Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. Jean-Michel E== a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner La Poste à lui verser une somme de 25 571,44 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 19 septembre 2012, en réparation de son préjudice matériel lié à la perte de sa rémunération et une somme globale de 14 000 euros au titre de son préjudice moral et troubles dans ses conditions d’existence, eu égard à l’illégalité de la sanction infligée par une décision du directeur du courrier Poitou-Charentes du 29 mars 2010, d’exclusion temporaire de dix-huit mois dont neuf mois avec sursis.

Par un jugement n° 1302315 du 18 novembre 2015, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté la demande de M. E==.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 14 janvier et 17 mai 2016 et le 11 avril 2017, M. E==, représentée par Me Haguenier, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement n° 1302315 du 18 novembre 2015 du tribunal administratif de Poitiers ;

2°) de condamner La Poste à lui verser, au titre de son préjudice matériel, la somme de 25 471,11 euros avec intérêts à taux légal à compter du jugement du 19 septembre 2012, à titre subsidiaire à compter du recours du 1er juillet 2013, à titre subsidiaire, la condamner à lui verser la somme de 24 788,88 euros correspondant à neuf mois de traitements non perçus, de la condamner également à lui verser la somme de 6 000 euros au titre de son préjudice moral et la somme de 8 000 euros au titre de la perte de chance de se bien porter ;

3°) de mettre à la charge de La Poste, outre les entiers dépens et le remboursement su droit de timbre, la somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Considérant ce qui suit :

1. M. Jean-Michel E==, né en 1956, désormais retraité, auparavant « cadre courrier de 1er niveau » au service commercial à La Poste de Saint-Jean-d’Angély (Charente Maritime), s’est vu infliger, par une décision du directeur du courrier Poitou Charentes du 29 mars 2010, une sanction d’exclusion temporaire de dix-huit mois dont neuf mois avec sursis. Par un jugement en date du 19 septembre 2012, dont il n’a pas été fait appel, le tribunal administratif de Poitiers a estimé que le comportement de l’intéressé, exerçant des fonctions de cadre et de tuteur encadrant, familier et inapproprié avec une cliente et deux de ses collègues féminines, était de nature à justifier une sanction disciplinaire mais que, toutefois, eu égard à la nature et à la gravité des faits reprochés, la sanction en cause était excessive et, par suite, entachée d’illégalité. M. E== fait appel du jugement du même tribunal administratif du 18 novembre 2015, qui a rejeté sa demande tendant à la condamnation de La Poste à l’indemniser du préjudice financier et moral issu de son éviction du service pendant neuf mois.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne les fins de non-recevoir opposée à des conclusions indemnitaires :

2. La Poste soutient que la conclusion de M. E== tendant au versement d’une indemnité correspondant à la privation de son traitement et de ses primes est irrecevable, dès lors que ce chef de préjudice ne figurait ni dans sa demande préalable ni dans ses conclusions de première instance, si bien que le contentieux ne serait pas lié quant à cette conclusion, au surplus nouvelle en appel.

3. Cependant, la personne qui a demandé au tribunal administratif la réparation des conséquences dommageables d’un fait qu’elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d’appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n’avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors qu’ils se rattachent au même fait générateur et que ses prétentions demeurent dans la limite du montant total de l’indemnité chiffrée en première instance, augmentée le cas échéant des éléments nouveaux apparus postérieurement au jugement, sous réserve des règles qui gouvernent la recevabilité des demandes fondées sur une cause juridique nouvelle. Il en va ainsi même lorsque le requérant n’a spécifié aucun chef de préjudice précis devant les premiers juges.

4. En l’espèce, alors que les prétentions indemnitaires contentieuses de M. E==, dont le montant total est identique en appel à ce qu’il était devant les premiers juges, sont d’ailleurs incluses dans le quantum de sa réclamation préalable en date du 1er juillet 2013, il est fondé à invoquer en appel le nouveau chef de préjudice issu de la perte de ses traitements et primes, dès lors que celui-ci ne procède pas d’une cause juridique distincte de ceux invoqués en première instance, à savoir la responsabilité pour faute de La Poste en raison de l’illégalité de la sanction qui lui a été infligée et que le tribunal administratif a annulée comme étant entachée d’une erreur manifeste d’appréciation. Par suite, les fins de non recevoir opposées par La Poste doivent être écartées.

