Reprise par l’Etat de constructions industrielles édifiées sur le domaine public maritime
Par Administrateur le jeudi 25 juin 2015, 14:46 - DOMAINE - Lien permanent
1. Application de l’article 555 du code civil au domaine public – absence 2. Notion de bien au sens du premier protocole additionnel à la CEDH - Existence. Charge spéciale et exorbitante – Absence 3. Préjudice résultant de l’illégalité de permis de construire – Appréciation
L’article L. 2122-9 du code général de la propriété des personnes publiques n’autorise la reconnaissance d’un droit réel sur les ouvrages édifiés sur le domaine public que lorsque ce droit est prévu par le titre d’occupation du domaine. En conséquence, ces dispositions font obstacle à ce que soit reconnue, en-dehors de cette hypothèse, l’existence d’un droit réel sur les constructions édifiées sur le domaine public. L’occupant sans titre du domaine public ne peut donc se prévaloir de l’article 555 du code civil afférent aux constructions sur terrain d’autrui.
2. L’obtention de bonne foi par une société de construction navale de permis de construire délivrés par l’Etat en 1962 et 1965 pour l’édification de bâtiments industriels a fait naître à son profit un intérêt patrimonial à jouir des constructions qu’elle a édifiées à ses frais sur les Prés salés Ouest à La Teste de Buch. Cet intérêt est suffisamment important pour constituer un « bien » au sens de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, notion qui ne se limite pas à la propriété des biens corporels et qui est indépendante des qualifications formelles du droit interne. Si la société, qui ne peut se voir reconnaitre ni la propriété du sol, ni même celle des constructions qu’elle a édifiées sans autorisation d’occupation du domaine public, a pu jouir de ces immeubles pendant plus de quarante-cinq ans, ce n’est pas du fait d’une négligence des autorités étatiques mais plutôt d’une tolérance de la poursuite de l’occupation. L’Etat a mis fin à cette tolérance en vue de faire prévaloir le caractère précaire des autorisations d’occupation du domaine public maritime pour permettre une meilleure gestion de ce domaine, et a délivré une autorisation d’occupation temporaire des terrains et bâtiments à un tiers. Cependant l’intérêt général qui s’attache à la préservation du domaine public ne fait pas obstacle à ce que la société puisse être indemnisée si elle démontre l’existence d’une charge spéciale et exorbitante du fait de la dépossession des bâtiments qu’elle a édifiés sur ce domaine.
En l’espèce, la société a pu, jusqu’en 2010, soit durant plus de quarante-cinq ans, exploiter les bâtiments en litige directement ou en bénéficiant des revenus tirés de la location de ceux-ci à d’autres sociétés. Elle ne s’est jamais acquittée, depuis 1962, du paiement d’une redevance domaniale. Enfin, elle a obtenu le remboursement de la taxe foncière afférente à ces immeubles. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier qu’elle ait subi, du fait de la dépossession alléguée, une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec les justifications d’intérêt général sur lesquelles repose la reprise, par l’Etat, des bâtiments en litige.
3. Le préjudice résultant de l’illégalité des permis de construire des installations industrielles et commerciales, accordés sans rechercher la justification d’une autorisation d’occupation du domaine public, ne peut être évalué à la valeur vénale des constructions. Il ne saurait dépasser la valeur non amortie du coût des constructions.
