Protection de l’ours brun dans les Pyrénées françaises
Par mariecath le vendredi 11 avril 2014, 10:39 - ENVIRONNEMENT - Lien permanent
Le préfet de l’Ariège a, par un arrêté du 23 mai 2011, fixé les dates d’ouverture et de clôture de la chasse pour la campagne 2011-2012 dans le département. L’article 3 de l’arrêté autorise notamment la chasse en battue du sanglier, entre le 3 septembre 2011 et le 29 janvier 2012, sur toute la zone de montagne et l’article 8 édicte des mesures complémentaires en vue d’assurer la protection de l’ours brun des Pyrénées. Il ressort des pièces du dossier que la chasse en battue du sanglier, autorisée dans un territoire fréquenté par l’ours brun, est de nature à perturber ce dernier durant ses périodes de pré-hibernation automnale et même d’hibernation, au cours desquelles il a besoin de pouvoir, en toute quiétude, se constituer des réserves suffisantes, ainsi qu’une zone de tanière. Si l’article 8 de l’arrêté 23 mai 2011 prévoit, pendant la période de la chasse en battue du sanglier, des mesures en vue d’assurer la protection de l’ours, ces mesures, initiées par les seuls chasseurs ou leurs représentants, n'instaurent pas une protection stricte de l'espèce et sont insuffisantes pour lui éviter toute perturbation intentionnelle, notamment tout endommagement de ses aires de vie. Il s'ensuit que les articles 3 et 8 de l'arrêté attaqué méconnaissent tant l’article L. 411-1 du code de l’environnement que les objectifs de la directive du Conseil n° 92/43/CEE du 21 mai 1992.
Arrêt 12BX00391 - 12BX00392 - 5ème chambre - 9 avril 2014 - Ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie
Vu, I, sous le n° 12BX00391, le recours enregistré sous forme de télécopie le 17 février 2012 et régularisée par courrier le 21 février 2012, présenté par le ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement ;
Le ministre demande à la cour :
1°) d’annuler le jugement n° 1103402 du 16 décembre 2011 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a annulé les articles 3 et 8 de l’arrêté du préfet de l’Ariège du 23 mai 2011 relatif à l’ouverture et la clôture de la chasse pour la campagne 2011/2012 sur le territoire de l’Ariège, en tant qu’ils prennent des mesures de protection insuffisantes de l’ours et, notamment, autorisent la chasse en battue dans des zones où la présence répétée de l’ours a été signalée au cours de l’année précédente ;
2°) de rejeter la demande présentée par l’association Férus et le comité écologique ariégeois devant le tribunal administratif ;
Vu, II, sous le n° 12BX00392, la requête enregistrée sous forme de télécopie le 17 février 2012 et régularisée par courrier le 20 février 2012, présentée pour la fédération départementale des chasseurs de l’Ariège, par Me Lagier, avocat ;
La fédération départementale des chasseurs de l’Ariège demande à la cour :
1°) d’annuler le jugement n° 1103402 du 16 décembre 2011 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a annulé les articles 3 et 8 de l’arrêté du préfet de l’Ariège du 23 mai 2011 relatif à l’ouverture et la clôture de la chasse pour la campagne 2011/2012 sur le territoire de l’Ariège, en tant qu’ils prennent des mesures de protection insuffisantes de l’ours et, notamment, autorisent la chasse en battue dans des zones où la présence répétée de l’ours a été signalée au cours de l’année précédente ;
2°) de rejeter la demande présentée par l’association Férus et le comité écologique ariégeois devant le tribunal administratif ;
3°) de mettre à la charge de l’association Férus et du comité écologique ariégeois une somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
1. Considérant que le recours n° 12BX00391 présenté par le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie et la requête n° 12BX00392 présentée pour la fédération départementale des chasseurs de l’Ariège sont dirigés contre le même jugement du tribunal administratif de Toulouse ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;