En ce qui concerne la responsabilité :

5. Un agent public illégalement évincé du service est fondé à demander réparation du préjudice qu'il a subi du fait de la perte de revenu provoquée par cette éviction. Pour calculer l'indemnité due à ce titre, le juge administratif doit tenir compte de l'ensemble des circonstances de l'affaire et notamment de l'importance respective des irrégularités entachant la décision d'éviction illégale et des fautes commises par l'agent en considération desquelles le juge administratif peut lui laisser supporter une quote part du préjudice qu'il a subi.

6. Il résulte des termes du jugement du tribunal administratif de Poitiers du 19 septembre 2012 que M. E== a été sanctionné en raison « d’un comportement irrespectueux à l’égard des personnes de sexe féminin ». Au titre de ce comportement, trois faits lui ont été reprochés : d’avoir, à l’occasion de la signature d’un accusé de réception, « gratté, de façon vulgaire » le creux de la main d’une cliente, fait la bise « avec insistance » tous les matins à l’une de ses collègues qui s’est plaint à sa hiérarchie de ce que « le contact de cette bise ne lui était pas agréable » et enfin, d’avoir « appuyé avec deux doigts » sur les genoux d’une collègue « pour la saluer en lui faisant une bise alors qu’elle était assise sur un casier de tri ». Par ce même jugement, devenu définitif, le tribunal administratif a estimé que si ce comportement était de nature à justifier une sanction disciplinaire, la sanction temporaire d’exclusion d’une durée de dix-huit mois assortie d’un sursis de neuf mois était excessive et, par suite, entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.

7. Alors que ce comportement, eu égard à la nature des faits reprochés, méritait une sanction du premier groupe, avertissement, blâme ou tout au plus exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de trois jours, il est constant que M. E== a été exclu de ses fonctions, et donc privé de tout traitement, pendant neuf mois La Poste ainsi commis une faute engageant sa responsabilité.

8. M. E== fait également valoir que La Poste a manqué à son devoir d’information envers lui, en ne lui signalant pas qu’il était en droit d’exercer une activité privée pendant sa période d’exclusion. Cependant, alors que les règles relatives au cumul d’activité des fonctionnaires étaient, à la date des faits, précisées par l’article 25 de la loi du 13 juillet 1983 ainsi que par le décret n° 2007-658 du 2 mai 2007, aucune disposition législative ou réglementaire n’imposait à l’administration d’informer ses agents de leurs droits à cet égard, résultant de leur statut. Si le requérant produit un document interne recommandant aux chefs de service d’informer l’agent de ce qu’il a le droit de travailler à l’extérieur de La Poste, cette recommandation ne vaut que pour les agents placés en suspension de fonctions. Dans ces conditions, La Poste ne peut être regardée comme ayant commis une faute.

En ce qui concerne l’évaluation des préjudices :

9. M. E== demande l’indemnisation des préjudices financier et moral issus de l’illégalité de la sanction qui lui a été infligée.

10. En premier lieu, en ce qui concerne le préjudice financier, il résulte des fiches de paie produites en appel par M. E== que, pour la période de septembre 2009 à mars 2010, dernier mois où il a travaillé à plein temps avant son exclusion, son revenu mensuel, traitement plus primes s’élevait à la somme de 2 156 par mois. Par suite, à supposer que la plus sévère des sanctions du 1er groupe, à savoir l’exclusion de fonctions pour une durée de trois jours, lui ait été infligée, et alors qu’il ne résulte pas de l’instruction que M. E== ait perçu pendant cette période un quelconque revenu de remplacement ou ait exercé un autre emploi, il est fondé à réclamer la somme de 19 431 en réparation de la perte de revenus injustifiée qu’il a subie pendant son exclusion.

11. Le requérant fait également valoir que, n’étant plus couvert par la mutuelle de son employeur pendant la période de son exclusion, il a dû de ce fait souscrire un contrat individuel de neuf mois auprès de la Mutuelle Générale. Un tel préjudice est en lien direct avec l’illégalité entachant la sanction prononcée à l’encontre de l’agent. Au regard des prélèvements justifiés et du courrier de la mutuelle générale figurant au dossier, ce chef de préjudice indemnisable doit être fixé à 822 euros.

