Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Louvie-Juzon a demandé au tribunal administratif de Pau d’annuler l’arrêté, en date du 27 novembre 2012, du préfet des Pyrénées-Atlantiques portant, au profit du syndicat mixte du Nord Est de Pau, autorisation de dérivation et d’utilisation de l’eau pour la consommation humaine, déclaration d’utilité publique d’instauration des périmètres de protection autour de la source de l’Aygue-Blanque et autorisation au titre du code de l’environnement, ensemble la décision par laquelle le même préfet a implicitement rejeté son recours gracieux.

Par un jugement avant dire droit rendu le 30 septembre 2014, le tribunal administratif de Pau a ordonné une mesure d’expertise aux fins d’évaluer, en vue d’examiner le caractère suffisant de l’appréciation sommaire des dépenses figurant dans le dossier de demande adressé par le syndicat mixte du Nord-Est de Pau au préfet des Pyrénées-Atlantiques, la valeur vénale de la partie de la parcelle F n° 42 incluse dans le périmètre de protection immédiate institué par l’arrêté du 27 novembre 2012.

Par un jugement mettant fin à l’instance n° 1300809 du 1er décembre 2015, le tribunal administratif de Pau a annulé la déclaration d'utilité publique du 27 novembre 2012 et a mis à la charge de l’Etat et du syndicat mixte d'alimentation en eau potable du Nord-Est les frais de l’expertise, taxés et liquidés à la somme de 6 413,26 euros TTC.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête et un mémoire, enregistrés le 28 janvier 2016 et le 27 septembre 2016, sous le n° 16BX00405, le syndicat mixte d'alimentation en eau potable du Nord-Est de Pau, représenté par Me Bernal, demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement n° 1300809 du tribunal administratif de Pau du 1er décembre 2015 ;

2°) de condamner la commune de Louvie-Juzon au paiement des frais d’expertise judiciaire taxés et liquidés à la somme de 6 413,26 euros TTC.

3°) de mettre à la charge de la commune de Louvie-Juzon la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

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II. Par un recours et un mémoire, enregistrés le 1er février 2016 et le 17 octobre 2016, sous le n° 16BX00469, le ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes puis le ministre des affaires sociales et de la santé, demandent à la cour :

1°) d’annuler le jugement n° 1300809 du tribunal administratif de Pau du 1er décembre 2015 ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Louvie-Juzon les frais d’expertise judiciaire imputés à l’Etat et au SMNEP sur le fondement de l’article R. 761-1 du code de justice administrative.

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Considérant ce qui suit :

1. L’article L. 215-13 du code de l’environnement dispose que la dérivation des eaux d’une source, lorsqu’elle est entreprise dans un but d’intérêt général par un établissement public, doit être autorisée par un acte déclarant d’utilité publique les travaux. L’article L. 1321-2 du code de la santé publique précise qu’en vue d’assurer la protection de la qualité des eaux, cet acte doit déterminer autour du point de prélèvement, à tout le moins un périmètre de protection immédiate dont les terrains sont en principe à acquérir en pleine propriété, et un périmètre de protection rapprochée à l’intérieur duquel peuvent être interdites ou réglementées les activités de nature à nuire à la qualité des eaux. Par un arrêté du 27 novembre 2012 pris à la demande du syndicat mixte du Nord-Est de Pau (SMNEP), le préfet des Pyrénées-Atlantiques a notamment déclaré d’utilité publique les travaux de dérivation des eaux de la source d’Aygue Blanque sur le territoire de la commune de Louvie-Juzon ainsi que l’instauration de périmètres de protection immédiate et rapprochée.

2. La commune de Louvie-Juzon, qui détient des droits de propriété sur la parcelle F n° 42, lieu de résurgence de la source inclus dans le périmètre de protection immédiate, a demandé au tribunal administratif de Pau l’annulation de cette déclaration d'utilité publique. Après avoir, par un jugement avant-dire droit du 30 septembre 2014, ordonné une mesure d’expertise aux fins d’évaluer la valeur vénale de la partie de la parcelle incluse dans le périmètre de protection immédiate, le tribunal a annulé cette déclaration d’utilité publique par un jugement du 1er décembre 2015 dont le SMNEP et le ministre des solidarités et de la santé relèvent appel respectivement sous les n° 16BX00405 et 16BX00469.