2. Considérant que par un arrêté du 23 mai 2011, le préfet de l’Ariège a fixé les dates d’ouverture et de clôture de la chasse pour la campagne 2011-2012 dans ledit département ; qu’à ce titre, l’article 3 de l’arrêté autorise notamment la chasse en battue du sanglier, entre le 3 septembre 2011 et le 29 janvier 2012, sur toute la zone de montagne et l’article 8 édicte des mesures complémentaires en vue d’assurer la protection de l’ours brun des Pyrénées ; que les associations Férus et comité écologique ariégeois ont demandé l’annulation de cet arrêté auprès du tribunal administratif de Toulouse, lequel, par un jugement du 16 décembre 2011, a annulé les articles 3 et 8 de l’arrêté du 23 mai 2011 « en tant qu’ils prennent des mesures de protection insuffisantes de l’ours et notamment qu’ils autorisent la chasse en battue dans des zones où la présence répétée de l’ours a été signalé au cours de l’année précédente », condamné l’Etat à verser aux deux associations une somme de 1 200 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus de la demande de ces dernières ; que le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie et la fédération départementale des chasseurs de l’Ariège interjettent appel de ce jugement ;
Sur la requête de la fédération départementale des chasseurs de l’Ariège :
3. Considérant que l’introduction d’une intervention n’est subordonnée à d’autre condition de délai que celle découlant de l’obligation pour l’intervenant d’agir avant la clôture de l’instruction ; que, devant les tribunaux administratifs, cette dernière résulte de la date limite fixée par l’ordonnance de clôture ou, à défaut d’une telle ordonnance, dépend, soit de la présentation par les parties de leurs observations orales, soit de l’appel de l’affaire à l’audience ; qu’en l’espèce, il ressort des pièces du dossier que la fédération départementale des chasseurs de l’Ariège a produit des mémoires en intervention en défense, qui ont été enregistrés au greffe du tribunal de Toulouse les 9 et 15 novembre 2011, soit postérieurement à la clôture de l’instruction fixée au 28 octobre 2011 ; que, dans ces conditions, elle ne peut être regardée comme étant intervenue à l’instance ; que, dès lors, son appel formé contre le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 16 décembre 2011 n’est pas recevable ;
Sur le recours du ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie :
En ce qui concerne la régularité du jugement :
4. Considérant que pour appliquer à la chasse en battue le qualificatif d’acte de « perturbation intentionnelle » de l’ours brun au sens de l’article 12 de la directive n° 82/43/CEE du 21 mai 1992 susvisée et de l’article L. 411-1 du code de l’environnement, le tribunal administratif de Toulouse, se fondant sur les pièces du dossier et aussi, partiellement, sur une absence de contestation sérieuse en défense, a tout d’abord relevé l’importante présence de l’ours brun, classée en danger critique d’extinction, dans le département de l’Ariège et, partant, la particulière importance de le protéger pour en assurer la survie, et ensuite constaté que le mode de chasse en cause était très perturbant pour l’espèce, notamment en période de pré-hibernation et d’hibernation et qu’il pouvait l’exposer, comme en attestait différents faits survenus dans le passé, à un risque de mort ou de blessure ; que le tribunal, qui n’avait pas, contrairement à ce que soutient le ministre, à rechercher l’existence d’une intention « dolosive » de perturbation de l’ours brun, a ainsi suffisamment motivé son jugement sur ce point ;
En ce qui concerne la légalité de l’arrêté du 23 mai 2011 :
5. Considérant qu’aux termes de l’article 12 de la directive du Conseil n° 92/43/CEE du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, dite « habitats » : « 1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l’annexe IV point a), dans leur aire de répartition naturelle, interdisant :/ (…) b) la perturbation intentionnelle de ces espèces notamment durant la période de reproduction, de dépendance, d’hibernation et de migration ; / (…) 4. Les États membres instaurent un système de contrôle des captures et mises à mort accidentelles des espèces animales énumérées à l’annexe IV point a). Sur la base des informations recueillies, les États membres entreprennent les nouvelles recherches ou prennent les mesures de conservation nécessaires pour faire en sorte que les captures ou mises à mort involontaires n’aient pas une incidence négative importante sur les espèces en question. » ; que l’espèce « ursus arctos », ou ours brun, figure parmi les espèces « d’intérêt communautaire » nécessitant une protection stricte énumérées à l’annexe IV de la directive « habitats » ; qu’il appartient aux autorités administratives nationales, sous le contrôle du juge, d’exercer les pouvoirs qui leur sont conférés par la loi en leur donnant, dans tous les cas où elle se trouve dans le champ d’application d’une règle communautaire, une interprétation qui soit conforme au droit communautaire ;
