Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme M== R== a demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner solidairement le centre hospitalier de Châteauroux et la Société hospitalière d’assurances mutuelles (SHAM) à lui verser une somme totale de 777 278,57 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 28 mai 2014 et de leur capitalisation au 28 mai 2015 en réparation des préjudices qu’elle estime avoir subis à la suite de l’intervention du 23 février 2011.

Le centre départemental gériatrique de l’Indre, a demandé au tribunal, dans l’hypothèse où la responsabilité du centre hospitalier de Châteauroux serait engagée, de condamner cet établissement à lui verser une somme de 153 750,04 euros correspondant à la répétition des salaires versés à Mme R==.

La caisse primaire d’assurance maladie de l’Indre a demandé au tribunal de condamner le centre hospitalier de Châteauroux à lui verser une somme de 67 824,72 euros correspondant aux prestations engagées pour le compte de Mme R== ainsi qu’une somme de 1 037 euros en application de l’article L. 376-1 du code de la sécurité sociale. La société Banque populaire prévoyance a conclu à ce que le centre hospitalier de Châteauroux lui verse une somme de 10 800 euros correspondant à une avance de fonds dans le cadre du contrat multirisques de Mme R==.

Par un jugement n° 1401358 du 26 janvier 2017, le tribunal administratif de Limoges a mis hors de cause l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (article 1er), a condamné le centre hospitalier de Châteauroux à verser d’une part, solidairement avec la SHAM la somme de 65 303 euros à Mme R== avec intérêts au taux légal à compter du 3 juin 2014 et capitalisation (article 2), d’autre part la somme de 67 824,72 euros à la caisse primaire d’assurance maladie de l’Indre et la somme de 71 273,20 euros au centre départemental gériatrique de l’Indre (article 3) et a rejeté le surplus des conclusions de la demande de Mme R== ainsi que la demande de la Banque populaire prévoyance (article 8).



Procédure devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée sous le n° 17BX00945, le 23 mars 2017, la société Banque populaire prévoyance, représentée par Me Plas, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du 26 janvier 2017 ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Châteauroux à lui verser une somme de 10 800 euros correspondant à l’avance de fonds versée à Mme R== dans le cadre de son contrat « multirisque accident de la vie » ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Châteauroux une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

II. Par une requête, enregistrée sous le n° 17BX00957, le 24 mars 2017 et un mémoire enregistré le 4 juillet 2018, Mme R==, représentée par Me Le Bonnois, demande à la cour : 1°) de réformer ce jugement du 26 janvier 2017 par lequel le tribunal administratif de Limoges a limité à la somme de 65 303 euros l’indemnité au versement de laquelle il a condamné le centre hospitalier de Châteauroux en réparation des préjudices qu’elle a subis ;

2°) de porter à la somme de 687 294,98 euros le montant de l’indemnité due au titre de son préjudice patrimonial et à celle de 83 550 euros le montant de l’indemnité due au titre de son préjudice extrapatrimonial, avec intérêts à compter du 28 mai 2014 et capitalisation à compter du 28 mai 2015 ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Châteauroux une somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.


Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes n° 17BX0945 et n° 17BX00957 sont dirigées contre le même jugement et ont fait l’objet d’une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.

2. Mme M== R==, aide soignante titulaire exerçant alors ses fonctions au centre départemental gériatrique de l’Indre, qui souffrait de chondropathie rotulienne sur dysplasie, a bénéficié, le 23 février 2011, d’une intervention chirurgicale consistant en une transposition de la tubérosité tibiale antérieure du genou gauche pratiquée au centre hospitalier de Châteauroux. Lors de son réexamen le 18 mars 2011, une légère désunion de la cicatrice a été constatée avec un aspect inflammatoire. Mme R== a de nouveau été hospitalisée dans le même établissement du 22 mars au 4 avril 2011 pour une reprise chirurgicale de la cicatrice afin d’évacuer l’hématome qu’elle présentait au niveau du genou gauche et de libérer les adhérences. Cette deuxième intervention réalisée le 23 mars 2011 s’est compliquée d’une surinfection à streptocoque A avec perte de substance latérale. Le 4 avril 2011, Mme R== a consulté à la clinique du Colombier où elle a été opérée le lendemain pour évacuer l’abcès persistant de la cuisse gauche, mobiliser le genou et enlever les vis d’ostéosynthèse, puis le 29 avril suivant pour une greffe de peau mince sur une perte de substance latérale du genou gauche et nouvelle mobilisation de ce dernier sous anesthésie générale. Elle a regagné son domicile le 6 mai 2011 et a subi ensuite plusieurs hospitalisations au centre hospitalier universitaire de Cochin et au centre hospitalier universitaire de Limoges, en dernier lieu en novembre 2012, pour la prise en charge rééducative d’une arthrolyse de genou gauche.

