Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. Eric B==, M. Emmanuel D==, M. Ludovic L==, Mme Carole P==, M. Laurent R==, M. Lyazid S==, M. Patrick S== et M. Marc V== ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux d’annuler la décision du 24 octobre 2017 par laquelle l’unité départementale de la Gironde de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) de la Nouvelle Aquitaine a homologué le document unilatéral portant plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) de la SAS Tissot Industrie.

Par un jugement n° 1705296 du 12 mars 2018, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 21 mars et 27 avril 2018, M. Eric B==, M. Emmanuel D==, M. Ludovic L==, Mme Carole P==, M. Laurent R==, M. Lyazid S==, M. Patrick S== et M. Marc V==, ayant désigné M. B== comme représentant unique, représentés par Me Fiscel, demandent à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 12 mars 2018 ;

2°) d’annuler la décision du 24 octobre 2017 susmentionnée ;

3°) de mettre à la charge solidaire de la SAS Tissot Industrie et de l’Etat la somme de 600 euros à verser à chacun d’entre eux, sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Considérant ce qui suit :

1. Le 24 juillet 2017, la société par actions simplifiée (SAS) Tissot industrie, membre du groupe Tissot, intervenant dans les domaines de la fabrication et le montage sur site de réservoirs de stockage de produits liquides ou gazeux, la chaudronnerie lourde et moyenne sur plans, la construction navale et la maintenance industrielle a notifié à l’administration du travail un projet de licenciement collectif pour motif économique des 17 salariés affectés dans son établissement situé à Petit-Couronne, dans le département de Seine-Maritime (76650), dont elle envisageait la fermeture, en considération des difficultés économiques persistantes qu’elle rencontrait depuis l’année 2010, pour des raisons tant conjoncturelles que structurelles, en dépit des mesures de réorganisation mises en œuvre. A la suite de divers échanges avec l’administration et des avis favorables rendus respectivement les 1er septembre 2017 par son comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) puis le 21 septembre 2017 par son comité d’entreprise, la SAS Tissot industrie a saisi, le 26 septembre suivant, l’unité départementale de la Gironde de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) de Nouvelle-Aquitaine en vue de l’homologation du document unilatéral élaboré par ses soins sur le fondement de l’article L. 1233-24-4 du code du travail. Par une décision du 24 octobre 2017, le directeur de l’unité départementale de la Gironde a homologué le document unilatéral ainsi présenté. M. Eric B==, M. Emmanuel D==, M. Ludovic L==, Mme Carole P==, M. Laurent R==, M. Lyazid S==, M. Patrick S== et M. Marc V==, salariés de l’agence de Petit-Couronne tous concernés par la mise en œuvre de ce plan de sauvegarde de l’emploi et la fermeture du site, relèvent appel du jugement du 12 mars 2018 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande tendant à l’annulation de cette décision du 24 octobre 2017.

Sur les conclusions aux fins d’annulation :

2. Aux termes de l’article L. 1233-61 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 : « Dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciement concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, l'employeur établit et met en oeuvre un plan de sauvegarde de l'emploi pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre. (…) ». Aux termes de l’article L. 1233-24-1 de ce code : « Dans les entreprises de cinquante salariés et plus, un accord collectif peut déterminer le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi mentionné aux articles L. 1233-61 à L. 1233-63 ainsi que les modalités de consultation du comité d'entreprise et de mise en œuvre des licenciements. (…). ». En vertu de l’article L. 1233-24-4 dudit code : « A défaut d'accord mentionné à l'article L. 1233-24-1, un document élaboré par l'employeur après la dernière réunion du comité d'entreprise fixe le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi et précise les éléments prévus aux 1° à 5° de l'article L. 1233-24-2, dans le cadre des dispositions légales et conventionnelles en vigueur. ». Aux termes de l’article L. 1233-57-1 de ce même code : « L'accord collectif majoritaire mentionné à l'article L. 1233-24-1 ou le document élaboré par l'employeur mentionné à l'article L. 1233-24-4 sont transmis à l'autorité administrative pour validation de l'accord ou homologation du document. ». Aux termes de l’article L. 1233-57-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable aux faits de l’espèce : « En l'absence d'accord collectif ou en cas d'accord ne portant pas sur l'ensemble des points mentionnés aux 1° à 5° de l'article L. 1233-24-2, l'autorité administrative homologue le document élaboré par l'employeur mentionné à l'article L. 1233-24-4, après avoir vérifié la conformité de son contenu aux dispositions législatives et aux stipulations conventionnelles relatives aux éléments mentionnés aux 1° à 5° de l'article L. 1233-24-2, la régularité de la procédure d'information et de consultation du comité d'entreprise et, le cas échéant, du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail et de l'instance de coordination mentionnée à l'article L. 4616-1, le respect, le cas échéant, des obligations prévues aux articles L. 1233-57-9 à L. 1233-57-16, L. 1233-57-19 et L. 1233-57-20 et le respect par le plan de sauvegarde de l'emploi des articles L. 1233-61 à L. 1233-63 en fonction des critères suivants : 1° Les moyens dont disposent l'entreprise, l'unité économique et sociale et le groupe ; / 2° Les mesures d'accompagnement prévues au regard de l'importance du projet de licenciement ; / 3° Les efforts de formation et d'adaptation tels que mentionnés aux articles L.1233-4 et L. 6321-1. (…). ». Enfin, l’article L. 1233-57-4 de ce même code dispose : « (…) / La décision prise par l'autorité administrative est motivée. (…) ».