6. Considérant qu’aux termes de l’article L. 411-1 du code de l’environnement résultant de la transposition des dispositions de l'article 12 précité de la directive 92/43/CEE du 21 mai 1992. : " I. Lorsqu’un intérêt scientifique particulier ou que les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation (...), d’espèces animales non domestiques (…) et de leurs habitats, sont interdits : / 1° (…) la mutilation, (…) la destruction, la capture ou l’enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d’animaux de ces espèces (…) "/; qu’aux termes de l’arrêté interministériel du 23 avril 2007 fixant la liste des mammifères terrestres protégés sur l’ensemble du territoire et les modalités de leur protection, dans sa rédaction applicable à l’espèce, l’ours brun fait partie des espèces de mammifères pour lesquels « I. - Sont interdits sur tout le territoire métropolitain et en tout temps la destruction, la mutilation, la capture ou l’enlèvement, la perturbation intentionnelle des animaux dans le milieu naturel. / II. - Sont interdites sur les parties du territoire métropolitain où l’espèce est présente, ainsi que dans l’aire de déplacement naturel des noyaux de populations existants, la destruction, l’altération ou la dégradation des sites de reproduction et des aires de repos des animaux. Ces interdictions s’appliquent aux éléments physiques ou biologiques réputés nécessaires à la reproduction ou au repos de l’espèce considérée, aussi longtemps qu’ils sont effectivement utilisés ou utilisables au cours des cycles successifs de reproduction ou de repos de cette espèce et pour autant que la destruction, l’altération ou la dégradation remette en cause le bon accomplissement de ces cycles biologiques. / (…) » ;
7. Considérant que l’arrêté contesté du 23 mai 2011 prévoit en son article 8 que: « En cas de détection de la présence d’un ours par un chasseur (…) celle-ci devra être immédiatement signalée au président de l’ACCA association communale de chasse agr... ou de la société de chasse locale. En complément, l’équipe ours de l’office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) signalera au président toute présence ou indices de présence portés à sa connaissance et validés par elle. Sur la base de ces informations, le président devra immédiatement prendre les mesures appropriées pour éviter tout accident vis-à-vis de l’ours, dont la suspension immédiate de la chasse en battue avec des chiens pour une durée de 48 heures à compter de la détection, dans un secteur arrêté par ses soins. / Le président de l’ACCA ou de la société de chasse locale informe les chasseurs susceptibles de fréquenter le secteur des mesures prises. Il prévient également sans délai l’équipe technique ours de l’office national de la chasse et de la faune sauvage (…) des informations recueillies (…) et des mesures prises. L’équipe ours et le service départemental de l’ONCFS pourront apporter aux chasseurs en tant que de besoin, leur connaissance du terrain et leur appui technique (…). / Par ailleurs, à l’initiative de la fédération départementale des chasseurs, des réunions spécifiques d’information sont organisées avec l’ONCFS à l’intention des présidents des associations de chasse dont les territoires sont situés dans une zone de présence régulière et occasionnelle de l’ours (…). / Une évaluation de l’efficacité du dispositif mis en place sera réalisée à l’issue de la campagne 2009/2010, sur la base notamment d’un bilan des mesures prises préparé par la fédération départementale des chasseurs. » ;
8. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier, et en particulier du plan de restauration et de conservation de l’ours brun dans les Pyrénées françaises pour la période 2006 à 2009, que la population d’ours pyrénéens, qui était de l’ordre de cent cinquante au début du vingtième siècle, puis estimée à environ soixante-dix en 1954, a connu une forte chute de telle sorte qu’elle était évaluée à la fin des années 1980 à sept ou huit individus regroupés dans la partie occidentale du massif pyrénéen ; que des mesures de réintroduction ont été réalisées en 1996 et 1997 portant sur deux femelles et un mâle capturés en Slovénie ; qu’en 2010, étaient dénombrés dix-neuf ours bruns pour l’ensemble des Pyrénées, dont quatorze dans la partie ariégeoise du massif pyrénéen ; qu’il ressort, par ailleurs, de la cartographie des indices de présence de l’ours en période de chasse entre 1996 