Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Bordeaux Métropole a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d’homologuer la transaction qu’elle a signée le 5 mars 2019 avec le groupement d’entrepreneurs en charge des travaux de construction du pont Simone Veil à l’issue d’un processus de médiation.

Par un jugement n° 1902219 du 15 juillet 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a refusé de procéder à l’homologation de cette transaction.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 1er août 2019, Bordeaux Métropole, représentée par Me Cabanes, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 15 juillet 2019 ;

2°) de procéder à l’homologation de l’accord de médiation conclu le 5 mars 2019 avec le groupement d’entrepreneurs en charge des travaux de construction du pont Simone Veil.


Considérant ce qui suit :

1. Par acte d’engagement du 28 juillet 2017, Bordeaux Métropole a confié à un groupement conjoint, constitué par les sociétés Razel-Bec, mandataire solidaire, ETPO, Fayat Entreprise TP, Sefi-Intrafor, Barbot CM et Baudin-Châteauneuf, le marché de construction du pont Simone Veil , qui franchira la Garonne sur un tablier de 550 mètres de long, pour un montant global de 69 874 690 euros HT. L’ordre de service marquant le démarrage du délai global de 32 mois et de la période de préparation de trois mois a été émis à effet du 1er septembre 2017. Consécutivement à la découverte, en novembre 2017, d’un phénomène naturel d’affouillement susceptible de perturber la construction des piles du pont, le groupement a demandé à Bordeaux Métropole une prolongation du délai d’exécution de 19 mois et un complément de rémunération de 18 488 494,02 euros pour la mise en place d’un dispositif de protection des batardeaux au moyen de gabions. Après le rejet de cette demande par Bordeaux Métropole, cet établissement public et la société Razel-Bec ont, conjointement, demandé en juin 2018 au président du tribunal administratif de Bordeaux de désigner un médiateur afin de résoudre ce différend. Le 5 mars 2019, à l’issue du processus de médiation, un avenant n° 1 au marché a été conclu entre les parties.

2. Cet avenant indique, en préambule, qu’il a pour objet de mettre fin au différend né des difficultés d’exécution rencontrées par le groupement à raison de ce phénomène d’affouillement et portant sur ses implications tant contractuelles que financières. Il prévoit, au principal, la résiliation partielle du marché de construction en ce qui concerne certains ouvrages de génie civil impliquant la passation future, après mise en concurrence, d’un marché de substitution, la fixation du montant des travaux de génie civil dont l’exécution est maintenue à la somme de 22 784 185,98 euros, le transfert à la seule société Baudin-Châteauneuf de l’exécution de l’ensemble des travaux de fabrication et de mise en place de la charpente métallique, le versement à cette dernière société des sommes de 540 800 euros et 350 000 euros, correspondant, respectivement, à la rémunération de travaux supplémentaires et à l’indemnisation des préjudices que cette société a subis à raison de l’interruption des travaux, et le versement aux autres membres du groupement des sommes de 1 156 886 euros et 360 000 euros correspondant, respectivement, au rachat, par l’établissement public, des estacades provisoires et à l’indemnisation forfaitaire des préjudices qu’ils ont subis à raison de l’interruption des travaux. Son article 10, intitulé « caractère transactionnel », précise que sa signature par les parties « solde définitivement toute forme de litige qui a pu les opposer et dont le fait générateur est antérieur à la date du 18 décembre 2018. ».

3. Bordeaux Métropole, la société Razel-Bec, en sa qualité de mandataire du groupement en charge des travaux, et la société Barbot CM demandent à la cour d’annuler le jugement du 15 juillet 2019 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a refusé d’homologuer cet accord.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. Pour refuser d’homologuer l’accord dont s’agit, le tribunal administratif de Bordeaux a estimé que l’avenant n°1 ne définissait pas clairement la contestation à laquelle il a mis fin en méconnaissance de l’article 2048 du code civil, qu’il comportait la passation d’un nouveau marché avec la société Baudin-Châteauneuf en méconnaissance des obligations de publicité et de mise en concurrence et qu’il révélait des concessions manifestement déséquilibrées en faveur du groupement d’entreprises.