Arrêt 13BX03463 - 1ère chambre - 25 juin 2015 - SARL COUACH
Le pourvoi formé contre cette décision a été rejeté. Arrêt du Conseil d’Etat n°392916 du 20 mars 2017
Vu la requête, enregistrée le 23 décembre 2013, présentée pour la SARL Couach, dont le siège est au 80 avenue du général Leclerc à La Teste de Buch (33260), représentée par son gérant en exercice, par la SCP Marc Levis ;
La SARL Couach demande à la cour :
1°) d’annuler le jugement n° 1104731 du 7 novembre 2013 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l’Etat à lui verser la somme de 10 000 000 euros en réparation de la dépossession des bâtiments qu’elle a construits sur les prés salés Ouest, l’Etat ayant donné à la SARL Grand chantier des prés salés l’autorisation d’occuper ces bâtiments ;
2°) de condamner l’Etat à lui verser la somme de 10 000 000 euros en réparation de son préjudice ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 2 000 euros au titre de l’article L.761 1 du code de justice administrative ;
1. Considérant que par arrêté du 28 juillet 2010, le préfet de la Gironde a autorisé la SARL Grand chantier des prés salés, qui louait depuis 1998 les bâtiments que la SARL Couach avait construits en 1962 et 1965 sur les Prés salés Ouest à La Teste de Buch, à occuper ceux-ci jusqu’au 31 décembre 2011 contre le paiement d’une redevance d’occupation domaniale ; que la SARL Couach, qui se dit propriétaire de ces bâtiments qu’elle a édifiés à ses frais, a demandé au préfet de la Gironde, le 26 juillet 2011, l’indemnisation du préjudice constitué, selon elle, par la dépossession de ces biens ; qu’elle relève appel du jugement n° 1104731 du 7 novembre 2013 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l’Etat à lui verser la somme de 10 000 000 euros en compensation de la valeur vénale des installations industrielles ;
Sur la régularité du jugement :
2. Considérant que le tribunal, après avoir constaté que la question de la propriété revendiquée des consorts Couach sur les parcelles en litige avait été tranchée par la juridiction administrative dans le sens qu’ils ne pouvaient se prévaloir d’aucun droit sur les Prés salés ouest, a estimé que la SARL Couach ne pouvait de ce fait revendiquer la propriété des constructions érigées sur ces terrains, que les permis de construire qu’elle avait obtenus n’avaient d’autre objet que de sanctionner des règles d’urbanisme, et que le paiement d’impôts fonciers et la prise d’hypothèques ne démontraient pas un droit de propriété, a conclu « que la SARL Couach ne saurait enfin et en tout état de cause se prévaloir de la bonne foi de ses dirigeants au sens de l’article 555 du code civil qui n’est pas applicable en l’espèce, alors que le juge administratif a établi depuis plus de 30 ans qu’elle ne pouvait prétendre à aucun droit de propriété sur les Prés salés ouest » ; que la société reproche au tribunal de n’avoir pas explicité les raisons pour lesquelles il a regardé les dispositions de l’article 555 du code civil comme inapplicables en l’espèce, alors qu’il a implicitement fait application de l’article 552 du même code aux termes duquel « La propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous » ;
3. Considérant que l’article 555 du code civil dispose que: « Lorsque les plantations, constructions et ouvrages ont été faits par un tiers et avec des matériaux appartenant à ce dernier, le propriétaire du fonds a le droit, sous réserve des dispositions de l'alinéa 4, soit d'en conserver la propriété, soit d'obliger le tiers à les enlever. / Si le propriétaire du fonds exige la suppression des constructions, plantations et ouvrages, elle est exécutée aux frais du tiers, sans aucune indemnité pour lui ; le tiers peut, en outre, être condamné à des dommages-intérêts pour le préjudice éventuellement subi par le propriétaire du fonds. / Si le propriétaire du fonds préfère conserver la propriété des constructions, plantations et ouvrages, il doit, à son choix, rembourser au tiers, soit une somme égale à celle dont le fonds a augmenté de valeur, soit le coût des matériaux et le prix de la main-d’œuvre estimés à la date du remboursement, compte tenu de l'état dans lequel se trouvent lesdites constructions, plantations et ouvrages. / Si les plantations, constructions et ouvrages ont été faits par un tiers évincé qui n'aurait pas été condamné, en raison de sa bonne foi, à la restitution des fruits, le propriétaire ne pourra exiger la suppression desdits ouvrages, constructions et plantations, mais il aura le choix de rembourser au tiers l'une ou l'autre des sommes visées à l'alinéa précédent. » ;
