Demande de l’ONIAM tendant au remboursement par les hôpitaux ayant pris en charge un patient de frais d’expertise qu’il a exposés lors de la procédure amiable- Conditions
Par Benoît le jeudi 22 septembre 2022, 13:53 - SANTE PUBLIQUE - Lien permanent
L’article L. 1142-15 du code de la santé publique prévoit que si l’assureur de l’hôpital que la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales estime responsable d’un dommage s’abstient de faire une offre à la victime, l’ONIAM lui est substitué, que l’acceptation d’une offre de l’office vaut transaction et, enfin, que l’office « est subrogé, à concurrence des sommes versées, dans les droits de la victime contre la personne responsable du dommage ou, le cas échéant, son assureur ou le fonds institué à l'article L. 426-1 du même code. Il peut en outre obtenir remboursement des frais d'expertise. ».
Il résulte de ces dernières dispositions que la possibilité d’obtenir le remboursement des frais d’expertise constitue un accessoire d’une action subrogatoire exercée par l’ONIAM contre un hôpital lorsque l’ONIAM s’est substitué à cet établissement pour indemniser la victime. Lorsque l’ONIAM n’a pas conclu de transaction avec la victime, il ne se trouve pas dans les conditions prévues par l’article L. 1142-15 du code de la santé publique. Il ne peut donc demander, à l’occasion d’un litige porté par la victime d’un dommage contre les hôpitaux qui l’ont pris en charge, le remboursement par ces hôpitaux des frais d’expertise qu’il a exposés dans le cadre de la procédure amiable.
Décision n° 20BX01493 - 22 septembre 2022 - 2e chambre - M. S. c/ Centre hospitalier de Cayenne et centre hospitalier de l’ouest guyanais.
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. Pierre S== a demandé au tribunal administratif de la Guyane de condamner le centre hospitalier de Cayenne Andrée Rosemon (CHAR) et le centre hospitalier de l’ouest guyanais Franck Joly (CHOG) à lui verser la somme de 171 027,84 euros en réparation des préjudices subis du fait des fautes commises dans sa prise en charge.
Par un jugement n° 1700996 du 12 mars 2020, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande pour irrecevabilité.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 30 avril 2020 et le 19 octobre 2021, M. S==, représenté par Me T==, demande à la cour :
1°) d’annuler le jugement du tribunal administratif de la Guyane du 12 mars 2020 ;
2°) de condamner le centre hospitalier de Cayenne Andrée Rosemon (CHAR) et le centre hospitalier de l’ouest guyanais Franck Joly (CHOG) à lui verser la somme de 171 027,84 euros en réparation des préjudices subis du fait des fautes commises dans sa prise en charge ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Cayenne Andrée Rosemon (CHAR) et du centre hospitalier de l’ouest guyanais Franck Joly (CHOG) la somme de 6 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Considérant ce qui suit :
1. A la suite d’un malaise sur son lieu de travail le 24 juin 2013, M. S== a été transporté au service des urgences du centre hospitalier de l’ouest guyanais Franck Joly (CHOG) à Saint-Laurent du Maroni. Il présentait des maux de ventre, troubles de la vue, vomissements, vertiges et insensibilité du côté gauche. Il est resté sous surveillance jusqu’au lendemain, où il a été autorisé à retourner au domicile, un diagnostic de dengue ayant été posé après annulation d’une demande de scanner cérébral. Devant la persistance de ses troubles, il a été à nouveau conduit le lendemain au service des urgences du CHOG. Un scanner a révélé un accident vasculaire cérébral ischémique cérébelleux droit. Il a été alors décidé de l’adresser au centre hospitalier Andrée Rosemon (CHAR) de Cayenne le lendemain pour une prise en charge en neurochirurgie. Sa famille l’a toutefois fait conduire sans attendre au service des urgences du CHAR, où il n’a pas été admis dans la soirée. Le lendemain, il a été pris en charge dans le service de neurologie de cet établissement, où des explorations complémentaires ont permis de diagnostiquer une cardiomyopathie dilatée, à l’origine probable de l’accident ischémique. Il a ultérieurement bénéficié de l’implantation d’un défibrillateur au centre hospitalier universitaire (CHU) de Fort-de-France, et d’une récupération totale de son déficit neurologique.
