Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L’association de sauvegarde et de protection de l’environnement de Coussay-les-Bois et d’autres demandeurs ont demandé au tribunal administratif de Poitiers d’annuler l'arrêté du 2 août 2016 par lequel la préfète de la Vienne a autorisé la société Les Nauds, société civile d’exploitation agricole (SCEA), à exploiter un élevage de 1 200 bovins sur le territoire de la commune de Coussay-les-Bois.

Par un jugement n° 1602671 du 21 juin 2017, le tribunal administratif de Poitiers a annulé cet arrêté.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 17 août 2017, et des mémoires complémentaires, enregistrés les 23 novembre 2018, 21 décembre 2018 et 1er mars 2019, la société Les Nauds, représentée par Me Brugière, demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 21 juin 2017 ;

2°) de rejeter la demande présentée par l’association de sauvegarde et de protection de l’environnement de Coussay-les-Bois et d’autres requérants devant le tribunal administratif de Poitiers ;

3°) à titre subsidiaire, de faire application de l’article L. 181-18 du code de l’environnement ;

4°) de mettre à la charge solidaire de l’association de sauvegarde et de protection de l’environnement de Coussay-les-Bois, de M. et Mme B==, de M. F==, de M. S== et de la commune de Coussay-les-Bois une somme de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.


Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 2 août 2016, la préfète de la Vienne a autorisé la société Les Nauds, société civile d’exploitation agricole (SCEA), à exploiter au titre de la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement un élevage de 1 200 bovins sur le territoire de la commune de Coussay-les-Bois. Par un jugement du 21 juin 2017, le tribunal administratif de Poitiers, saisi notamment par la commune de Coussay-les-Bois et l’association de sauvegarde et de protection de l’environnement de Coussay-les-Bois, a annulé cette autorisation. Par un arrêt avant dire droit du 19 décembre 2019, la cour, saisie en appel par la SCEA Les Nauds d’une requête tendant à l’annulation de ce jugement, a considéré que le moyen de procédure tiré de l’insuffisante présentation des capacités techniques et financières du pétitionnaire, en méconnaissance de l’article R.512-3 du code de l’environnement alors en vigueur, était de nature à entraîner la confirmation du jugement du tribunal ayant annulé l’arrêté du 2 août 2016, dès lors que cette irrégularité a pu avoir pour effet de nuire à l’information complète de la population et qu’elle a été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative. Après avoir écarté les autres moyens soulevés, la cour a décidé dans son arrêt du 19 décembre 2019 et sur le fondement de l’article L. 181-18 du code de l’environnement, de surseoir à statuer afin de permettre à la SCEA les Nauds, à l’issue d’une phase complémentaire d’information du public, de lui notifier, le cas échéant, une mesure de régularisation de l’illégalité relevée, selon les modalités définies aux points 39 à 44 de son arrêt avant dire droit.

2. Il résulte de l’instruction que la société Les Nauds a transmis à la préfète de la Vienne, en mars 2020, sept pièces complémentaires relatives à ses capacités techniques et financières, à savoir une étude prévisionnelle élaborée par un cabinet d’expertise comptable portant sur le financement du projet, un document synthétique présentant les capacités techniques et financières du pétitionnaire, les rapports de bilan sur les exercices 2017/2018 et 2018/2019 des sociétés LPC et Liot Chatellerault qui appartiennent au même groupe que la SCEA Les Nauds, un document retraçant le parcours professionnel de M. L==, gérant de la société pétitionnaire et deux lettres d’intention de financement du projet émanant d’établissements bancaires. Ces pièces ont été mises en ligne sur le site internet de la préfecture de la Vienne et sur le site de la commune de Coussay-les-Bois du 11 juin au 1er juillet 2020 pour permettre au public d’en prendre connaissance. Le dossier complété a également été mis à la disposition du public, pendant la même période, au siège de la mairie de Coussay-les-Bois.

3. Par une décision du 10 juillet 2020, produite au dossier, le préfet de la Vienne a fait savoir à la société Les Nauds qu’il refusait la régularisation de l’autorisation initiale au motif que les éléments complémentaires produits ne palliaient pas les insuffisances du dossier de demande quant à la présentation des capacités techniques et financières du pétitionnaire. Dans son mémoire en réplique, enregistré le 9 octobre 2020, la société Les Nauds demande à la cour d’annuler la décision du 10 juillet 2020 et de « constater ses capacités techniques et financières » complétées postérieurement à l’arrêt avant-dire droit.

Sur la fin de non-recevoir opposée aux conclusions à fin d’annulation de la décision du 10 juillet 2020 :

4. Aux termes de l’article L. 181-18 du code de l'environnement : « Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre une autorisation environnementale, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés : / 1° Qu'un vice n'affecte qu'une phase de l'instruction de la demande d'autorisation environnementale, ou une partie de cette autorisation, peut limiter à cette phase ou à cette partie la portée de l'annulation qu'il prononce et demander à l'autorité administrative compétente de reprendre l'instruction à la phase ou sur la partie qui a été entachée d'irrégularité ; / 2° Qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé par une autorisation modificative peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation. Si une telle autorisation modificative est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations ».

