Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société du Casino du lac de la Magdeleine a demandé au tribunal administratif de Bordeaux, d’une part, d’annuler l’arrêté du 24 février 2012 par lequel le ministre de l’intérieur a suspendu pour une durée de sept jours à compter du 12 mars 2012 l’autorisation de jeux qui lui avait été consentie par arrêté du 30 janvier 2008, d’autre part, de condamner l’Etat à lui verser une somme de 200 000 euros en réparation des préjudices qu’elle estime avoir subis du fait de l’illégalité fautive de cet arrêté.

Par un jugement n° 1200781-1201174 du 26 novembre 2013, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ces demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 13 janvier 2014 et 1er septembre 2014, la société du Casino du lac de la Magdeleine, représentée par le cabinet Richer et Associés droit public, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 26 novembre 2013 ;



2°) d’annuler l’arrêté contesté ;

3°) de condamner l’Etat à lui verser la somme de 2 246 937, 04 euros en réparation de ses préjudices ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre de l’article L.761 1 du code de justice administrative.


Considérant ce qui suit :

1. A l’issue de trois contrôles du casino de Gujan-Mestras, réalisés par le service des courses et des jeux du 21 au 23 mars 2011, du 26 au 29 septembre 2011 et les 19 et 20 octobre 2011, le ministre de l’intérieur a, par un arrêté du 24 février 2012, suspendu pour une durée de sept jours, du 12 au 19 mars 2012, l’autorisation de jeux qui avait été accordée à la société du Casino du lac de la Magdeleine par un arrêté du 30 janvier 2008. La société a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d’annuler cet arrêté du 24 février 2012 et de l’indemniser des préjudices qu’elle estime avoir subis du fait de son illégalité fautive. Elle relève appel du jugement n° 1200781-1201174 du 26 novembre 2013 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses demandes et demande à la cour de reconnaître l’illégalité de l’arrêté du 24 février 2012 et, en conséquence, de condamner l’Etat à lui verser la somme de 2 246 937, 04 euros en réparation de ses préjudices.

2. En vertu de l’article 1er de la loi du 12 juillet 1983 relative aux jeux de hasard, en vigueur à la date de l’arrêté contesté, article désormais codifié à l’article L. 324-1 du code de la sécurité intérieure, « le fait de participer y compris en tant que banquier à la tenue d’une maison de jeux de hasard où le public est librement admis » constitue une infraction pénale. Par dérogation à cette interdiction, l’article 1er de la loi du 15 juin 1907 modifiée relative aux casinos, en vigueur à la date dudit arrêté, article désormais codifié à l’article L. 321-1 du code précité, prévoit que peut être accordée aux casinos implantés notamment dans les communes classées stations balnéaires, thermales et climatiques, une « autorisation temporaire d’ouvrir au public des locaux spéciaux, distincts et séparés où sont pratiqués certains jeux de hasard », sous certaines conditions. L’article 5-1 du décret du 22 décembre 1959 portant réglementation des jeux dans les casinos des stations balnéaires, thermales et climatiques, applicable au présent litige et codifié à l’article R. 321-30 dudit code, dispose que : « En cas de manquement au cahier des charges, aux prescriptions de l’autorisation ou à la réglementation applicable, le ministre peut, après avis de la commission mentionnée à l’article 3, suspendre pour une durée maximum de quatre mois ou révoquer, partiellement ou totalement, les autorisations en vigueur (…). ».

