Licenciement d’un salarié protégé – Refus de l’employeur de communiquer des documents et de répondre aux questions posées par les membres du comité d’entreprise : Irrégularité de la procédure préalable à l’autorisation administrative
Par Administrateur le vendredi 21 février 2014, 08:32 - TRAVAIL - Lien permanent
En vertu de l’article L. 2323-4 du code du travail, il appartient à l’employeur de mettre le comité d’entreprise à même d’émettre son avis en toute connaissance de cause sur la procédure de licenciement dont fait l’objet un salarié protégé. En refusant de communiquer au comité d’entreprise des documents qu’il détient sur les faits reprochés au salarié et en refusant de répondre de manière motivée aux observations des membres du comité d’entreprise, l’employeur n’a pas transmis, en toute loyauté, au comité d’entreprise les informations précises et écrites dont il disposait afin que cette instance émette son avis sur la réalité des motifs de licenciement. L’information donnée aux membres du comité d’entreprise constituant une formalité substantielle, le non-respect des dispositions de l’article L. 2323-4 du code du travail entache d’irrégularité la procédure de licenciement.
Arrêt 13BX01397 – 6ème chambre - 17 février 2014 – M. P==C Le pourvoi en cassation n° 377963 n’est pas admis. Décision du CE du 26 janvier 2015.
Vu la requête enregistrée le 24 mai 2013, présentée pour M. C== P==
M. P== demande à la cour :
1°) d’annuler le jugement n° 1200319 du 26 mars 2013 du tribunal administratif de Pau qui a annulé la décision du ministre du travail du 20 décembre 2011 en tant qu’elle a rejeté la demande d’autorisation de licenciement le concernant présentée par la société Fonderie M== ;
2°) de mettre à la charge de la société Fonderie M== une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
1. Considérant que M. P== a été recruté, le 2 janvier 2006, en qualité d’agent de production au sein de la société Fonderie M== et spécialisée dans la fabrication de pièces destinées à l’industrie aéronautique ; que l’intéressé détient, depuis le mois de mai 2010, le mandat de délégué suppléant de la délégation unique du personnel, laquelle exerce, au sein de la société, les attributions dévolues aux délégués du personnel et au comité d’entreprise ; qu’au début de l’année 2011, cette société a connu un conflit social, ayant entraîné des actions de débrayage et d’occupation de la part des salariés, notamment en ce qui concerne la prise des congés payés dans l‘établissement, des compteurs de la modulation dans le cadre des trente-cinq heures, de la mise en place d’un compte-épargne temps dans le cadre des dépassements de forfait, du projet d’accord d’intéressement et des modalités d’application des heures supplémentaires ; que ce conflit a abouti à un protocole de fin de travail signé le 23 février 2011 ; que la société reprochant à M. P== d’avoir, au cours de ces arrêts de travail, utilisé irrégulièrement et à plusieurs reprises, des instruments de travail en vue d’alimenter une sirène pour annoncer des débrayages, d’avoir participé à l’interruption d’une réunion de travail ainsi qu’à l’occupation temporaire d’une partie des locaux de la société, et enfin d’avoir participé, le 17 février 2011, à la séquestration du président de la société et de plusieurs cadres, dans le but d’obtenir l’abandon de la procédure disciplinaire engagée à son encontre quelques jours auparavant, elle a, le 11 avril 2011, saisi l’inspection du travail d’une demande d’autorisation de licencier M. P==, salarié protégé ; que par une décision du 31 mai 2011, l’inspectrice du travail de la 3ème section de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Dirrecte) d’Aquitaine a rejeté cette demande ; que, saisi d’un recours hiérarchique par la société Fonderie M==, le ministre du travail, de l’emploi et de la santé a, par une décision du 20 décembre 2011, annulé la décision de l’inspectrice du travail tout en refusant à cette société l’autorisation de licencier M. P== ; que ce dernier fait appel du jugement du 26 mars 2013 du tribunal administratif de Pau qui a annulé la décision du ministre du travail du 20 décembre 2011 en tant qu’elle a rejeté la demande de licenciement le concernant présentée par la société Fonderie M== ;
2. Considérant que pour annuler la décision de l’inspectrice du travail et refuser l’autorisation de licenciement dont il était saisi, le ministre du travail s’est fondé principalement sur le motif tiré de ce que la consultation préalable du comité d’entreprise était irrégulière faute pour l’employeur d’avoir communiqué aux membres de cette instance plusieurs témoignages ainsi que deux constats d’huissier relatifs aux faits incriminés ;