3. Les deux requêtes du SMNEP et du ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur la légalité de la déclaration d’utilité publique :



4. En l’absence de dispositions spécifiques définissant la procédure qui leur est applicable, les actes portant déclaration d'utilité publique des travaux de prélèvement d’eau destinée à l’alimentation des collectivités humaines pris sur le fondement des dispositions de l’article L. 1321-2 du code de la santé publique rappelées ci-dessus sont régis par les dispositions du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, en vigueur à la date de l’arrêté attaqué. Aux termes de l’article R. 11-3 de ce dernier code en vigueur à la date de la décision en litige : « L’expropriant adresse au préfet pour être soumis à l'enquête un dossier qui comprend obligatoirement : / I.- Lorsque la déclaration d’utilité publique est demandée en vue de la réalisation de travaux ou d’ouvrages : / (…) / 5° L’appréciation sommaire des dépenses ; / (…) II.- Lorsque la déclaration d'utilité publique est demandée en vue de l'acquisition d'immeubles, ou lorsqu'elle est demandée en vue de la réalisation d'une opération d'aménagement ou d'urbanisme importante et qu'il est nécessaire de procéder à l'acquisition des immeubles avant que le projet n'ait pu être établi : (…) / 4° L'estimation sommaire des acquisitions à réaliser. ».

5. Il résulte des termes même de l'article R. 11-3 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique que chacun de ses paragraphes vise un cas distinct. Or le projet du SMNEP, constituant un ensemble unique, comportait la réalisation de travaux et d’ouvrages. Il n’appelait pas la mise en œuvre de la procédure d’urgence prévue pour les cas où les acquisitions doivent intervenir avant que le projet n’ait pu être établi. Par suite, le dossier soumis à enquête publique devait être constitué conformément aux prescriptions du paragraphe I de l’article R. 11-3. Dès lors et ainsi que le SMNEP le soutient, en se fondant sur le II de cet article pour annuler la déclaration d’utilité publique contestée, le tribunal a fait application d’une règle inapplicable.

6. Il appartient à la cour, saisie de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par la commune de Louvie-Juzon devant le tribunal administratif et devant la cour.

7. L’appréciation sommaire des dépenses jointe au dossier d’enquête publique visée au point 4 a pour objet de permettre à tous les intéressés de s’assurer que les travaux ou ouvrages, compte tenu de leur coût total réel, tel qu’il peut être raisonnablement estimé à l’époque de l’enquête, ont un caractère d’utilité publique. L’estimation sommaire des dépenses telles qu’elles ont été évaluées au dossier d’enquête publique tenait compte seulement, à hauteur de 92 000 euros hors taxes, des travaux d’aménagement envisagés et n’incluait pas l’estimation du coût d’acquisition du terrain compris dans le périmètre de protection immédiate. D’après la commune de Louvie-Juzon et à ce titre, le dossier soumis à enquête publique aurait été incomplet.

8. Toutefois, les inexactitudes, omissions ou insuffisances du dossier d’enquête publique ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d’entraîner l’illégalité de la décision prise que si elles ont eu pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative. Dès lors, la seule circonstance que certaines dépenses auraient été omises n’est pas par elle-même de nature à entacher d’irrégularité la procédure si notamment, compte tenu de leur nature, leur montant apparaît limité au regard du coût global de l’opération.

9. Au sens du I de l’article R. 11-3 du code de l’expropriation, le coût total réel d’un projet qui comporte l’acquisition d’immeubles, tel qu’il peut être raisonnablement estimé à l’époque de l’enquête, procède le cas échéant des conditions dans lesquelles, en application de l’article L. 13-13 de ce code – depuis lors transféré – le juge de l’expropriation sera appelé à fixer au bénéfice de l’exproprié une indemnité couvrant l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation. Il résulte des articles L. 13-14 et L. 13-15 de ce même code que, fixant ladite indemnité, ce juge doit prendre en considération la plus-value apportée au terrain par l'exploitation d’une ressource naturelle lorsque, un an avant l’arrêté ordonnant l’ouverture de l’enquête publique, la ressource était exploitée par son propriétaire, ou lorsque cette ressource est exploitable par lui à la date de l'ordonnance portant transfert de propriété, compte non tenu, en principe, des améliorations postérieures à l’arrêté d’ouverture de l’enquête publique.