3. Les mesures que le ministre de l’intérieur est susceptible de prendre sur le fondement des dispositions précitées de l’article 5-1 du décret du 22 décembre 1959 et dont l’objet est de prévenir la continuation ou la réapparition de manquements aux obligations découlant pour les casinos des autorisations qui leur sont accordées, indépendamment de toute responsabilité de l’exploitant, constituent, non pas des sanctions, mais des mesures de police administrative. Eu égard à l’étendue du pouvoir d’appréciation dont dispose le ministre de l’intérieur pour accorder des autorisations dérogeant au principe d’interdiction de la « tenue de maison de jeux de hasard », le juge exerce, sur l’appréciation à laquelle se livre le ministre pour décider de la suspension ou de la révocation de ces autorisations, un contrôle limité à l’erreur manifeste. Sur la légalité de l’arrêté du 24 février 2012 : En ce qui concerne la matérialité des manquements fondant l’arrêté litigieux : S’agissant des manquements relatifs à l’ouverture des machines à sous : 4. Aux termes de l’article 68-14 de l’arrêté du 14 mai 2007 susmentionné, relatif au dispositif d’ouverture, de fermeture et de réinitialisation d’une machine à sous : « Toute machine à sous doit être dotée de deux dispositifs de fermeture au moins, le premier donnant accès à la partie supérieure de l'appareil, le second donnant accès à la partie inférieure où se trouve la boîte qui reçoit les pièces ou les jetons, et de tout dispositif de fermeture supplémentaire justifié par l'installation d'un dispositif particulier (accepteurs de billets, ticket in, ticket out). Toute ouverture de la partie supérieure de l'appareil demande la présence du directeur responsable ou d'un membre du comité de direction, et du mécanicien ou de l'employé chargé de l'opération à effectuer pour les casinos de 75 machines à sous au plus. Les clés des dispositifs d'ouverture de la partie supérieure et inférieure de l'appareil sont détenues par le membre du comité de direction ou le directeur responsable. Le dispositif d'ouverture de la boîte à billets et/ou tickets est détenu par le caissier. Les clés de réinitialisation sont obligatoirement détenues et utilisées par le ou les membres du comité de direction. Les clés d'accès à la carte logique ne peuvent être détenues que par les SFM et les fonctionnaires du ministère de l'intérieur chargés de la police des jeux. ». Ces dispositions sont applicables au casino exploité par la société requérante, titulaire d’une autorisation d’une autorisation portant sur 225 machines à sous dont 110 sont installées. Aux termes de l’article 68-28 dudit arrêté : « Le fonctionnement des machines à sous est placé sous la responsabilité du directeur responsable et des membres du comité de direction, et, en particulier, tous les mouvements de fonds, les paiements des gains ainsi que les déplacements de machines, les incidents techniques et toutes opérations de maintenance. ». 5. Il résulte de l’instruction que les contrôles réalisés en mars et septembre 2011 ont révélé que les membres du comité de direction du casino avaient procédé à l’ouverture de machines à sous seuls, hors la présence d’un mécanicien, et qu’un mécanicien avait effectué le remplissage de machines à sous hors la surveillance de tout directeur ou membre du comité de direction. Cependant, il est constant qu’à la date de l’arrêté litigieux, la société requérante avait entièrement renouvelé son parc de machines à sous, de sorte qu’il ne comportait plus aucune machine à rechargement manuel, mais exclusivement des machines dotées d’un système de rechargement par ticket. Les manquements ci-dessus décrits n’étant ainsi plus susceptibles de se reproduire, le ministre n’a pu légalement les retenir pour justifier la mesure de suspension litigieuse.