4. Considérant que dans les motifs rappelés au point 2, les premiers juges ont entendu réserver, par la mention « en tout état de cause » la question de l’applicabilité des dispositions de l’article 555 du code civil à des constructions érigées sur le domaine public, et ont pour l’essentiel opposé à la société Couach une absence de bonne foi dès lors que le juge administratif avait établi depuis plus de 30 ans qu’elle ne pouvait prétendre à aucun droit de propriété sur les Prés salés ouest ; que ce faisant, ils n’ont pas entaché leur jugement d’une insuffisance de motivation de nature à en affecter la régularité ;
Sur le droit à indemnité de la SARL Couach :
En ce qui concerne la méconnaissance d’un droit de propriété sur les terrains:
5. Considérant que la société Couach soutient être propriétaire des parcelles d’assiette des constructions dont elle prétend avoir été dépossédée par l’Etat ;
6. Considérant qu’aux termes de l’article L.2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques : « Le domaine public maritime naturel de L'Etat comprend : 1° Le sol et le sous-sol de la mer entre la limite extérieure de la mer territoriale et, côté terre, le rivage de la mer. / Le rivage de la mer est constitué par tout ce qu'elle couvre et découvre jusqu'où les plus hautes mers peuvent s'étendre en l'absence de perturbations météorologiques exceptionnelles ; (…) ; 3° Les lais et relais de la mer : a) Qui faisaient partie du domaine privé de l'Etat à la date du 1er décembre 1963, sous réserve des droits des tiers ; b) Constitués à compter du 1er décembre 1963 (…). / Les terrains soustraits artificiellement à l'action du flot demeurent compris dans le domaine public maritime naturel sous réserve des dispositions contraires d'actes de concession translatifs de propriété légalement pris et régulièrement exécutés. » ; 7. Considérant que le décret du 14 juin 1859, qui définit les limites du domaine public maritime dans la commune de La Teste-de-Buch, englobe, dans les Prés salés Ouest, les parcelles situées au lieu-dit « Le Lapin Blanc », d’une superficie de 40 015 m² sur lesquelles la société Couach a construit, en 1962 et 1965, des bâtiments industriels, une maison destinée au gardiennage, un poste transformateur, une piscine, des pontons flottants et une cale de mise à l’eau ;
8. Considérant que ce décret portant délimitation du domaine public maritime est un acte déclaratif qui se borne à constater les limites du rivage de la mer, telles qu'elles résultent des phénomènes naturels observés ; qu’eu égard au caractère recognitif d’un tel acte, la délimitation à laquelle il procède peut être contestée à toute époque, contrairement à ce qu’a indiqué le tribunal administratif, alors au surplus que les conditions de publication de ce décret ne ressortent pas des pièces du dossier ; que ses énonciations ne font donc pas obstacle à ce que soit apportée la preuve que les parcelles en cause n’étaient pas comprises dans les limites du domaine public maritime, telles qu'elles sont définies par ces phénomènes naturels ;
9. Considérant qu’afin de contester le classement de son terrain dans le domaine public maritime, la société Couach se borne à soutenir, en se fondant sur le 3ème feuillet remis par la conservation des hypothèques, qu’une partie de ces constructions, et notamment la maison du gardien, est édifiée sur la parcelle FG 129 (anciennement AC 58) que l’Etat aurait lui-même exclue du domaine public maritime ; que cependant, il ressort des pièces du dossier que la parcelle cadastrée AC 58, devenue FG 129, d’une superficie de 152 m², a toujours été incluse dans la parcelle AC 59, devenue FG 130, de 49 108 m², laquelle est comprise dans le domaine public maritime ; qu’en outre, s’il est exact que les parcelles en litige ont été exondées, c’est uniquement en raison de travaux de dragage et de remblaiement réalisés sans aucune concession d’endigage ; qu’en l’absence de documents de nature à établir que les parcelles d’assiette des constructions n’auraient pas été recouvertes par les plus hautes eaux en 1859 et ne le seraient plus désormais sans les travaux entrepris illégalement, la société requérante n’est pas fondée à soutenir que ces parcelles auraient été irrégulièrement incorporées au domaine public maritime ;