3. Ayant conservé des douleurs importantes au niveau de l’articulation, un déficit de flexion du genou gauche et un syndrome algoneurodystrophique, Mme R== a saisi le tribunal de grande instance de Nanterre, puis le juge des référés du tribunal administratif de Limoges afin qu’une expertise soit diligentée. Sur la base des conclusions du rapport déposé le 16 décembre 2013 de M. Christian Steenman, expert désigné par ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Limoges, qui conclut que ces séquelles sont en relation directe et exclusive avec l’intervention chirurgicale du 23 février 2011, et fixe la date de consolidation de son état au 22 mars 2013, Mme R== a sollicité l’indemnisation par le centre hospitalier de Châteauroux de ses préjudices. Sous le n° 17BX00957, elle demande la réformation du jugement du 26 janvier 2017 en tant que le tribunal administratif de Limoges a limité à la somme de 65 303 euros le montant de l’indemnité qu’il a condamné le centre hospitalier et son assureur, la société hospitalière d’assurance mutuelle (SHAM) à lui verser en réparation des conséquences de l’infection nosocomiale contractée à l’occasion de l’opération du 23 février 2011. Le centre départemental gériatrique de l’Indre, employeur de l’intéressée, demande que la somme de 71 273,20 euros que l’établissement hospitalier a été condamné à lui verser soit portée à la somme de 185 841,91 euros correspondant aux salaires versés à Mme R== sur la période allant du 26 février 2011 au 25 février 2017, date à laquelle elle est arrivée en fin de droits. Par une requête, enregistrée sous le n° 17BX00945, la société Banque populaire prévoyance, qui soutient avoir versé à Mme R== la somme de 10 800 euros au titre d’une avance de fonds dans le cadre d’un contrat « multirisque accident de la vie », conclut à l’annulation du même jugement qui a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de Châteauroux à lui rembourser cette somme. Devant la cour, le centre hospitalier de Châteauroux, qui ne conteste pas sa responsabilité, conclut au rejet de ces requêtes.

Sur la fin de non-recevoir opposée par le centre hospitalier de Châteauroux aux conclusions du centre départemental gériatrique de l’Indre :

4. Aux termes de l’article 1er de l’ordonnance du 7 janvier 1959 relative aux actions en réparation civile de l'Etat et de certaines autres personnes publiques : «I. - Lorsque le décès, l'infirmité ou la maladie d'un agent de l'Etat est imputable à un tiers, l'Etat dispose de plein droit contre ce tiers, par subrogation aux droits de la victime ou de ses ayants droit, d'une action en remboursement de toutes les prestations versées ou maintenues à la victime(…) II. - Cette action concerne notamment : Le traitement ou la solde et les indemnités accessoires pendant la période d'interruption du service ; (…) ». En vertu de l’article 7 de la même ordonnance, ces dispositions sont applicables aux recours exercés par les collectivités locales, les établissements publics à caractère administratif et la caisse des dépôts et consignations agissant tant pour son propre compte, que comme gérante du fonds spécial de retraite des ouvriers des établissements industriels de l'Etat et comme gérante de la caisse nationale des retraites des agents des collectivités locales. Aux termes de l'article 3 de cette ordonnance, les agents de l’Etat ou d’une personne publique mentionnée à cet article 7 ou leurs ayants droit qui demandent en justice la réparation d’un préjudice qu’ils imputent à un tiers « doivent appeler en déclaration de jugement commun la personne publique intéressée et indiquer la qualité qui leur ouvre droit aux prestations de celle-ci ». Ces dispositions créent pour le juge administratif l’obligation de mettre en cause ces employeurs publics en vue de l’exercice par ces derniers, de l’action subrogatoire qui leur est ouverte de plein droit par l’article 1er de l’ordonnance contre le tiers responsable de l’accident.