5. Il résulte des termes de l’arrêt avant dire droit du 19 décembre 2019 que la cour, qui a retenu l’insuffisante présentation des capacités techniques et financières du pétitionnaire au regard de l’article R.512-3 du code de l’environnement en vigueur à la date de l’autorisation initiale, a accueilli un moyen de procédure touchant la composition du dossier de demande d’autorisation.

6. La décision contestée du 10 juillet 2020, dès lors qu’elle fait suite aux compléments apportés par la société Les Nauds à son dossier de demande et à la nouvelle consultation du public organisée du 11 juin au 1er juillet 2020, fait partie de la procédure de régularisation engagée par la cour dans son arrêt avant dire droit du 19 décembre 2019. Par suite, la société Les Nauds est recevable à demander, dans le cadre de la présente instance, l’annulation de cette décision du 10 juillet 2020 valant refus de régularisation de l’autorisation initiale. La fin de non-recevoir, opposée en défense, tirée de ce qu’en demandant l’annulation de la décision du 10 juillet 2020 la société Les Nauds soulève un litige distinct, ne se rattachant pas à la régularisation de l’autorisation initiale sollicitée par la cour, doit ainsi être écartée.

Sur les conclusions aux fins d’annulation :

7. Lorsque, en application de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, le juge de l'autorisation environnementale, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, a sursis à statuer afin de permettre la régularisation de l’autorisation attaquée devant lui, les parties à l’instance ayant donné lieu à la décision de sursis à statuer ne peuvent, à l'appui de la contestation de l’autorisation modificative prise en vue de la régularisation, invoquer que des vices affectant sa légalité externe et soutenir qu’elle n’a pas pour effet de régulariser les vices que le juge a constatés dans sa décision avant-dire droit. Elles ne peuvent soulever aucun autre moyen, qu’il s’agisse d’un moyen déjà écarté par la décision avant-dire droit ou de moyens nouveaux, à l’exception de ceux qui seraient fondés sur des éléments révélés par la procédure de régularisation.

8. Aux termes de l’article R. 512-3 du code de l’environnement, en vigueur à la date de l’autorisation du 2 août 2016 : « La demande prévue à l'article R. 512-2, remise en sept exemplaires, mentionne : (…) 5° Les capacités techniques et financières de l'exploitant (…) ». Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'une autorisation d'exploiter une installation classée pour la protection de l'environnement est tenu de fournir, à l'appui de son dossier, des indications précises et étayées sur ses capacités techniques et financières.

En ce qui concerne les capacités financières :

9. La société SCEA Les Nauds a mis à la disposition du public une étude prévisionnelle précisant la structure du financement du projet de laquelle il ressort que le montant de l’investissement prévu, soit 3 825 000 euros, sera financé par le recours à des emprunts bancaires à savoir, s’agissant de l’unité d’élevage de taurillons, deux emprunts de 1 000 000 d’euros à solliciter auprès de la Société Générale et de la société CIC Sud-Ouest et, s’agissant de l’usine de méthanisation, le recours à un emprunt de 1 500 000 euros auprès de la Société Générale auquel s’ajoute une subvention d’investissement de 250 000 euros. Deux lettres d’intention émanant de ces établissements bancaires, datées des 27 et 28 février 2020, ont été versées par la société dans le dossier complémentaire. Elles émettent un avis favorable à l’étude d’un financement total ou partiel du projet eu égard « à la capacité financière satisfaisante de M. L== illustré par les différentes sociétés qu’il dirige ». L’étude prévisionnelle ne saurait être regardée comme incomplète du seul fait qu’elle ne comporte pas d’éléments financiers propres au compostage dès lors qu’il ne résulte pas de l’instruction que cette activité serait distincte de l’activité de méthanisation qui fait l’objet de la demande d’autorisation en litige et nécessiterait un financement propre.

10. Pour assurer l’équilibre financier du projet, il est prévu un apport en fonds propres par la société LPC Holding à hauteur de 500 000 euros lors de l’augmentation de capital de la SCEA Les Nauds que rend nécessaire le projet et un apport complémentaire de 2 250 000 euros de cette même société en cours d’exploitation, en fonction des besoins de l’exploitant. Ces trois sociétés sont dirigées par M. P== L== et appartiennent au même groupe, ce dont l’étude prévisionnelle mentionnée au point précédent a tenu compte.

