Responsabilité pour faute des établissements de santé - Conditions d’établissement de la preuve - Participation du centre hospitalier à l’établissement des faits
Par Benoît le mercredi 18 décembre 2019, 11:12 - RESPONSABILITE - Lien permanent
En dehors des actes de soins courants où la faute peut être présumée lorsque ceux-ci ont des conséquences anormales sur l’état de santé de la personne, la responsabilité d’un établissement public de santé ne peut être engagée que sur le terrain de la faute prouvée. Lorsque la perte ou l’absence de production de la part de l’établissement d’éléments essentiels du dossier médical, place le patient ou ses ayants droit dans l’impossibilité d’accéder aux informations de santé concernant celui-ci et, le cas échéant, d’établir l’existence d’une faute dans sa prise en charge, il appartient au juge, après avoir invité l’établissement à produire tous les éléments médicaux en sa possession de nature à justifier les modalités de la prise en charge, de former sa conviction sur la conformité des soins aux règles de l’art médical au vu des éléments versés ou non versés au dossier. En l’espèce, un enfant ayant chuté sur la tête, pris en charge pour évacuation d’un volumineux hématome extradural, a subi quelques jours après l’intervention un épisode d’anoxo-ischémie en raison de la coudure du tube l’alimentant en oxygène. La durée excessive de cette privation d’oxygène, qui a conduit à une bradycardie extrême, a nécessité un massage cardiaque et une ventilation qui a ensuite été mal surveillée. Le centre hospitalier, invité à produire l’entier dossier médical, n’a pas joint tous les éléments permettant d’apprécier l’évolution de l’état de santé de l’enfant avant et pendant cet incident. La cour prend alors en compte l’ensemble des éléments au dossier pour regarder comme apportée, la preuve d’une faute de surveillance ayant compromis les chances de récupération de l’enfant et accorde aux parents une indemnisation proportionnelle à la chance perdue.
Arrêt 17BX03814 - 2ème chambre - 17 décembre 2019 - Mme M et M. C=== - C+
Lire les conclusions du rapporteur public
Comparer : Cour de cass. 1re ch civ, 13 Décembre 2012 n° 11-27.347, Cour de cass. 1re ch. civ, 8 Février 2017 n° 16-11.527 et Cour de cass. 1re ch. Civ. 26 Septembre 2018 n° 17-20.143
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme M=== et M. C=== ont demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Limoges, le centre hospitalier (CH) de Confolens et la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), à leur verser une indemnité provisionnelle de 442 560 euros, en réparation des préjudices résultant de la prise en charge de leur fils mineur O=== dans ces établissements publics hospitaliers et de dire qu’O=== fera l’objet d’un nouvel examen vers l’âge de 8 ans pour l’évaluation définitive de ses préjudices.
Par un jugement n° 1500172 du 12 octobre 2017, le tribunal administratif de Limoges a rejeté leurs demandes, et a mis à la charge du CHU de Limoges les frais de l’expertise ordonnée en référé.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés les 6 décembre 2017, 18 mai 2018, 20 mars 2019 et 13 septembre 2019, Mme M=== et M. C===, agissant en leur nom propre et au nom de leur fils mineur O===, et représentés par Me Beynet, demandent à la cour :
1°) d’annuler les articles 1er, 3 et 4 du jugement du tribunal administratif de Limoges du 12 octobre 2017 ;
2°) de condamner solidairement le CHU de Limoges et son assureur, la SHAM, à réparer à hauteur de 60 % les conséquences dommageables de la prise en charge de leur enfant O=== C===, le 4 janvier 2010, à raison des manquements commis et de la perte de chance d’échapper à l’aggravation de son état, et à leur verser, en conséquence, une indemnité provisionnelle de 507 700 € à valoir sur leur indemnisation définitive, au titre des préjudices subis tant par leur fils mineur que par eux-mêmes ;
3°) de désigner, avant dire droit, un collège d’experts médicaux chargé d’examiner l’évolution de l’état de santé d’O=== depuis le 17 juillet 2013, date de la dernière réunion d’expertise, et de se prononcer sur l’actualisation de ses préjudices indemnisables ;
4°) de leur allouer la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que : - plusieurs manquements dans la prise en charge de leur fils O=== peuvent être reprochés au CH de Confolens : - la prise en charge par le service des urgences a été insuffisante et défaillante, le 30 décembre 2009, tant sur le plan de l’examen clinique et traumatologique réalisé que des constantes relevées ; elle ne correspond pas aux bonnes pratiques professionnelles et aux données acquises de la science médicale au regard de l’état de santé de l’enfant lors de son admission ; l’établissement n’établit pas avoir mis en œuvre l’ensemble des procédures de diagnostic d’un traumatisme crânien chez l’enfant, la feuille de surveillance étant lacunaire ; au regard de cette carence dans la prise en charge de la part de l’établissement, lequel n’a notamment pas évalué le « score de Glasgow » de l’enfant et n’a mesuré ni la pression artérielle, ni la saturation en oxygène, c’est à tort que le tribunal administratif a estimé que l’enfant ne présentait pas de symptomatologie typique d’un traumatisme crânien ou de symptôme d’une gravité particulière ; - le transport et la prise en charge de l’enfant par le service mobile d’urgence et de réanimation (SMUR) du CH de Confolens n’ont pas été conformes aux recommandations de la société française d’anesthésie et de réanimation (SFAR) et révèlent un défaut de surveillance manifeste pendant le transfert ; la preuve d’une surveillance par monitoring et des éléments cliniques permettant de détecter une détresse vitale, tout au long du trajet, n’est pas rapportée par l’établissement ; aucune pièce de l’instruction ne permet de s’assurer que la recherche d’agressions cérébrales secondaires d’origine systémique (ACSOS) a été effectuée aux fins d’améliorer le pronostic de l’enfant ou d’éviter son aggravation, que ce soit aux urgences de l’établissement ou pendant ce transfert ; - dans ces conditions, en l’absence de tout élément dans le dossier médical du CH de Confolens permettant d’établir l’évolution de l’état de santé de l’enfant pendant sa prise en charge aux urgences et lors du transfert par le SMUR, l’établissement engage sa responsabilité au titre de la perte de chance pour O=== de voir son état s’améliorer ; aucun examen neurologique n’a été réalisé entre son admission au service des urgences du CH de Confolens vers 13 heures et son arrivée au CHU de Limoges à 14 heures 30 ; c’est donc à tort que le tribunal n’a pas retenu la responsabilité du centre hospitalier dans l’état séquellaire de l’enfant ; - plusieurs manquements sont également imputables au CHU de Limoges : - les délais de prise en charge et notamment de réalisation du scanner cérébral, 1 h 15 après son admission le 30 décembre 2009, puis d’exécution de l’intervention chirurgicale 95 minutes après l’établissement du diagnostic scanographique ont été de nature à alourdir le pronostic alors que l’urgence à procéder à l’évacuation de l’hématome extradural qui avait été révélé aurait imposé une intervention en moins de 70 minutes ; c’est à tort que le tribunal n’a pas pris en considération