5. Il résulte de ces dispositions que lorsque la victime est comme en l’espèce un agent employé par un établissement public hospitalier, le tribunal administratif, saisi par la victime ou par son employeur public d’une demande tendant à la réparation du dommage corporel par l’auteur de l’accident, doit appeler en la cause, selon le cas, l’employeur public ou la victime. La cour administrative d’appel, saisie dans le délai légal d’un appel de la victime ou de son employeur, doit communiquer la requête, selon le cas, à ce tiers payeur ou à la victime. Eu égard d’une part, au lien que ces dispositions établissent entre la détermination des droits de la victime et celle des droits des tiers payeurs que sont les employeurs publics mentionnés à l’article 7 de l’ordonnance du 7 janvier 1959, d’autre part, à l’obligation qu’elles instituent de mettre en cause ce tiers payeurs en tout état de la procédure afin de le mettre en mesure d’exercer l’action subrogatoire qui lui est ouverte par cette ordonnance du 7 janvier 1959 contre l’auteur de l’accident, un employeur public régulièrement mis en cause en première instance mais qui n’a pas interjeté appel dans les délais de jugement est néanmoins recevable à faire à son tour appel du jugement même si le délai légal est expiré et, à reprendre ses conclusions tendant au remboursement de ses frais, augmentés le cas échéant des prestations nouvelles servies depuis l’intervention du jugement de première instance, lorsque la victime a elle-même régulièrement exercé cette voie de recours.

6. Il suit de là que le centre départemental gériatrique de l’Indre est recevable à demander par un mémoire enregistré après l’expiration du délai d’appel, le remboursement des rémunérations versées à Mme R== résultant des conséquences de l’intervention subie le 23 février 2011 qui s’imputent sur la même assiette de préjudice que les pertes de revenus et l’incidence professionnelle également invoquées dans le délai d’appel par la victime. La fin de non recevoir opposée par le centre hospitalier de Châteauroux aux conclusions du centre départemental gériatrique de l’Indre tendant à ce que la somme de 71 273,20 euros qui lui a été allouée par l’article 3 du jugement attaqué soit portée à la somme de 185 841,91 euros, doit donc être écartée.

Sur les droits à réparation de Mme R== et les recours subrogatoires de la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de l’Indre et du centre départemental gériatrique de l’Indre :

7. En application des dispositions de l’ordonnance du 7 janvier 1959 citées aux points 4 et de l’article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, il appartient au juge saisi d’un recours de la victime d’un dommage corporel et de recours subrogatoires de l’employeur public ou d’organismes de sécurité sociale, pour chacun des postes de préjudices patrimoniaux et personnels, tout d’abord, d’évaluer le montant du préjudice total en tenant compte de l’ensemble des dommages qui s’y rattachent, de fixer ensuite la part demeurée à la charge de la victime, compte tenu des prestations dont elle a bénéficié et qui peuvent être regardées comme prenant en charge un préjudice, et enfin de déterminer le montant de l’indemnité mise à la charge du tiers responsable au titre du poste de préjudice, ce montant correspondant à celui du poste si la responsabilité du tiers est entière et à une partie seulement en cas de partage de responsabilité. Le juge accorde à la victime, dans le cadre de chaque poste de préjudice et dans la limite de l’indemnité mise à la charge du tiers, une somme correspondant à la part des dommages qui n’a pas été réparée par des prestations de sécurité sociale, le solde de l’indemnité mise à la charge du tiers étant, le cas échéant, accordé à la caisse.

