Service public hospitalier – Obligation d’information à l’égard des proches d’un malade : portée
Par Administrateur le mardi 25 septembre 2018, 15:28 - RESPONSABILITE - Lien permanent
En vertu de l’avant-dernier alinéa de l’article L. 1110-4 du code de la santé publique : « (…) En cas de diagnostic ou de pronostic grave, le secret médical ne s'oppose pas à ce que la famille, les proches de la personne malade ou la personne de confiance définie à l'article L. 1111-6 reçoivent les informations nécessaires destinées à leur permettre d'apporter un soutien direct à celle-ci, sauf opposition de sa part. (…) ».
En l’absence d’opposition expresse de la personne malade à ce que son épouse soit informée, afin de pouvoir lui apporter un soutien direct, le centre hospitalier qui se borne à transmettre des éléments du dossier médical de l’intéressé ne contenant aucune information sur les causes et les possibilités d’évolution de sa pathologie, alors qu’une hypothèse avait été dégagée quant à l’origine de celle-ci, commet une faute de nature à engager sa responsabilité.
La cour a, de plus, estimé qu’une paraplégie d’origine tuberculeuse remplissait la condition de gravité posée par les dispositions précitées de l’article L. 1110-4 du code de la santé publique.
Arrêt 16BX03700 – 25 septembre 2018 – 2ème chambre – CHU de Limoges c/consorts L==
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C== P==, veuve L==, Mme S== L== et M. J== L== ont demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner le centre hospitalier universitaire de Limoges à leur verser une somme totale de 12 000 euros en réparation du préjudice qu’ils estiment avoir subi à la suite d’un manquement par cet établissement à son devoir d’information à leur égard.
Par un jugement n° 1400439 du 22 septembre 2016, le tribunal administratif de Limoges a condamné le centre hospitalier universitaire de Limoges à verser aux consorts L== une somme de 6 000 euros.
Procédure devant la cour :
Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 22 novembre et 29 décembre 2016 et le 3 octobre 2017, le centre hospitalier universitaire (CHU) de Limoges, représenté par Me Le Prado, demande à la cour :
1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 22 septembre 2016 ;
2°) de rejeter la demande des consorts L== ainsi que leurs conclusions incidentes d’appel ;
3°) de rejeter l’appel incident de la caisse primaire d’assurance maladie de Haute-Vienne.
Considérant ce qui suit :
1. J==-P== L==, né le 29 août 1950, a été opéré en urgence dans le service de neurochirurgie du centre hospitalier universitaire de Limoges (CHU), le 14 janvier 2003, en raison d’une compression médullaire, entraînant une paralysie des membres inférieurs. Son état s’étant dégradé après l’opération, une nouvelle intervention a été réalisée, le 29 janvier 2003, à l’issue de laquelle il a séjourné pendant treize mois dans un service de médecine physique et de réadaptation dépendant du même établissement, avant de regagner son domicile au mois de mars 2004. Cependant, sa paraplégie persistant, il a saisi, ainsi que son épouse et ses deux enfants, le juge des référés du tribunal administratif de Limoges d’une demande d’expertise aux fins de réunir les éléments permettant de déterminer si une faute médicale était à l’origine de son état de santé. Par ordonnance du 5 octobre 2011, il a été fait droit à cette demande. Toutefois, J==-P== L== a fait l’objet d’une nouvelle hospitalisation dans le service de réanimation du CHU à partir du 29 janvier 2012, soit avant même le début des opérations d’expertise, en raison d’une aggravation brutale de son état. Il y est décédé, le 22 février 2012, à la suite d’un choc septique. Sa veuve, Mme C== P==, et ses enfants, Mme S== L== et M. J== L==, ont à nouveau saisi le tribunal administratif de Limoges d’une demande d’expertise, à laquelle il a été fait droit le 13 septembre 2012. Puis, ils ont saisi ce tribunal d’une demande de condamnation du CHU à leur verser une somme totale de 12 000 euros en réparation du préjudice qu’ils estiment avoir subi à la suite d’un manquement par cet établissement à son obligation d’information à leur égard. Le CHU demande à la cour l’annulation du jugement du tribunal administratif de Limoges du 22 septembre 2016 par lequel il a été condamné à verser une somme globale de 6 000 euros aux consorts L==. Ces derniers demandent, par la voie de l’appel incident, la réformation de ce jugement en tant qu’il n’a pas condamné le CHU à leur verser la somme totale de 12 000 euros. Enfin, la caisse primaire d’assurance maladie de la Haute-Vienne demande, par la voie de l’appel incident, la condamnation du CHU à lui verser la somme de 156 894,94 euros au titre de ses débours et celle de 1 055 euros au titre de l’indemnité forfaitaire de gestion.
Sur les conclusions tendant à l’annulation du jugement attaqué :
2. Aux termes de l’avant-dernier alinéa de l’article L. 1110-4 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable à l’espèce : « (…) En cas de diagnostic ou de pronostic grave, le secret médical ne s'oppose pas à ce que la famille, les proches de la personne malade ou la personne de confiance définie à l'article L. 1111-6 reçoivent les informations nécessaires destinées à leur permettre d'apporter un soutien direct à celle-ci, sauf opposition de sa part. (…) ».
3. Le CHU soutient que c’est à tort que les premiers juges ont estimé qu’il avait manqué au droit à l’information dû aux consorts L== sur le fondement des dispositions législatives précitées en s’abstenant de leur communiquer des informations relatives à la gravité de l’état de santé de J==-P== L== jusqu’à son décès survenu le 22 février 2012. En effet, le secret médical s’opposait à la divulgation à la famille de J==-P== L== des informations relatives à l’état de santé de celui-ci avant son décès et, en tout état de cause, le patient a été informé de son état et si l’origine de celui-ci ne lui a pas été précisée c’est en raison de ce qu’elle ne pouvait être déterminée avec certitude.