En ce qui concerne l’application des dispositions du code civil relatives aux transactions :

5. D’une part, aux termes de l’article L. 213-1 du code de justice administrative : « La médiation régie par le présent chapitre s'entend de tout processus structuré, quelle qu'en soit la dénomination, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l'aide d'un tiers, le médiateur, choisi par elles ou désigné, avec leur accord, par la juridiction ». L’article L. 213-3 de ce code précise que « l’accord auquel parviennent les parties ne peut porter atteinte à des droits dont elles n’ont pas la libre disposition ». Enfin, l’article L. 213-4 du même code prévoit que « Saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut, dans tous les cas où un processus de médiation a été engagé en application du présent chapitre, homologuer et donner force exécutoire à l’accord issu de la médiation ».

6. D’autre part, l’article 2044 du code civil dispose que « La transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître. Ce contrat doit être rédigé par écrit ». Il résulte de ces dispositions, combinées avec celles des articles 6 et 2052 du code civil, que l'administration, peut, ainsi que le rappelle désormais l'article L. 423-1 du code des relations entre le public et l'administration, légalement conclure avec un ou des particuliers un protocole transactionnel afin de prévenir ou d'éteindre un litige, sous réserve de la licéité de l'objet de ce dernier, de l'existence de concessions réciproques et équilibrées entre les parties et du respect de l'ordre public.

7. Lorsque le juge est saisi d’une demande d’homologation d’un accord de médiation, il lui appartient d’appliquer les dispositions du code de justice administrative propres à ce type d’accord en s’assurant de l’accord de volonté des parties, de ce que celles-ci n’ont pas porté atteinte à des droits dont elles n’auraient pas eu la libre disposition et de ce que l’accord ne contrevient pas à l’ordre public ni n’accorde de libéralité. Les dispositions de l’article L. 213-1 du code de justice administrative n’imposent pas aux parties de conclure une médiation par une transaction au sens de l’article 2044 du code civil. Toutefois, lorsqu’il est saisi d’une demande d’homologation d’une transaction concrétisant un accord de médiation, le juge doit encore examiner si celle-ci répond aux exigences fixées par le code civil et par le code des relations entre le public et l’administration.

8. En l’espèce, il résulte de l’examen de l’ensemble des stipulations de cet avenant, au demeurant qualifié de transactionnel par les parties elles-mêmes en son point 10, que celles-ci ont entendu donner un caractère transactionnel à l’accord auquel elles sont parvenues et qui a pris la forme d’un avenant au contrat qui les lie. Par suite, Bordeaux Métropole n’est pas fondée à soutenir que cet avenant ne serait pas régi par les dispositions du code civil relatives aux transactions et, en particulier, par celles de l’article 2048 de ce code.

En ce qui concerne la portée de l’avenant du 5 mars 2019 :

9. Aux termes de l’article 2048 du code civil : « Les transactions se renferment dans leur objet : la renonciation qui y est faite à tous droits, actions et prétentions, ne s’entend que de ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu ».

10. Il résulte des termes de l’avenant transactionnel n° 1 qu’il indique avec précision, tant dans son préambule que dans ses stipulations, quel différend il entend résoudre. En outre, le caractère général de la mention selon laquelle il solde définitivement toute forme de litige qui a pu opposer les contractants « et dont le fait générateur est antérieur à la date du 18 décembre 2018 », qui se borne à réserver les différends qui naîtraient d’éléments apparus après la fin de la négociation entre les parties, ne saurait révéler, en lui-même, une insuffisance de précision de son objet ni méconnaître, contrairement à ce qu’a estimé le tribunal, les dispositions de l’article 2048 du code civil, lesquelles ont pour seul objet de préciser que les transactions n’ont d’effet qu’au regard des différends auxquelles elles mettent fin.

En ce qui concerne l’existence d’un nouveau marché conclu avec Baudin-Châteauneuf :

11. Aux termes de l’article 65 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 : « Les conditions dans lesquelles un marché public peut être modifié en cours d'exécution sont fixées par voie réglementaire. Ces modifications ne peuvent changer la nature globale du marché public. Lorsque l'exécution du marché public ne peut être poursuivie sans une modification contraire aux dispositions prévues par la présente ordonnance, le marché public peut être résilié par l'acheteur. ». En outre, il résulte de la combinaison des dispositions des articles 139 et 140 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 pris pour l’application de cette ordonnance, et applicables au marché dont s’agit, qu’un marché public peut notamment être modifié, d’une part et dans la limite de 50 % du marché public initial, lorsque la modification est rendue nécessaire par des circonstances qu'un acheteur diligent ne pouvait pas prévoir et, d’autre part, lorsque le montant de la modification est inférieur au seuil européen publié au Journal officiel de la République française, soit 5 548 000 euros, et à 15 % du montant du marché initial pour les marchés publics de travaux.