8. Le centre départemental gériatrique de l’Indre et la caisse primaire d’assurance maladie de l’Indre exercent respectivement, sur les réparations dues au titre du préjudice subi par Mme R==, les recours subrogatoires prévus au I de l’article 1er de l’ordonnance du 7 janvier 1959 et à l’article L. 376-1 du code de la sécurité sociale. Il y a lieu, ainsi que l’a rappelé le tribunal, de statuer poste par poste de préjudice.

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

Quant aux dépenses de santé :

9. Mme R== n’allègue pas que des dépenses de santé seraient restées à sa charge. Il y a lieu de confirmer les premiers juges qui ont condamné le centre hospitalier de Châteauroux à rembourser à la CPAM de l’Indre la somme non contestée de 67 824,72 euros correspondant aux dépenses de santé prises en charge pour le compte de son assurée, Mme R==, en lien avec les complications de l’infection nosocomiale qu’elle a contractée au cours de l’opération subie le 23 février 2011.

Quant aux frais divers :

10. Il n’est pas contesté que Mme R== a droit au remboursement des honoraires du médecin conseil auquel elle a été contrainte de recourir pour se faire assister lors des expertises judiciaires pour un montant de 2 250 euros. Il y a lieu par suite de confirmer les premiers juges qui ont mis cette somme à la charge du centre hospitalier de Châteauroux.

Quant aux frais de véhicule adapté :

11. Il résulte de l’instruction et notamment du rapport d’expertise que Mme R== souffre d’une claudication, d’un déficit de flexion du genou gauche et de troubles trophiques ainsi que d’un syndrome algoneurodystrophique. Il n’est pas contesté qu’elle éprouve depuis l’intervention du 23 février 2011 des difficultés à mobiliser son genou gauche et des douleurs et des enraidissements qui s’accentuent à la mobilisation qui l’ont contrainte à acquérir en 2013 un véhicule à boite automatique. Dès lors que cet aménagement a été rendu nécessaire en raison des séquelles imputables aux fautes du centre hospitalier de Châteauroux, il doit être pris en charge par ce dernier, alors même que l’expert ne s’est pas prononcé sur ce chef de préjudice. Il sera fait une juste appréciation des dépenses liées à l’acquisition de ce véhicule adapté, dont le surcoût s’élève à 1 100 euros, et à son renouvellement tous les cinq ans, tenant compte du barème publié à la Gazette du Palais en 2018, élaboré en fonction des dernières tables de mortalité connues établies par l’INSEE au taux d’inflation de 0,50 %, fixant le prix de l’euro de rente viagère à 32,397 pour une femme âgée de 50 ans à la date de ce premier renouvellement, en lui allouant une somme totale arrondie de 8 227 euros.

Quant à l’assistance par tierce personne :

12. Lorsque, au nombre des conséquences dommageables d’un accident engageant la responsabilité d’une personne publique, figure la nécessité pour la victime de recourir à l’assistance d’une tierce personne à domicile pour les actes de la vie courante, la circonstance que cette assistance serait assurée par un membre de sa famille est, par elle-même, sans incidence sur le droit de la victime à en être indemnisée.

13. Il résulte de l’instruction et notamment du rapport d’expertise précité que Mme R== a présenté jusqu’à la consolidation de son état de santé un déficit fonctionnel temporaire de 30 % entre les différentes périodes de déficit fonctionnel total où elle était hospitalisée et conserve un déficit fonctionnel permanent du genou gauche l’empêchant notamment de s’agenouiller et de s’accroupir, rendant difficile la montée et la descente des escaliers et limitant ses déplacements et le maintien prolongé de la station debout, évalué à 15 %. Si elle soutient avoir besoin d’une aide dans certaines tâches de la vie quotidienne, le rapport de son médecin conseil qui ne détaille pas la nature de l’assistance requise, ainsi que les attestations qu’elle produit pour la première fois en appel émanant de son concubin, d’une aide soignante et d’une retraitée qui se bornent à témoigner dans des termes identiques de ce qu’ils « interviennent » ponctuellement ou régulièrement pour le port de charges lourdes, le repassage ou du ménage, sans préciser depuis quand, ni même le cadre de ces interventions, ne suffisent pas à établir que l’état de Mme R== du fait de l’intervention subie le 23 février 2011, aurait nécessité l’assistance d’une tierce personne, laquelle n’est en outre pas évoquée par l’expert, ni même que l’intéressée aurait effectivement et personnellement bénéficié d’une aide à ce titre. Dès lors, c’est à bon droit que le tribunal a rejeté sa demande d’indemnisation de ce poste de préjudice.

