Demandeur d’asile admis au dispositif d’hébergement d’urgence – recours pour excès de pouvoir contre la décision d’y mettre fin : compétence du juge d’appel et contrôle normal du juge
Par Sophie le jeudi 11 avril 2019, 14:33 - ETRANGERS - Lien permanent
Le juge d’appel est compétent pour connaître d’un litige d’excès de pouvoir concernant l’hébergement d’urgence d’un demandeur d’asile (solution implicite) (1).
En vertu des articles L. 345-2 et suivants du code de l’action sociale et des familles, toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique et sociale a le droit d’accéder à une structure d’hébergement d’urgence et de s’y maintenir, dès lors qu’elle en manifeste le souhait et que son comportement ne rend pas impossible sa prise en charge ou son maintien dans une telle structure. Le représentant de l’Etat ne peut mettre fin contre son gré à l’hébergement d’urgence d’une personne qui en bénéficie que pour l’orienter vers une structure d’hébergement stable ou de soins, ou vers un logement, adaptés à sa situation, ou si elle ne remplit plus les conditions précitées pour en bénéficier.
En l’espèce, le préfet a mis fin au droit d’un demandeur d’asile à bénéficier du dispositif d’hébergement d’urgence auquel il avait été admis, sans lui proposer une orientation vers une structure d’hébergement ou de soins ou vers un logement, au motif qu’il n’était plus en situation de détresse. Estimant que le préfet s’est livré à une appréciation erronée de la situation de l’intéressé, la cour annule cette décision.
(1) Rapp. CE n° 415313 du 26 avril 2018 publié aux Tables du recueil Lebon
Arrêt 18BX01990 – 3ème chambre – 11 avril 2019 – M. S== - C+ Lire les conclusions du rapporteur public
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. S== G== M== a demandé au tribunal administratif de Toulouse d’annuler la décision verbale en date du 6 septembre 2016 par laquelle le préfet de la Haute-Garonne a mis fin à sa prise en charge au titre de l’hébergement d’urgence.
Par un jugement n° 1604681 du 16 mars 2018, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 16 mai 2018, M. M==, représenté par Me Brel, demande à la cour :
1°) d’annuler ce jugement du 16 mars 2018 du tribunal administratif de Toulouse ;
2°) d’annuler la décision contestée.
Considérant ce qui suit :
1. M. M== fait appel du jugement du 16 mars 2018 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté son recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation de la décision verbale du 6 septembre 2016 par laquelle le préfet de la Haute-Garonne a mis fin à sa prise en charge au titre de l’hébergement d’urgence.
2. Aux termes de l’article L. 345-2 du code de l’action sociale et des familles : « Dans chaque département est mis en place, sous l’autorité du représentant de l’Etat, un dispositif de veille sociale chargé d’accueillir les personnes sans abri ou en détresse, de procéder à une première évaluation de leur situation médicale, psychique et sociale et de les orienter vers les structures ou services qu’appelle leur état. Cette orientation est assurée par un service intégré d’accueil et d’orientation, dans les conditions définies par la convention conclue avec le représentant de l’Etat dans le département prévue à l’article L. 345-2. Ce dispositif fonctionne sans interruption et peut être saisi par toute personne, organisme ou collectivité. ». Aux termes de l’article L. 345-2-2 du même code : « Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique et sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d’hébergement d’urgence (...) ». L’article L. 345-2-3 dudit code dispose : « Toute personne accueillie dans une structure d’hébergement d’urgence doit pouvoir y bénéficier d’un accompagnement personnalisé et y demeurer, dès lors qu’elle le souhaite, jusqu’à ce qu’une orientation lui soit proposée. Cette orientation est effectuée vers une structure d’hébergement stable ou de soins, ou vers un logement, adaptés à sa situation ». Aux termes de l’article R. 345-2 dudit code : « Pour permettre l’accomplissement des missions définies à l’article L. 345-2, le dispositif de veille sociale comprend un service d’appel téléphonique dénommé "115" mentionné au troisième alinéa de l’article L. 345-2-4 et géré par le service intégré d’accueil et d’orientation. ».