3. D’une part, lorsque – comme tel est le cas en l’espèce – l'administration homologue la décision de l'employeur fixant le PSE, il lui appartient, sans prendre nécessairement parti sur le respect de chacune des règles dont il lui revient d'assurer le contrôle, de faire en sorte que les personnes, autres que l'employeur, auxquelles est notifiée cette décision favorable à ce dernier, puissent à sa seule lecture en connaître les motifs. A ce titre, elle doit faire figurer dans la motivation de sa décision les éléments essentiels de son examen et, notamment, ceux relatifs à la régularité de la procédure d'information et de consultation des instances représentatives du personnel, ceux tenant au caractère suffisant des mesures contenues dans le plan au regard des moyens de l'entreprise et, le cas échéant, de l'unité économique et sociale ou du groupe, ainsi que ceux relatifs à la recherche, par l'employeur, des postes de reclassement. Pour l'application des dispositions de l'article L. 1233-57-3 du code du travail, les moyens du groupe s'entendent des moyens, notamment financiers, dont dispose l'ensemble des entreprises placées sous le contrôle d'une même entreprise dominante dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce, ainsi que de ceux dont dispose cette entreprise dominante, quel que soit le lieu d'implantation du siège de ces entreprises. D’autre part, dans l’hypothèse où une décision d'homologation d'un plan de sauvegarde de l'emploi est entachée d'une erreur de droit à défaut pour l’administration du travail d'avoir pris en compte les moyens du groupe auquel appartient la société pour apprécier le caractère suffisant des mesures contenues dans le plan, il n'appartient pas au juge de l'excès de pouvoir, après avoir relevé que l'administration a ainsi méconnu les dispositions de l'article L. 1233 57 3 du code du travail, d'opérer lui-même ce contrôle (CE, 387448, B, 13 juillet 2016, Société PIM Industries et autre - Ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social).

4. La décision contestée du 24 octobre 2017, qui vise les dispositions du code du travail applicables en l’espèce, indique qu’a été examiné le « document unilatéral déposé le 26 septembre 2017 avec l’avis du comité d’entreprise, document qui prévoit, outre le contrat de sécurisation professionnelle (CSP) et l’allocation temporaire dégressive (ATD) : - les modalités d’information et de consultation du CE et du CHSCT, - le périmètre d’application des licenciements mentionnés à l’article L. 1233-5 du code du travail, - le calendrier des licenciements, le nombre définitif de suppressions de postes (17) et de licenciements, - les modalités de mise en œuvre des mesures de formation, d’adaptation et de reclassement prévues aux articles L. 1233-4 et L. 1233-4-1 du code du travail, - les mesures d’accompagnement au reclassement interne et externe, - le fonctionnement de la commission de suivi ». Cette même décision précise « que le dossier de demande mentionne et comprend l’ensemble des éléments mentionnés à l’article D. 1233-14-1 du code du travail », « que la procédure d’information – consultation du CHSCT est régulière », « que le comité d’entreprise a été régulièrement convoqué à plusieurs réunions d’informations – consultation et que, par conséquent, la procédure d’information – consultation du CE doit être considérée comme régulière », « que l’entreprise a pris en compte les observations formulées par la DIRECCTE destinées à compléter et améliorer le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi, notamment en ce qui concerne les montants attribués aux actions de formation et à la création / reprise d’entreprise, la majoration des aides pour les personnes en situation de fragilité ». Cette décision mentionne enfin « que les critères d’ordre des licenciements sont conformes aux dispositions de l’article L. 1233-5 du code du travail », « que le document unilatéral relatif au PSE prévoit des mesures d’accompagnement pour aider au reclassement externe des salariés licenciés ; qu’il prévoit également des actions de formations longues et de formations d’adaptation de moins de 300 heures financées respectivement pour un montant de 4 000 euros et 3 000 euros (majorés respectivement de 4 500 euros et 3 500 euros pour les personnes handicapées ou en situation de fragilités) », « que des actions de soutien à la création / reprise d’entreprise sont prévues avec un budget de 3 500 euros », que « des aides à la mobilité géographiques sont également prévues » et « que le document unilatéral est conforme aux dispositions législatives, notamment aux dispositions de l’article L. 1233-24-4 du code du travail, et aux stipulations conventionnelles ».