Quant aux pertes de revenus :

14. Mme R==, qui était aide soignante titulaire depuis 1991 et exerçait ses fonctions à plein temps au moment de l’accident au centre départemental gériatrique de l’Indre depuis 2003, a été placée en congé de longue maladie à compter du 26 février 2011, puis de longue durée à compter du 26 février 2012 et a bénéficié du maintien de son traitement jusqu’au 25 février 2015 puis d’un demi-traitement compensé jusqu’au 25 août 2015 et sans complément du comité de gestion des œuvres sociales des établissements hospitaliers (CGOS) ensuite. Selon le rapport d’expertise, Mme R== a dû entreprendre une reconversion du fait des séquelles présentées. Il résulte de l’instruction que, déclarée apte à la reprise du travail sur un poste adapté, Mme R== a, dans l’attente d’une proposition de reclassement, été placée en congé de longue durée jusqu’au 25 février 2017, puis en disponibilité et a continué de percevoir un demi-traitement. Il résulte notamment des pièces produites en appel que Mme R== a été réintégrée à un poste d’accompagnant éducatif et social à temps partiel à compter du 25 septembre 2017, puis n’a repris qu’à 80 % à compter d’avril 2018 pour un salaire net de 1 492 euros.

15. En premier lieu et d’une part, les parties ne contestent pas la perte de gains professionnels subies par Mme R==, en raison de l’absence de perception des primes de service en 2011, 2012 et 2013 pour un montant total de 3 553 euros net. Il y a lieu de confirmer les premiers juges qui ont mis cette somme à la charge du centre hospitalier de Châteauroux au titre des pertes de gains professionnels temporaires.

16. D’autre part, en l’absence de complications infectieuses résultant de l’intervention du 23 février 2011, Mme R== âgée de 43 ans à la date d’intervention litigieuse, aurait repris son activité professionnelle d’aide soignante au centre départemental gériatrique de l’Indre pour laquelle il n’est pas contesté qu’elle percevait un traitement mensuel de 1 827 euros net. Il résulte de l’instruction ainsi qu’il a été dit ci-dessus, qu’elle a été, du fait des séquelles résultant de cette intervention, placée en congé longue maladie puis de longue durée et après la consolidation de son état, n’a pu reprendre ses fonctions d’aide soignante, ayant été déclarée inapte à l’exercice de ce métier, son état exigeant la recherche d’un poste adapté. Si la procédure de reclassement sur un autre emploi n’a abouti que le 25 septembre 2017 par la proposition d’un poste d’accompagnant éducatif et social à mi-temps thérapeutique, puis exercé à 80 % à compter d’avril 2018, l’infection nosocomiale qu’elle a contractée à la suite de l’intervention subie le 23 février 2011 au centre hospitalier de Châteauroux doit être regardée, dans les circonstances de l’espèce, comme la cause directe de la perte de gains professionnels qu’elle a subie sur l’ensemble de la période, alors même qu’elle avait été déclarée apte à l’exercice d’un autre emploi. Ainsi, Mme R== a droit à une indemnité correspondant à la différence entre les revenus qu’elle aurait perçus si elle avait repris ses fonctions d’aide-soignante à plein temps et ceux qu’elle a effectivement reçus. Compte tenu de ce qui précède, le montant des pertes définitives de revenus qu’elle a subi s’élève à la date du présent arrêt à la somme de 26 491 euros, qui doit être mise à la charge du centre hospitalier de Châteauroux.