12. En revanche, dès lors que le présent arrêt indemnise M. E== pour la perte de revenus qu’il a subie du fait de la cessation du versement de son salaire et de ses accessoires, il ne peut être indemnisé des emprunts qu’il a dû contracter pour faire face à cette perte de revenus ni des prélèvements qu’il dit avoir dû faire dans ses économies. Quant à l’indemnisation de frais d’huissier pour un montant de 206,66 euros, que le requérant dit être issus de factures qu’il n’a pu payer dans les temps, outre le fait que le lien de causalité direct entre l’illégalité fautive commise par La Poste d’avoir prononcé à son égard une sanction illégale et ces frais n’est pas suffisamment établi, lesdits frais ne sont en tout état de cause pas justifiés par les pièces produites.

13. En second lieu, il résulte de l’instruction que M. E==, qui a été illégalement exclu de ses fonctions pendant neuf mois, a dû, du fait de la privation de ses traitements, affronter des difficultés financières importantes qui ont entraîné un état de stress important et qu’une atteinte a également été portée à sa réputation, à la fois dans son milieu professionnel, mais également par un article paru dans la presse régionale le 6 septembre 2012, article qui, s’il ne mentionne pas son nom, donne son prénom et mentionne le bureau de poste où il exerçait. Par ailleurs, il résulte également de l’instruction qu’il a été victime peu de jours après cette parution, le 14 septembre, d’un grave infarctus du myocarde sur son lieu de travail qui a imposé son placement en longue maladie. Contrairement à ce qu’ont relevé les premiers juges, les documents médicaux produits ne mettent pas en évidence l’existence d’une pathologie cardiaque antérieure. Si l’imputabilité au service de cet accident n’a pas été reconnue, il est cependant constant que la dégradation de l’état de santé de M. E== à partir de 2012 l’a conduit à prendre une retraite anticipée de trois ans. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation de son préjudice moral et des troubles dans ses conditions d’existence en lui allouant la somme de 10 000 euros.

Sur les intérêts :

14. Lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, les intérêts moratoires dus en application de l'article 1231-6 du code civil courent à compter du jour où la demande de paiement du principal est parvenue au débiteur ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine M. E== qui demande le versement des intérêts à taux légal sur les sommes allouées au titre de son seul préjudice matériel n’a pas droit à ceux-ci à compter du jugement du tribunal administratif de Poitiers du 19 septembre 2012 lequel ne portait pas sur une demande indemnitaire mais se bornait à accueillir les seules conclusions qu’il avait présentées en annulation de la sanction d’exclusion de dix huit mois. En revanche, les intérêts moratoires ont couru à compter de la date de réception de sa demande préalable par La Poste, effectuée en recommandé avec accusé de réception. Le préposé de La Poste n’ayant mentionné sur l’accusé de réception de distribution du courrier, produit par M. E==, ni la date à laquelle le destinataire a été avisé, ni la date à laquelle le pli recommandé a été distribué, alors qu’il ressort des mentions portées sur l’envoi que le requérant a déposé son courrier le 1er juillet et que celui-ci a été expédié le 2 juillet, il y a lieu, dans ces circonstances, de considérer que La Poste, qui ne conteste pas avoir reçu cette demande préalable, en a reçu notification le 3 juillet 2013. Par suite, en application de l’article 1231-6 du code civil, M. E== a droit aux intérêts à taux légal sur la somme de 20 253 euros que La Poste est condamnée à lui verser au titre de son préjudice matériel, à compter du 3 juillet 2013, date qui doit être regardée comme la date de réception par La Poste de sa demande indemnitaire préalable.

15. Il résulte de tout ce qui précède que M. E== est fondé à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande indemnitaire. Par suite il y a lieu d’annuler le jugement n° 1302315 du 18 novembre 2015 et de condamner La Poste à verser à M. E== la somme globale de 30 253 euros en réparation des préjudices issus de la sanction illégale qui lui a été infligée, la somme de 20 253 euros, correspondant à l’indemnisation de son préjudice matériel, portant intérêt à taux légal à compter du 3 juillet 2013. Sur les conclusions au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

16. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de La Poste une somme de 2 000 euros que demande M. E== sur ce fondement. En revanche, ces dispositions font obstacle à ce qu’il soit mis à la charge de M. E==, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance la somme que demande La Poste sur le même fondement.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers n° 1302315 du 18 novembre 2015 est annulé.

Article 2 : La Poste est condamnée à verser à M. E== la somme globale de 30 253 euros en réparation des préjudices issus de la sanction illégale qui lui a été infligée. La somme de 20 253 euros, correspondant à l’indemnisation de son préjudice matériel, portera intérêt à taux légal à compter du 3 juillet 2013.