Garantie de parfait achèvement. Interruption du délai d’un an par une demande en référé. Reprise du délai à compter de la date de l’ordonnance désignant l’expert.
Par Sophie le mercredi 14 octobre 2020, 10:55 - MARCHES ET CONTRATS ADMINISTRATIFS - Lien permanent
Une demande en référé présentée par une collectivité publique et tendant à la désignation d'un expert aux fins de constater des désordres imputés à des constructeurs ou d'en rechercher les causes a pour effet d'interrompre le délai d’un an à l'expiration duquel la garantie de parfait achèvement de ces constructeurs ne peut plus être recherchée devant le juge administratif à raison de ces désordres. Ce délai recommence à courir, conformément à l’article 1442 du code civil, à compter de l’extinction de l’instance, qui doit être regardée en référé comme intervenant à la date de l'ordonnance statuant sur la demande d'expertise.
Arrêt n°18BX02136 – 12 octobre 2020 – 3ème chambre – Région Occitanie – C+
Comparer sur l’interruption du délai de garantie décennale : CAA de Douai 14 décembre 2006, B, Compagnie CGU Insurance PLC venant aux droits de General Accident Fire and Life Assurance, n°05DA01027, p. 951 des tables du Recueil Lebon
Comparer sur l’application à la garantie de parfait achèvement : Cass. civ. 2e, 6 mars 1991, n° 89-16995, Bull. civ. II, n° 77 ; Cass. civ. 3e, 19 décembre 2001, n° 00-14.425, Bull. civ. III, n° 156 ; Cass. civ. 3e, 17 mai 1995, 93-16.568, Bull. civ. III n° 120.
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La région Midi-Pyrénées, devenue la région Occitanie, a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner le cabinet M===, la société S===, M. R===et la société B=== à lui verser la somme de 351 515,41 euros en réparation des désordres survenus sur le bâtiment de l’hôtel de région de Toulouse.
Par un jugement n° 1504437 du 28 mars 2018, le tribunal administratif de Toulouse a condamné la société B=== au paiement de la somme de 47 721 euros à verser à la région Occitanie et a rejeté le surplus de la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 28 mai 2018, 3 août 2018, 13 septembre 2018, 10 décembre 2018 et 5 juillet 2019, la région Occitanie, représentée par le Cabinet Richer et Associés, demande à la cour :
1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 28 mars 2018 en tant qu’il n’a pas fait entièrement droit à sa demande ;
2°) de condamner le cabinet M===, la société S===, M. R===et la société B=== à lui verser les sommes respectives de 146 277,50 euros, 114 991,28 euros, 2 808,87 euros et 87 437,76 euros en réparation des désordres survenus sur le bâtiment de l’hôtel de région de Toulouse, sommes assorties des intérêts capitalisés ;
3°) de mettre à la charge de chacune des parties, la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Considérant ce qui suit :
1. La région Occitanie a fait procéder à la construction d'un bâtiment neuf (H3R), constituant la 3ème tranche de l'hôtel de région situé à Toulouse. La maîtrise d'ouvrage a été déléguée à la société COGEMIP par convention de mandat du 19 décembre 2005. La maîtrise d'œuvre a été confiée à un groupement conjoint composé notamment du cabinet M===, mandataire du groupement, de la société S=== et de M. R===, par acte d'engagement du 25 octobre 2006. Les travaux ont été confiés à la société B=== par acte d’engagement du 20 novembre 2008. La réception de l’ouvrage en cause a été prononcée le 29 juin 2011 avec effet au 27 juin 2011 mais des désordres sont apparus postérieurement à celle-ci. L'expert désigné par ordonnance du 10 mai 2012 du juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a rendu son rapport le 17 juillet 2015. La région Occitanie a saisi le tribunal administratif de Toulouse d’une demande tendant à la condamnation des maîtres d'œuvre et de la société B=== à 1'indemniser des préjudices subis à hauteur de 351 515,41 euros. La région Occitanie relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Toulouse a limité à 47 721 euros la somme que la société B=== a été condamnée à lui verser et a rejeté le surplus de sa demande.
Sur la garantie de parfait achèvement :
2. La région Occitanie a demandé au tribunal administratif de Toulouse la condamnation de la société B=== sur le fondement de la garantie de parfait achèvement. Le tribunal a condamné la société B===, sur ce fondement, à lui verser les sommes de 19 961 euros en réparation des désordres résultant de l’amplitude thermique anormale des locaux, 3 000 euros en réparation du préjudice résultant de l’absence de note de calcul relatif à la norme RT 2005, 23 680 euros en raison de la canalisation d’évacuation des eaux pluviales obstruée et 1 080 euros en réparation des désordres sur les joints de dilatation du sol de la passerelle. La région demande à la cour de porter le montant de l’indemnisation à la somme de 53 322,80 euros en ce qui concerne les désordres relatifs à l’amplitude thermique anormale des locaux. La société B=== conteste sa responsabilité au titre de la garantie de parfait achèvement par la voie de l’appel incident.