17. Enfin, il résulte de ce qui précède que Mme R==, qui percevait une rémunération d’un montant de 1800 euros en moyenne avant l’intervention du 23 février 2011, ne peut plus exercer ses fonctions d’aide soignante à plein temps, et perçoit sur un poste adapté aux séquelles qu’elle présente un traitement net mensuel de 1 492,58 euros en qualité d’accompagnant éducatif et social. La perte de revenus qu’elle subit, correspondant à la différence entre le plein traitement qu’elle aurait perçu si elle avait repris son activité d’aide soignante et le traitement à temps partiel qui lui est effectivement versé, s’établit à la somme mensuelle arrondie de 308 euros, soit une perte annuelle de 3 696 euros. Compte tenu de la proximité relative du départ à la retraite de Mme R==, qui est âgée de 51 ans à la date du présent arrêt, l’indemnité destinée à réparer la perte de ses revenus futurs ne peut être calculée en utilisant ainsi qu’elle le demande, un indice de rente viagère, sur l’ensemble de la période correspondant à l’espérance de vie. Il sera ainsi fait une juste appréciation de la perte de ses revenus futurs, calculée après capitalisation de la perte annuelle nette sur la base du barème publié à la Gazette du Palais en 2018 fixant à 10,480 le prix de l’euro de rente allouée à une femme âgée de 51 ans pouvant espérer une retraite à l’âge légal de 62 ans, en mettant à la charge du centre hospitalier de Châteauroux une indemnité d’un montant de 38 734 euros.

18. En second lieu, en application des dispositions précitées de l’ordonnance du 7 janvier 1959, et de ce qui a été dit au point 16, le centre départemental gériatrique de l’Indre qui exerce sur les réparations dues au titre du préjudice subi par Mme R==, le recours subrogatoire prévu à l’article 1er de l’ordonnance, a droit au remboursement des traitements chargés qu’il justifie avoir versés à l’intéressée pendant la période d'interruption du service au titre des congés dont elle a bénéficié à compter du 26 février 2011, et qui sont en lien direct avec les conséquences de l’intervention subie le 23 février 2011 au centre hospitalier de Châteauroux, nonobstant l’aptitude de l’intéressée à occuper postérieurement à la consolidation de son état un poste adapté. Il y a lieu par suite de condamner le centre hospitalier de Châteauroux à verser au centre départemental gériatrique de l’Indre la somme totale de 185 841,91 euros.

Quant à l’incidence professionnelle :

19. Il résulte de l’instruction et notamment du rapport d’expertise que du fait des séquelles résultant de sa prise en charge par le centre hospitalier de Châteauroux, toute activité professionnelle nécessitant l’usage des membres inférieurs (déplacements, piétinements) est désormais interdite à Mme R==. Ainsi qu’il a été dit au point 14, l’appelante a dû abandonner la profession d’aide soignante qu’elle exerçait depuis plus de 20 ans, a entrepris une reconversion et un cycle d’études pour lui permettre d’exercer le métier de socio esthéticienne, avant d’être reclassée sur un poste d’accompagnant éducatif et social qu’elle occupe à 80 %. Compte tenu d’une pénibilité accrue au travail, de sa dévalorisation sur le marché et de la perte éventuelle de droits à pension, les premiers juges ont fait une juste appréciation de l’incidence professionnelle ainsi subie en évaluant à 15 000 euros le montant de l’indemnité due à ce titre.



20. Il résulte de tout ce qui précède que le total des préjudices patrimoniaux que le centre hospitalier de Châteauroux doit être condamné à verser à Mme R== s'élève à la somme de 94 255 euros et la somme qu’il a été condamné à rembourser au centre départemental gériatrique de l’Indre doit être portée à 185 841,91 euros.