ces délais anormalement longs ; - le délai de prise en charge de l’accident iatrogène lié à la coudure de la sonde d’intubation survenue le 4 janvier 2010 a été anormalement long et révèle un retard fautif d’intervention ; cet accident médical, dont l’établissement n’est d’ailleurs pas en mesure de préciser la durée exacte avant sa prise en charge effective, a majoré le tableau neurologique déficitaire de l’enfant et a aggravé son état clinique ; il est à l’origine d’une bradycardie extrême, d’une mydriase bilatérale, d’une désaturation en oxygène à 10 % et a nécessité la réalisation d’un massage cardiaque ainsi que l’augmentation du traitement par noradrénaline ; il révèle ainsi un épisode anoxo-ischémique qui équivaut, chez l’enfant, à un arrêt cardiaque ; les experts ont relevé des lésions compatibles avec une souffrance anoxique au regard des éléments du dossier médical ; cet épisode d’anoxo-ischémie a des conséquences beaucoup plus rapides sur un cerveau lésé que sur un cerveau sain où ils apparaissent au bout de trois minutes ; la rapidité d’apparition d’une mydriase bilatérale chez l’enfant atteste de cet état de fait en l’espèce ; - l’utilisation de la phénytoïne (commercialisée sous le nom de prodilantin) dès le 1er janvier 2010, alors que ce principe ne bénéficiait pas d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour les enfants de moins de 5 ans, s’est effectuée sans information préalable des parents de l’enfant ; en outre, elle a été prescrite en surdosage pendant une durée d’au moins 11 jours, susceptible d’être à l’origine d’une symptomatologie neurologique ; - l’imputabilité des séquelles de l’enfant aux différents manquements fautifs constatés devra être retenue à l’encontre du CH de Confolens et du CHU de Limoges à hauteur de 60 % des conséquences dommageables, au titre de la perte de chance d’éviter leur survenue ou leur aggravation, dès lors qu’outre l’accident iatrogène retenu par les experts, il y a lieu de retenir également la non-conformité de la prise en charge initiale par le CH de Confolens, la tardiveté de l’intervention chirurgicale de décompression réalisée au CHU de Limoges, l’utilisation hors AMM et surdosée de la phénytoïne et le délai anormalement long de la prise en charge après l’accident iatrogène, qui s’est traduit par un second accident iatrogène fautif, à savoir une absence de contrôle de l’hyperventilation de l’enfant pendant une durée de 10 heures après l’accident de coudure de la sonde ; ce dernier évènement est à l’origine d’une alcalose respiratoire qui n’a pas été relevée par les experts, alors qu’un tel accident est délétère pour le cerveau d’un enfant anémique du fait d’une diminution de l’apport en oxygène et qu’il est de nature à aggraver l’anoxo-ischémie ; c’est ce que confirment les deux médecins spécialistes consultés par leurs soins après dépôt des rapports d’expertise, les Dr R=== et D=== ; c’est à tort que le tribunal, après avoir retenu différents manquements, n’en a tiré aucune conséquence en considérant que le lien de causalité entre ces manquements et le dommage n’était pas établi alors qu’il ne disposait d’aucune certitude en ce sens et qu’il manquait de nombreuses pièces dans le dossier médical du CHU de Limoges, en particulier les observations médicales du service de réanimation et les transmissions soignantes ciblées pour les journées des 2, 3 et 4 janvier 2010, correspondant à la période entre la deuxième intervention chirurgicale, du 1er janvier 2010, et l’accident iatrogène de la sonde d’intubation, qui constitue un évènement indésirable grave ; ces insuffisances dans le dossier médical, qui ne comporte pas les examens cliniques biquotidiens réalisés en service de réanimation pédiatrique, interrogent et ne permettent pas d’établir que les conditions de prise en charge de ces deux accidents iatrogènes, notamment le premier, ont été conformes ; l’absence des feuilles d’observations médicales et de transmissions ciblées sur les jours considérés est contraire aux bonnes pratiques ; - en ce qui concerne les demandes indemnitaires, outre la demande de nouvelle expertise aux fins de procéder à l’évaluation médico-légale des préjudices d’O=== depuis la précédente expertise, le 17 juillet 2013, ils sont en droit de solliciter, à titre de provision, compte tenu du taux de perte de chance de 60 % : - la somme de 5 500 euros en remboursement des frais de « médecins conseils » auxquels ils ont dû recourir pour les assister ; - la somme de 202 200 euros au titre de l’assistance à tierce personne à raison de 5 heures par jour jusqu’aux 10 ans de l’enfant ; - la somme de 200 000 euros au titre des préjudices personnels de l’enfant, compte tenu notamment de son déficit fonctionnel temporaire de 90 % et des souffrances endurées ; - la somme de 30 000 euros au titre de l’incidence professionnelle pour Mme M=== qui a dû cesser complètement de travailler pour s’occuper de son fils ; - la somme de 35 000 euros pour chacun des parents au regard de leur douleur morale et des troubles dans leurs conditions d’existence ; - en ce qui concerne la demande d’expertise complémentaire : celle-ci est justifiée par les préconisations des experts judiciaires qui indiquaient qu’une nouvelle évaluation de l’état séquellaire de l’enfant serait nécessaire à l’âge de 8 ans.
Par des mémoires, enregistrés les 23 avril 2018, 9 mai 2018, 11 décembre 2018 et 23 mai 2019, la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de la Charente, puis la CPAM de La Rochelle, venant aux droits de la CPAM de la Charente, représentées par Me Pecaud, demandent à la cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Limoges du 12 octobre 2017 et de condamner solidairement le CHU de Limoges, la SHAM et le CH de Confolens à verser à la CPAM de la Rochelle la somme de 190 673,73 euros au titre de ses débours, sous réserve des prestations futures dans l’hypothèse d’une aggravation de l’état de santé de la victime ;
2°) de lui donner acte qu’elle ne s’oppose pas à l’organisation d’une expertise complémentaire avant dire droit et de réserver, en ce cas, ses droits jusqu’au dépôt du rapport d’expertise aux fins de lui permettre de chiffrer sa créance définitive ;
3°) de mettre à la charge solidaire du CHU de Limoges, de la SHAM et du CH de Confolens le paiement de la somme de 1 037 euros sur le fondement de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale et de la somme de 800 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens ;
La caisse soutient qu’elle est en droit de demander le remboursement des prestations qu’elle a versées au bénéfice de son assuré social auprès des établissements reconnus responsables des dommages subis par celui-ci, ainsi que des frais futurs. Elle ne s’oppose pas à la désignation d’un collège d’experts, comme le sollicitent les requérants, aux fins de mener des investigations complémentaires en rapport avec l’évolution de l’état de santé de l’enfant et demande que ses droits soient réservés dans cette éventualité pour lui permettre de chiffrer ses débours définitifs.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 27 avril 2018, 21 novembre 2018 et 28 août 2019, le CHU de Limoges, le CH de Confolens et la SHAM, représentés par Me Le Prado, concluent au rejet de la requête de Mme M=== et M. C===.