10. Considérant ensuite, que la société Couach se prévaut de l’arrêt du 4 juillet 1978 par lequel la cour d’appel de Bordeaux a fait droit à la revendication de propriété exercée sur ces parcelles par la société des moteurs Couach et MM. == en considérant que leurs droits étaient fondés sur des titres de propriété antérieurs à l’édit de Moulins de février 1566 ; que cependant, le Conseil d’Etat et la cour administrative d’appel de Bordeaux, seules juridictions compétentes pour statuer sur l’appartenance d’un bien au domaine public, par des décisions rendues en 1975, 1996 et 1998, ont considéré que ni les lettres patentes du 17 mai 1462 par lesquelles le roi avait concédé à Jehan de Foix, comte de Candale, la propriété utile des « terres et seigneuries du captalat de Buch », ni la « baillette à fief nouveau » consentie le 23 mai 1550 par Frédéric de Foix aux habitants des paroisses de La Teste, Gujan et Cazeau, ne constituent, par eux-mêmes, des titres établissant l’existence de droits de propriété régulièrement acquis antérieurement à l’édit de Moulins sur les parcelles en cause appartenant au domaine public ; que, dans ces conditions, la société Couach n’est pas fondée à soutenir qu’elle serait titulaire de droits réels sur ces parcelles ;
11. Considérant que la société Couach soutient également que l'Etat ne s'est jamais comporté en propriétaire de ces parcelles dans la mesure où il n'a jamais pris la moindre initiative pour reprendre possession de celles-ci, ni ne lui a ordonné de démonter les installations qu’elle avait réalisées ; que cependant, le domaine public est imprescriptible en vertu de l’article L.3111 1 du code général de la propriété des personnes publiques, et les circonstances invoquées sont sans incidence sur la domanialité publique des parcelles ;
12. Considérant que la circonstance que la société requérante ait été assujettie au paiement de la taxe foncière est en tout état de cause sans incidence sur l’appartenance desdites parcelles au domaine public ; que la mention sur les avis d’imposition d’une qualité de propriétaire ne saurait suffire à conférer cette qualité à la personne désignée comme redevable ; que si l'article 1400 du code général des impôts prévoit que cette taxe est payée par le propriétaire ou par le titulaire de l’autorisation d’occupation temporaire du domaine public disposant de droits réels, l’assujettissement à cette taxe de la société Couach n’est pas en lui-même une preuve de l’existence de droits réels ; qu’enfin, la société Couach a reconnu avoir obtenu le remboursement de la taxe foncière dont elle s’était acquittée concernant les immeubles en litige ;
13. Considérant enfin que la circonstance que l’acquisition de ces parcelles ait donné lieu au paiement de droits de mutation à l’Etat, que la société n’ait pas été assujettie au paiement d’une redevance d’occupation temporaire, et le fait qu’elle ait obtenu de l’Etat des permis de construire sur ces parcelles ne sont pas de nature à caractériser un déclassement desdites parcelles et sont, par suite, sans incidence sur leur appartenance au domaine public ; qu’est également sans incidence le fait que l’emprunt qu’elle avait souscrit afin de réaliser ces constructions ait été garanti par une hypothèque sur lesdites parcelles ;
En ce qui concerne la méconnaissance d’un droit de propriété sur les immeubles :
14. Considérant en premier lieu, que la société se prévaut, alors même qu’elle ne serait pas propriétaire des terrains, de la propriété des constructions qu’elle y a édifiées ; qu’aux termes de l’article L.2122-6 du code général de la propriété des personnes publiques, issu de la loi n° 94-631 du 25 juillet 1994 relative à la constitution de droits réels sur le domaine public : « Le titulaire d'une autorisation d'occupation temporaire du domaine public de l'Etat a, sauf prescription contraire de son titre, un droit réel sur les ouvrages, constructions et installations de caractère immobilier qu'il réalise pour l'exercice d'une activité autorisée par ce titre. / Ce droit réel confère à son titulaire, pour la durée de l'autorisation et dans les conditions et les limites précisées dans le présent paragraphe, les prérogatives et obligations du propriétaire. / Le titre fixe la durée de l'autorisation, en fonction de la nature de l'activité et de celle des ouvrages autorisés, et compte tenu de