10. En l’espèce, il est constant que la commune de Louvie-Juzon n’a jamais exploité la source d’Aygue Blanque. Si la parcelle expropriée supporte, depuis 1967, les ouvrages que le SMNEP a implantés pour l’exploitation de la source au bénéfice exclusif des intérêts publics dont il a la charge, il ne ressort pas des pièces du dossier, et il n’est pas soutenu, qu’au 4 novembre 2011, date de l’arrêté ordonnant l’ouverture de l’enquête publique, ces mêmes ouvrages auraient permis l’exploitation de la source par la commune de Louvie-Juzon dans son propre intérêt. Dès lors, et contrairement à ce que soutient la commune, l’évaluation sommaire des dépenses requises au dossier d’enquête publique par le I de l’article R. 11-3 de ce code n’avait pas à tenir compte de la plus-value apportée au terrain par l'exploitation de la source.



11. La superficie de 94 m2 prise sur la parcelle cadastrée F n° 42 et qui est incluse dans le périmètre de protection immédiate forme une bande de terre longue de 23 mètres et dont la largeur oscille entre 2,5 et 5 mètres. Située en pied de falaise à 620 mètres d’altitude, son accès, au moyen d’un cheminement très abrupt, est difficile. Pour le reste en nature de lande et de rocher, elle supporte des ouvrages de captage rudimentaires et vétustes. Abstraction faite de la plus-value qui aurait été apportée au terrain par l’exploitation de la source, l’expertise ordonnée avant-dire droit par le tribunal a évalué le prix d’acquisition de cet ensemble immobilier à 2 400 euros. Dans ces conditions, à supposer même que cette acquisition ait été raisonnablement prévisible à l’époque de l’enquête publique et donc, que l’appréciation sommaire des dépenses jointe au dossier d’enquête publique ait irrégulièrement manqué de la prendre en compte, pour autant, les chiffres qui ont été portés à la connaissance du public et de l’autorité administrative ne peuvent être regardés comme manifestement sous-évalués.

12. Dès lors, la commune de Louvie-Juzon n’est pas fondée à se prévaloir du I de l’article R. 11-3 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.

13. Il ressort enfin des pièces du dossier que, contrairement à ce que la commune de Louvie-Juzon soutient, la demande déposée par le SMNEP a comporté l’étude d’incidence prévue à l’article R. 214-6 du code de l’environnement.

14. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de statuer sur la fin de non recevoir opposée au ministre, que le SMNEP est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a annulé la déclaration d’utilité publique du 27 novembre 2012.




Sur les frais liés à l’instance :

15. Aux termes de l’article R. 761-1 du code de justice administrative : « Les dépens comprennent les frais d'expertise (…) dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. (…) ». Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre les frais d’expertise, taxés et liquidés à la somme de 6 413,26 euros TTC, à la charge de la commune de Louvie-Juzon, partie perdante.

16. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que le SMNEP et l’Etat, qui ne sont pas dans la présente instance les parties perdantes, versent à la commune de Louvie-Juzon la somme que celle-ci demande au titre des frais exposés dans l’instance et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la commune de Louvie-Juzon le versement d’une somme de 1 500 euros au syndicat qui le demande, en application des mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1300809 du tribunal administratif de Pau du 1er décembre 2015 est annulé.



Article 2 : La demande présentée par la commune de Louvie-Juzon devant le tribunal administratif de Pau est rejetée.

Article 3 : Les frais d’expertise, taxés et liquidés à la somme de 6 413,26 euros TTC sont mis à la charge de la commune de Louvie-Juzon.



Article 4 : La commune de Louvie-Juzon versera une somme de 1 500 euros au syndicat mixte du Nord-Est de Pau en application de l’article L. 761 1 du code de justice administrative.