Vu la requête enregistrée par télécopie le 24 décembre 2012 et régularisée le 27 décembre 2012, présentée pour la société Artelia Eau et Environnement, dont le siège est 6 rue d’Alsace Lorraine à Echirolles (38130), représenté par son président en exercice, par Me Preel ;

La société Artelia Eau et Environnement demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement n° 09-09 du 26 septembre 2012 du tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon, en tant qu’il a condamné la société SOGREAH consultants, aux droits de laquelle elle vient, d’une part, à verser à la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon et à la société de développement et de promotion de l’archipel de Saint-Pierre et Miquelon (SODEPAR) la somme de 2 820 euros, au titre des frais de surveillance du barrage du Goéland déjà supportés et, d’autre part, à prendre en charge la moitié des frais à venir de cette surveillance ;

2°) de condamner la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon et la SODEPAR à lui rembourser la somme de 2 820 euros assortie des intérêts ;

3°) de mettre à la charge de la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon et de la SODEPAR la somme de 5 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

1. Considérant que, pour la construction du nouveau barrage du Goéland, la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon a conclu, notamment, un marché de travaux, avec un groupe d’entreprises et un marché de maîtrise d’œuvre, avec la société SOGREAH consultants ; que les travaux de construction ont commencé en 2007 ; que l’expert, désigné par une première ordonnance en référé dans le cadre d’un différend portant sur des travaux supplémentaires, a relevé la possibilité de formation d’ettringite (minéral composé de sulfate de calcium et d'aluminium hydraté, de formule: Ca6Al2SO43OH12.26H2O) susceptible de provoquer une dégradation interne de l’ouvrage en béton ; que la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon a alors saisi à nouveau le juge des référés du tribunal administratif qui, par ordonnance du 24 octobre 2008, a désigné un expert afin de donner un avis sur ce risque ; qu’au cours des opérations de l’expertise, l’expert a indiqué que, si le risque de dégradation du béton du fait de la formation d’ettringite était négligeable, il existait un risque d’alcali-réaction pouvant entraîner la dégradation du béton composant l’ouvrage, dû à l’utilisation de granulats réactifs de provenance locale ; que la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon et la société de développement et de promotion de l’archipel de Saint-Pierre et Miquelon (SODEPAR) ont demandé au tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon de condamner les constructeurs à remédier aux désordres constitués par ce risque d’alcali-réaction ; que, par son jugement du 26 septembre 2012, le tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon a, après avoir rejeté les conclusions dirigées contre les autres constructeurs, condamné la société SOGREAH consultants, d’une part, à verser à la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon et à la SODEPAR la somme de 2 820 euros, au titre des frais de surveillance du barrage du Goéland déjà supportés et, d’autre part, à prendre en charge la moitié des frais à venir de cette surveillance ; que la société Artelia Eau et Environnement, venant aux droits de la société SOGREAH consultants, relève appel de ce jugement ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article L. 223-1 du code de justice administrative : « Dans les départements et régions d'outre-mer, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin et à Saint-Pierre-et-Miquelon, les tribunaux administratifs peuvent comprendre, à titre permanent ou comme membres suppléants, des magistrats de l'ordre judiciaire. » ; qu’aux termes de l’article R. 223-3 de ce code : « Les magistrats de l'ordre judiciaire appelés à faire partie des tribunaux administratifs des départements et régions d'outre-mer, de Mayotte, de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon sont choisis parmi les magistrats en fonctions dans le ressort. » ; qu’aux termes de l’article R. 223-4 du même code : « Le magistrat mentionné à l'article R. 223-3 est désigné chaque année, dans la première quinzaine du mois de décembre, par le premier président de la cour d'appel ou, le cas échéant, le président du tribunal supérieur d'appel. Un membre suppléant est désigné dans les mêmes conditions. » ; que l’article R. 741-7 du même code dispose que : « Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. » et son article R. 741-8 que : « Si le président de la formation est rapporteur, la minute est signée, en outre, par l'assesseur le plus ancien dans l'ordre du tableau (…) » ;

3. Considérant que le jugement attaqué a été rendu, ainsi qu’il résulte de ses mentions et notamment de ses signatures, par une formation dans laquelle le président exerçait la fonction de rapporteur et un magistrat de l’ordre judiciaire, désigné en application des dispositions précitées des articles L. 223-1, R. 223-3 et R. 223-4 du code de justice administrative, celle d’assesseur le plus ancien ; que ce magistrat n’était pas et ne pouvait pas être l’assesseur le plus ancien « dans l'ordre du tableau » de la formation, qui comptait un magistrat administratif membre du tribunal ; qu’ainsi, ce jugement a été rendu par une formation de jugement irrégulièrement composée ; qu’il doit, par suite, être annulé, sans qu’il soit besoin de statuer sur les moyens de la requête, qui a été enregistrée le 9 novembre 2012 moins de deux mois après la notification du jugement, faite à la société aux droits de laquelle vient la société requérante, et n’est donc pas tardive ;



4. Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu d’évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon et par la SODEPAR au tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon ;

Sur la responsabilité décennale :

5. Considérant qu’il est constant que la réception définitive des travaux a été prononcée, le 1er février 2009, avec effet au 1er janvier 2009, avec des réserves, levées pour la plupart, le 16 juin 2009, dont aucune ne portait sur l’état du béton de l’ouvrage ; qu’ainsi qu’il est dit au point 1, les manifestations du phénomène d’alcali-réaction étaient visibles sur le béton du barrage et aisément décelables ; qu’elles présentaient donc un caractère apparent à la date de la réception, même si l’ampleur de l’évolution du phénomène d’alcali-réaction et, partant, l’importance des risques de dégradation du béton et de leurs conséquences sur la solidité et la destination de l’ouvrage ne pouvaient pas être déterminées avec précision à cette date ; que, dès lors, en raison du caractère apparent des désordres, même de faible ampleur, alors constatés, la réception des travaux fait obstacle à ce que la condamnation des constructeurs soit prononcée sur le fondement de la garantie décennale, par application des principes dont s’inspirent les articles 1792 et suivants du code civil ; que, par suite, les conclusions de la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon et de la SODEPAR tendant à la condamnation de la société BRL, de la société BRL Ingénierie, de la société Saint-Pierraise de Transports, de la société Allen Mahé et de la société Guibert Frères, ayant participé à la construction de l’ouvrage à un titre autre que celui de maître d’œuvre, ainsi qu’en tout état de cause, de la Société Hélène et Fils, intervenue comme sous-traitant, doivent être rejetées ;

Sur la responsabilité contractuelle :

6. Considérant que la responsabilité des maîtres d’œuvre pour manquement à leur devoir de conseil peut être engagée, dès lors qu’ils se sont abstenus d’appeler l’attention du maître d’ouvrage sur des désordres affectant l’ouvrage et dont ils pouvaient avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l’ouvrage ou d’assortir la réception de réserves ; qu’il importe peu, à cet égard, que les vices en cause soient ou non au nombre de ceux de nature à engager la responsabilité décennale des constructeurs ou aient ou non présenté un caractère apparent lors de la réception des travaux, dès lors que le maître d’œuvre en avait eu connaissance en cours de chantier ; qu’ainsi, la société Artelia Eau et Environnement, dont il est constant qu’elle en avait eu connaissance, ne saurait utilement soutenir que les manifestations du phénomène d’alcali-réaction affectant l’ouvrage n’étaient pas de nature à engager la responsabilité des constructeurs, en raison soit de ce qu’elles ne comportaient pas de risques importants pour l’ouvrage, soit de ce qu’elles résultaient de l’utilisation de matériaux réactifs locaux imposée par les exigences du maître de l’ouvrage ; qu’elle ne saurait davantage utilement invoquer la circonstance que ces manifestations étaient apparentes lors de la réception ;

7. Considérant qu’il résulte de l’instruction et notamment du rapport de l’expertise effectuée en exécution de l’ordonnance du 24 octobre 2008 du juge des référés du tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon, que les manifestations du phénomène d’alcali-réaction restent circonscrites et que les probabilités d’une évolution comportant des risques importants pour le barrage sont limitées, pour des raisons climatiques ou tenant à des précautions prises dans la composition du béton ; que toutefois, ainsi qu’il a été dit au point 5, une évolution défavorable de ces manifestations, susceptible de rendre nécessaires des travaux d’un coût important, ne peut pas être exclue ; que, dès lors, elles ne présentent pas le caractère de malfaçons ou de manquements de trop peu d’importance pour faire obstacle à ce qu’une réception sans réserve des travaux soit prononcée ; que, dans ces conditions, la société SOGREAH consultants, maître d’œuvre des travaux litigieux, aux droits de laquelle vient la société Artelia Eau et Environnement, a manqué à son devoir de conseil en ne recommandant pas au maître de l’ouvrage d’assortir de réserves la réception des travaux ;

8. Considérant que l’établissement du décompte général et définitif fixant le montant des honoraires dus aux maîtres d’œuvre, après achèvement de leur mission, met fin à leurs obligations contractuelles, à l’exception de leur obligation de conseil envers le maître de l’ouvrage lors de la réception des travaux et interdit par conséquent au maître de l’ouvrage d’invoquer ultérieurement une faute qu’ils auraient pu commettre dans la conception de l’ouvrage ou dans la direction des travaux ; qu’ainsi qu’il vient d’être dit, la société SOGREAH consultants, maître d’œuvre des travaux litigieux, aux droits de laquelle vient la société Artelia Eau et Environnement, a manqué à son devoir de conseil envers le maître de l’ouvrage lors de la réception des travaux ; que, dès lors, la société Artelia Eau et Environnement, qui se borne d’ailleurs à affirmer que le décompte général et définitif du marché du maître d’œuvre aux droits duquel elle vient a été « établi et entériné », sans produire aucune pièce à l’appui de cette affirmation, ne saurait utilement invoquer cette circonstance ;

