Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. M== A== G== a demandé au tribunal administratif de Toulouse d’annuler l’arrêté du 4 août 2017 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a décidé son transfert aux autorités espagnoles.

Par un jugement n° 1703771 du 29 août 2017, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 29 septembre 2017 et un mémoire présenté le 14 novembre 2017, M. ==, représenté par Me Tercero, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement n° 1703771 du 29 août 2017 ;

2°) d’annuler la décision attaquée du 4 août 2017 ;

3°) d’enjoindre au préfet responsable de la procédure de détermination de l’Etat responsable de sa demande d’asile, de mettre un terme à cette procédure et de lui délivrer un dossier de demande d’asile à transmettre à l’OFPRA, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l’arrêt à intervenir, et sous astreinte de 100 euros par jour de retard.


Considérant ce qui suit :

1. M. ==, ressortissant algérien né le 25 août 1989, déclare être entré en France le 3 octobre 2016 afin de solliciter l’asile. Le préfet de la Haute-Garonne ayant constaté, après avoir consulté les informations du fichier Visabio le 15 novembre 2016, que l’intéressé avait bénéficié d’un visa délivré par les autorités espagnoles pour pénétrer sur le territoire de l’Union européenne, a demandé à ces autorités, le 13 janvier 2017, de le reprendre en charge. Les autorités espagnoles ayant répondu favorablement à cette demande, le préfet de la Haute-Garonne a décidé, par arrêté du 4 août 2017, son transfert aux autorités espagnoles. M. == relève appel du jugement du 29 août 2017 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l’annulation de cet arrêté.

Sur l’intervention de l’association Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE), du Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI) et du Syndicat des avocats de France (SAF) :

2. Aux termes de l’article R.632-1 du code de justice administrative : « L’intervention est formée par mémoire distinct. / Le président de la formation de jugement… ordonne, s’il y a lieu, que ce mémoire en intervention soit communiqué aux parties et fixe le délai imparti à celles-ci pour y répondre. / Néanmoins, le jugement de l’affaire principale qui est instruite ne peut être retardé par une intervention. ». Dès lors qu’au moins l’un des intervenants est recevable, une intervention collective est recevable.

3. Il ressort des pièces du dossier que l’association Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE) a notamment pour objet, selon l’article 2 de ses statuts, de « soutenir l’action des étrangers en vue de la reconnaissance et du respect de leurs droits ». La décision en litige portant sur les droits de M. ==, en tant que demandeur d’asile, l’ADDE justifie d’un intérêt à intervenir au soutien de la requête. Par suite, et en application du principe énoncé au point précédent, cette intervention collective est recevable.

Sur la légalité de la décision :

4. M. == soutient que le préfet n’ayant pas saisi les autorités espagnoles d’une demande de reprise en charge dans le délai de trois mois à compter de l’introduction de sa demande d’asile, prévu par l’article 21 du règlement n° 604/2013 susvisé, l’Etat français est devenu responsable de l’examen de sa demande de protection internationale et que, en application du troisième alinéa de ce même article, il ne pouvait dès lors faire l’objet d’une remise aux autorités espagnoles.

5. Aux termes de l’article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : « Présentation d’une requête aux fins de prise en charge- 1. L’État membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu’un autre État membre est responsable de l’examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date de l’introduction de la demande au sens de l’article 20, paragraphe 2, requérir cet autre État membre aux fins de prise en charge du demandeur. / (…) / Si la requête aux fins de prise en charge d’un demandeur n’est pas formulée dans les délais fixés par le premier et le deuxième alinéa, la responsabilité de l’examen de la demande de protection internationale incombe à l’État membre auprès duquel la demande a été introduite (…) ».

6. Il résulte de ces dispositions, ainsi que l’a jugé la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt C-670/16 du 26 juillet 2017, qu’une décision de transfert vers un Etat membre autre que celui auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite ne saurait être valablement adoptée une fois expiré le délai de trois mois prévu par le 1 précité de l’article 21 (point 53). La Cour a précisé que ces dispositions contribuent de manière déterminante à la réalisation de l’objectif de célérité dans le traitement des demandes de protection internationale, mentionné au considérant 5 du règlement Dublin III, en garantissant, en cas de retard dans la conduite de la prise en charge, que l’examen de la demande de protection internationale soit effectué dans l’Etat membre où cette demande a été introduite afin de ne pas différer davantage cet examen par l’adoption et l’exécution d’une décision de transfert (point 54).