3. Il résulte de ces dispositions que toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique et sociale a le droit d’accéder à une structure d’hébergement d’urgence et de s’y maintenir, dès lors qu’elle en manifeste le souhait et que son comportement ne rend pas impossible sa prise en charge ou son maintien dans une telle structure. Le représentant de l’Etat ne peut mettre fin contre son gré à l’hébergement d’urgence d’une personne qui en bénéficie que pour l’orienter vers une structure d’hébergement stable ou de soins, ou vers un logement, adaptés à sa situation, ou si elle ne remplit plus les conditions précitées pour en bénéficier.
4. Il ressort des pièces du dossier que M. M==, ressortissant afghan né le 1er janvier 1990, après avoir résidé dans la « jungle de Calais », a décidé de présenter une demande d’asile en France et d’être orienté vers l’un des centres d’accueil et d’orientation (CAO) créés en octobre 2015. Sa demande d’asile, enregistrée le 3 novembre 2015, a été classée en procédure normale, et l’intéressé a bénéficié d’un hébergement au sein du CAO de Bagnères-de-Luchon. Il a été mis un terme à cet hébergement le 18 décembre 2015, sans que soit proposé à l’intéressé l’un des hébergements réservés aux demandeurs d’asile. A compter de cette date, M. M== a été hébergé à Toulouse, dans le cadre du dispositif de veille sociale d’hébergement d’urgence, l’Etat prenant à sa charge des nuits en hôtel. Par la décision attaquée du 6 septembre 2016, le préfet de la Haute-Garonne a mis fin à cet hébergement d’urgence sans qu’une autre solution d’hébergement ne soit proposée à M. M== en dépit de ses appels réitérés au service d’appel téléphonique « 115 », d’une télécopie de son conseil du 14 septembre 2016 et d’un courriel de l’Office français de l’immigration et de l’intégration de Toulouse du 21 octobre 2016, privant de la sorte le requérant des conditions matérielles d’accueil auxquelles il pouvait prétendre en sa qualité de demandeur d’asile.
5. Il ne ressort pas des pièces du dossier, et n’est d’ailleurs pas soutenu, que M. M==, dont la demande d’asile était en cours d’instruction, aurait manifesté le souhait qu’il soit mis fin à l’hébergement d’urgence dont il bénéficiait, ni encore que son comportement aurait rendu impossible son maintien dans une telle structure ou que les services de l’Etat lui auraient préalablement proposé une orientation vers une autre structure d’hébergement stable ou vers un logement. Le préfet de la Haute-Garonne fait valoir que l’intéressé était âgé de 26 ans, qu’il était célibataire, qu’il percevait, en sa qualité de demandeur d’asile, une allocation temporaire d’attente, et qu’il était inscrit sur une liste d’attente en vue de son admission dans un centre d’accueil pour les demandeurs d’asile. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que le requérant n’était pas autorisé à exercer une activité professionnelle en application de l’article L. 744-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, que l’unique allocation dont il bénéficiait était de l’ordre de 300 euros par mois, et qu’il ne disposait d’aucune solution d’hébergement, de sorte que la décision attaquée le contraignait à dormir dans la rue. Dans ces conditions, quand bien même le dispositif d’hébergement réservé aux demandeurs d’asile et le dispositif de veille sociale d’hébergement d’urgence auraient été saturés à la date de cette décision, celle-ci repose sur une appréciation erronée de la situation de M. M== au regard des dispositions précitées des articles L. 345-2-2 et L. 345-2-3 du code de l’action sociale et des familles, et doit être annulée pour ce motif.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que M. M== est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté son recours.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1604681 du 16 mars 2018 du tribunal administratif de Toulouse et la décision du 6 septembre 2016 du préfet de la Haute-Garonne sont annulés.