11. En se bornant à faire valoir que l’étude de faisabilité et la modélisation du projet à moyen terme ne comportent pas de données réactualisées, l’association de sauvegarde et de protection de l’environnement de Coussay-les-Bois et la commune de Coussay-les-Bois n’apportent aucun élément permettant d’estimer de manière probante que les données financières produites ne seraient pas représentatives de la situation financière de l’exploitant alors que, en plus des lettres d’intention établies en février 2020 par deux organismes bancaires, le dossier mis à la disposition du public comportait les bilans des sociétés LPC et Liot Chatellerault au titre des années 2018 et 2019 mentionnant, respectivement, un solde de trésorerie de 1 131 892 euros et 6 324 589 euros tandis que la société LPC justifie d’un résultat de 349 560 euros au titre de l’exercice clos le 31 juin 2019. Considérés ensemble, ces éléments ont permis au préfet, contrairement à ce que celui-ci a estimé dans sa décision du 10 juillet 2020, d’apprécier les capacités financières de la société Les Nauds et de ses partenaires alors même que l’origine de la subvention d’investissement d’un montant de 250 000 euros, soit 15 % du montant de l’investissement prévisionnel, ne serait pas connue. La circonstance que le dernier bilan comptable de la SCEA Les Nauds n’a pas été porté à la connaissance du public n’a pas, à elle seule, nui à l’information du public et de la préfète dès lors que les derniers bilans comptables des deux sociétés contributrices au financement du projet ont été, eux, mis en ligne lors de la nouvelle consultation.

12. Aucune disposition législative ou réglementaire n’imposait de mettre à la disposition du public, dans le cadre de la régularisation mise en œuvre, l’avis du conseil départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques, lequel s’était prononcé favorablement sur le projet dès le 7 juillet 2016 sur la base d’un dossier de demande qui ne comportait pas les compléments ultérieurement produits par le pétitionnaire.

En ce qui concerne les capacités techniques :

13. Le dossier complémentaire présente des développements relatifs aux capacités techniques de la SCEA Les Nauds, spécialisée dans l’élevage de bovins depuis 2002. Il y décrit les qualifications de son personnel actuellement en poste, les formations qui seront dispensées, notamment pour le fonctionnement de l’unité de méthanisation, par le constructeur Technique Biogaz selon les modalités décrites dans l’annexe 3 du dossier, les différents équipements qui seront acquis et les curriculum vitae des personnes dont l’embauche est prévue en raison de leur spécialité. La circonstance que la SCEA Les Nauds ne justifie pas d’une compétence acquise pour assurer le fonctionnement d’une usine de méthanisation ne suffit pas à révéler ses insuffisances techniques. Ainsi, et contrairement à ce qu’a estimé la préfète dans sa décision du 10 juillet 2020, les indications apportées par la SCEA Les Nauds sur ses capacités techniques doivent être regardées comme suffisantes pour que sa demande soit regardée comme complète et l’information du public satisfaite, conformément aux articles L. 512-1 et R. 512-3 du code de l’environnement alors en vigueur.

Sur la régularisation de la décision contestée :

14. Il résulte de tout ce qui précède que les éléments complémentaires apportés par la SCEA Les Nauds sur ses capacités techniques et financières et qui ont été portées à la connaissance du public dans le cadre de la nouvelle phase de la procédure d’instruction de la demande effectuée en application du 1° de l’article L. 181-18 du code de l'environnement, sont suffisamment précises et étayées. Par suite, le moyen tiré de l’insuffisante présentation des capacités techniques et financières du pétitionnaire dans le dossier de demande doit être écarté et le vice de procédure qui entachait l’autorisation délivrée le 2 août 2016 doit être considéré comme régularisé contrairement à ce qu’a estimé le préfet dans sa décision du 10 juillet 2020.

15. Et il résulte du point 7 que l’association de sauvegarde et de protection de l’environnement de Coussay-les-Bois ne saurait utilement contester la procédure de régularisation en invoquant un moyen de fond tiré des effets négatifs pour l’environnement de la pollution des eaux souterraines qu’engendrerait le projet, lequel n’est pas dirigé contre la mesure de régularisation qui porte, ainsi qu’il a déjà été dit, sur un aspect procédural lié à la présentation des capacités techniques et financières du pétitionnaire.

16. Les autres moyens soulevés par l’association de sauvegarde et de protection de l’environnement de Coussay-les-Bois et autres ayant été écartés par l’arrêt de la cour du 19 décembre 2019, la société SCEA est fondée à demander l’annulation de la décision du 10 juillet 2020 valant refus de régularisation de l’arrêté d’autorisation du 2 août 2016 et du jugement du 21 juin 2017 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a annulé cet arrêté.



Sur les frais liés au litige :

17. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SCEA Les Nauds, qui n’est pas pour l’essentiel, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la commune de Coussay-les Bois et l’association de sauvegarde et de protection de l’environnement de Coussay-les-Bois et autres demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances particulières de l’espèce, il n’y a pas lieu de mettre à la charge des intimés une somme en application de ces mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers n°1602671 du 21 juin 2017 ainsi que la décision de la préfète de la Vienne du 10 juillet 2020 de refus de régularisation sont annulés.

Article 2 : La demande de première instance de l’association de sauvegarde et de protection de l’environnement de Coussay-les-Bois et autres est rejetée.

Article 3 : Les conclusions des parties présentées au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.