Ils font valoir que : - la prise en charge de l’enfant au centre hospitalier de Confolens a été conforme aux règles de l’art ; le transfert de l’enfant par le SMUR vers le CHU de Limoges a, en effet, été décidé moins de 15 minutes après son admission aux urgences du CH de Confolens, au regard des signes cliniques qu’il présentait, et ce transfert est intervenu 25 minutes après cette décision médicale ; l’état de l’enfant ne s’est pas dégradé au décours de cette prise en charge jusqu’à son arrivée au CHU de Limoges ; c’est donc à bon droit que les premiers juges ont considéré que la prise en charge par l’établissement n’a pas eu de conséquences péjoratives sur l’état de santé du jeune O=== C===, que ce soit lors de son admission ou à l’occasion de son transfert ; - le délai entre l’admission au service des urgences du CHU de Limoges, à 14h40, et la réalisation de l’intervention chirurgicale, à 17h20, ne révèle aucune faute de la part de l’établissement dans la mesure où la réalisation d’un scanner cérébral, accompli à 15h45, était un préalable nécessaire et où des précautions anesthésiologiques étaient indispensables aux fins d’éviter le risque majeur d’arrêt cardiovasculaire par « désamorçage de la pompe cardiaque » en cas de vidange trop précipitée de l’hématome extradural ; c’est également à juste titre que le tribunal a considéré que les conditions de prise en charge de l’enfant au CHU le 30 décembre 2009 ont été conformes aux règles de l’art et n’ont pas entraîné d’évolution péjorative de l’état de santé de l’enfant ; - la prescription de phénytoïne, bien que ne disposant pas d’une AMM chez les enfants de moins de 5 ans en France, était conforme aux données acquises de la science dans le cas d’espèce ainsi qu’en attestent l’ensemble des experts consultés ; compte tenu de l’urgence absolue constituée par des crises comitiales avec un état de mal épileptique, telle qu’elle se présentait, l’absence d’information des parents quant à l’administration de ce traitement n’est, en tout état de cause, pas fautive ; la surcharge temporaire de phénytoïne dans le sang n’a eu aucune conséquence séquellaire mais de simples effets secondaires, comme le relèvent l’ensemble des experts ; c’est dès lors à bon droit que les premiers juges ont considéré que cette prescription n’avait pas eu de conséquences péjoratives sur l’état de santé du jeune O=== ; - enfin, l’accident médical non fautif constitué par la coudure de la sonde d’intubation n’est à l’origine d’aucune conséquence sur l’état de santé de l’enfant ; la réalisation d’un évènement anoxo-ischémique n’est présentée que comme une simple éventualité par les experts alors que l’existence même de lésions anoxiques est sérieusement contestée par l’expert en neurochirurgie consulté par le CHU, dans son rapport du 30 avril 2014, lequel indique que l’accident de coudure de la sonde est « un épiphénomène sans conséquence identifiable » ; il en va de même de l’analyse du neuropédiatre, spécialiste de néonatalogie et de réanimation pédiatrique consulté par leurs soins, dans ses observations du 3 août 2015, lequel indique que « les conséquences neurologiques présentées par le patient, de même que l’imagerie cérébrale sont tout à fait celles attendues compte tenu de l’accident initial » ; dans ces conditions, les premiers juges ont, à bon droit, considéré qu’il n’était pas établi que la coudure de la sonde d’intubation aurait entraîné des lésions ischémiques pérennes et serait à l’origine d’une aggravation de l’état de santé de l’enfant ; en tout état de cause, aucune pièce de l’instruction ne permet d’établir que le délai de prise en charge de cet accident iatrogène aurait été anormalement long et fautif ; si les requérants invoquent pour la première fois en appel l’existence d’un second accident iatrogène fautif, lié à une hyperventilation prolongée à l’issue du premier accident, celui-ci ne résulte pas des expertises et s’avère, en tout état de cause, dépourvu de portée dès lors que l’état de santé ne s’est pas aggravé après le 4 janvier mais s’est, au contraire, amélioré ; - subsidiairement, à supposer que le délai de prise en charge de cet accident puisse être regardé comme fautif, il n’est susceptible d’engager la responsabilité de l’établissement qu’au titre d’une perte de chance d’éviter l’aggravation du dommage préexistant résultant de l’accident médical non fautif lui-même ; compte tenu des circonstances de l’espèce, ce taux de perte de chance ne saurait être supérieur à 4 % (20 % de 20 % de l’accident médical non fautif constitué par la coudure de la sonde, et lié au délai de prise en charge de celui-ci) ; - à titre très subsidiaire, l’indemnisation invoquée devra concerner, non pas le versement d’une provision, mais les préjudices présentant un caractère certain à la date de l’arrêt à intervenir, charge restant aux intéressés de saisir à nouveau la juridiction administrative en cas d’aggravation du dommage ; la demande au titre de l’assistance d’une tierce personne devra être réduite à de plus justes proportions et ne pourra pas concerner la période courant jusqu’aux trois enfants de l’enfant ; en outre, le taux horaire de référence ne saurait être supérieur à 10 euros et il devra être tenu compte du versement de la prestation de compensation du handicap (PCH) ainsi que, le cas échéant, de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH) ; le taux de déficit fonctionnel temporaire devra être minoré ; la demande au titre de l’incidence professionnelle n’est assortie d’aucun justificatif ; la demande au titre des troubles dans les conditions d’existence sera ramenée à de plus justes proportions.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 30 avril 2018 et 16 septembre 2019, l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par Me Birot, conclut au rejet de toute demande d’indemnisation éventuelle qui serait présentée à son encontre et au rejet de toute demande d’expertise éventuelle au contradictoire de l’Office.
L’Office fait valoir que : - les conditions d’indemnisation par la solidarité nationale n’étant pas réunies, aucune condamnation ne peut être prononcée à son encontre ; - en effet, soit la responsabilité des établissements mis en cause est engagée pour faute, soit le dommage subi par le jeune O=== réside tout entier dans le traumatisme crânien initialement subi ; ainsi, dans l’hypothèse où aucune faute ne serait retenue à l’encontre des établissements hospitaliers, les dommages séquellaires devraient être regardés comme résultant exclusivement du traumatisme initialement subi ; en l’espèce, c’est à bon droit que les premiers juges ont retenu l’absence de lien de causalité entre l’accident médical lié à la coudure de la sonde d’intubation et le dommage présenté par l’enfant ; - s’il ne s’oppose pas à la réalisation d’une nouvelle expertise médicale aux fins d’évaluer les préjudices évolutifs de l’enfant, celle-ci ne saurait être réalisée au contradictoire de l’Office dès lors que les conditions d’intervention de la solidarité nationale ne sont pas réunies.
Par une ordonnance du 31 octobre 2019, la clôture d’instruction fixée au 23 septembre 2019 a été partiellement reportée au 14 novembre 2019, en application de l’article R. 613-1-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu : - le code de l’action sociale et des familles ; - le code de la santé publique ; - le code de la sécurité sociale ; - l’arrêté du 27 décembre 2018 relatif aux montants de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale ; - le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique : - le rapport de M. Sorin ; - les conclusions de Mme Chauvin, rapporteur public ; - et les observations de Me Beynet, avocat, représentant Mme M=== et M. C===, de Me Gilbert, avocat, représentant le CHU de Limoges, le CH de Confolens et la SHAM, et de Me Nicolas, avocat, représentant l’ONIAM.