3. Considérant qu’aux termes de l’article L. 2421-3 du code du travail : « Le licenciement envisagé par l'employeur d'un délégué du personnel ou d'un membre élu du comité d'entreprise titulaire ou suppléant, d'un représentant syndical au comité d'entreprise (…) est soumis au comité d'entreprise, qui donne un avis sur le projet de licenciement. (…) » ; qu’aux termes de l’article L. 2323-4 du même code : « Pour lui permettre de formuler un avis motivé, le comité d'entreprise dispose d'informations précises et écrites transmises par l'employeur, d'un délai d'examen suffisant et de la réponse motivée de l'employeur à ses propres observations. » ; qu’à cette fin, il appartient à l’employeur de mettre le comité d’entreprise à même d’émettre son avis en toute connaissance de cause sur la procédure dont fait l’objet le salarié protégé, en lui transmettant des informations précises et écrites sur les motifs de celle-ci, ainsi que le prescrivent les dispositions précitées de l’article L. 2323-4 ;
4. Considérant que pour juger que ce motif était entaché d’une erreur de droit, le tribunal administratif a estimé que si ces dispositions imposent à l’employeur de mettre le comité d’entreprise à même d’émettre son avis en toute connaissance de cause sur la procédure dont fait l’objet le salarié protégé et qu’à ce titre, l’employeur doit transmettre à cette instance des informations précises et écrites sur les motifs de la procédure engagée, cette obligation d’information du comité d’entreprise n’allait pas jusqu’à imposer à l’employeur de fournir aux membres de cette instance un dossier complet sur les faits incriminés, de sorte que la circonstance que la direction de la société requérante ne leur a pas communiqué les témoignages et constats d’huissier mentionnés au point n° 3 ne révélait pas, à elle seule, une information insuffisante des membres de cette instance ;
5. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que les membres du comité d’entreprise ont reçu, le 22 mars 2011, une convocation à une réunion extraordinaire à laquelle était joint l’ordre du jour de cette réunion ; que si cet ordre du jour détaillait les faits reprochés à M. P==, en particulier sa participation à la séquestration du personnel dirigeant de la société, il ressort des mentions du procès-verbal de la réunion extraordinaire du comité d’entreprise du 30 mars 2011 que l’employeur a, en dépit de la demande qui lui a été adressée, sciemment refusé de communiquer aux membres de cette instance les documents datés entre le 8 et le 16 février 2011 ainsi que deux constats d’huissier des 7 et 11 février 2011 dont il disposait déjà puisqu’il précisait être en mesure de les communiquer ultérieurement à l’inspection du travail s’ils lui étaient demandés et qu’il les a d’ailleurs produits devant l’inspection du travail ; qu’en procédant ainsi, l’employeur n’a pas transmis, en toute loyauté, au comité d’entreprise les informations précises et écrites dont il disposait, ni fourni une réponse motivée aux observations des membres de ce comité comme l’exigent pourtant les dispositions précitées de l’article L. 2323-4 du code du travail afin que cette instance émette son avis sur la réalité des motifs de licenciement ; que l’information donnée aux membres du comité d’entreprise constitue une formalité substantielle dont le non-respect entache d’irrégularité la procédure de licenciement ; qu’il résulte de l’instruction que s’il n’avait retenu que ce seul motif, qui est légalement fondé, le ministre du travail aurait pris la même décision ;
6. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède et sans qu’il y ait lieu pour la cour de se prononcer sur les motifs surabondants de la décision contestée du 20 décembre 2011, que M. P== est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a annulé la décision du ministre du travail du 20 décembre 2011 en tant qu’elle a rejeté la demande d’autorisation de licenciement le concernant présentée par la société Fonderie M== ;
7. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. P==, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la société Fonderie M== au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société Fonderie M== une somme de 1 500 euros à verser à M. P== sur le fondement des mêmes dispositions ;
DECIDE
Article 1er : Le jugement n° 1200319 du 26 mars 2013 du tribunal administratif de Pau est annulé.
Article 2 : La demande de la société Fonderie M== présentée devant le tribunal administratif de Pau est rejetée.
Article 3 : La société Fonderie M== versera à M. P== la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de la société Fonderie M== présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.