Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. Alexandre A== a demandé au tribunal administratif de Poitiers d’annuler la décision du 1er février 2018 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de pension militaire d’invalidité.

Par un jugement n° 1902693 du 5 mars 2020, le tribunal a annulé la décision du 1er février 2018 et a renvoyé M. A== devant l’administration pour qu’il soit procédé à la détermination du taux d’invalidité.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 27 avril 2020 et un mémoire enregistré le 14 octobre 2020, la ministre des armées demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement ; 2°) de rejeter la demande présentée par M. A== devant le tribunal.

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Considérant ce qui suit :

1. M. A==, engagé dans la gendarmerie en 2002, était maréchal des logis chef affecté à la Musique de la Garde républicaine en qualité de clarinettiste depuis le 4 avril 2005. Il a présenté une demande de pension militaire d’invalidité, reçue par l’administration le 11 décembre 2017, pour l’infirmité d’impotence fonctionnelle des mains, qui a été rejetée par une décision du 1er février 2018 aux motifs que la preuve d’imputabilité n’était pas établie en l’absence de fait de service légalement constaté, que la présomption d’imputabilité ne pouvait s’appliquer, l’infirmité n’ayant pas été constatée pendant une période ouvrant droit à ce bénéfice, et que les circonstances d’apparition de l’infirmité relevaient des conditions générales de service. M. A== a contesté cette décision devant le tribunal administratif de Poitiers, lequel, par un jugement du 5 mars 2020, l’a annulée en retenant une présomption d’imputabilité au service, et a renvoyé l’intéressé devant l’administration pour la détermination du taux d’invalidité. La ministre des armées relève appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement :

2. L’article L. 121-5 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre prévoit qu’une infirmité résultant exclusivement de maladie ouvre droit à pension si le taux d’invalidité atteint ou dépasse 30 % en cas d'infirmité unique. Lorsqu’il est saisi d’un litige en matière de pensions militaires d’invalidité, il appartient au juge administratif, en sa qualité de juge de plein contentieux, de se prononcer lui-même sur les droits de l’intéressé sauf à renvoyer à l'administration compétente, et sous son autorité, le règlement de tel aspect du litige dans des conditions précises qu'il lui appartient de fixer. Ce renvoi ne saurait toutefois porter sur les conditions d’ouverture du droit à pension.

3. Il résulte de ce qui précède qu’en renvoyant M. A== devant l’administration afin que celle-ci détermine le taux d’invalidité de son infirmité, taux qui conditionne l’ouverture de son droit à pension en application de l’article L. 121-5 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre, le tribunal a méconnu son obligation d’épuiser son pouvoir juridictionnel. Par suite, le jugement est irrégulier et doit être annulé.



4. Il y a lieu pour la cour d’évoquer et de statuer immédiatement sur la demande de M. A==.

Sur la présomption d’imputabilité au service :

5. Aux termes de l’article L. 121-1 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre, dans sa rédaction applicable à la date de la demande de pension : « Ouvrent droit à pension : / (…) / 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service (…) ». L’article L. 121-2 définit un régime de présomption, lequel prévoyait seulement, à la date de la demande présentée le 11 décembre 2017 par M. A==, qu’il s'appliquait exclusivement, soit aux services accomplis en temps de guerre, au cours d'une expédition déclarée campagne de guerre ou en opération extérieure, soit au service accompli par les militaires pendant la durée légale du service national, les constatations étant faites dans les délais prévus aux précédents alinéas. Cette présomption a été modifiée par la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018, l’article L. 121-2 disposant désormais que : « Est présumée imputable au service : / (…) / 3° Toute maladie désignée par les tableaux de maladies professionnelles mentionnés aux articles L. 461-1, L. 461-2 et L. 461-3 du code de la sécurité sociale et contractée dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par le militaire de ses fonctions dans les conditions mentionnées à ces tableaux .» Le syndrome du canal carpien, lequel peut notamment être provoqué par des travaux comportant de façon habituelle, soit des mouvements répétés ou prolongés d'extension du poignet ou de préhension de la main, soit un appui carpien, soit une pression prolongée ou répétée sur le talon de la main, figure au tableau n° 57 des maladies professionnelles annexé au livre IV du code de la sécurité sociale relatif aux affections périarticulaires provoquées par certains gestes et postures de travail.

6. Il appartient au juge de plein contentieux, lorsqu’il est saisi d’une demande dirigée contre une décision refusant une pension, de rechercher si les dispositions législatives et réglementaires en vigueur à la date de son jugement sont susceptibles de créer des droits au profit de l’intéressé.

7. La présomption d’imputabilité au service des maladies, instituée par la loi du 13 juillet 2018 s’applique, en l’absence de précision contraire du texte, à compter de l’entrée en vigueur de celui-ci. Il ne résulte ni du texte de la loi ni des travaux parlementaires que le législateur ait entendu rendre ce dispositif applicable à des personnes dont les droits à pension étaient déjà ouverts à cette date. L’article L. 151-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre fixe l’entrée en jouissance de la pension à la date du dépôt de la demande, de sorte que la pension ne peut être allouée qu’au regard des règles applicables à cette date. Par suite, la ministre des armées est fondée à soutenir que la présomption prévue par la rédaction de l’article L. 121-2 issue de la loi du 13 juillet 2018 n’est pas applicable à la demande déposée le 11 décembre 2017 par M. A==.