S’agissant des manquements relatifs au personnel d’encadrement : 6. Aux termes de l’article 14 de l’arrêté du 14 mai 2007 : « Le directeur responsable et les membres du comité de direction agréés par le ministre de l'intérieur ont seuls qualité, dans le cadre de leurs attributions respectives, pour s'occuper de l'exploitation des jeux et pour donner des ordres au personnel des salles de jeux. Il appartient au directeur responsable de s'assurer que les membres du comité de direction suivent ou ont suivi une formation préalable leur permettant de disposer d'une bonne connaissance de la technique et de la gestion des jeux ainsi que d'être en mesure de détecter les personnes en difficulté avec le jeu. ». 7. En premier lieu, si le ministre de l’intérieur fait valoir que, le 26 septembre 2011, un seul membre du comité de direction était présent dans le casino, où se pratiquaient des jeux dans trois espaces distincts, ce constat procède du seul examen du registre du personnel, et non du contrôle effectué sur place, et la société appelante fait valoir que deux autres membres du comité de direction étaient également présents. La matérialité de ce manquement n’est ainsi pas suffisamment établie. 8. En second lieu, en se bornant à faire état du caractère récent de l’agrément de deux des membres du comité de direction du casino, le ministre n’établit pas l’insuffisance du personnel d’encadrement. La matérialité du manquement en cause n’est donc pas davantage établie. S’agissant des manquements relatifs à l’insuffisance des personnels de jeux de tables : 9. Aux termes de l’article 55-16 de l’arrêté du 14 mai 2007, relatif au fonctionnement du stud poker de casino : « Le personnel affecté à la table comprend : un chef de table et un croupier-tailleur. Tous deux sont responsables de la clarté et de la régularité du jeu, des paiements et de toutes les opérations effectuées à la table. Le croupier-tailleur anime la partie, invite les joueurs à miser, arrête les jeux et contrôle, avec le chef de table, le placement des mises avant le mélange et la distribution des cartes. Ces employés ne peuvent être relevés en cours de donne, de déroulement du jeu ou des paiements. ». L’article 57 du même arrêté, relatif au fonctionnement du texas hold’hem poker, dispose : « Le croupier affecté à la table anime la partie et contrôle son bon déroulement, invite les joueurs à miser et opère la retenue au profit de la cagnotte. Il assure également la distribution des cartes (…) Un chef de partie ou un chef de table placé sous sa surveillance, ou celle d'un membre du comité de direction, est affecté au contrôle de deux tables au plus pour assurer la clarté et la régularité du jeu, des paiements et de toutes les opérations effectuées aux tables. ». 10. En premier lieu, la société requérante ne conteste pas la matérialité du manquement tenant à l’absence, constatée lors du contrôle du 21 mars 2011, de chef de partie ou chef de table à la surveillance de trois tables de texas hold’em poker. 11. En deuxième lieu, l’arrêté relève que, lors de la soirée du 20 octobre 2011, alors que le casino comptait une table de stud’poker et deux tables de hold’em poker, seul un chef de partie était affecté à la surveillance de ces trois tables de jeux. Il résulte cependant du planning du personnel et des mentions portées le 20 octobre 2011 par le correspondant local du service des jeux sur du registre d’observations du casino que, conformément aux exigences résultant des dispositions précitées, étaient présents un membre du comité de direction, affecté à la surveillance du tournoi de hold’em poker, ainsi qu’un chef de partie, un chef de table et plusieurs croupiers. La matérialité de ce manquement n’est ainsi pas établie. S’agissant des manquements relatifs à la collecte des pourboires : 12. Aux termes de l’article 18 de l’arrêté du 23 décembre 1959 alors en vigueur portant réglementation des jeux dans les casinos, ayant pour objet d’assurer la sincérité de la comptabilité : « Les employés des salles de jeux ne sont autorisés à accepter les pourboires qui peuvent leur être offerts par les joueurs qu'en vertu d'une simple tolérance, toujours révocable en cas d'abus. Les pourboires doivent être immédiatement versés dans une tirelire par celui qui les reçoit : aucun employé ne peut en détenir par devers lui tout ou partie. Ils sont comptabilisés chaque jour dans un registre modèle 6. (…). Un compte "pourboires" est ouvert au grand livre pour la constatation chaque jour du montant intégral des pourboires reçus et du total des sommes versées aux employés à ce titre. Il fonctionne dans les conditions fixées par l'arrêté interministériel du 27 février 1984 relatif à la comptabilité générale des casinos des stations balnéaires, thermales et climatiques ». 13. Il a été constaté lors du contrôle effectué du 26 au 29 septembre 2011 au sein du casino exploité par la société requérante qu’en méconnaissance de ces dispositions, les pourboires versés au personnel supplémentaire recruté temporairement pour les tournois en application de l’article 57-5 de l’arrêté du 14 mai 2007 relatif à la réglementation des jeux dans les casinos, n’étaient ni collectés ni inscrits en comptabilité. En se bornant à faire valoir que ce manquement a été commis par un seul membre de son personnel exerçant les fonctions de croupier, la société appelante ne conteste pas utilement l’exactitude matérielle de ce manquement. S’agissant des manquements relatifs à la direction des tournois : 14. Aux termes de l’article 57-9 de l’arrêté du 14 mai 2007, relatif à la sécurité et la sincérité du jeu durant le tournoi : « Le directeur responsable du casino hôte désigne un responsable du tournoi choisi parmi les membres du comité de direction. Ce responsable prend le titre de "directeur du tournoi". ». 15. Il n’est tout d’abord pas contesté que le contrôle réalisé en mars 2011 a fait ressortir l’absence de tout membre du comité de direction pour diriger les tournois de poker. 