2. Le 26 juillet 2013, il a formulé une demande indemnitaire auprès du CHOG, qui l’a expressément rejetée le 24 juin 2015. M. S== a saisi le 17 août 2015 la commission de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI), qui a conclu le 22 mars 2016, après expertise, à la responsabilité du CHOG à hauteur de 50 % du fait d’un retard de prise en charge et de diagnostic. Par une décision du 2 mai 2016, le CHAR a également refusé de donner suite à une demande indemnitaire du requérant. L’assureur du CHOG n’ayant pas présenté de proposition d’indemnisation à la suite de l’avis de la CCI, M. S== a sollicité de l’ONIAM qu’il se substitue à l’établissement de santé sur le fondement de l’article L.1142-15 du code de la santé publique. L’ONIAM a adressé une offre à hauteur de 1 752,50 euros, que M. S== a refusée. M. S== a saisi le tribunal administratif de la Guyane d’une demande de condamnation du CHOG et du CHAR à lui verser une indemnité d’un montant de 171 027,84 euros en réparation des préjudices subis. Par le jugement attaqué du 12 mars 2020, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande comme tardive. M. S== relève appel de ce jugement, l’ONIAM demande la condamnation des deux centres hospitaliers à lui rembourser les frais d’expertise exposés devant la CCI et la caisse générale de sécurité sociale de la Guyane sollicite le remboursement d’une somme de 9 877,67 euros au titre des prestations versées.
Sur la recevabilité de la demande de première instance de M. S== :
3. D’une part, aux termes de l’article R. 421-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction alors applicable : « La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle. ». Aux termes de l’article R. 421-5 de ce code : « Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision. ».
4. D’autre part, la notification par un établissement public de santé d'une décision rejetant la demande indemnitaire d'un patient fait courir le délai de recours contentieux dès lors qu'elle comporte la double indication que le tribunal administratif peut être saisi dans le délai de deux mois et que ce délai est interrompu en cas de saisine de la commission de conciliation et d'indemnisation. En application de l'article L. 1142-7 du code de la santé publique, le délai est interrompu lorsque, avant son expiration, l'intéressé présente devant la commission une demande d'indemnisation amiable ou une demande de conciliation. Dans les cas où le délai de recours contentieux est susceptible d'être suspendu par application des dispositions du dernier alinéa de l'article L. 1142-7, l'information donnée à l'intéressé doit préciser les conditions de cette suspension. Cette précision s'impose, à peine d'inopposabilité du délai de recours, lorsqu'à la date à laquelle l'établissement lui notifie sa décision l'intéressé soit n'a pas encore saisi la commission de conciliation et d’indemnisation, soit l'a saisie mais n'a pas encore reçu notification d'un avis. En revanche, dans le cas où, à la date de la notification de la décision de l'établissement, l'intéressé a déjà reçu notification d'un avis de la commission, aucune mention relative à la suspension du délai de recours contentieux n'est requise. L'absence d'une telle mention n'a donc, dans ce cas, aucune incidence sur l'opposabilité du délai.
5. Il résulte de l’instruction que le CHOG a rejeté la demande indemnitaire dont il était saisi par un courrier du 24 juin 2015 qui comportait la mention des délais et voies de recours et l’indication que la saisine de la commission de conciliation et d’indemnisation suspendait le cours du délai de recours contentieux. Ce délai n’a recommencé à courir qu’à compter de la notification à M. S== de l’avis de la commission, le 3 mai 2016. Le CHAR dont la responsabilité était également recherchée par M. S== a rejeté la demande indemnitaire présentée par M. S== par courrier du 2 mai 2016, notifié le 6 mai suivant. Ce courrier comportait la mention des délais et voies de recours et précisait que la commission de conciliation et d’indemnisation ayant déjà rendu son avis, le délai de deux mois pour saisir le tribunal administratif courait à compter de la réception du courrier.