3. En premier lieu, la société B=== fait valoir que la région était forclose à demander à son encontre l’engagement de la garantie de parfait achèvement.
4. D’une part, aux termes de l'article 44.1 du cahier des clauses administratives générales alors en vigueur, rendu applicable par l’article 2.B du cahier des clauses administratives particulières applicable au marché conclu entre la région et la société B===, relatif au délai de garantie : « Le délai de garantie est, sauf stipulation différente du marché et sauf prolongation décidée comme il est dit au 2 du présent article, d'un an à compter de la date d'effet de la réception (...). Pendant le délai de garantie (...) l'entrepreneur est tenu à une obligation dite « obligation de parfait achèvement » au titre de laquelle il doit : (...) b) Remédier à tous les désordres signalés, par le maître de l'ouvrage ou le maître d'œuvre, de telle sorte que l'ouvrage soit conforme à l'état où il était lors de la réception ou après correction des imperfections constatées lors de celle-ci (...) Les dépenses correspondant aux travaux complémentaires prescrits par le maître de l'ouvrage ou le maître d'œuvre ayant pour objet de remédier aux déficiences énoncées aux b et c ci-dessus ne sont à la charge de l'entrepreneur que si la cause de ces déficiences lui est imputable (...) ». Selon l’article 44-2 du même cahier : « Prolongation du délai de garantie : / (…) le délai de garantie peut être prolongé par décision de la personne responsable du marché jusqu'à l'exécution complète des travaux et prestations (…) ».
5. D’autre part, l'article 2241 du code civil, dispose que : « La demande en justice, même en référé, interrompent le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion (…) ». Selon l’article 2242 du même code : « L'interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance ».
6. La réception d’un ouvrage met fin aux relations contractuelles entre le maître de l’ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l’ouvrage. Toutefois, les obligations des constructeurs sont prolongées, à compter de la réception de l’ouvrage, pendant le délai de la garantie de parfait achèvement prévue au contrat lui-même. La garantie de parfait achèvement s'étend à la reprise d'une part des désordres ayant fait l'objet de réserves dans le procès-verbal de réception, d'autre part de ceux qui apparaissent et sont signalés dans l'année suivant la date de réception.
7. Il résulte des termes mêmes des dispositions et stipulations applicables à la garantie de parfait achèvement des constructeurs à l'égard des maîtres d'ouvrages publics qu'une demande en référé présentée par une collectivité publique, tendant à la désignation d'un expert aux fins de constater des désordres imputés à des constructeurs, ou d'en rechercher les causes, a pour effet d'interrompre le délai d’un an à l'expiration duquel la responsabilité de ces constructeurs ne peut plus être recherchée devant le juge administratif à raison de ces désordres sur le fondement de la garantie de parfait achèvement. Ce délai commence à courir à nouveau à compter de l’ordonnance statuant sur la demande d’expertise, dès lors que celle-ci doit être regardée comme ayant mis fin à l’instance au sens de l’article 2242 du code civil précité. Par ailleurs, l’article 44-2 du cahier des clauses administratives générales permet au maître d’ouvrage de prolonger le délai de la garantie de parfait achèvement jusqu’à l'exécution complète des travaux et prestations.
8. La réception des travaux a été prononcée le 29 juin 2011 sans réserve avec effet au 27 juin 2011. Il résulte de l’instruction que la région Occitanie a saisi, dans le délai d’un an de la garantie de parfait achèvement, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse, lequel a ordonné l’expertise sollicitée par ordonnance du 10 mai 2012, date à laquelle le délai d’un an de la garantie de parfait achèvement a commencé à courir à nouveau pour expirer le 10 mai 2013. Si la région Occitanie fait valoir que dans ce nouveau délai elle a émis des ordres de service les 29 juin 2012 et 11 juillet 2012 prolongeant le délai de garantie, il ressort des termes de ces ordres de service qu’ils ne concernent pas les désordres en litige à l’exception de l’obstruction d’une canalisation des eaux pluviales. Dès lors, en l'absence de décision de la personne responsable du marché de prolonger le délai de la garantie de parfait achèvement en ce qui concerne les désordres relatifs à l’absence de store intégré en allège dans le mur rideau, à la non-conformité de la note de calcul permettant à la région de bénéficier de la norme RT 2005, et aux déformations des joints de dilatation de la passerelle, le délai de garantie a définitivement expiré le 10 mai 2013, alors même que des désordres auraient été signalés au cours de ce délai par le responsable du marché. Dès lors, à la date du 28 septembre 2015 d’enregistrement de la demande de la région Occitanie devant le tribunal administratif de Toulouse, le délai de garantie de parfait achèvement était expiré sauf en ce qui concernent les désordres relatifs à l’obstruction de la canalisation d’eaux pluviales. Par suite, la société B=== est fondée à soutenir que c’est à tort que tribunal administratif de Toulouse l’a condamnée sur ce fondement à verser à la région Occitanie la somme de 24 041 euros
9. En deuxième lieu, en ce qui concerne le désordre relatif à l’obstruction d’une canalisation d’eau pluviale, seul désordre non atteint par l’expiration du délai de garantie de parfait achèvement ainsi qu’il a été dit au point 8, il résulte de l’instruction et notamment du rapport d’expertise, qu’ainsi que l’a décidé à bon droit le tribunal administratif de Toulouse, la canalisation a été obstruée par les travaux de la société B=== ou de son sous-traitant lors de la réalisation de micro pieux servant d’assise à la rampe métallique pour dévidoirs. Par suite, ce désordre est imputable à la société B=== et celle-ci n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Toulouse l’a condamnée à supporter le coût des travaux de réparation pour un montant non contesté de 23 680 euros.