Sur la preuve de l’imputabilité au service :

8. En vertu de L. 151-6 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, lorsque le demandeur de pension ne peut bénéficier de la présomption légale d’imputabilité et que cette imputabilité est niée par l’administration, la décision juridictionnelle lui attribuant pension doit faire ressortir les faits et documents ou les raisons d’ordre médical établissant que l’infirmité provient d’une maladie contractée par le fait ou à l’occasion du service. Si cette preuve ne peut résulter de la seule circonstance que l’infirmité est apparue durant le service, ni d’une probabilité même forte, d’une vraisemblance ou d’une simple hypothèse médicale, les dispositions susmentionnées n’interdisent pas au juge des pensions, faisant usage de son pouvoir souverain d’appréciation, de puiser dans l’ensemble des renseignements contenus au dossier une force probante suffisante pour former sa conviction et décider en conséquence que la preuve de l’imputabilité doit être regardée comme apportée.

9. Le rapport circonstancié établi le 16 octobre 2017 par le chef de la Musique de la Garde républicaine, qui précise que les musiciens doivent exercer leurs missions quelles que soient les conditions climatiques et que la bonne pratique de la clarinette exclut le port de gants et demande des mouvements de mains rapides et répétés, décrit l’évolution des douleurs ressenties par M. A== depuis plusieurs années, d’abord lors des services réalisés à l’extérieur par temps froid, puis par tout temps et en intérieur. Il indique qu’au début de l’année 2017, l’intéressé ne pouvait plus pratiquer son instrument du fait de l’intensité des douleurs, et qu’il a été placé en congé de maladie à compter du 27 février 2017, avec des prolongations régulières après consultation de spécialistes et différentes opérations. Le compte-rendu établi le 28 août 2017 par M. A==, joint à ce rapport, explique que les premières douleurs survenaient après avoir forcé la mobilité des doigts raidis par le froid, que depuis deux ans, un raidissement des doigts est ressenti, ainsi qu’un engourdissement pendant la pratique instrumentale, et qu’en dernier lieu, des douleurs intenses sont apparues sur la face dorsale du poignet droit. Il est ensuite relaté que des kystes synoviaux ont été diagnostiqués aux deux mains, qu’une opération du canal carpien réalisée à gauche le 4 juillet 2017 n’a pas supprimé les fourmillements, et qu’une autre à droite est prévue le 2 octobre 2017. Selon une lettre du chef du service de médecine physique et de réadaptation de l’hôpital d’instruction des armées Robert Picqué du 13 avril 2018, les douleurs devenues chroniques subsistant après la seconde intervention, même sans information nociceptive, peuvent s’expliquer par un exercice professionnel musical intensif, par tous les temps et sur des instruments particulièrement exigeants tels qu’une petite clarinette en mi bémol, dite « piccolo » que M. A== était seul à pratiquer dans sa formation. Le ministre de l’intérieur a retenu l’imputabilité au service de cette pathologie pour accorder un congé de longue maladie à M. A== à compter du 18 août 2017, puis, après épuisement des droits à ce congé et constat médical de l’inaptitude à la reprise du service, l’a radié des cadres « par suite d’infirmités survenues du fait de ses fonctions » à compter du 18 août 2020, par un arrêté du 10 juin 2020. Eu égard à ces éléments précis et concordants, l’imputabilité au service de l’infirmité d’impotence fonctionnelle des mains, d’ailleurs admise par le ministre de l’intérieur, doit être regardée comme établie, sans que la ministre des armées puisse utilement faire valoir que M. A== aurait été exposé aux conditions générales de service qui s’imposent à l’ensemble des musiciens militaires.

10. Le dossier ne permet pas d’apprécier si la maladie imputable au service est à l’origine d’un taux d’invalidité ouvrant droit à pension. Par suite, il y a lieu d’ordonner une expertise aux fins et dans les conditions prévues par le dispositif du présent arrêt.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers n° 1902693 du 5 mars 2020 est annulé.

Article 2 : Avant de statuer sur le droit à pension de M. A==, il sera procédé à une expertise médicale contradictoire par un chirurgien orthopédiste spécialisé en chirurgie de la main, en présence de M. A== et du ministre des armées.

Article 3 : L’expert aura pour mission :

1°) de prendre connaissance du dossier médical, et d’examiner M. A== ;

2°) en se plaçant à la date du 11 décembre 2017, de décrire la pathologie des deux mains dont M. A== est atteint et d’expliciter les incapacités fonctionnelles qui en résultent.

3°) de fixer le taux d’invalidité correspondant à cette pathologie, à la date du 11 décembre 2017, au regard du guide barème des invalidités applicable au titre du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre.

Article 4 : Pour l’accomplissement de sa mission, l’expert pourra se faire remettre, en application de l’article R. 621-7-1 du code de justice administrative, tous documents utiles, et notamment tous ceux relatifs aux examens et soins pratiqués sur l’intéressé.

Article 5 : L’expert sera désigné par le président de la cour. Après avoir prêté serment, il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative.

Article 6 : Conformément aux dispositions du premier alinéa de l’article R. 621-9 du code de justice administrative, l’expert déposera son rapport au greffe sous forme dématérialisée dans le délai fixé par le président de la cour dans la décision le désignant. Il en notifiera une copie à chacune des parties intéressées. Avec l’accord de ces dernières, cette notification pourra s’opérer sous forme électronique.

Article 7 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n’est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu’en fin d’instance.