12. En l’occurrence, il résulte de l’acte d’engagement du marché de construction du pont Simone Veil que Bordeaux Métropole avait confié l’exécution des travaux de fabrication et de mise en place de la charpente métallique à la société Baudin-Châteauneuf pour une somme de 12 982 100 euros hors taxes et les travaux de façonnage de ces charpentes à la société Barbot CM pour un montant global de 2 259 555 euros. Cependant, dans le cadre d’un avenant à la convention de groupement, signé le 4 janvier 2018, antérieurement à la demande de prolongation du délai d’exécution des travaux sollicitée par le groupement le 23 avril 2018, la société Baudin-Châteauneuf s’est substituée à la société Barbot CM. de sorte que le montant total des travaux relatifs à la charpente métallique confiés à la société Baudin-Châteauneuf s’élevait, avant l’intervention de l’avenant conclu le 5 mars 2019, à la somme de 15 241 655 euros.

13. Ce dernier avenant a pour objet de maintenir globalement inchangées les prestations de fabrication, de façonnage et de mise en place de la charpente métallique. Par ailleurs, il confie à la société Baudin-Châteauneuf la réalisation de travaux supplémentaires indispensables à la poursuite de l’exécution du marché, en particulier le transport et l’entreposage pendant vingt mois des charpentes déjà fabriquées, pour un montant global de 540 800 euros, et divers travaux précédemment attribués aux autres membres du groupement pour une somme de 489 897,56 euros. Si le tribunal a pris en compte une prestation supplémentaire qui n’était qu’éventuelle au titre du point 42 de l’annexe à l’avenant, le montant des travaux supplémentaires confiés à la société Baudin-Châteauneuf n’excède en toute hypothèse ni le seuil européen cité au point 11 ni 15 % du montant de la part non résiliée du marché initial. Par suite, Bordeaux Métropole, la société Razel-Bec et la société Barbot CM sont fondées à soutenir que c’est à tort que les premiers juges ont considéré que l’avenant transactionnel dont l’homologation est demandée impliquait nécessairement la conclusion d’un nouveau marché avec la société Baudin-Châteauneuf.

14. Par ailleurs, si l’avenant n°1 à ce marché, signé le 5 mars 2019, comportait une résiliation partielle du marché, pour un montant de 31 358 951,46 euros, au demeurant inférieur au seuil de 50 % fixé par les dispositions précitées des articles 139 et 140 du décret du 25 mars 2016, il est constant que la partie résiliée du marché sera remplacée par un nouveau marché qui sera soumis aux règles de publicité et de mise en concurrence applicables.

En ce qui concerne les concessions réciproques :

15. Il résulte de l’instruction que les 42 points que comporte l’annexe à cet avenant intitulée « Interfaces entre les prestations de la société Baudin-Châteauneuf et celles du futur marché de génie civil » n’ont pas été édictés dans le seul intérêt de la société Baudin-Châteauneuf mais ont pour objet de valoriser, dans l’intérêt des parties, les travaux, les études et les choix techniques réalisés par le groupement d’entreprise, de lister les tâches qui n’ont pas été réalisées dans le cadre de l’exécution du marché initial et devront donc l’être dans le cadre du marché de substitution, enfin de fixer les obligations réciproques, notamment en terme de planning et de coordination des travaux, auxquelles la société Baudin-Châteauneuf et l’attributaire du futur marché de génie civil devront se soumettre.

16. Il résulte également de l’instruction que 70 % des études d’exécution contractuellement prévues ont été réalisées et qu’elles devront être utilisées par l’attributaire du futur marché en application de l’annexe « Interfaces entre les prestations de la société Baudin-Châteauneuf et celles du futur marché de génie civil », que les membres du groupement sont contractuellement tenus de procéder au démontage de leurs installations avant réception des travaux et que l’avenant n° 1 prévoit la réalisation par les membres du groupement de 56 % des travaux initialement prévus, outre la réalisation de travaux supplémentaires de remblai.

