Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :

La Caisse régionale de Crédit agricole mutuel (CRCAM) de la Touraine et du Poitou a demandé au tribunal administratif de Poitiers de prononcer la décharge de l’amende prévue par l’article 1739-I du code général des impôts, d’un montant de 406 132 euros, mise à sa charge au titre des années 2006 et 2007 par un avis de mise en recouvrement en date du 21 avril 2010, et d’ordonner la restitution des sommes versées.



Par un jugement n° 1300589 du 23 avril 2015, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 23 juin 2015, et des mémoires complémentaires enregistrés les 21 août 2015 et 23 août 2016, la CRCAM, représentée par la SCP Waquet, Farge, Hazan, demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement du tribunal administratif de Poitiers et de faire droit à ses demandes ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat le paiement d’une somme de 3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu : - le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ; - le code pénal ; - le code monétaire et financier ; - le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique : - le rapport de M. Laurent Pouget, - et les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La Caisse régionale du crédit agricole mutuel (CRCAM) de Touraine et du Poitou relève appel du jugement du 23 avril 2015 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à la décharge de l’amende, d’un montant total de 406 132 euros, qui lui a été infligée au titre des années 2006 et 2007, à la suite d’une vérification de comptabilité, sur le fondement des dispositions du I de l’article 1739 du code général des impôts. En vertu de ces dispositions, reprises dans des termes analogues à l’article L. 221-35 du code monétaire et financier, il est interdit aux établissements de crédit qui reçoivent du public des fonds à vue ou à moins de cinq ans d’ouvrir ou de maintenir ouverts dans des conditions irrégulières des comptes bénéficiant d’une aide publique ou d’accepter sur ces comptes des sommes excédant les plafonds autorisés, et les manquements à cette interdiction sont punis par une « amende fiscale » dont le taux est égal au montant des intérêts payés sans pouvoir être inférieure à 75 euros.

Sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens invoqués par la CRCAM de Touraine et du Poitou :

2. L’article 226-13 du code pénal dispose que : « La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende », et l’article 226-14 du même code précise que : « L’article 226-13 n’est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret ». Aux termes de l’article L. 511-33 du code monétaire et financier: « I.-Tout membre d'un conseil d'administration et, selon le cas, d'un conseil de surveillance et toute personne qui à un titre quelconque participe à la direction ou à la gestion d'un établissement de crédit, d'une société de financement ou d'un organisme mentionné aux 5 et 8 de l’article L. 511-6 ou qui est employée par l'un de ceux-ci est tenu au secret professionnel (…) ». Ce même article prévoit que, sauf dans les cas qu’il énumère limitativement, parmi lesquels ne figure pas l’hypothèse de la mise en œuvre des procédures fiscales, ou dans ceux qui seraient par ailleurs prévus par la loi, les établissements de crédit et leurs agents ne peuvent communiquer des informations couvertes par le secret professionnel qu’au cas par cas, à la condition que les personnes concernées les aient expressément autorisé à le faire.

3. Il résulte de l’instruction que l’amende litigieuse a été infligée à la CRCAM de Touraine et du Poitou à la suite de la mise en œuvre de la procédure de vérification de comptabilité prévue par les articles L. 47 et L. 47 A du livre des procédures fiscales. Dans le cadre de cette procédure, l’administration a demandé à cet établissement de crédit d’effectuer des traitements informatiques permettant notamment de contrôler le respect des conditions de détention des différents comptes, plans ou livrets relevant de l’épargne réglementée ouverts au nom des clients de l’établissement. Grâce à ces traitements, le vérificateur a eu accès à des informations portant en particulier sur les dates d’ouverture et de clôture des comptes, les versements effectués sur ces comptes, les intérêts versés ainsi que sur l’identité complète et l’adresse de tous les titulaires.

4. Les informations nominatives décrites au point précédent sont au nombre de celles visées par les dispositions précitées de l’article L. 511-33 du code monétaire et financier. Dès lors qu’il résulte de l’instruction que les clients concernés n’ont pas donné leur accord à la divulgation de ces données, celles-ci ne pouvaient être légalement recueillies par l’administration que dans la mesure où un texte aurait fait obstacle à ce que l’établissement de crédit puisse lui opposer le secret bancaire.

5. L’article L. 13-0 A du livre des procédures fiscales, d’interprétation stricte, qui permet aux agents de l’administration des impôts de demander toutes informations relatives aux « versements afférents aux recettes de toute nature perçues par les personnes dépositaires du secret professionnel », ne leur permet pas « demander de renseignements sur la nature des prestations fournies par ces personnes » et n’autorise pas l’administration à demander des informations nominatives du type de celles décrites au point 3. Par ailleurs, si, en vertu de l’article L. 83 du livre des procédures fiscales, les établissements de crédit, notamment, doivent communiquer à l’administration, sur sa demande, les « documents de service » qu’ils détiennent « sans pouvoir opposer le secret professionnel », le droit de communication reconnu à l'administration par les articles L. 81 à L. 96 dudit livre a seulement pour objet de lui permettre, pour l'établissement et le contrôle de l'assiette d'un contribuable, de demander à un tiers ou, éventuellement au contribuable lui-même, de manière ponctuelle, des renseignements disponibles sans que cela nécessite d'investigations particulières, ou dans les mêmes conditions, de prendre connaissance, et le cas échéant, copie de certains documents existants qui se rapportent à l'activité professionnelle de la personne auprès de laquelle ce droit est exercé. Tel n’est pas le cas en l’espèce puisque, outre le fait qu’elle a explicitement recouru à la procédure de vérification de comptabilité, l’administration a demandé à l’établissement de crédit, indépendamment d’un objectif de contrôle d’assiette, d’effectuer des traitements globaux visant à obtenir des informations exhaustives relatives à tous les comptes relevant de l’épargne réglementée ouverts dans ses écritures, ce qui ne saurait être assimilé à l’exercice du droit de communication. En définitive, ni les dispositions précitées du livre des procédures fiscales, ni aucune autre disposition législative en vigueur à la date de la vérification de comptabilité litigieuse - étant précisé que l’administration n’en invoque d’ailleurs aucune -, ne permettait au service vérificateur de s’affranchir en l’espèce du respect du secret professionnel. Dans ces conditions, l’amende contestée, fondée sur des constats tirés de l’exploitation des données précisées au point 3 ci-dessus, qui ont été recueillies par l’administration selon la procédure de vérification de comptabilité sans respect des conditions propres à permettre la levée du secret professionnel auquel l’établissement requérant est tenu à l’égard de ses clients, a été établie selon une procédure irrégulière.

6. Il résulte de ce qui précède que la CRCAM de Touraine et du Poitou est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 500 euros à verser à la CRCAM de Touraine et du Poitou sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 23 avril 2015 est annulé.

Article 2 : La CRCAM de Touraine et du Poitou est déchargée de l’amende d’un montant de 406 132 euros mise à sa charge au titre des années 2006 et 2007 sur le fondement du I de l’article 1739 du code général des impôts.

Article 3 : L’Etat versera à la CRCAM de Touraine et du Poitou la somme de 1 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.