Considérant ce qui suit :
1. L’enfant O=== C===, né le 6 mai 2009, a été victime, le 30 décembre 2009, d’une chute au domicile de ses parents aux environs de neuf heures du matin. Il est tombé d’une hauteur d’environ 50 cm sur un sol en béton, l’impact s’étant produit au niveau de la partie postérieure du crâne, dans la région temporo-occipitale gauche. Le médecin traitant de la famille l’a examiné en cours de matinée et a donné des consignes de surveillance aux parents, en particulier en cas d’éventuels vomissements. De retour à leur domicile, Mme M=== et M. C===, ses parents, ont constaté, vers 12h30, l’apparition de vomissements et ont alors conduit le jeune O=== aux urgences du centre hospitalier de Confolens (Charente) où il a été pris en charge vers 13 h. A la suite d’un nouvel épisode de vomissements, l’enfant a été transféré, par le service mobile d'urgence et de réanimation (SMUR), vers le service des urgences pédiatriques du centre hospitalier universitaire (CHU) de Limoges, où il a été pris en charge à partir de 14h30. Il a ensuite fait l’objet, dans cet établissement, d’une intervention neurochirurgicale, le même jour en fin d’après-midi, pour drainage et évacuation d’un hématome extradural révélé par un scanner cérébral. A l’issue de l’intervention, au cours de laquelle le jeune O=== C=== a présenté un choc hémorragique, l’enfant a été admis dans le service de réanimation pédiatrique du CHU. Son état de santé ayant été compliqué pendant la nuit par l’apparition de convulsions tonico-cloniques et au regard de l’électro-encéphalogramme réalisé, une nouvelle intervention neurochirurgicale a été pratiquée, le 1er janvier 2010, pour permettre l’évacuation d’hématomes extradural et sous-dural pariétal persistants. Alors qu’O=== était placé sous sédation, intubé et ventilé, dans le service de réanimation pédiatrique, une coudure de la sonde d’intubation s’est produite, le 4 janvier 2010 en fin de matinée, à la suite de laquelle l’enfant a dû faire l’objet d’une réanimation par massage cardiaque et ventilation. La sédation d’O=== a cessé le 17 janvier 2010 et, devant l’amélioration de son état, il a été transféré en service de pédiatrie médicale à compter du 25 janvier 2010. Il a finalement pu regagner le domicile de ses parents le 12 février 2010, date à partir de laquelle il a bénéficié, au regard des séquelles qu’il présentait, d’une prise en charge à domicile par des séances de psychomotricité, d’orthophonie, de kinésithérapie et d’éducation spécialisée ainsi que d’un suivi médical au CHU de Limoges puis à l’hôpital national de Saint-Maurice et dans le cadre d’un service de soins à domicile.
2. Le 13 décembre 2010, Mme M=== a saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation (CRCI) d’une demande tendant à la réparation des préjudices subis à l’occasion de la prise en charge de son enfant au CHU de Limoges. Après la réalisation d’une expertise ordonnée au contradictoire de l’établissement et de son assureur, la CRCI a estimé, dans un avis du 25 janvier 2012, que la réparation des préjudices incombait à l’assureur du centre hospitalier universitaire de Limoges, la SHAM, et que les préjudices devaient être réparés à titre provisionnel dès lors que l’état de santé de l’enfant n’était pas consolidé, ceci dans la limite de 20 % du dommage. Par une lettre du 13 juillet 2012 adressée à Mme M=== et M. C===, la SHAM a cependant refusé de suivre l’avis de la CRCI. Le 30 janvier 2013, ces derniers ont alors saisi le juge des référés du tribunal administratif de Limoges d’une demande tendant à la désignation d’un expert, à laquelle il a été fait droit. L’expert désigné par le tribunal administratif a rendu son rapport le 20 mars 2014. La demande indemnitaire préalable présentée par les intéressés le 23 octobre 2014 auprès du centre hospitalier universitaire de Limoges et du centre hospitalier de Confolens a été explicitement rejetée, le 25 novembre 2014, par ce dernier établissement et, de manière implicite, par le CHU.
3. Mme M=== et M. C=== relèvent appel du jugement du 12 octobre 2017 du tribunal administratif de Limoges en tant qu’il a rejeté leurs demandes tendant à la condamnation du CHU de Limoges, du CH de Confolens et de la SHAM à leur verser une indemnité provisionnelle de 442 560 euros en réparation des préjudices résultant de la prise en charge de leur fils mineur O=== à compter du 30 décembre 2009, et à l’organisation d’une expertise avant dire droit aux fins d’évaluer l’évolution de l’état de santé de l’enfant et de ses préjudices. Dans la présente instance, Mme M=== et M. C=== demandent, d’une part, la condamnation solidaire du CHU de Limoges et de la SHAM à réparer, à hauteur de 60 %, les préjudices subis, qu’ils estiment notamment imputables dans cette proportion à des manquements commis dans la prise en charge de leur fils, le 4 janvier 2010, par le versement d’une indemnité provisionnelle de 507 700 euros à valoir sur leur indemnisation définitive et, d’autre part, l’organisation avant dire droit d’une expertise complémentaire aux fins d’examiner l’évolution de l’état de santé du jeune O=== depuis le 17 juillet 2013, date de la dernière réunion d’expertise judiciaire, et de se prononcer sur l’actualisation des préjudices qu’il a subis. La CPAM de La Rochelle, venant aux droits de la CPAM de la Charente, demande, pour sa part, la condamnation solidaire du CHU de Limoges, du CH de Confolens et de la SHAM à l’indemniser au titre de ses débours actuels et futurs. Enfin, l’ONIAM doit être regardé comme demandant sa mise hors de cause.
Sur la responsabilité :
4. Aux termes de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique : « I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute (…) ».
5. Lorsqu’un dommage est susceptible de trouver sa cause dans plusieurs fautes qui, commises par des personnes différentes ayant agi de façon indépendante, portaient chacune en elle normalement ce dommage au moment où elles se sont produites, la victime peut rechercher la réparation de son préjudice en demandant la condamnation de l’une de ces personnes ou de celles-ci conjointement, sans préjudice des actions récursoires que les coauteurs du dommage pourraient former entre eux. Dans le dernier état de leurs écritures, Mme M=== et M. C=== demandent la condamnation du CHU de Limoges et de son assureur, la SHAM, à réparer les préjudices subis à raison des fautes commises lors de la prise en charge de leur fils O=== tant au CH de Confolens qu’au CHU de Limoges. La CPAM demande, pour sa part, la condamnation solidaire des deux établissements à raison des fautes commises.
