Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme L== a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d’annuler la décision du 14 mars 2014 par laquelle l’inspecteur du travail de l’unité territoriale de la Gironde de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi de la région Aquitaine a autorisé son licenciement pour inaptitude physique, et de mettre à la charge de l’Etat et de la société Cabeval une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1401960 du 5 mars 2015, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé la décision de l’inspecteur du travail du 14 mars 2014 et a rejeté le surplus des conclusions de la demande de Mme L==.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires et pièces complémentaires, enregistrés les 4 mai, 19 juin, 15 octobre 2015, et les 3 mars, 4 avril, 14 juin 2016, la société Cabeval, représentée par la SELAS Barthelemy et associés, avocats, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 5 mars 2015 ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme L== devant le tribunal administratif ;

3°) de mettre à la charge de Mme L== la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Considérant ce qui suit :

1. Mme L==, qui a été recrutée par la société Cabeval en 1998 en qualité de vendeuse au rayon boucherie au sein du magasin Intermarché qu’elle exploite à Beguey Cadillac, a été élue membre suppléant de la délégation unique du personnel le 8 janvier 2011 et membre du comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail le 18 janvier 2011. A la suite du changement de planning et de la modification des attributions de Mme L==, un conflit l’a opposée à son employeur, en fin d’année 2012, au sujet de cette nouvelle organisation de son travail conduisant à ce qu’elle soit placée en arrêt de travail. Le 16 décembre 2013, le médecin du travail a déclaré Mme L== inapte à tout poste dans l’entreprise à l’issue d’une seule visite de reprise en application de l’article R. 4624-31 du code du travail. Celui-ci sur saisine de l’employeur a confirmé par écrit à la suite de sa visite sur le site le 7 janvier 2014, l’inaptitude à tout poste existant dans l’entreprise. La société Cabeval, après avoir consulté, le 17 janvier 2014, les délégués du personnel sur les possibilités de reclassement de Mme L==, a demandé, le 21 février 2014, l’autorisation de licencier l’intéressée, qui lui a été accordée par l’inspecteur du travail le 14 mars 2014. Par un jugement du 5 avril 2015, le tribunal administratif de Bordeaux a prononcé l’annulation de cette décision de l’inspecteur du travail. La société Cabeval en relève appel.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative « Les jugements sont motivés. ». Si la société requérante soutient que le jugement attaqué est insuffisamment motivé, sans autre précision au demeurant, ce jugement énonce de manière suffisamment précise le motif pour lequel les premiers juges ont considéré que la société n’avait pas respectée son obligation de reclassement dans le cadre du licenciement pour inaptitude physique. Dès lors, le moyen tiré d'une insuffisance de motivation de ce jugement manque en fait.

Sur le motif d’annulation retenu par le tribunal :

3. En vertu du code du travail, les salariés protégés bénéficient, dans l’intérêt de l’ensemble des travailleurs qu’ils représentent, d’une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement de l’un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l’intéressé ou avec son appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l’inaptitude physique, il appartient à l’administration de s’assurer, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, que l’employeur a, conformément aux dispositions de l’article L. 1226-2 du code du travail, cherché à reclasser le salarié sur d’autres postes appropriés à ses capacités, le cas échéant par la mise en œuvre, dans l’entreprise, de mesures telles que mutations ou transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail. Le licenciement ne peut être autorisé que dans le cas où l’employeur n’a pu reclasser le salarié dans un emploi approprié à ses capacités au terme d’une recherche sérieuse, menée tant au sein de l’entreprise que dans les entreprises dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d’y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel.

4. Le tribunal administratif de Bordeaux, pour annuler, par le jugement attaqué, l’autorisation accordée par l’inspecteur du travail à la société Cabeval, le 14 mars 2014, de licencier Mme L==, a jugé que, l’administration en estimant que la société Cabeval avait satisfait à l’égard de Mme L== à son obligation légale de reclassement, s’était livrée à une appréciation inexacte des faits de l’espèce, dès lors que les recherches de reclassement effectuées par l’employeur s’étaient limitées au seul au périmètre de l’entreprise alors que cette dernière devait être regardée comme appartenant au groupement Intermarché, dont l’existence était révélée par un faisceau d’indices ressortant des pièces du dossier.

5. Le médecin du travail a considéré par un avis du 16 décembre 2013, que Mme L== était inapte à tout poste dans l’entreprise. Puis à la demande de la société Cabeval, le médecin du travail est venu le 7 janvier 2014 au sein de l’établissement et a confirmé par correspondance du même jour que Mme L== était inapte à tout poste dans l’entreprise mais qu’elle serait apte à un poste présentant des conditions d’organisation et de management différent. La société Cabeval, dès le 28 janvier 2014, a fait savoir à Mme L== qu’elle était dans l’impossibilité de pouvoir procéder à son reclassement. Elle soutient s'être acquittée de cette obligation car en tant que société autonome gestionnaire du seul magasin Intermarché de Beguey, dirigeant son personnel de manière indépendante, elle n'était pas tenue d'effectuer la recherche d'un reclassement extérieur.

6. Dans le cadre de son obligation de moyen, le périmètre de reclassement au sein d'un groupe auquel appartient l'employeur comprend les entreprises dont les activités, l'organisation et le lieu d'exploitation permettent d'effectuer une permutation de tout ou partie du personnel. Si la seule appartenance d'entreprises franchisées à une même enseigne commerciale ne caractérise pas l'existence d'un tel groupe, un groupement d'entreprises liées par des intérêts communs et des relations étroites assurant la permutabilité du personnel constitue le périmètre de reclassement d'un salarié d'une des entreprises appartenant à ce groupement. En l'espèce, les entreprises membres du groupement Intermarché sont liées par des intérêts communs relevant du sort de l'enseigne dont la bonne image générale rejaillit sur leur propre exploitation, elles entretiennent des relations étroites notamment par l'intermédiaire de la société qui leur consent la franchise. Leur communauté d'organisation, d'objectifs, d'approvisionnement, de politiques commerciales permettent aussi d’assurer, entre ces différentes entités, la permutabilité de leur personnel dont témoigne d'ailleurs l’existence d’une centrale d’annonces. Dès lors l’obligation de recherche de reclassement de la société Cabeval devait s’étendre aux autres sociétés adhérentes du groupement, même juridiquement indépendantes, arborant l'enseigne Intermarché. Ainsi, la société Cabeval ne peut être regardée comme ayant organisé efficacement la diffusion des recherches de reclassement de Mme L==, lesquelles manquaient du caractère systématique et de la rigueur qui s'imposent, comme l’ont estimés les premiers juges pour relever que l'employeur n'avait pas respecté son obligation de reclassement. Par conséquent, cette obligation de reclassement n’ayant pas été mise en œuvre, la décision de l’inspecteur du travail autorisant le licenciement de Mme L== était bien illégale.

7. Il résulte de ce qui précède que la Société Cabeval n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé la décision du 14 mars 2014 autorisant le licenciement de Mme L==.

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme L==, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, une somme au titre des frais exposés par la société Cabeval à l’occasion du litige. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Cabeval au profit de Mme L==, une somme de 1 500 euros sur le fondement de ces mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Cabeval est rejetée.

Article 2 : Il est mis à la charge de la société Cabeval, au profit de Mme L==, la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.