6. M. S== a toutefois saisi le 19 août 2015 le juge des référés du tribunal administratif de la Guyane afin de solliciter une expertise. Cette demande a été rejetée par une ordonnance du 14 avril 2017. Alors que le CHAR soutenait, dans ses écritures de première instance, que la saisine du tribunal d’une demande indemnitaire était intervenue plus de six mois après notification de cette ordonnance, laissant présumer une tardiveté des conclusions dont était saisi le tribunal, il résulte de l’instruction, et notamment de la consultation de l’application informatique Télérecours, que l’ordonnance de référé a été notifiée à M. S== le 28 avril 2017. Par suite, la requête présentée au tribunal administratif de la Guyane le 11 octobre 2017, soit au-delà du délai de recours contentieux de deux mois, était tardive et comme telle irrecevable.
7. Il résulte de ce qui précède que M. S== n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande indemnitaire comme irrecevable.
Sur les conclusions de la caisse générale de sécurité sociale de la Guyane :
8. Aux termes de l’article R. 811-7 du code de justice administrative : « (…) les appels ainsi que les mémoires déposés devant la cour administrative d'appel doivent être présentés, à peine d'irrecevabilité, par l'un des mandataires mentionnés à l'article R. 431-2. (…) »
9. La CGSSG, qui n’est pas représentée par un avocat en appel en dépit du moyen d’ordre public notifié aux parties, n’est pas recevable à présenter à la cour des conclusions tendant au remboursement des débours exposés et au versement de l’indemnité forfaitaire de gestion.
Sur les frais d’expertise :
10. Aux termes du dernier alinéa de l’article L. 1142-12 du code de la santé publique : « L'Office national d'indemnisation prend en charge le coût des missions d'expertise, sous réserve du remboursement prévu aux articles L. 1142-14 et L. 1142-15. ». L’article L. 1142-14 dispose : « Lorsque la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales estime qu'un dommage relevant du premier alinéa de l'article L. 1142-8 engage la responsabilité d'un professionnel de santé, d'un établissement de santé, d'un service de santé ou d'un organisme mentionné à l'article L. 1142-1 ou d'un producteur d'un produit de santé mentionné à l’article L. 1142-2, l'assureur qui garantit la responsabilité civile ou administrative de la personne considérée comme responsable par la commission adresse à la victime ou à ses ayants droit, dans un délai de quatre mois suivant la réception de l'avis, une offre d'indemnisation visant à la réparation intégrale des préjudices subis dans la limite des plafonds de garantie des contrats d'assurance. (…) L'assureur qui fait une offre à la victime est tenu de rembourser à l'office les frais d'expertise que celui-ci a supportés. (…). » L’article L. 1142-15 prévoit que si l’assureur s’abstient de faire une offre, l’ONIAM lui est substitué, que l’acceptation d’une offre de l’office vaut transaction et, enfin, que l’office « est subrogé, à concurrence des sommes versées, dans les droits de la victime contre la personne responsable du dommage ou, le cas échéant, son assureur ou le fonds institué à l'article L. 426-1 du même code. Il peut en outre obtenir remboursement des frais d'expertise. ».
11. Il résulte de ces dernières dispositions que la possibilité d’obtenir le remboursement des frais d’expertise constitue un accessoire d’une action subrogatoire exercée par l’ONIAM contre un hôpital lorsque l’ONIAM s’est substitué à cet établissement pour indemniser la victime. L’ONIAM, qui n’a pas conclu de transaction avec M. S==, ne se trouve pas dans les conditions prévues par l’article L. 1142-15 du code de la santé publique. Au demeurant, l’établissement public n’a relevé appel du jugement, en tant qu’il a rejeté ses demandes tendant au remboursement par les centres hospitaliers des frais d’expertise qu’il a pris en charge, que le 25 septembre 2020, soit plus de deux mois après la notification du jugement du 12 mars 2020. En l’absence d’accueil des conclusions de l’appel principal de M. S== à l’encontre des deux hôpitaux, ces conclusions ne peuvent donc qu’être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier de Cayenne Andrée Rosemon (CHAR) et du centre hospitalier de l’ouest guyanais Franck Joly (CHOG), qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, la somme que M. S== demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Les conclusions présentées par l’ONIAM sur le même fondement doivent être rejetées pour les motifs exposés au point 11.
13. Dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de mettre à la charge de M. S== les sommes demandées par le CHAR et le CHOG au même titre.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. S== est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de l’ONIAM et de la caisse générale de sécurité sociale de la Guyane sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions présentées par le CHAR et le CHOG sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.