En ce qui concerne la prise en charge d’O=== C=== par le centre hospitalier de Confolens :
S’agissant de la prise en charge au service des urgences de l’établissement :
6. M. C=== et Mme M=== contestent la prise en charge de leur fils par le service des urgences du centre hospitalier de Confolens en soutenant que cette prise en charge a été « sommaire » et que, notamment, l’examen de l’enfant a été insuffisant, de nombreuses mesures n’ayant pas été réalisées. Ils indiquent ainsi qu’il ne serait pas établi, en l’absence de report dans le dossier médical de l’établissement, que des données, telles que le poids, la taille, la pression artérielle, la fréquence cardiaque, la saturation en oxygène ou le score dit de Glasgow pédiatrique, auraient été recueillies par les médecins du service des urgences du CH de Confolens. Toutefois, comme l’ont relevé les premiers juges, il résulte de l’instruction et de la chronologie des faits, telle qu’elle est précisément rappelée par les deux rapports d’expertise amiable et judiciaire, non contestés sur ces points, que le jeune O=== C=== a été admis dans ce service, le 30 décembre 2009 vers 13 heures et que dès 13 heures 15, en raison de la survenance d’un deuxième épisode de vomissements après celui intervenu à son domicile, il a été décidé de le transférer vers le service des urgences pédiatriques du CHU de Limoges. Le départ du véhicule affrété à cette fin par le SMUR rattaché à l’établissement est intervenu dès 13 heures 40, soit 40 minutes après son admission, ce que les experts, de manière concordante, ont regardé comme ne révélant aucun retard fautif de prise en charge de la part de l’établissement. En outre, il résulte de l’instruction, notamment des rapports précités, que l’examen de l’enfant a été pratiqué à deux reprises pendant ce court séjour dans le service des urgences du CH de Confolens et qu’en dehors des épisodes de vomissements, l’enfant ne présentait pas de symptômes d’un état de gravité particulière, son état de santé étant jugé satisfaisant et ne s’étant, en réalité, dégradé qu’en fin d’après-midi à l’issue de sa prise en charge au CHU de Limoges. Comme le soulignent les pièces de l’instruction, il a été noté à deux reprises dans le dossier patient, à 13 heures puis à 13 heures 14, que l’enfant était somnolent mais restait éveillable et qu’il ne présentait pas de signe de localisation neurologique. Dans ces conditions, c’est par une exacte appréciation des faits de l’espèce que les premiers juges ont estimé que les conditions de la prise en charge au sein du service des urgences du CH de Confolens ne révélaient aucun manquement fautif de la part de cet établissement en lien avec les dommages subis par l’enfant, en l’absence de conséquences péjoratives sur l’évolution de son état de santé.
S’agissant de la prise en charge par le service mobile d’urgence et de réanimation (SMUR) et du transfert vers le CHU de Limoges :
7. M. C=== et Mme M=== estiment que les conditions de prise en charge et de transfert de leur fils par le SMUR entre le CH de Confolens et le CHU de Limoges n’ont pas été conformes aux bonnes pratiques et font valoir que l’enfant n’aurait pas fait l’objet d’une surveillance médicale adaptée à son état et au traumatisme subi. Il résulte de l’instruction et notamment de la chronologie des faits telle qu’elle est retracée dans le dossier médical du CH de Confolens, que le départ de cet établissement en véhicule affrété par le SMUR est intervenu, ainsi qu’il a été dit, à 13 heures 40, et qu’O=== a été admis au service des urgences du CHU de Limoges, distant d’environ 70 kilomètres par voie routière, aux alentours de 14 heures 30. Tant les experts désignés par la CRCI que par le juge des référés du tribunal administratif de Limoges ont estimé que la prise en charge du bébé lors de ce transfert avait été correcte et ne révélait aucun manquement fautif dans la surveillance médicale, ce que le spécialiste de réanimation pédiatrique consulté par les requérants, le Pr D===, confirme en indiquant que la prise en charge médicale a été conforme et que les délais étaient difficilement compressibles. S’il n’est pas établi qu’il y aurait eu une collecte de données médicales de l’enfant pendant ce transfert qui s’est effectué en ambulance médicalisée, seules quelques données ayant été recueillies au moment du départ d’O=== du centre hospitalier de Confolens, il résulte cependant de l’instruction, comme le relèvent l’ensemble des experts consultés, que l’état de santé de l’enfant, à l’arrivée aux urgences du CHU de Limoges, ne s’était pas dégradé, O=== étant toujours somnolent mais bien stimulable, les pupilles normales et réactives, avec une hémodynamique stable et des réflexes vifs. Les données du dossier médical, telles qu’elles sont produites par les requérants eux-mêmes et reprises dans les rapports d’expertise, établissent que ce n’est qu’aux alentours de 17 heures, soit plus de deux heures après son admission au CHU, que de premiers signes d’aggravation brutale de l’état de santé de l’enfant se sont manifestés. Dès lors, c’est également à bon droit que les premiers juges ont pu estimer que les conditions de la prise en charge et du transfert par le SMUR du CH de Confolens ne révélaient aucun manquement fautif de la part de cet établissement en lien avec les dommages subis par l’enfant, en l’absence de conséquences péjoratives sur l’évolution de son état de santé.
En ce qui concerne la prise en charge d’O=== C=== par le centre hospitalier universitaire (CHU) de Limoges :
S’agissant des conditions et du délai de réalisation de la première intervention neurochirurgicale :
8. Il résulte de l’instruction, notamment du dossier médical et des deux rapports d’expertise concordants, qu’après l’admission effective d’O===, le 30 décembre 2009 vers 14h40, dans le service des urgences du CHU de Limoges, un scanner cérébral a été réalisé à 15h45, après avoir été prescrit par le médecin des urgences dès 15h00, ce délai de réalisation n’étant pas regardé comme anormal par les experts, alors que l’enfant ne présentait pas encore de signes inquiétants. Le résultat de cet examen d’imagerie a permis de constater la présence d’un volumineux hématome extra-dural gauche de trois centimètres d’épaisseur en fronto-pariétal ainsi que d’une fracture pariétale gauche. Ces éléments, combinés à l’apparition d’un coma réactif de l’enfant et d’une mydriase gauche diagnostiqués à 16h40, ont amené les praticiens du CHU de Limoges à décider de pratiquer, un quart d’heure plus tard, une intervention neurochirurgicale d’évacuation de l’hématome extradural. Si les requérants invoquent le manque de rapidité de la prise en charge de leur fils, à partir du moment où l’imagerie médicale a montré l’existence d’un hématome extradural, il résulte de l’instruction, notamment des constatations opérées par les experts nommés successivement par la CRCI et par le juge des référés du tribunal administratif de Limoges, qu’O=== a été admis en secteur de déchoquage et intubé vers 16h40, moins d’une heure après la réalisation du scanner cérébral et au regard des résultats de cet examen, et qu’il a été conduit dans le bloc opératoire vers 17h20. Il résulte de l’avis émis par le professeur F===, neurochirurgien et expert auprès de la Cour de cassation, corroboré par l’analyse critique du dossier réalisée à la demande des parents par le Pr D===, médecin conseil et réanimateur pédiatrique, que la réalisation du geste chirurgical de drainage d’un hématome sous la peau et d’un hématome intracrânien sont susceptibles d’entraîner une importante perte sanguine avec risque majeur d’arrêt cardiaque, de collapsus cardiovasculaire, d’anémie aiguë ou de mort subite sur la table d’opération, en particulier chez un très jeune enfant, de sorte que ces risques imposaient une préparation minutieuse du patient avant la réalisation de l’intervention chirurgicale. Les rapports d’expertise relèvent que cette intervention a été réalisée conformément aux règles de l’art médical et ne témoignent d’aucun manquement de la part de l’établissement. Dans ces conditions, c’est également à juste titre que les premiers juges ont considéré que les conditions et les délais de prise en charge de l’enfant entre la réalisation du scanner cérébral et le début de l’intervention neurochirurgicale du 30 décembre 2009 au CHU de Limoges ne révèlent aucune carence fautive imputable à ce dernier ni aucun accident iatrogène en lien avec le dommage, l’ensemble des experts soulignant, à cet égard, que le choc hémorragique présenté par l’enfant au cours de l’intervention était exclusivement attribuable à l’hématome extradural préexistant, et qu’il a d’ailleurs été pris en charge de manière conforme et efficace par l’équipe opératoire.