En ce qui concerne les préjudices personnels :



Quant au déficit fonctionnel :



S’agissant du déficit fonctionnel temporaire :



21. Il résulte de l’instruction, et en particulier du rapport d’expertise du 16 décembre 2013 qu’avant la consolidation de son état de santé, fixée au 22 mars 2013, le déficit fonctionnel temporaire subi par Mme R== a été total du 22 mars au 16 avril 2011, du 25 avril au 6 mai 2011 et du 26 septembre au 30 novembre 2012, soit une période de 101 jours, et elle a subi une période d’incapacité temporaire partielle évaluée à 30 % entre ces périodes soit, du 17 avril au 24 avril 2011, du 7 mai 2011 au 26 septembre 2012, et du 30 novembre 2012 au 22 mars 2013 soit 412 jours. Les premiers juges ont fait une juste appréciation du préjudice ayant résulté pour elle de son déficit fonctionnel temporaire en l’évaluant à la somme de 4 000 euros.



S’agissant du déficit fonctionnel permanent :



22. Il résulte de l’instruction que Mme R== demeure atteinte à la suite de l’intervention chirurgicale du 23 février 2011 d’une incapacité permanente partielle de 15 %. Compte tenu de son âge à la date de la consolidation, les premiers juges ont fait une juste appréciation de son déficit fonctionnel permanent en lui allouant la somme de 22 000 euros.



Quant aux souffrances endurées :



23. Mme R== a éprouvé durant la période antérieure à la consolidation de son état de santé, des souffrances physiques et psychiques assez importantes dont l’intensité a été évaluée par l’expert à 5 sur 7 en raison de « quatre interventions supplémentaires, de trois mois d’antibiothérapie, de douleurs morales ressenties et de la perte de son travail ». Les premiers juges ont fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en le fixant à la somme de 12 500 euros.



Quant au préjudice esthétique :



24. Il résulte de l’instruction, et notamment du rapport d’expertise du 16 décembre 2013 que le préjudice esthétique temporaire et définitif de Mme R== a été évalué à 3 sur une échelle de 0 à 7. Les premiers juges ont fait une juste appréciation de ce préjudice en l’évaluant à la somme de 5 000 euros.



Quant au préjudice d’agrément :



25. Il résulte de l’instruction et notamment du rapport d’expertise que Mme R== qui courait une fois par semaine et pratiquait la danse moderne jazz, subit un préjudice d’agrément en lien direct avec sa prise en charge par le centre hospitalier de Châteauroux dont il sera fait une juste évaluation en lui allouant la somme de 2 000 euros.



26. Il résulte de ce qui précède que Mme R== est fondée à demander que l’indemnité allouée en réparation de ses préjudices personnels soit portée à 45 500 euros.

27. Il résulte de tout ce qui précède et notamment des points 18, 20 et 26, que la somme que le centre hospitalier de Châteauroux a été condamnée à verser à Mme R== doit être portée à 139 755 euros et celle qu’il a été condamné à verser au centre départemental gériatrique de l’Indre à 185 841,91 euros.

Sur les conclusions de la CPAM de l’Indre :

28. Il résulte des dispositions du neuvième alinéa de l’article L. 376-1 du code de la sécurité sociale que le montant de l’indemnité forfaitaire qu’elles instituent est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d’un plafond dont le montant est révisé chaque année par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget. Le jugement du 26 janvier 2017 du tribunal administratif de Limoges, qui a fixé à la somme non contestée de 67 824,72 euros le montant des indemnités dues à la CPAM de l’Indre au titre des prestations versées à Mme R==, a accordé à la caisse, au titre de l’indemnité forfaitaire de gestion, une somme de 1 047 euros correspondant au plafond fixé par l’arrêté du 25 décembre 2015 alors en vigueur. Si le plafond a été réévalué par la suite, la caisse ne peut prétendre à une augmentation du montant de l’indemnité forfaitaire de gestion en l’absence de majoration des sommes qui lui sont dues au titre des prestations versées. Ses conclusions doivent par suite être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, celles tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur les conclusions de la Banque populaire prévoyance :

29. La société Banque populaire prévoyance demande à la cour de condamner le centre hospitalier de Châteauroux à lui verser une somme de 10 800 euros correspondant à l’avance de fonds versée à Mme R== dans le cadre de son contrat « multirisque accident de la vie ».