4. Il résulte, cependant, de l’instruction que tant Mme P==, veuve L==, que J==-P== L== lui-même ont sollicité à plusieurs reprises, en 2004, 2008, 2010 et 2011, la communication de la totalité du dossier médical de J==-P== L== à la suite de son hospitalisation au CHU le 14 janvier 2003 en insistant à plusieurs reprises sur leur volonté d’obtenir l’intégralité des pièces de ce dossier, en particulier pour comprendre l’origine de son état. Il en résulte, tout d’abord et ainsi que l’a jugé le tribunal, que M. L== ne s’est jamais opposé à ce que ses proches fussent informés des évolutions de son état. Il en découle, en outre, qu’il a, au contraire, entendu qu’une information leur fût délivrée quant à l’évolution prévisible de sa pathologie. Or, et alors même que cette évolution ne pouvait être connue immédiatement après les interventions pratiquées au mois de janvier 2003, il est constant qu’aucune information n’a été fournie à son épouse, malgré ses demandes et notamment celle formulée en 2010, sur les causes et les possibilités d’évolution de la paraplégie dont souffrait J==-P== L==, alors que la probabilité de l’origine tuberculeuse de sa pathologie a été dégagée à compter du mois de juillet 2003 tandis qu’il séjournait encore en service de réadaptation. Il résulte, de plus, de l’instruction et notamment du rapport de l’expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Limoges, que Mme P== était encore dans l’ignorance totale, au jour des opérations d’expertise, « du dossier médical, des hypothèses diagnostiques formulées et de la pathologie finalement retenue ». Par conséquent et dans la mesure où la pathologie dont J==-P== L== souffrait pouvait être regardée, contrairement à ce que soutient le CHU, comme remplissant la condition de gravité posée par les dispositions précitées de l’article L. 1110-4 du code de la santé publique, c’est à bon droit que les premiers juges ont considéré que ce défaut d’information constituait une faute de nature à engager la responsabilité de l’établissement public de santé.
Sur les conclusions incidentes tendant à la réformation du jugement attaqué :
5. En premier lieu, les consorts L== soutiennent en appel comme en première instance que le manque d’information dont ils disposaient quant à l’état de santé de J==-P== L== est à l’origine d’un préjudice d’impréparation au décès de ce dernier. Toutefois et dans la mesure où ils n’apportent devant la cour aucun élément de fait ou de droit nouveau par rapport à ceux soumis aux premiers juges, il y a lieu de rejeter leurs conclusions incidentes afférentes à ce préjudice par adoption des motifs pertinemment retenus par le jugement attaqué.
6. En second lieu, il ne résulte pas de l’instruction que le tribunal n’aurait pas fait une juste appréciation du préjudice moral subi par Mme C== P==, veuve L==, en raison de l’absence d’information quant à l’état de santé de son époux, ses causes et ses perspectives d’évolution pendant près de dix ans en l’évaluant à la somme de 3 000 euros. Il en va de même de l’évaluation effectuée par les premiers juges de l’indemnisation des préjudices de même nature subis par les enfants de J==-P== L==, qui a été fixée à la somme de 1 500 euros chacun.
Sur les conclusions de la caisse primaire d’assurance maladie :
7. La caisse primaire d’assurance maladie de la Haute-Vienne sollicite en appel comme en première instance, contrairement, sur ce dernier point, à ce que soutient le CHU, que lui soit versée par celui-ci une somme de 156 894,94 euros au titre de ses débours et celle de 1 055 euros au titre de l’indemnité forfaitaire de gestion.
8. Cependant, la créance dont se prévaut la caisse primaire d’assurance maladie est sans rapport avec les préjudices indemnisables subis par les consorts L== et, au demeurant, avec l’existence d’une faute médicale de nature à avoir engagé la responsabilité du CHU. C’est donc à bon droit que le tribunal a rejeté les conclusions précitées de la caisse primaire d’assurance maladie.
9. Il résulte de tout ce qui précède, d’une part, que le CHU n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Limoges l’a condamné, par le jugement attaqué, à verser la somme totale de 6 000 euros aux consorts L==, d’autre part, que ces derniers ne sont pas davantage fondés à demander, par la voie de l’appel incident, la réformation de ce jugement en tant qu’il n’a pas condamné le CHU à leur verser la somme totale de 12 000 euros et, enfin, que doivent être rejetées les conclusions incidentes de la caisse primaire d’assurance maladie de Haute-Vienne tendant à la réformation dudit jugement en tant qu’il n’a pas condamné le CHU à lui verser somme de 156 894,94 euros au titre de ses débours et celle de 1 055 euros au titre de l’indemnité forfaitaire de gestion.
Sur l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Dans les circonstances de l’espèce il y a lieu de mettre à la charge du CHU le paiement aux consorts L== d’une somme globale de 1 500 euros au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.
11. En revanche, il ne peut être mis à la charge du CHU, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance vis-à-vis de la caisse primaire d’assurance maladie de Haute-Vienne, le paiement de la somme que demande celle-ci au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du CHU et les conclusions incidentes des consorts L== et de la caisse primaire d’assurance maladie de Haute-Vienne sont rejetées.
Article 2 : Le CHU versera aux consorts L== la somme globale de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions de la caisse primaire d’assurance maladie de Haute-Vienne relatives à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.