S’agissant de l’utilisation de la phénytoïne lors de la prise en charge post-interventionnelle :
9. Ainsi que l’a relevé le tribunal, en s’appuyant notamment sur les constatations effectuées par les experts, il est constant que de la phénytoïne, sous forme du médicament Prodilantin®, a été administrée à O=== lors de son hospitalisation dans le service de réanimation pédiatrique du CHU de Limoges. Il est également constant et admis par tous les experts ayant examiné le dossier médical de l’enfant que ce médicament, destiné à la prise en charge des convulsions résistantes au phénobarbital habituellement utilisé, comme c’était le cas en l’espèce, n’a pas reçu d’autorisation de mise sur le marché (AMM) pour les enfants de moins de 5 ans, mais que cette absence de commercialisation ne signifie pas que son utilisation est prohibée en milieu hospitalier. Il résulte d’ailleurs de l’instruction, et notamment des éléments médicaux produits par le CHU de Limoges en première instance, que cette molécule fait partie des protocoles thérapeutiques pédiatriques, aussi bien en France, qu’aux Etats-Unis ou au Canada. Certes, il résulte également de ces constatations expertales que plusieurs surdosages en phénytoïne ont été relevés à l’occasion de prises de sang pratiquées sur l’enfant au cours du mois de janvier 2010. Toutefois, si ce médicament, dont l’indication chez l’enfant et le nourrisson de plus d’un mois est conforme aux données acquises de la science médicale ainsi qu’en atteste un article publié dans la revue de la société canadienne de pédiatrie de février 2011, produit en première instance par le CHU et non contredit, est susceptible d’avoir des effets secondaires, le Dr V===, spécialiste de neuropédiatrie et de réanimation pédiatrique consulté par le CHU, indique sans être davantage contredit que ces effets sont temporaires, lorsqu’ils se manifestent, et n’emportent aucune séquelle. Le Dr R===, médecin conseil interrogé par les requérants, se borne à indiquer qu’il « est possible de s’interroger sur le rôle que le surdosage en phénytoïne aurait pu éventuellement avoir » sur l’évolution de l’état de santé d’O===, sans aucun élément à l’appui, alors qu’il ne résulte pas de l’instruction que ces effets secondaires, à les supposer même existants en l’espèce, auraient pu entraîner des séquelles en lien avec les dommages subis par l’enfant. Dans ces conditions, c’est aussi à bon droit que les premiers juges ont considéré que l’utilisation de phénytoïne, prescrite dans le cadre d’une prise en charge urgente et compte tenu de convulsions de l’enfant résistantes aux traitements entrepris, quand bien même elle a été réalisée sans information préalable des parents, ne révèle aucun manquement fautif de la part du CHU de Limoges en lien avec les dommages subis par l’enfant, en l’absence de conséquences péjoratives sur l’évolution de son état de santé.
S’agissant de l’accident médical survenu le 4 janvier 2010 et de ses suites :
10. En dehors des actes de soins courants où la faute peut être présumée lorsque ceux-ci ont des conséquences anormales sur l’état de santé de la personne, la responsabilité d’un établissement public de santé ne peut être engagée que sur le terrain de la faute prouvée. Lorsque la perte ou l’absence de production de la part de l’établissement d’éléments essentiels du dossier médical place le patient ou ses ayants droit dans l’impossibilité d’accéder aux informations de santé concernant celui-ci et, le cas échéant, d’établir l’existence d’une faute dans sa prise en charge, il appartient au juge, après avoir invité l’établissement à produire tous les éléments médicaux en sa possession de nature à justifier les modalités de la prise en charge, de former sa conviction sur la conformité des soins aux règles de l’art médical au vu des éléments versés ou non versés au dossier.
11. En premier lieu, il résulte de l’instruction, et n’est aucunement contesté, que le 4 janvier 2010, un peu avant 13 heures, alors que le jeune O=== était hospitalisé en service de réanimation pédiatrique et était maintenu sous sédation, il a été constaté que la sonde d’intubation qui lui apportait de l’oxygène s’était coudée, privant ainsi l’enfant d’apport en oxygène pendant une durée de quelques minutes, la précédente observation dans son dossier étant datée de 12h33 et uniquement relative aux produits de perfusion, comme le révèlent les pièces disponibles issues du dossier infirmier intitulées « feuilles de surveillance réanimation pédiatrique ». Le personnel de ce service a retrouvé O=== avec un rythme cardiaque ralenti (bradycardie extrême) de 35 battements par minute, avec une mydriase bilatérale (augmentation du diamètre des pupilles) et une désaturation d’oxygène à 10 %. Il a alors été réalisé un massage cardiaque externe et une ventilation en oxygène à 100 %. Tant les experts nommés par la CRCI que celui nommé par le juge des référés du tribunal administratif de Limoges ont souligné que, dans des conditions normales de surveillance au sein d’un service de réanimation pédiatrique, la coudure de la sonde d’intubation aurait dû être détectée plus rapidement. Au surplus, le médecin de cardiologie pédiatrique du CHU de Limoges ayant assisté aux opérations d’expertise diligentées à la demande de la CRCI a reconnu que le système d’alarme du service, mis en place pour le monitoring des enfants intubés et ventilés, avait été modifié après l’incident du 4 janvier 2010, invoquant ainsi l’existence « probable » d’un dysfonctionnement de ce dispositif, pour lequel l’établissement n’a pas été en mesure d’établir qu’il était en état de fonctionnement normal au moment de cet accident. En outre, il résulte des pièces médicales de l’instruction, éclairées par l’analyse critique réalisée par le Pr D===, que le tableau clinique que présentait alors l’enfant était constitutif d’un épisode d’anoxo-ischémie sur bradycardie extrême avec passage en mydriase bilatérale, ce que confirme également le compte-rendu d’hospitalisation établi le 25 janvier 2010 par le médecin réanimateur du CHU de Limoges ayant pris en charge l’enfant, alors que les observations médicales antérieures à la survenance de cet accident témoignaient d’une amélioration relative de son état dans les jours précédant l’accident, avec une disparition des manifestations critiques à compter du 3 janvier 2010 et la description d’un enfant assez réactif et se réveillant lorsqu’il était stimulé. Dans ses observations du 6 novembre 2018, le Pr D=== ajoute, sans être contredit, que « l’IRM apporte une preuve objective de que l’accident iatrogène a majoré les lésions cérébrales avec des lésions des ganglions de base, qui se sont surajoutées à un cerveau en souffrance ». Les experts désignés par le juge des référés ont également estimé que l’examen par imagerie par résonance magnétique (IRM), pratiqué le 8 janvier 2010, montrait des lésions postérieures à une ischémie cérébrale droite, compatibles avec des manifestations de type anoxo-ischémique, qui n’avaient pas été relevées avant la survenance de l’accident d’intubation. Enfin, tant le praticien du CHU ayant participé aux opérations d’expertise que les différents experts ont estimé que cet accident iatrogène, compte tenu du délai de prise en charge et de ses effets, avait modifié le pronostic de l’enfant.