5. Il est constant que la SAS Tissot Industrie, qui comprend plusieurs établissements sur le territoire métropolitain localisés respectivement à Cahors, Petit-Couronne, Saint Nazaire et Podensac employant, au 31 août 2017, 99 salariés en CDI, 3 salariés en CDD, deux apprentis et 31 intérimaires, est membre du groupe Tissot, lequel se compose de la Holding SAS Tissot investissements, dont la SAS Tissot Industrie constitue une filiale à 100 % et qui a pour activité principale la gestion d’immeubles, la possession et la détention de titres employant quatre salariés au 30 juin 2017, la SAS Tissot Industrie Congo, dont l’activité porte sur la fabrication et le montage de réservoirs de stockage dont l’effectif était d’un salarié au 21 septembre 2017 et qui employait douze intérimaires, la SARL Darmalon, qui constitue une filiale à 100 % de la société Tissot Industrie, sans activité et sans effectif, l’entreprise Ltd Tissot Industrie Nigeria, filiale à 49 % de la société Tissot Industries, sans activité et sans effectif, ainsi que l’entreprise Ltd Tissot Industrie UK, filiale à 100 % de la société Tissot Industries, créée en juin 2017 pour les besoins d’une commande en Angleterre, qui n’avait pas encore démarré son activité à la date du 21 septembre 2017. Il résulte de la motivation de la décision contestée, telle qu’elle vient d’être rappelée au point 4, qu’elle ne comporte aucune précision portant sur le périmètre du groupe Tissot ainsi que les moyens dont il dispose, tant d’un point de vue matériel que financier, et, notamment, le budget global et individuel mobilisable au niveau de ses filiales dans le cadre de l’élaboration du plan de sauvegarde de l’emploi s’adressant aux 17 salariés concernés par la fermeture de l’agence de Petit-Couronne. Ni la circonstance, relevée par les premiers juges, que la décision du 24 octobre 2017 fasse référence, de manière générale, au document unilatéral déposé par l’employeur le 26 septembre 2017, ni la circonstance, dont la SAS Tissot et le ministre du travail se prévalent en appel, que divers documents annexes exposant la structure du groupe Tissot ont été transmis par l’employeur sur la plateforme informatique dédiée au cours de la procédure d’examen du PSE ne sauraient suffire à établir que l’administration du travail a bien examiné et pris en compte – ainsi qu’il lui incombait pourtant de le faire – le périmètre et les moyens du groupe Tissot auquel appartient la SAS Tissot Industrie pour apprécier le caractère suffisant des mesures contenues dans le plan. A cet égard, le ministre du travail ne saurait sérieusement faire valoir, comme il l’a déjà fait en première instance, que l’absence de mention, dans la décision contestée, de tels éléments d’appréciation ne constituerait qu’une « pure omission matérielle », alors qu’il résulte des dispositions précitées de l’article L. 1233-57-3 du code du travail que l'autorité administrative compétente doit homologuer le document élaboré unilatéralement par l'employeur compte tenu notamment des moyens dont disposent l'entreprise, l'unité économique et sociale et le groupe. En outre, les démarches actives effectuées par l’employeur auprès du groupe auquel appartient l’entreprise pour que celui-ci abonde les mesures du plan de sauvegarde de l'emploi sont, par elles-mêmes, sans incidence sur l'appréciation à porter sur le caractère suffisant de ces mesures, qui n’a légalement à tenir compte que des moyens, notamment financiers, que l’entreprise et le groupe auquel elle appartient sont susceptibles de consacrer aux différentes mesures contenues dans le plan. Dès lors, et ainsi que le soutiennent M. B== et autres, qui doivent être regardés comme soulevant le moyen tiré de l’erreur de droit commise par l’administration du travail, révélée par la motivation susexposée, la décision du 24 octobre 2017 est entachée d’excès de pouvoir et encourt l’annulation pour ce motif.

6. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, que les appelants sont fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande.

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :



7. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B==, M. D==, M. L==, Mme P==, M. R==, M. S==, M. S== et M. V==, qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, une quelconque somme à verser à la SAS Tissot Industrie au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge solidaire de la SAS Tissot Industrie et de l’Etat la somme de 600 euros que chacun d’entre eux demande sur le fondement de ces mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1705296 du 12 mars 2018 du tribunal administratif de Bordeaux et la décision du 24 octobre 2017 sont annulés.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions de la SAS Tissot présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.