l'importance de ces derniers, sans pouvoir excéder soixante-dix ans. » ; qu’en vertu de l’article 28 du décret n°55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière : « Sont obligatoirement publiés au service chargé de la publicité foncière de la situation des immeubles : 1° Tous actes, même assortis d'une condition suspensive, et toutes décisions judiciaires, portant ou constatant entre vifs : (…) c) Titre d'occupation du domaine public de l'Etat ou d'un de ses établissements publics constitutif d'un droit réel immobilier délivré en application des articles L. 34-1 à L. 34-9 du code du domaine de l'Etat et de l'article 3 de la loi n° 94-631 du 25 juillet 1994 ainsi que cession, transmission ou retrait de ce titre (…) » ;
15. Considérant d’une part, que pour établir qu’elle disposait de droits réels sur les constructions qu’elle avait édifiées sur les parcelles en litige, la société Couach fait valoir que l’Etat ne lui a jamais demandé de libérer les lieux, lui reconnaissant ainsi le droit d’occuper ces terrains depuis des décennies ; que cependant, nul ne peut, sans disposer d'un titre l'y habilitant, occuper une dépendance du domaine public ; qu'eu égard aux exigences qui découlent tant de l'affectation normale du domaine public que des impératifs de protection et de bonne gestion de ce domaine, l'existence de relations contractuelles en autorisant l’occupation privative ne peut se déduire de sa seule occupation effective, même si celle-ci a été tolérée par l’autorité gestionnaire et a donné lieu au versement de redevances domaniales ; qu'en conséquence, une convention d'occupation du domaine public ne peut être tacite et doit revêtir un caractère écrit ; que, dans ces conditions, la requérante ne pouvait être regardée, contrairement à ce qu’a estimé le tribunal administratif, comme disposant d’une autorisation d’occuper ces parcelles appartenant au domaine public maritime ; que la société Couach ne saurait dès lors prétendre détenir des droits réels sur les constructions qu’elle a édifiées sur ce domaine qu’elle occupait de manière irrégulière ; qu’elle ne peut par suite être regardée comme propriétaire de ces constructions ; qu’enfin, les circonstances que ces constructions aient fait l’objet d’hypothèques et que cette société se soit acquittée de l’impôt foncier sur celles-ci sont sans incidence sur l’appartenance de ces constructions au domaine public ;
16. Considérant d’autre part, que la société Couach n’ayant jamais été titulaire d’une autorisation d’occuper les Prés salés Ouest, elle ne saurait utilement soutenir que la décision du 28 juillet 2010 par laquelle l’Etat a accordé à la SARL Grand chantier des prés salés l’autorisation d’occuper ces mêmes parcelles aurait abrogé la prétendue autorisation d’occupation dont elle-même bénéficierait depuis des décennies ; qu’elle ne saurait dès lors contester la légalité de cette décision ni reprocher à l’administration de ne pas la lui avoir notifiée ; qu’enfin, contrairement à ce que soutient la requérante, la décision du 28 juillet 2010 ne conférant à son titulaire aucun droit réel prévu par les articles L.2122-6 à L.2122-12 du code général de la propriété des personnes publiques, elle n'avait pas, en tout état de cause, à être publiée au fichier immobilier en vertu de l’article 28 précité du décret du 4 janvier 1955 ;
17. Considérant en deuxième lieu, qu’aux termes de l’article L.2122-9 du code général de la propriété des personnes publiques : « A l'issue du titre d'occupation, les ouvrages, constructions et installations de caractère immobilier existant sur la dépendance domaniale occupée doivent être démolis soit par le titulaire de l'autorisation, soit à ses frais, à moins que leur maintien en l'état n'ait été prévu expressément par le titre d'occupation ou que l'autorité compétente ne renonce en tout ou partie à leur démolition. / Les ouvrages, constructions et installations de caractère immobilier dont le maintien à l'issue du titre d'occupation a été accepté deviennent de plein droit et gratuitement la propriété de l'Etat, francs et quittes de tous privilèges et hypothèques. / Toutefois, en cas de retrait de l'autorisation avant le terme prévu, pour un motif autre que l'inexécution de ses clauses et conditions, le titulaire est indemnisé du préjudice direct, matériel et certain né de l'éviction anticipée. Les règles de détermination de l'indemnité peuvent être précisées