard des dispositions précitées de l’article R. 711-3 du code de justice administrative.



6. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que la minute du jugement attaqué comporte, conformément aux prescriptions de l’article R. 741-7 du code de justice administrative, les signatures du président de la formation de jugement, du rapporteur et du greffier d’audience. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement serait entaché d’irrégularité au regard de ces dispositions ne peut qu’être écarté.

Au fond :

7. En premier lieu, aux termes de l’article R. 57-7-68 du code de procédure pénale : « Lorsque la personne détenue est à l'isolement depuis un an à compter de la décision initiale, le ministre de la justice peut prolonger l'isolement pour une durée maximale de trois mois renouvelable (…). ».

8. Par un arrêté du 19 septembre 2016 régulièrement publié au Journal officiel de la République française du 21 septembre 2016, délégation a été donnée à M. François T==, directeur des services pénitentiaires, adjoint au chef du bureau de gestion de la détention et signataire de la décision en litige, à l’effet de signer, au nom du garde des sceaux, ministre de la justice, tous actes, arrêtés et décisions dans la limite de ses attributions, à l’exclusion des décrets. Cette délégation couvrait ainsi notamment les décisions de renouvellement de placement à l’isolement. Eu égard à l’objet d’une délégation de signature qui, quoique constituant un acte réglementaire, n’a pas la même portée à l’égard des tiers qu’un acte modifiant le droit destiné à leur être appliqué, sa publication au Journal officiel de la République française, qui permet de lui donner date certaine, a constitué une mesure de publicité suffisante pour la rendre opposable aux tiers, notamment à l’égard des détenus de l’établissement pénitentiaire. M. B== n’est dès lors pas fondé à soutenir que la décision en litige prolongeant sa mise à l’isolement aurait été prise par une autorité incompétente en l’absence d’affichage au sein de l’établissement pénitentiaire de la délégation de signature accordée par le directeur de l’administration pénitentiaire à l’adjoint au chef du bureau de la gestion de la détention.

9. En deuxième lieu, aux termes de l’article R. 57-7-68 du code de procédure pénale : « (…) L'isolement ne peut être prolongé au-delà de deux ans sauf, à titre exceptionnel, si le placement à l'isolement constitue l'unique moyen d'assurer la sécurité des personnes ou de l'établissement. / Dans ce cas, la décision de prolongation doit être spécialement motivée ».

10. La décision en litige, qui prolonge la mesure d’isolement prise à l’encontre de M. B== au-delà de deux ans, énonce les faits qui ont conduit à l’incarcération de l’intéressé et mentionne les graves incidents qui ont jalonné son parcours carcéral, en particulier les nombreux actes de violence, coups, insultes et menaces, commis à l’encontre de membres du personnel pénitentiaire et de codétenus entre 2010 et 2015, et la dissimulation fréquente par l’intéressé de divers poinçons, couteaux affûtés et autres pics. Elle souligne en outre que la personnalité de M. B== est marquée par l’imprévisibilité et l’impulsivité. Elle mentionne également que l’intéressé a présenté, notamment en juin et août 2016, des signes de nervosité, et a proféré en septembre et octobre 2016 des insultes et menaces à l’encontre de surveillants. Elle indique enfin que cette mesure constitue l’unique moyen d’assurer la protection des personnes et de prévenir tout risque d’incident grave au sein de l’établissement pénitentiaire. Ainsi, et alors même qu’elle ne précise pas l’impact que la mesure qu’elle autorise serait susceptible d’avoir sur le psychisme de l’intéressé, elle satisfait aux exigences de motivation prévues par les dispositions précitées.

11. En dernier lieu, aux termes de l’article R. 57-7-73 du code de procédure pénale : « Tant pour la décision initiale que pour les décisions ultérieures de prolongation, il est tenu compte de la personnalité de la personne détenue, de sa dangerosité ou de sa vulnérabilité particulière, et de son état de santé. ». L’article R. 57-7-63 du code de procédure pénale prévoit que : « La liste des personnes détenues placées à l’isolement est communiquée quotidiennement à l'équipe de l'unité de consultation et de soins ambulatoires de l'établissement. / Le médecin examine sur place chaque personne détenue au moins deux fois par semaine et aussi souvent qu'il l'estime nécessaire. / Ce médecin, chaque fois qu'il l'estime utile au regard de l'état de santé de la personne détenue, émet un avis sur l'opportunité de mettre fin à l’isolement et le transmet au chef d'établissement ».

12. Il ressort des pièces du dossier que M. B== a fait très régulièrement preuve, entre 2010 et 2015, dans les nombreux établissements pénitentiaires où il a été successivement transféré, d’un comportement particulièrement violent à l’égard tant des membres du personnel pénitentiaire que de ses codétenus, le plus souvent à l’aide d’armes artisanales. Compte tenu des insultes et menaces récemment proférées à l’encontre de surveillants, l’intéressé continuait de s’inscrire sans ambigüité dans un comportement agressif à la date de la décision en litige. Eu égard à la personnalité et à la dangerosité du requérant, et dès lors que le dossier ne fait pas ressortir qu’une prolongation de la mesure d’isolement, sur laquelle le médecin de l’unité de consultations et de soins ambulatoires du centre pénitentiaire a donné un avis favorable, aurait été contre-indiquée au regard de son état de santé, sur lequel le requérant n’apporte au demeurant aucune précision, le ministre n’a pas fait une inexacte application des dispositions précitées des articles l’article R. 57-7-68 et R. 57-7-73 du code de procédure pénale.

13. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’ordonner l’expertise psychiatrique sollicitée, laquelle ne pourrait utilement éclairer, en l’absence de consultations contemporaines de la décision, la situation de l’intéressé à la date à laquelle celle-ci a été prise, que M. B== n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande. Ses conclusions présentées en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent, par suite, être accueillies.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B== est rejetée.