12. Si le CHU de Limoges fait valoir qu’en l’absence d’imagerie de ce type réalisée antérieurement à l’accident du 4 janvier 2010, rien ne permettrait d’affirmer que ces lésions induites par des manifestations de type anoxo-ischémique ne préexistaient pas et n’étaient pas à relier avec l’importance du traumatisme subi par O=== le 30 décembre 2009, une telle circonstance ne permet pas, à elle seule, de démontrer que l’enfant était atteint d’une lésion ischémique préalablement à cet accident, en l’absence de production par l’établissement d’éléments en ce sens du dossier médical et des feuilles de transmissions ciblées du personnel infirmier sur les journées concernées, de nature à décrire l’état de santé précis de l’enfant avant la survenance de cet accident. Ainsi, le centre hospitalier universitaire a été invité à fournir à la cour l’entier dossier médical de l’enfant, mais s’est borné à lui transmettre les pièces qui avaient déjà été soumises aux experts, lesquelles ne comportent notamment pas l’intégralité des feuilles de transmission médicales et infirmières ciblées des journées des 2, 3 et 4 janvier 2010, qui auraient seules été de nature à décrire l’état de santé précis de l’enfant avant la survenance de cet accident. Il n’a pas davantage évoqué l’analyse interne détaillée de l’accident qui a nécessairement dû être effectuée dès lors qu’il constituait un évènement indésirable grave, s’agissant des conditions de sa survenance, de sa durée exacte, de l’existence ou non d’une alerte relayée en salle de surveillance du service de réanimation pédiatrique au titre du dispositif de monitoring de la ventilation mécanique assistée ou encore du relevé précis des constantes effectué par ce dispositif d’assistance respiratoire (rythme cardiaque, pression artérielle, saturation en oxygène notamment). En particulier, les feuilles de surveillance du service de réanimation pédiatrique et les observations médicales produites ne donnent aucune description précise quant aux procédures d’alerte et à la durée de la bradycardie et de l’anoxie. Dans ces conditions, et compte tenu des observations médicales tant de l’expert désigné par le tribunal, qui a évoqué un défaut de surveillance ou d’organisation du service à l’origine d’une anoxie asphyxique, que du professeur de médecine spécialiste de réanimation pédiatrique consulté par les requérants, ces derniers sont fondés à soutenir qu’un manque de surveillance et de diligence dans l’oxygénation et la ventilation de leur fils est à l’origine d’une évolution péjorative de son état, contribuant à un retard majeur des acquisitions neuro-psychomotrices.
13. En second lieu, il résulte de l’instruction et en particulier de l’analyse critique du dossier médical d’O===, réalisée le 6 novembre 2018 par le Pr D===, spécialiste de réanimation pédiatrique et néonatale, complétée le 6 septembre 2019, analyse qui a été soumise au débat contradictoire des parties et n’est contestée par aucun élément d’ordre médical, qu’au décours de la prise en charge de ce premier accident iatrogène, l’enfant a présenté, pendant une durée de plus de douze heures, une situation de profonde alcalose respiratoire, qui n’a pas été contrôlée ni régulée. Cette modification non surveillée des conditions de ventilation de l’enfant a ainsi provoqué une hyperventilation directement à l’origine de la survenance d’une alcalose dont le Pr D=== souligne, sans être davantage contesté, qu’elle provoque une vasoconstriction cérébrale délétère pour le cerveau d’un enfant déjà anémié, en diminuant l’apport en oxygène, de sorte que cela a majoré l’épisode d’anoxo-ischémie précédemment décrit. Il résulte de l’instruction, notamment des pièces du dossier médical produites par le CHU de Limoges, que cette situation d’hyperventilation imposée n’a fait l’objet d’aucune prise en charge ni d’aucun diagnostic médical pendant la journée du 4 janvier 2010, révélant dès lors une défaillance supplémentaire dans l’organisation et le fonctionnement du service, ce défaut de surveillance et de prise en charge de l’hyperventilation ayant contribué à aggraver les dommages subis par l’enfant.
14. Dans ces conditions, si, comme le soulignent les rapports d’expertise, utilement complétés par les observations du Pr D===, l’accident iatrogène de coudure de la sonde d’intubation, s’il avait été correctement et rapidement pris en charge, n’aurait, en lui-même, pas eu de conséquences péjoratives sur l’évolution de l’état de santé de l’enfant, il résulte de ce qui vient d’être exposé que tant le délai anormalement long de prise en charge de cet accident, à l’origine d’une anoxo-ischémie, que les conditions de surveillance médicale des suites de cet épisode d’anoxo-ischémie subi par l’enfant, ayant conduit à une hyperventilation délétère, révèlent, par leurs effets, des fautes dans l’organisation et le fonctionnement du service de réanimation pédiatrique du CHU de Limoges. Celles-ci ont contribué à aggraver les séquelles que présentait l’enfant lors de son admission dans l’établissement. Il suit de là que Mme M=== et M. C=== sont fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté leurs conclusions tendant à l’engagement de la responsabilité du CHU de Limoges et de la SHAM à raison des fautes ainsi commises.
15. Toutefois, dans le cas où, comme en l’espèce, les fautes commises lors de la prise en charge ou du traitement d’un patient dans un établissement public hospitalier ont compromis ses chances d’obtenir une amélioration de son état de santé ou d’échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement des fautes ainsi commises par l’établissement et qui doit être intégralement réparé n’est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d’éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l’hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l’ampleur de la chance perdue.
16. Compte tenu de ce qui vient d’être exposé aux points 11 à 14, les délais et conditions de prise en charge de cet accident par le CHU de Limoges révèlent un retard fautif d’intervention des équipes de réanimation pour mettre fin à l’accident iatrogène, à l’origine de l’épisode d’anoxo-ischémie en ayant résulté, ainsi qu’un défaut de surveillance des conditions de ventilation de l’enfant dans les douze heures qui ont suivi, lesquels ont contribué à aggraver le tableau séquellaire présenté par l’enfant. Dans les circonstances de l’espèce, compte tenu, d’une part, de la conjonction de ces deux défaillances dans la prise en charge de l’enfant qui a conduit à faire perdurer certaines des manifestations de l’épisode d’anoxo-ischémie cérébrale pendant plus de douze heures, d’autre part, de ce que l’état de santé de l’enfant, s’il s’est ensuite progressivement amélioré, révèle des séquelles tenant à la fois aux effets de l’anoxo-ischémie et à la gravité du traumatisme crânien initialement subi, il y a lieu de fixer l’ampleur de la chance perdue par l’enfant que son état séquellaire ne soit pas aggravé, à hauteur de 30 % des préjudices subis. En ce qui concerne la mise hors de cause de l’ONIAM :
17. Il résulte de ce qui vient d’être exposé que l’accident médical non fautif lié à la coudure de la sonde d’intubation n’aurait été à l’origine d’aucune conséquence dommageable s’il avait été correctement et rapidement pris en charge, dans les deux à trois minutes suivant sa survenance. Seules les fautes commises par le CHU de Limoges ont fait perdre, en l’espèce, à l’enfant une chance de se soustraire aux conséquences de cet accident, de sorte que le dommage en résultant est entièrement et directement en lien avec les manquements fautifs commis par l’établissement, engageant sa responsabilité. Les dispositions du II de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique font, dès lors, obstacle à ce que l’ONIAM supporte au titre de la solidarité nationale la charge de réparations incombant aux personnes responsables du dommage en vertu du I du même article et excluent, ainsi, alors que le surplus du dommage est imputable à l’accident initial et non à un acte de soins, toute indemnisation par l’Office. Il suit de là que l’ONIAM est fondé à demander sa mise hors de cause.