dans le titre d'occupation. Les droits des créanciers régulièrement inscrits à la date du retrait anticipé sont reportés sur cette indemnité (…). » ; 18. Considérant que la société Couach se prévaut d’un droit de superficie inspiré de l’article 555 du code civil sur les constructions en litige ; que cependant, les dispositions précitées du code général de la propriété des personnes publiques n’autorisent la reconnaissance d’un droit réel que lorsqu’il est prévu par un titre d’occupation du domaine public ; que, par suite, elles font obstacle à ce que soit reconnue, en-dehors de cette hypothèse, l’existence d’un droit réel sur les constructions édifiées sur le domaine public ; qu’ainsi, les dispositions de l’article 555 du code civil ne sont pas applicables au domaine public ;
En ce qui concerne l’atteinte à un bien au sens de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : 19. Considérant que la société Couach fait valoir qu’elle a été dépossédée des immeubles qu’elle a construits sur les Prés salés Ouest, en violation de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales selon lequel : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général » ;
20. Considérant que la notion de bien évoquée par l’alinéa 1er de l’article précité a une portée autonome qui ne se limite pas à la propriété des biens corporels et qui est indépendante des qualifications formelles du droit interne ; que cette notion recouvre notamment les créances en vertu desquelles le requérant peut prétendre avoir au moins une espérance légitime et raisonnable d’obtenir la jouissance effective d’un droit de propriété ; que si les principes d’imprescriptibilité et d’inaliénabilité du domaine public ne permettent pas de caractériser une privation de propriété au sens des stipulations précitées, ils ne sauraient faire obstacle à ce que soit caractérisée l’existence d’un « bien » au sens de ces stipulations (CESDH, Öneryildiz c. Turquie, 30 novembre 2004, n° 48939/99) ; que le régime juridique du domaine public répond à un but d’intérêt général qui consiste, s’agissant du domaine public maritime, en la protection du rivage de la mer et plus généralement, de l’environnement ; que l’ingérence de l’Etat poursuit ainsi un but légitime ; que toutefois, en vertu des principes énoncés par l’article 1er du protocole précité, une mesure d’ingérence doit ménager un « juste équilibre » entre les impératifs de l’intérêt général et ceux de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu ; que cet équilibre n’est rompu que si la personne concernée a eu à subir une charge spéciale et exorbitante (CESDH, Depalle c. France, 29 mars 2010, n° 34044/02) ;
21. Considérant que l’obtention de bonne foi par la société Couach de permis de construire délivrés par l’Etat en 1962 et 1965 a fait naître à son profit un intérêt patrimonial à jouir des constructions qu’elle a édifiées sur les Prés salés Ouest ; que cet intérêt est suffisamment important pour constituer un « bien » au sens de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme ; que cependant, si l’Etat a délivré ces autorisations de construire, il a ensuite, depuis 1968, multiplié les procédures de contravention de grande voirie à l’encontre de cette société et ne saurait ainsi être regardé comme ayant contribué à entretenir l’incertitude sur la situation juridique des parcelles d’assiette de ces constructions ; que dans ces conditions, si la société Couach a pu jouir de ces immeubles durant une longue période, ce n’est pas du fait d’une négligence des autorités étatiques mais plutôt d’une tolérance de la poursuite de l’occupation ; que si l’Etat a mis fin à cette tolérance, c’est en vue de faire prévaloir le caractère précaire des autorisations d’occupation du domaine public maritime pour permettre une meilleure gestion de ce domaine ; que cependant, et ainsi qu’il a été dit au point précédent, l’intérêt général qui s’attache à la préservation du domaine public ne fait pas obstacle à ce que la société Couach puisse être indemnisée si elle démontrait l’existence d’une charge spéciale et exorbitante du fait de la dépossession des bâtiments qu’elle a édifiés sur ce domaine ;