Sur la responsabilité des maîtres d’œuvre pour défaut de conseil au maître d’ouvrage lors des opérations de réception :
10. La responsabilité des maîtres d’œuvre pour manquement à leur devoir de conseil peut être engagée, dès lors qu’ils se sont abstenus d’appeler l’attention du maître d’ouvrage sur des désordres affectant l’ouvrage et dont ils pouvaient avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l’ouvrage ou d’assortir la réception de réserves. Il importe peu, à cet égard, que les vices en cause aient ou non présenté un caractère apparent lors de la réception des travaux, dès lors que le maître d’œuvre en avait eu connaissance en cours de chantier.
11. L’obligation de conseil du maître d’œuvre au moment de la réception des travaux porte sur la conformité des travaux au projet tel qu’il est défini par les stipulations contractuelles. Or il résulte de l’instruction que la région ne soutient pas que les travaux accomplis n’étaient pas conformes aux stipulations du marché. La région n’est donc pas fondée à rechercher la responsabilité contractuelle des maitres d’œuvre à raison de la conception, de la définition et de la surveillance des travaux dont ils avaient la charge, au titre du manquement au devoir de conseil lors des opérations de réception.
Sur la garantie décennale :
12. La région Occitanie demande que les maîtres d’œuvre soient condamnés sur le fondement de la garantie décennale. Toutefois, il ressort du dossier de première instance que, devant le tribunal administratif de Toulouse, la région s’était bornée à invoquer la responsabilité contractuelle des constructeurs. Dès lors, les conclusions qu’elle présente pour la première fois en appel, fondées sur la garantie décennale des constructeurs, présentent le caractère d’une demande nouvelle en appel et sont, par suite, irrecevables.
Sur les appels en garantie :
13. En premier lieu, il résulte de ce qui précède, que seule la responsabilité de la société B=== doit être engagée pour ce qui concerne l’obstruction d’une canalisation d’eaux pluviales. Il n’y a donc pas lieu de statuer sur les appels en garantie des sociétés S===, Architecture X===, Cogemip et de M. R===.
14. En second lieu, la société B=== demande à être garantie par les sociétés S===, Cogemip et M. R===de la condamnation prononcée à son encontre. Toutefois, il résulte de l’instruction, et en particulier du rapport d’expertise, que la société B=== est exclusivement responsable de l’obstruction de la canalisation des eaux pluviales. Elle n’est dès lors pas fondée dans ses conclusions d’appel en garantie dirigées contre d’autres contractants.
15. Il résulte de tout ce qui précède, que la somme que le tribunal administratif a condamné la société B=== à verser à la région Occitanie doit être ramenée à 23 680 euros.
Sur les frais d’expertise :
16. Les frais d'expertise ont été taxés et liquidés à la somme de 25 521,96 euros. Il y a lieu de limiter la somme mise à la charge définitive de la société B=== à 10 % de ces frais, comme elle le demande, soit 2 552 euros et de laisser le solde à la charge de la région Occitanie.
Sur les frais liés à l’instance :
17. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge des sociétés S===, Cogemip, Architecture X===, M. R===au titre des frais non compris dans les dépens exposés par la région Occitanie et par la société B=== dès lors qu’ils ne sont pas dans la présente instance les parties perdantes. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la région Occitanie la somme de 1 500 euros à verser à chacune de ces personnes. Les conclusions présentées sur ce même fondement par la société B=== à l'encontre de la région Occitanie doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La somme de 47 721 euros que la société B=== a été condamnée à verser à la région Occitanie par le jugement du 28 mars 2018 est ramenée à 23 680 euros.
Article 2 : Les frais d'expertise sont mis à la charge définitive de la société B=== à hauteur de 2 552 euros, le solde étant laissé à la charge de la région Occitanie.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 28 mars 2018 est réformé en ce qu’il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : La région Occitanie versera la somme de 1 500 euros aux sociétés S===, Cogemip, Architecture X===, et à M. R===au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la région Occitanie, à la Cogemip, à la société S===, à la société Architecture X===, à M. R===et à la société B===.