17. Dans ces conditions, Bordeaux Métropole ne peut être regardée comme ayant consenti des concessions manifestement disproportionnées en acceptant, d’une part, de verser au groupement d’entreprises une somme globale de 22 784 185,98 euros correspondant au montant contractuel des travaux de génie civil réalisés et comprenant, en outre, le versement de 70 % de la somme contractuellement fixée pour la réalisation des études d’exécution, celui de 80 % de la somme contractuellement fixée au titre des frais d’installation de chantier, celui d’une somme de 360 000 euros au titre des frais subis par le groupement à raison de l’interruption des travaux et, enfin, celui d’une somme de 1 156 886 euros correspondant au rachat, par l’établissement public, des estacades provisoires, cette dernière somme devant être amortie lors de la conclusion du marché de substitution par la reprise de ces équipements par le nouveau titulaire, et, d’autre part, de verser à la société Baudin-Châteauneuf une indemnité forfaitaire de 350 000 euros au titre de « ses pertes de bénéfices et frais de siège », dès lors qu’il est constant que la responsabilité de cette société n’est pas susceptible d’être engagée à raison du retard pris dans l’exécution des travaux concernant la mise en place des piles du pont, mais que ce retard lui a, au contraire, causé un préjudice financier dont elle aurait été fondée à rechercher l’indemnisation auprès du maître de l’ouvrage.

18. Enfin, si, en sa qualité de maître de l’ouvrage, Bordeaux Métropole aurait pu exiger la poursuite de l’exécution du marché initial ou, au contraire, résilier l’intégralité de ce marché pour un motif d’intérêt général, la mise en œuvre de l’un ou l’autre des termes de cette alternative l’exposait, en raison du litige noué entre cet établissement public et le groupement d’entreprises quant à l’existence d’une sujétion imprévue, à d’importants risques contentieux ainsi qu’à un renchérissement probable du coût final des travaux, aurait nécessairement entraîné un allongement significatif des délais de réalisation du pont Simone Veil et serait demeurée sans incidence sur la nécessaire coordination des cotraitants et la détermination de leurs éventuelles responsabilités, contrairement à ce qu’ont estimé les premiers juges. Dans ces conditions, eu égard à la nature des difficultés rencontrées dans l’exécution du marché et dès lors que le groupement attributaire a, réciproquement, renoncé à engager une action contentieuse ou à solliciter l’application des stipulations financières contractuellement applicables en cas de résiliation du marché, qui aurait abouti au versement à son profit d’une somme supérieure à un million d’euros, Bordeaux Métropole, la société Razel-Bec et la société Barbot CM sont fondées à soutenir que c’est à tort que les premiers juges ont considéré que Bordeaux Métropole avait consenti des concessions manifestement disproportionnées par rapport à celles de ses cocontractants en renonçant tant à exiger la poursuite de l’exécution du marché initial qu’à en prononcer la résiliation dans sa totalité.

19. Il résulte de tout ce qui précède qu’aucun des trois motifs retenus par le tribunal n’est de nature à faire obstacle à l’homologation de l’accord transactionnel.

20. Il y a lieu, pour la cour, saisie par l’effet dévolutif de l’appel, de statuer sur les conclusions présentées par les parties devant le tribunal administratif et devant la cour.

Sur l’homologation de la transaction :

21. Il résulte de l’instruction que, par une délibération du 15 février 2019, le conseil de la métropole a autorisé le président de Bordeaux Métropole à signer l’avenant transactionnel dont s’agit et à en demander l’homologation, que l’objet de cet avenant est licite, que son contenu respecte l’ordre public et comporte des concessions réciproques qui n’apparaissent pas manifestement déséquilibrées au détriment de l’une ou l’autre partie. Par suite, rien ne s’oppose à son homologation.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 1902219 du 15 juillet 2019 est annulé.

Article 2 : L’avenant transactionnel n° 1 signé le 5 mars 2019 entre Bordeaux Métropole et le groupement d’entrepreneurs en charge des travaux de construction du pont Simone Veil est homologué.