22. Considérant cependant, qu’il ressort des pièces du dossier que la société Couach a pu, jusqu’en 2010, soit durant plus de quarante-cinq ans, exploiter les bâtiments en litige directement ou en bénéficiant des revenus tirés de la location de ceux-ci à d’autres sociétés ; qu’il est en outre constant que cette société ne s’est jamais acquittée, depuis 1962, du paiement d’une redevance domaniale ; qu’enfin, elle a obtenu le remboursement de la taxe foncière afférente à ces immeubles ; que, dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que la société Couach ait subi, du fait de la dépossession alléguée, une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec les justifications d’intérêt général sur lesquelles repose la reprise, par l’Etat, des bâtiments en litige ; que, par suite, et sans qu’il soit besoin d’ordonner l’expertise sollicitée et portant uniquement sur la détermination de la valeur vénale des immeubles en litige, ses conclusions fondées sur les stipulations précitées de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne peuvent être accueillies ;
En ce qui concerne l’illégalité des permis de construire :
23. Considérant que la délivrance de permis de construire sur le domaine public est subordonnée à la détention, par le pétitionnaire, d’une autorisation d’occupation temporaire de ce domaine ; qu’il est constant que le préfet de la Gironde a délivré à la société requérante, en 1962 et 1965, des permis de construire les bâtiments en litige sans s’être assuré que cette société disposait d’une autorisation d’occuper les Prés salés Ouest, et alors qu’il ne pouvait ignorer, en qualité de gestionnaire du domaine public maritime, que les parcelles d’assiette du projet appartenaient audit domaine ; qu’en délivrant ces autorisations de construire à la société Couach, laquelle ne pouvait ainsi être regardée comme le propriétaire apparent des parcelles d’assiette du projet, l’Etat a commis une faute de nature à engager sa responsabilité envers la bénéficiaire de ces permis de construire ; qu’eu égard aux titres de propriété datés de 1960 et 1961 dont disposait la société Couach, qui mentionnaient sous réserves que l’Etat avait renoncé, en 1878, à revendiquer les prés salés, et alors que des poursuites pour contravention de grande voirie n’ont été engagées à l’encontre de cette société qu’après 1968, cette dernière doit être regardée comme étant de bonne foi lorsqu’elle a présenté ces demandes de permis de construire et n’a ainsi commis aucune faute de nature à exonérer l’Etat de sa responsabilité ; que si la société Couach est ainsi fondée à engager la responsabilité de l’Etat du fait de l’illégalité de ces permis de construire, elle s’est bornée à solliciter, sur ce fondement, l’indemnisation de la valeur vénale des immeubles ; que n’étant pas, ainsi qu’il a été dit, propriétaire de ces immeubles, dont elle ne peut ainsi disposer, elle ne saurait se prévaloir de leur valeur vénale ; que l’illégalité de ces autorisations de construire ne lui permettait pas en l’espèce de solliciter une indemnité supérieure à la valeur non amortie du coût des constructions ; qu’elle n’allègue pas avoir subi un préjudice à ce titre ; que, par suite, ses conclusions indemnitaires doivent être rejetées ;
24. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la société Couach n’est pas fondée à se plaindre de ce que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande indemnitaire ;
Sur les conclusions subsidiaires tendant à la condamnation de l’Etat au remboursement des taxes foncières et à la restitution des matériels abrités par les constructions :
25. Considérant que par son mémoire enregistré le 15 mai 2015, la société Couach s’est désistée purement et simplement de ces conclusions dès lors que l’administration y a fait droit ; que rien ne fait obstacle à ce qu’il lui en soit donné acte ;
Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L.761-1 du code de justice administrative :
26. Considérant qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées par les parties en application de ces dispositions ;
DECIDE :
Article 1er : Il est donné acte du désistement de la société Couach de ses conclusions tendant à la condamnation de l’Etat d’une part, à lui rembourser les taxes foncières qu’elle avait acquittées concernant les immeubles en litige et d’autre part, à lui restituer le matériel abrité par ces constructions.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Couach est rejeté.
Article 3 : Les conclusions présentées par le ministre des finances et des comptes publics tendant à l’application de l’article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.