30. Les dispositions de l’article 29 de la loi du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation, applicables en vertu de l’article 28 de la même loi aux relations entre le tiers payeur et la personne tenue à réparation d'un dommage résultant d'une atteinte à la personne, quelle que soit la nature de l'événement ayant occasionné ce dommage, énumèrent la liste des prestations versées à la victime ouvrant droit à un recours contre la personne tenue à réparation ou son assureur. Et aux termes de l’article 31 de ce texte : « Les recours subrogatoires des tiers payeurs s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'elles ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel. Conformément à l'article 1252 du code civil, la subrogation ne peut nuire à la victime subrogeante, créancière de l'indemnisation, lorsqu'elle n'a été indemnisée qu'en partie; en ce cas, elle peut exercer ses droits contre le responsable, pour ce qui lui reste dû, par préférence au tiers payeur dont elle n'a reçu qu'une indemnisation partielle. Cependant, si le tiers payeur établit qu'il a effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un poste de préjudice personnel, son recours peut s'exercer sur ce poste de préjudice ».

31. Ainsi qu’il a été jugé par le tribunal, les quittances subrogatoires versées aux débats par lesquelles Mme R== reconnaît avoir reçu de la société Banque populaire prévoyance la somme de 10 800 euros à la suite de l’accident survenu le 23 février 2011 qui ne sont pas détaillées, ne permettent pas d’identifier, comme l’exige l’article 31 cité ci-dessus de la loi du 5 juillet 1985, les différents postes de préjudice que la Banque populaire prévoyance soutient avoir indemnisés. Si l’appelante produit pour la première fois en appel un contrat multirisque accident de la vie n° 124 077 qui liste les préjudices indemnisés et notamment en cas de blessures le préjudice patrimonial correspondant à l’incapacité permanente partielle ou totale ainsi que des préjudices personnels, elle n’établit pas que le règlement effectué à Mme R== selon les termes des quittances produites « à titre exceptionnel » l’aurait été au titre d’un tel contrat conclu avec la victime, et n’apporte aucun élément de nature à préciser le poste de préjudice que cette indemnité aurait réparé. Il y a lieu par suite de confirmer les premiers juges qui ont rejeté sa demande.

32. Il résulte de ce qui précède que la société Banque populaire prévoyance n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

33. Mme R== a droit aux intérêts au taux légal sur les sommes qui lui sont dues à compter du 3 juin 2014, date de réception de sa réclamation préalable par le centre hospitalier de Châteauroux.

34. La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d’une année. En ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu’à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. La capitalisation des intérêts a été demandée le 12 juillet 2014, date d’enregistrement de sa demande de première instance au greffe du tribunal administratif de Limoges. Il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 3 juin 2015, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d’intérêts, ainsi qu’à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les frais d’expertise :



35. Il y a lieu de maintenir les frais d’expertise taxés et liquidés à la somme de 1 672 euros à la charge définitive du centre hospitalier de Châteauroux.




Sur l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

36. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Châteauroux une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme R== d’une part, et par le centre départemental gériatrique de l’Indre d’autre part et non compris dans les dépens. Il n’y a pas lieu de faire droit à la demande présentée au même titre par l’ONIAM ni, ainsi qu’il a été dit aux points 28 et 32, par la CPAM de l’Indre et la Banque populaire prévoyance.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Banque populaire prévoyance est rejetée.

Article 2 : La somme que le centre hospitalier de Châteauroux a été condamné à verser à Mme R== est portée à 139 755 euros avec intérêts au taux légal à compter du 3 juin 2014. Les intérêts échus à la date du 3 juin 2015 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : La somme que le centre hospitalier de Châteauroux a été condamné à rembourser au centre départemental gériatrique de l’Indre est portée à 185 841,91 euros.

Article 4 : Le jugement du 26 janvier 2017 du tribunal administratif de Limoges est réformé en ce qu’il a de contraire au présent arrêt.

Article 5 : Le centre hospitalier de Châteauroux versera à Mme R== d’une part, et au centre départemental gériatrique d’autre part, une somme de 1 500 euros chacun au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Les conclusions de l’ONIAM tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, le surplus des conclusions de la requête de Mme R== et les conclusions de la CPAM de l’Indre sont rejetés.