Vu le recours enregistré par télécopie le 10 décembre 2012, et régularisé par courrier le 12 décembre suivant, présenté par le ministre de l’intérieur ;

Le ministre de l’intérieur demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement n° 1100480 du 2 octobre 2012 du tribunal administratif de Pau qui a, d’une part, annulé la décision implicite du 8 février 2011 par laquelle il a refusé de prendre les dispositions permettant de lever l’interdiction de pratiquer des jeux en ligne, opposée à M. R==, et, d’autre part, lui a prescrit d’exclure ce dernier des fichiers des interdits de jeux qu’il met à la disposition des organisateurs de jeux ou de paris en ligne par l’intermédiaire de l’Autorité de régulation des jeux en ligne ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. R== devant le tribunal administratif de Pau ;

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1. Considérant que par une décision du 12 mars 2010, le ministre de l’intérieur, conformément à la demande qui lui en avait été faite par M. R==, a inscrit ce dernier sur la liste des personnes exclues des salles de jeux pour une durée de trois ans ; que cependant, après l’intervention de la loi du 12 mai 2010 relative à l’ouverture des jeux à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, M. R==, constatant qu’il ne pouvait pas participer à des jeux et paris en ligne a, le 5 juillet 2010, sollicité la levée de son interdiction pour ce type de jeux ; que par une décision du 13 septembre 2010, le ministre de l’intérieur, se fondant sur l’article 26 de la loi du 12 mai 2010 relative à l’ouverture des jeux à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, a refusé de faire droit à cette demande ; que M. R== a formé un recours gracieux contre cette décision tout en demandant, au cas où la levée de son interdiction de jeux en ligne ne serait pas possible, la levée de son exclusion des salle de jeux prise le 12 mars 2010 ; que le silence opposé à cette demande présentée le 8 novembre 2010 a fait naître une décision implicite de rejet que l’intéressé a contestée devant le tribunal administratif de Pau ; que le ministre de l’intérieur fait appel du jugement du 2 octobre 2012 de ce tribunal qui a, d’une part, annulé la décision implicite de refus du ministre de prendre les dispositions permettant de lever l’interdiction, opposée à M. R==, de pratiquer des jeux en ligne, et d’autre part, lui a enjoint d’exclure l’intéressé des fichiers des interdits de jeux qu’il met à la disposition des organisateurs de jeux ou de paris en ligne par l’intermédiaire de l’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL) ;

2. Considérant qu’aux termes de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2. Il ne peut y avoir d’ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

3. Considérant qu’aux termes de l’article 26 de la loi du 12 mai 2010 relative à l’ouverture des jeux à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne : « L'opérateur de jeux ou de paris en ligne titulaire de l'agrément prévu à l'article 21 est tenu de faire obstacle à la participation aux activités de jeu ou de pari qu'il propose des personnes interdites de jeu en vertu de la réglementation en vigueur ou exclues de jeu à leur demande. Il interroge à cette fin, par l'intermédiaire de l'Autorité de régulation des jeux en ligne et dans le respect des dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée, les fichiers des interdits de jeu tenus par les services du ministère de l'intérieur. Il clôture tout compte joueur dont le titulaire viendrait à être touché par une interdiction ou une exclusion. Il prévient les comportements de jeu excessif ou pathologique par la mise en place de mécanismes d'auto-exclusion et de modération et de dispositifs d'autolimitation des dépôts et des mises. Il communique en permanence à tout joueur fréquentant son site le solde instantané de son compte. Il informe les joueurs des risques liés au jeu excessif ou pathologique par le biais d'un message de mise en garde, ainsi que des procédures d'inscription sur les fichiers des interdits de jeu tenus par les services du ministère de l'intérieur. Un arrêté du ministre de la santé précise le contenu de ce message de mise en garde » ;

4. Considérant qu’ainsi qu’en a jugé la Cour européenne des droits de l’homme dans son arrêt KU c/ Finlande n° 2872/02 du 2 mars 2009, si le droit respect de la vie privée est garanti par l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, lequel prévoit qu’il ne saurait y avoir d’ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit, cette garantie, lorsqu’elle concerne l’intimité, la confidentialité et la liberté d’expression des utilisateurs d’internet, ne peut être absolue et doit s’effacer devant des impératifs légitimes tels que la protection de l’ordre public, la protection de la santé ou de la morale, ou la protection des droits et libertés d’autrui ; que, dans cette mesure, l’article 8 prévoit que l’ingérence est possible lorsqu’elle est prévue par une loi et lorsqu’elle est nécessaire et proportionnée à ces impératifs ;

