Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. X== V==, M. S== V==, Mme F==V==, Mme M==-G== V== et la société Château Bourgneuf Vayron, société civile d'exploitation agricole, ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux d’annuler, pour excès de pouvoir, l’arrêté du maire de Pomerol du 20 octobre 2014 de « non-opposition avec prescriptions » accordant à la société Groupe Clinet, société à responsabilité limitée, un permis de construire au nom de la commune pour l’extension d’un centre de vinification sur un terrain situé chemin de Bourgneuf.

Par un jugement n° 1405229 du 30 juin 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 24 août 2016, et un mémoire enregistré le 21 mars 2018 et régularisé le 22 mars, M. X== V==, M. S== V==, Mme F== V==, Mme M==-G== V== et la société Château Bourgneuf Vayron, représentés par Me Magret et Me Ciliento, demandent à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 30 juin 2016 ;

2°) d’annuler cet arrêté du maire de Pomerol du 20 octobre 2014 ;

3°) de mettre à la charge solidaire de la commune de Pomerol et de la société anonyme à responsabilité limitée Groupe Clinet une somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.


Considérant ce qui suit :

1. Par arrêté du 13 septembre 2013, le maire de la commune de Pomerol a délivré à la société Groupe Clinet un permis de construire pour la réalisation de quatre bâtiments comprenant une maison à usage d’habitation, un cuvier avec salle de dégustation, un hangar à tracteur et un local à bouteilles avec zone de préparation et d’expédition et bureaux, d’une surface de plancher totale de 2 035 mètres carrés. Le 12 mai 2014, le maire a refusé de faire droit, compte tenu de l’importance des transformations envisagées, à une demande de permis modificatif portant sur l’augmentation de la surface du chai de vinification, la suppression du bâtiment à usage d’habitation et la modification des conditions d’accès et de stationnement. A la suite de ce refus, la société Groupe Clinet a déposé une demande de permis de construire portant sur ces transformations le 22 mai 2014. Le 20 octobre 2014, le maire a pris un arrêté de « non-opposition avec prescriptions » accordant le permis de construire sollicité. Les consorts V==, propriétaires de maisons d’habitation en face du projet, de l’autre côté du chemin de Bourgneuf, ainsi que la société Château Bourgneuf Vayron, qu’ils ont constituée pour exploiter des parcelles viticoles alentour, relèvent appel du jugement du 30 juin 2016 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande tendant à l’annulation de cet arrêté.

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

2. Si la société Groupe Clinet soutient que la demande de première instance des requérants était tardive, dès lors qu’elle doit être regardée comme ayant bénéficié d’un permis de construire tacite le 26 septembre 2014 et que celui-ci a été régulièrement affiché à compter du 15 octobre suivant, d’une part, l’arrêté attaqué, dès lors qu’il impose des prescriptions, doit être regardé comme rapportant ce permis implicite et n’a pas fait l’objet de mesures de publicité et, d’autre part, à supposer même que le délai de recours doive être regardé comme courant à compter de la réalisation des mesures de publicité effectuées le 15 octobre, le recours était encore recevable à la date d’enregistrement de la requête, le 16 décembre suivant. Par suite, la fin de non recevoir doit être rejetée.

Sur la légalité du permis de construire :

3. Aux termes du règlement de la zone A du plan local d'urbanisme : « (…) Cette zone comprend l’ensemble des terrains qui font l’objet d’une protection particulière en raison de leur valeur agricole. / En dehors des bâtiments nécessaires à l’exploitation agricole, seules les constructions et installations nécessaires aux services publics ou d’intérêt collectif sont autorisées en zone A (…) ». Aux termes de l’article A-2 du règlement du plan local d'urbanisme : « Sont admis à condition de ne pas entraîner des nuisances pour le voisinage quel que soit leur destination et de respecter les conditions ci-dessous : / - les constructions, les installations et les extensions nécessaires aux services publics et d'intérêt collectif et à l'exploitation agricole, dans la mesure où ils ne compromettent pas le caractère agricole de la zone (…) ». L’article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime, auquel l’autorité chargée de l’instruction et le juge peuvent utilement se référer pour caractériser une activité agricole, en définit ainsi la nature : « Sont réputées agricoles toutes les activités correspondant à la maîtrise et à l'exploitation d'un cycle biologique de caractère végétal ou animal et constituant une ou plusieurs étapes nécessaires au déroulement de ce cycle ainsi que les activités exercées par un exploitant agricole qui sont dans le prolongement de l'acte de production ou qui ont pour support l'exploitation. ».