16. L’arrêté litigieux repose également sur le motif, dont la matérialité est contestée, tenant à la direction de tournois de poker, au cours de la période de mars à octobre 2011, par M. Q==, croupier du casino. Ce manquement réitéré aux prescriptions précitées est cependant établi par les pièces du dossier dès lors, d’une part, que ces faits ont été constatés au cours des contrôles effectués en mars et septembre 2011, d’autre part, que lors de son audition du 28 septembre 2011 par les services de police, M. Q== a lui-même déclaré qu’il exerçait, plusieurs soirs par semaine, les fonctions de responsable de tournoi. S’agissant des manquements relatifs au recrutement de M. D== : 17. Aux termes de l’article 19 de l’arrêté du 14 mai 2007, relatif aux documents à fournir à l'autorité administrative : « Le directeur responsable du casino est tenu : (…) 2° De remettre au chef du service de la direction centrale de la police judiciaire territorialement compétent, avant leur prise de fonction, la liste nominative précisant le ou les emplois des personnes employées dans les salles de jeux. » . 18. Il résulte de l’instruction que la société appelante ne s’est pas conformée aux dispositions précitées s’agissant du recrutement de M. D==, agréé en qualité de membre du comité de direction du casino de Port-la-Nouvelle par arrêté du 3 avril 2009, à qui a été confiée la direction des tournois organisés au casino de Gujan-Mestras du 16 au 19 juin 2011, du 18 au 21 août 2011 et du 15 au 18 septembre 2011. Ainsi, d’une part, il est constant M. D== n’était pas membre du comité de direction du casino de Gujan-Mestras, de sorte que sa désignation est intervenue en méconnaissance des dispositions de l’article 57-9 de l’arrêté du 14 mai 2007. D’autre part, la télécopie adressée le 14 juin 2011 au correspondant local du service et des courses et des jeux, dont se prévaut la société, ne comportait aucune information sur le recrutement de l’intéressé comme responsable des tournois organisés du 18 au 21 août 2011 et du 15 au 18 septembre 2011. S’agissant des manquements relatifs à l’information de l’administration quant aux conditions d’organisation des tournois : 19. Aux termes de l’article 57-5 du décret du 14 mai 2007, relatif à l’organisation de tournois de poker avec mise en jeu de lots : « Les casinos peuvent organiser des tournois de poker, avec mise en jeux de lots, dans leur salle de jeux ou dans des locaux présentant les mêmes garanties de sincérité et de sécurité des jeux. (…) Les conditions d'organisation du tournoi doivent être portées à la connaissance du ministre de l'intérieur (service central des courses et jeux de la direction centrale de la police judiciaire), du préfet au moins vingt et un jours à l'avance par le directeur responsable qui leur en communique les modalités du règlement dans les mêmes délais. Lorsque des tables de poker supplémentaires sont installées, le plan d'implantation de ces tables est également communiqué dans ce délai en complément des éléments précités. ». 20. Il est constant que la société requérante n’a pas respecté le délai d’information préalable prévu par les dispositions précitées, n’ayant adressé au correspondant local du service des courses et des jeux que le 26 juillet 2001, les conditions d’organisation du tournoi se tenant du 25 juillet au 15 août 2011, le 26 août 2011, celles du tournoi organisé du 29 août au 10 septembre 2011, et le 8 septembre 2011, les conditions d’organisation du tournoi se tenant du 19 septembre au 2 octobre 2011. La société requérante ne conteste pas utilement la matérialité de ces manquements répétés en se bornant à invoquer la « lourdeur » du formalisme exigé par ces dispositions. En ce qui concerne l’appréciation portée par le ministre de l’intérieur : 21. Compte tenu de l’importance et du caractère répété des manquements que le présent arrêt considère comme ayant été légalement retenus, le ministre de l’intérieur n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en décidant, en application des dispositions précitées de l’article 5-1 du décret du 22 décembre 1959, de suspendre pour une durée de sept jours l’autorisation de jeux consentie à la société du Casino du lac de la Magdeleine. En ce qui concerne le moyen tiré du détournement de pouvoir : 22. S’il résulte de l’instruction que les membres du personnel du casino de Gujan-Mestras entretenaient des relations conflictuelles avec le correspondant local du service des courses et des jeux, il n’est pas établi que ce contexte conflictuel serait à l’origine de l’édiction de l’arrêté en cause. Il n’est pas davantage démontré que l’infliction de la sanction en cause aurait eu pour objet de dissuader les sociétés exploitant des casinos d’intenter des recours contre les décisions les concernant devant la juridiction administrative. Ainsi, il résulte de l’instruction que l’arrêté litigieux a eu pour but déterminant de prévenir la continuation ou le retour des nombreux manquements susrappelés à la réglementation des jeux dans les casinos. Le moyen tiré du détournement de pouvoir ne peut donc être accueilli. 23. Il résulte de tout ce qui précède que l’arrêté du 24 février 2012 ne peut être regardé comme entaché d’illégalité. Dès lors, la société du Casino du lac de la Magdeleine n’est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses conclusions tendant à l’indemnisation des préjudices résultant de cette décision. Ses conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, être accueillies. Dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de mettre à sa charge le versement de la somme demandée par le ministre de l’intérieur sur le fondement des mêmes dispositions.

DECIDE

Article 1er : La requête de la société du Casino du lac de la Magdeleine est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le ministre de l’intérieur sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.