5. Considérant que les dispositions de l’article 26 de la loi du 12 mai 2010, qui ont seulement pour objet d’imposer aux opérateurs de jeux ou de paris en ligne de faire obstacle à la participation à ces activités sur internet des personnes déjà inscrites sur le fichier des interdits de jeux, et de mettre en place différentes mesures destinées à prévenir et lutter contre l’assuétude, répondent ainsi à un impératif de protection de la santé des joueurs ou des parieurs qui est proportionné au but légitime recherché et n’est donc pas contraire à l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

6. Considérant que M. R== a lui-même demandé à être interdit de casinos et de salles de jeux, ce qui dénote sa propre vulnérabilité à une pratique de jeu excessive ; que quand bien même les dispositions précitées de l’article 26 de la loi du 12 mai 2010 prévoient des mécanismes de limitation et de mise en garde du joueur, les jeux et paris en ligne, qui ne sont autres que des salles de jeux virtuelles, sont de nature à générer des comportements excessifs ou pathologiques, à tendance addictive, pouvant, de ce fait, porter atteinte à la santé du joueur ou du parieur, voire aux droits ou aux libertés d’autrui, ou même, dans des cas extrêmes, provoquer des atteintes à l’ordre ou des infractions pénales ; que, dans ces conditions, en refusant, sur le fondement de l’article 26 précité, de prendre les dispositions permettant de lever l’interdiction, opposée à M. R==, de participer à des activités de jeux en ligne, le ministre de l’intérieur n’a pas lui-même méconnu les stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, par suite, il est fondé à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif s’est fondé sur la méconnaissance de ces stipulations pour annuler la décision implicite de rejet contestée et lui enjoindre de prendre les dispositions nécessaires permettant de lever l’interdiction de pratiquer les jeux en ligne ;

7. Considérant, toutefois, qu’il appartient à la cour, saisie par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par M. R== devant le tribunal administratif ;

8. Considérant qu’aux termes de l’article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales (…) / » ; que les dispositions litigieuses de la loi du 10 mai 2010 n’ont pas pour objet de limiter la liberté physique des individus ainsi que la sûreté des personnes ; que, par suite, le requérant ne saurait utilement se prévaloir d’une méconnaissance des stipulations précitées de l’article 5 de cette convention ;

9. Considérant que les dispositions de la loi du 12 mai 2010 sont d’application immédiate ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que l’article 26 de cette loi aurait été appliqué rétroactivement au requérant, lequel avait été exclu des salles de jeux à compter du 12 mars 2010, doit être écarté ; que la mesure d’interdiction de participer à des activités de jeux en ligne découlant directement de l’application de ces dispositions, la circonstance que le requérant n’avait pas demandé à être interdit de jeux en ligne est sans influence sur la légalité de la décision implicite de rejet litigieuse ;

10. Considérant que le silence observé sur le recours gracieux formé par M. R== a nécessairement fait naître une décision implicite de rejet qui émane de l’autorité compétente ; que la circonstance que le requérant n’a pas été convoqué par les services de police avant de faire l’objet tant de la décision initiale d’exclusion des salles de jeux qui a été prise sur sa demande que de celle qui rejette sa demande de levée d’interdiction est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée ;

11. Considérant, enfin, qu’en application de l’article 22, 1° de l’arrêté du 14 mai 2007 relatif à la réglementation des jeux dans les casinos, la mesure d’exclusion des salles de jeux des personnes qui sollicitent cette mesure a été prise pour une durée de trois ans ; que si le requérant soutient qu’il est passionné de football et qu’il souhaite seulement participer à des jeux et paris en ligne lors de rencontres sportives, cette circonstance n’est pas de nature à établir que la décision de refus implicite du ministre de levée de l’interdiction volontaire de salle de jeux intervenue moins d’un an après serait entachée d’erreur d’appréciation ;

12. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. R== n’est pas fondé à demander l’annulation de la décision implicite de rejet contestée ; que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d’injonction tendant à la levée de son interdiction de jeux en ligne ou, subsidiairement, de son exclusion des salles de jeux doivent être rejetées ;

DECIDE

Article 1er : Le jugement n° 1100480 du 2 octobre 2012 du tribunal administratif de Pau est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. R== devant le tribunal administratif est rejetée.