4. Il ressort des pièces du dossier que le permis de construire attaqué a pour objet, d’une part, de supprimer la maison d'habitation destinée au « directeur technique » envisagée dans un précédent permis accordé le 13 septembre 2013, d’augmenter de 12% la surface de plancher du centre de vinification en agrandissant le chai à barriques et en ajoutant une terrasse en élévation et en augmentant légèrement la surface de la salle de dégustation privée, et, d’autre part, de porter de 12 à 21 le nombre d’emplacements de stationnement, notamment en supprimant le hangar à tracteur et en créant un garage à vélos. Par suite, dès lors qu’il n’est pas démontré que les capacités de stockage et de stationnement du bâtiment autorisé par le permis de construire délivré le 13 septembre 2013 étaient insuffisantes pour répondre, de par leurs fonctionnalités et leurs dimensions, aux besoins de l'exploitation de la SCEA Château Clinet, les requérants sont en tout état de cause fondés à soutenir que le permis de construire ne portait pas sur des constructions « nécessaires à l’exploitation agricole » au sens des dispositions précitées.

5. En outre, il ressort des pièces du dossier, notamment des statuts, de l’extrait Kbis et du casier viticole informatisé, que la SARL Groupe Clinet a une activité de négociant vinificateur, et n’a pas la qualité d’exploitant agricole. La nouvelle demande qu’elle a présentée portait sur l’érection d’un bâtiment comportant d’une part des chais à barriques et cuviers en aluminium et un espace de dégustation, d’autre part un « bouteillé », espace de stockage de capacité très importante dépassant 700 000 bouteilles, d’autre part de bureaux destinés à gérer l’envoi de bouteilles, qui ne relèvent pas nécessairement de l’appellation Pomerol, à une clientèle en grande partie internationale, et enfin de locaux techniques reliant les deux bâtiments et de stationnements. La circonstance que le gérant de cette société ait des liens familiaux avec celui de la SCEA Château Clinet, viticulteur exploitant une dizaine d’hectares, ou que cette dernière société lui réserve une partie de sa production, au demeurant minoritaire au sein des volumes vinifiés, ne permet pas de retenir le caractère agricole de l’activité de la SARL Groupe Clinet, ni d’ailleurs la nécessité pour une exploitation agricole du projet de vinification et commercialisation en litige. Dans ces conditions, les requérants sont fondés à soutenir que de telles constructions ne pouvaient être admises en zone A.

6. Il résulte de ce qui précède que les articles A1 et A2 du règlement du plan local d’urbanisme ont été méconnus.

7. Pour l’application de l’article L. 600-4-1 du code de l’urbanisme, aucun des autres moyens n’est susceptible d’entraîner l’annulation de l’arrêté attaqué.

8. Aux termes de l’article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme : « Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé par un permis modificatif peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation. Si un tel permis modificatif est notifié dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations ». L’illégalité relevée au point 5 ne pouvant être régularisée par la délivrance d’un permis de construire modificatif, ces dispositions ne sont pas susceptibles de trouver application en l’espèce.

9. Il résulte de ce qui précède que les requérants sont fondés à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande.

Sur les frais exposés par les parties à l’occasion du litige :

10. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge des requérants la somme que la société Groupe Clinet demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu de mettre à la charge de la société Groupe Clinet une somme globale de 2 000 euros au bénéfice des requérants à ce titre.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1405229 du 30 juin 2016 du tribunal administratif de Bordeaux et l’arrêté du maire de Pomerol du 20 octobre 2014 sont annulés.

Article 2 : La société Groupe Clinet versera aux consorts V== et la SCEA Château Bourgneuf Vayron une somme globale de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.