et 2008, réalisée en 2009 par la direction départementale de l’équipement et de l’agriculture de l’Ariège, que les sites vitaux de cette population, classée au niveau national en danger critique d’extinction et particulièrement protégée, ne se cantonnent pas, dans le département, aux réserves de chasse, 80 % des couches diurnes identifiées et près de 70 % des indices de présence répertoriés étant en particulier situés en dehors de ces réserves ; que c’est dans ce contexte que, par l’article 3 de l’arrêté contesté du 23 mai 2011, le préfet de l’Ariège, a, dans toute la zone de montagne du département, pour une période de près de cinq mois comprise entre le 3 septembre 2011 et le 29 janvier 2012, notamment autorisé la chasse en battue du sanglier ; que, toutefois, il ressort des pièces du dossier que ce mode de chasse, autorisée dans un territoire fréquenté par l’ours brun, est de nature à perturber ce dernier durant ses périodes de pré-hibernation automnale et même d’hibernation, au cours desquelles il a besoin de pouvoir, en toute quiétude, se constituer des réserves suffisantes, ainsi qu’une zone de tanière ; qu’il est par ailleurs avéré que dans l’ensemble du massif pyrénéen, alors que trois ours ont été accidentellement abattus et que trois autres ont été blessés depuis 1994 du fait de tirs de chasseurs, le mode de chasse en cause constitue une source de danger pour l’intégrité physique et la vie des ours bruns, dont chaque mort accidentelle a, compte tenu de l’effectif total de la population, nécessairement une incidence négative importante sur la survie de l’espèce ; que si le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie fait valoir que la chasse, notamment en battue, constitue tant une tradition culturelle dans le département qu’une nécessité économique liée à la prolifération des sangliers, il n’est pas établi qu’un équilibre satisfaisant entre les intérêts publics en présence ne pourrait être trouvé, alors que les associations Férus et comité écologique ariégeois ont invoqué la possibilité, non sérieusement contestée, de développer d’autres modes de chasse du sanglier ou encore de limiter l’activité sur des sites répertoriés, compte tenu notamment de la végétation qui s’y trouve et des indices de présence constatées antérieurement, comme non fréquentés par l’espèce ursine ; que si l’article 8 précité de l’arrêté contesté prévoit des mesures complémentaires à l’autorisation de chasse en battue en vue d’assurer la protection de l’ours, ces mesures, initiées par les seuls chasseurs ou leur représentants n'instaurent pas une protection stricte de l'espèce et sont insuffisantes pour lui éviter toute perturbation intentionnelle pendant les périodes considérées, notamment, tout endommagement de ses aires de vie ; qu'il s'ensuit que les articles 3 et 8 de l'arrêté attaqué méconnaissent, ainsi que l’a jugé le tribunal, tant l’article L. 411-1 du code de l’environnement que les objectifs de la directive du Conseil n° 92/43/CEE du 21 mai 1992 ;
9. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a partiellement fait droit à la demande des associations Férus et comité écologique ariégeois en annulant les articles 3 et 8 de l’arrêté du préfet de l’Ariège du 23 mai 2011 en tant que ces articles ne prévoyaient pas de mesures suffisantes de protection de l’ours brun contre les activités cynégétiques et notamment en tant qu’ils autorisaient la chasse en battue dans les zones où la présence répétée de l’ours avait été signalée au cours de l’année précédente ;
En ce qui concerne les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Considérant qu’il y a seulement lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de ces dispositions, et de mettre à la charge de l’Etat une somme globale de 1 500 euros à verser aux associations Férus et comité écologique ariégeois au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le recours n° 12BX00391 du ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie est rejeté.
Article 2 : La requête n° 12BX00392 de la fédération départementale des chasseurs de l’Ariège est rejetée.
Article 3 : L’Etat versera aux associations Férus et comité écologique ariégeois la somme globale de 1 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions des associations Férus et comité écologique ariégeois tendant à l'application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative dirigées contre la fédération départementale des chasseurs de l’Ariège sont rejetées.