9. Considérant qu’il résulte de l’instruction que le maître de l’ouvrage, qui a notamment été destinataire des notes de l’expert relatives au phénomène d’alcali-réaction et a été représenté aux réunions tenues dans le cadre des opérations de l’expertise au cours desquelles la question des conséquences de ce phénomène a été abordée, avant la date du procès-verbal de réception des travaux, ne pouvait pas ignorer les risques que présentaient pour l’ouvrage ces conséquences ; qu’il a, dès lors, commis une imprudence de nature à atténuer la responsabilité du maître d’œuvre en prononçant la réception de l’ouvrage sans l’assortir de réserves relatives à ces conséquences ; que, dans les circonstances de l’espèce, il sera fait une exacte évaluation de la part de responsabilité du maître de l’ouvrage en laissant à la charge de la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon et de la SODEPAR 50 % de la réparation des conséquences du manquement de la société SOGREAH consultants, aux droits de laquelle vient la société Artelia Eau et Environnement, à son devoir de conseil envers le maître de l’ouvrage lors de la réception des travaux ;

Sur la réparation :

10. Considérant qu’il résulte de l’instruction et qu’il n’est pas contesté que le phénomène d’alcali-réaction doit faire l’objet d’une surveillance de son évolution ; que le coût de cette surveillance par un laboratoire spécialisé, selon les modalités préconisées par l’expert à la page 69 du rapport de l’expertise effectuée en exécution de l’ordonnance du 24 octobre 2008 du juge des référés du tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon s’élève à la somme de 5 640 euros HT, pour les examens et analyses déjà réalisées et à la somme de 24 590 euros HT, pour les examens et analyses restant à réaliser à la date du dépôt du rapport de l’expertise ; que si la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon et la SODEPAR demandent la condamnation solidaire du maître d’œuvre et des autres constructeurs à effectuer ces opérations d’examen et d’analyse, une telle demande ne peut qu’être rejetée ; qu’en revanche, ils sont fondés, comme ils le font à titre subsidiaire, à demander que le maître d’œuvre soit condamné à supporter le coût de ces examens et analyses, dont le montant, sus-rappelé et tel qu’il a été estimé par l’expert, n’est pas contesté ;

11. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la société Artelia Eau et Environnement, venant aux droits de la société SOGREAH consultants, doit être condamnée à verser à la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon et à la SODEPAR, d’une part, la somme de 2 820 euros HT, d’autre part et dans la limite d’un montant de 12 295 euros HT, les sommes correspondant, au fur et à mesure de leur réalisation selon les fréquences et modalités définies à la page 69 du rapport de l’expertise effectuée en exécution de l’ordonnance du 24 octobre 2008 du juge des référés du tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon, à la moitié du coût des examens et analyses destinées à la surveillance du phénomène d’alcali-réaction affectant le béton du barrage du Goéland sur le territoire de la commune de Saint-Pierre ;

Sur les dépens :

12. Considérant que l’expertise a été effectuée en exécution de l’ordonnance du 24 octobre 2008 du juge des référés du tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon et de l’ordonnance du 2 juin 2008 du même juge ; qu’elle portait, pour partie, sur les effets du phénomène litigieux et, pour une autre partie, sur un différend relatif à des travaux supplémentaires ; que, compte tenu de l’importance respective de ces parties de l’expertise, la part des frais et honoraires de celle-ci devant être regardée comme consacrée au présent litige doit être fixée à 40 % de leur montant total ; qu’il y a lieu, dès lors et eu égard au partage de responsabilités déterminé au point 9, de mettre à la charge définitive de la société Artelia Eau et Environnement 20 % du montant de ces frais et honoraires ;

Sur l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il n’y a lieu de faire droit aux conclusions d’aucune des parties, présentées en première instance comme en appel, tendant à l’application de ces dispositions ;

DECIDE

Article 1er : Le jugement du 26 septembre 2012 du tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon est annulé.

Article 2 : La société Artelia Eau et Environnement est condamnée à verser à la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon et à la SODEPAR, d’une part, la somme de 2 820 euros HT, d’autre part et dans la limite d’un montant de 12 295 euros HT, les sommes mentionnées au point 11 des motifs du présent arrêt, dans les conditions précisées audit point.

Article 3 : Les frais et honoraires de l’expertise effectuée en exécution des ordonnances du 2 juin 2008 et du 24 octobre 2008 du juge des référés du tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon sont mis à la charge définitive de la société Artelia Eau et Environnement, à concurrence de 20 % de leur montant.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la demande de la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon et de la SODEPAR et de la requête de la société Artelia Eau et Environnement, ainsi que les conclusions présentées en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative par les parties, sont rejetés.