7. Aux termes de l’article 20 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 : « Début de la procédure - 1. Le processus de détermination de l’État membre responsable commence dès qu’une demande de protection internationale est introduite pour la première fois auprès d’un État membre. / 2. Une demande de protection internationale est réputée introduite à partir du moment où un formulaire présenté par le demandeur ou un procès-verbal dressé par les autorités est parvenu aux autorités compétentes de l’État membre concerné. Dans le cas d’une demande non écrite, le délai entre la déclaration d’intention et l’établissement d’un procès-verbal doit être aussi court que possible. (…) ».

8. La Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit, dans son arrêt C-670/16 déjà cité, que le paragraphe 2 précité de l’article 20, devait être interprété en ce sens qu’une demande de protection internationale est réputée introduite lorsqu’un document écrit, établi par une autorité publique et attestant qu’un ressortissant de pays tiers a sollicité la protection internationale, est parvenu à l’autorité chargée de l’exécution des obligations découlant de ce règlement et, le cas échéant, lorsque seules les principales informations figurant dans un tel document, mais non celui-ci ou sa copie, sont parvenues à cette autorité. La cour a également précisé, dans cet arrêt, que, pour pouvoir engager efficacement le processus de détermination de l’Etat responsable, l’autorité compétente a besoin d’être informée, de manière certaine, du fait qu’un ressortissant de pays tiers a sollicité une protection internationale, sans qu’il soit nécessaire que le document écrit dressé à cette fin revête une forme précisément déterminée ou qu’il comporte des éléments supplémentaires pertinents pour l’application des critères fixés par le règlement Dublin III ou, a fortiori, pour l’examen au fond de la demande, et sans qu’il soit nécessaire à ce stade de la procédure qu’un entretien individuel ait déjà été organisé (point 88).

9. L’article 6, intitulé « Accès à la procédure », de la directive 2013/32 du 26 juin 2013 dite « procédures » dispose : « 1. Lorsqu’une personne présente une demande de protection internationale à une autorité compétente en vertu du droit national pour enregistrer de telles demandes, l’enregistrement a lieu au plus tard trois jours ouvrables après la présentation de la demande. Si la demande de protection internationale est présentée à d’autres autorités qui sont susceptibles de recevoir de telles demandes mais qui ne sont pas compétentes pour les enregistrer, les Etats membres veillent à ce que l’enregistrement ait lieu au plus tard six jours ouvrables après la présentation de la demande. (…) 3. Les Etats membres peuvent exiger que les demandes de protection internationale soient introduites en personne et/ou en un lieu désigné. 4. Nonobstant le paragraphe 3, une demande de protection internationale est réputée introduite à partir du moment où un formulaire est présenté par un demandeur, ou si le droit national le prévoit, un rapport officiel est parvenu aux autorités compétentes de l’Etat concerné ». Dans son arrêt précité, la CJUE a relevé que cet article 6, notamment son paragraphe 4, et l’article 20, paragraphe 2, du règlement Dublin III s’inscrivent dans deux procédures différentes, qui présentent des exigences propres et qui sont soumises, notamment en matière de délai, à des régimes distincts, ainsi que le prévoit l’article 31, paragraphe 3, de la directive « procédures » (point 102), disposition qui précise que le délai de six mois que les Etats membres doivent en principe respecter pour ex==r une demande d’asile court, lorsque cette demande est soumise à la procédure définie par le règlement (UE) n° 604/2013, à partir du moment où l’Etat membre responsable de son examen a été déterminé conformément à ce règlement et où le demandeur se trouve sur le territoire de cet Etat membre et a été pris en charge par l’autorité compétente.

10. Aux termes de l’article L. 741-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui a procédé à la transposition de la directive citée au point précédent : « Tout étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l’asile se présente en personne à l’autorité administrative compétente, qui enregistre sa demande et procède à la détermination de l’Etat responsable en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ou en application d’engagements identiques à ceux prévus par le même règlement, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat. / L’enregistrement a lieu au plus tard trois jours ouvrés après la présentation de la demande à l’autorité administrative compétente, sans condition préalable de domiciliation. Toutefois, ce délai peut être porté à dix jours ouvrés lorsqu’un nombre élevé d’étrangers demandent l’asile simultanément (…) ». Selon l’article R. 741-2 du même code : « Pour l’application du deuxième alinéa de l’article L. 741-1, l’autorité administrative compétente peut prévoir que la demande est présentée auprès de la personne morale prévue au deuxième alinéa de l’article L. 744-1. ». Le deuxième alinéa de l’article L. 744-1 auquel il est ainsi renvoyé permet à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) de déléguer à des personnes morales, par convention, la possibilité d’assurer certaines prestations d’accueil, d’information et d’accompagnement social et administratif des demandeurs d’asile pendant la période d’instruction de leur demande.

11. Compte tenu de l’ensemble de ce qui a été dit précédemment, lorsque l’autorité compétente pour assurer au nom de l’Etat français l’exécution des obligations découlant du règlement Dublin III a, ainsi que le permet l’article R. 741-2 précité, prévu que les demandes de protection internationale doivent être présentées auprès de l’une des personnes morales qui ont passé avec l’OFII la convention prévue à l’article L. 744-1, la date à laquelle cette personne morale, auprès de laquelle le demandeur doit se présenter en personne, établit le document écrit matérialisant l’intention de ce dernier de solliciter la protection internationale doit être regardée comme celle à laquelle est introduite cette demande de protection internationale au sens du paragraphe 2 de l’article 20 dudit règlement et fait donc partir le délai de trois mois fixé par l’article 21, paragraphe 1, de ce règlement. L’objectif de célérité dans le processus de détermination de l’Etat responsable, rappelé par l’arrêt précité de la CJUE, serait en effet compromis si le point de départ de ce délai devait être fixé à la date à laquelle ce ressortissant se présente au « guichet unique des demandeurs d’asile » de la préfecture ou celle à laquelle sa demande est enregistrée par la préfecture.

12. Il ressort des pièces du dossier que M. == s’est présenté, le 3 octobre 2016, à l’unité locale de la Croix rouge française, organisme auquel le préfet de la Haute-Garonne a confié le soin de se voir présenter les demandes d’asile dans ce département, qu’il a manifesté à cette occasion son intention de demander l’asile et que cet organisme, après avoir rempli un formulaire à l’aide de l’application dédiée à cet effet, reliée à la préfecture, lui a remis une convocation afin qu’il se présente au guichet unique des demandeurs d’asile en vue de l’enregistrement de sa demande. Ainsi, M. == doit être regardé comme ayant valablement introduit sa demande de protection internationale le 3 octobre 2016. Or, il est constant que le préfet n’a adressé sa demande de reprise en charge aux autorités espagnoles que le 13 janvier 2017, soit après l’expiration du délai de trois mois prescrit par les dispositions précitées de l’article 21 du règlement du 26 juin 2013. Dans ces conditions, et en application du troisième alinéa de ce même article, la responsabilité de l’examen de la demande d’asile de M. == incombait aux autorités françaises. Par suite, en décidant de remettre le requérant aux autorités espagnoles, la décision en litige a méconnu l’article 21 du règlement du 26 juin 2013.

13. Il résulte de ce qui précède que M. == est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l’annulation de l’arrêté du 4 août 2017.

Sur les conclusions aux fins d’injonction et d’astreinte :

14. Le présent arrêt, qui annule la décision de transfert attaquée, implique nécessairement l’enregistrement de la demande d’asile de M. == et la délivrance à celui-ci d’une attestation de demande d’asile dans le délai d’un mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu’il ait eu lieu d’assortir cette injonction d’une astreinte.

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. L’association Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE), le Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI) et le Syndicat des avocats de France (SAF) n’ont, en tant qu’intervenants, pas qualité de partie dans la présente instance. Ces dispositions font par suite obstacle à ce que leur soit accordée la somme qu’ils demandent à ce titre.

DECIDE :

Article 1er : L’intervention de l’association Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE) et autres est admise.

Article 2 : Le jugement n° 1703771 du 29 août 2017 du tribunal administratif de Toulouse et la décision du préfet de la Haute-Garonne du 4 août 2017 sont annulés.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Haute-Garonne d’enregistrer la demande d’asile de M. == et de lui délivrer une attestation de demande d’asile dans le délai d’un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. == et de l’association Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE), du Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI) et du Syndicat des avocats de France (SAF) est rejeté.