Sur les conclusions indemnitaires :
18. L’absence de consolidation de l’état de santé de l’enfant, impliquant notamment l’impossibilité de fixer définitivement un taux d’incapacité permanente, ne fait pas obstacle à ce que soient mises à la charge du responsable du dommage des dépenses médicales dont il est d’ores et déjà certain qu’elles devront être exposées à l’avenir, ainsi que la réparation de l’ensemble des conséquences déjà acquises de la détérioration de l’état de santé de l’intéressé. Si Mme M=== et M. C=== sollicitent de la juridiction l’octroi d’une indemnité provisionnelle pour leur propre compte et celui de leur enfant, les sommes versées au titre de l’action en responsabilité devant le juge du plein contentieux ne constituent pas une provision mais une indemnisation des préjudices déjà constitués ou dont la réalisation est certaine à l’avenir. En revanche, l’existence de traitements rendant possible une guérison ou une amélioration de l’état de santé de la victime fait obstacle à l’indemnisation des préjudices futurs, qui ne peuvent être regardés comme certains. Aussi et comme l’a relevé le CHU de Limoges en défense, il appartiendra aux requérants, s’ils s’y croient fondés et en cas de persistance ou d’aggravation de la situation de leur enfant à l’avenir, ou à ce dernier à sa majorité, de solliciter l’indemnisation des préjudices apparus et en lien avec les fautes commises par l’établissement public de santé.
En ce qui concerne les demandes indemnitaires présentées par Mme M=== et M. C=== pour le compte d’O=== C=== et pour leur propre compte :
S’agissant des préjudices subis par l’enfant :
Quant aux frais d’assistance par une tierce personne :
19. Il résulte de l’instruction, notamment du rapport d’expertise judiciaire, que les besoins en aide humaine de l’enfant, compte tenu de son état de santé à l’issue de son hospitalisation, sont importants et se traduisent par une assistance parentale en aide active et une surveillance de proximité, au titre de la première et de la deuxième enfance, qui peut être évaluée à 5 heures par jour du 12 février 2010 jusqu’au 6 mai 2019, date à laquelle l’enfant a atteint l’âge de 10 ans, soit sur une période de 9 ans et 3 mois, en sus des besoins habituels en aide active pour un enfant bénéficiant d’un développement normal au plan psychomoteur et intellectuel, sur la base de 413 jours par an compte tenu des périodes de vacances et des jours fériés. Il sera, dans ces conditions, fait une juste appréciation de ce poste de préjudice, qui peut être indemnisé indépendamment de la circonstance que cette aide serait, en tout ou partie, assurée par les parents de la victime, et sur la base d’un taux horaire actualisé de 13 euros nets au regard du montant du salaire minimum interprofessionnel de croissance, en le fixant à la somme de 248 316,25 euros. Compte tenu du taux de perte de chance retenu, les requérants sont fondés à solliciter à ce titre, pour le compte de leur enfant, une indemnité de 74 495 euros.
20. Le CHU de Limoges fait néanmoins valoir qu’il convient de tenir compte de la prestation de compensation du handicap (PCH) perçue par la mère de l’enfant auprès du département et de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH) éventuellement perçue par elle auprès de la caisse d’allocations familiales. En vertu des principes qui régissent l’indemnisation par une personne publique des victimes d’un dommage dont elle doit répondre, il y a lieu de déduire d’une indemnisation allouée à la victime du dommage dont un établissement public hospitalier est responsable, au titre de l’assistance par tierce personne, les prestations versées par ailleurs à cette victime et ayant le même objet, hors le cas où une disposition particulière permet à l’organisme qui a versé la prestation d’en réclamer le remboursement si le bénéficiaire revient à meilleure fortune.
21. Cependant, les règles rappelées au point précédent ne trouvent à s'appliquer que dans la mesure requise pour éviter une double indemnisation de la victime. Par suite, lorsque la personne publique responsable n'est tenue de réparer qu'une fraction du dommage corporel, notamment parce que la faute qui lui est imputable n'a, comme en l’espèce, entraîné qu'une perte de chance d'éviter ce dommage, la déduction ne se justifie, le cas échéant, que dans la mesure nécessaire pour éviter que le montant cumulé de l’indemnisation et des prestations excède le montant total des frais d'assistance par une tierce personne.
22. D’une part, la prestation de compensation du handicap, servie par le département en application de l’article L. 245-1 du code de l’action sociale et des familles, a notamment pour objet de couvrir les frais d’assistance par tierce personne. De plus, en vertu des dispositions de l’article L. 245-7 du même code, cette prestation ne peut donner lieu à remboursement en cas de retour à meilleure fortune du bénéficiaire. Il suit de là que le CHU de Limoges est fondé à soutenir que le montant de la prestation de compensation du handicap perçue par Mme M=== est susceptible d’être déduit de ce poste de préjudice, soit, au regard des éléments communiqués par les requérants à l’invitation de la cour et pour la période courant jusqu’au 6 mai 2019, date à laquelle l’enfant a atteint l’âge de 10 ans, la somme de 121 173,95 euros.
23. D’autre part, il résulte des dispositions de l’article L. 541-1 du code de la sécurité sociale que si l’AEEH est destinée à compenser les frais de toute nature liés au handicap et qu’elle peut faire l’objet d’un complément lorsque ces frais sont particulièrement élevés ou que l’état de l’enfant nécessite l’assistance fréquente d’une tierce personne, aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoit la récupération de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé en cas de retour de son bénéficiaire à meilleure fortune. Il en va de même de l’allocation journalière de présence parentale (AJPP), prévue à l’article L. 544-1 du même code, au bénéfice de la personne qui assume notamment la charge d’un enfant atteint d’une maladie, d’un handicap ou victime d’un accident d’une particulière gravité rendant indispensables une présence soutenue et des soins contraignants. Il suit de là que le montant de ces allocations et de leur complément éventuel peut être déduit d’une rente ou indemnité allouée au titre de l’assistance par tierce personne. En l’espèce, il résulte de l’instruction et notamment des pièces produites par les requérants à la demande de la cour, que Mme M=== a perçu au titre de l’AEEH une somme totale de 7 112,77 euros, entre le mois de mars 2010 et le mois de juin 2013, ainsi qu’une somme de 14 110,35 euros au titre de l’AJPP et de son complément, pour la période du mois de janvier 2010 au mois de mars 2011, soit une somme globale de 21 223,12 euros au titre de ces deux allocations.
24. Toutefois et ainsi qu’il a été dit au point 21 ci-dessus, lorsque l’auteur de la faute n’est tenu de réparer qu’une fraction du dommage corporel, cette déduction n’a lieu d’être que lorsque le montant cumulé de l’indemnisation incombant normalement au responsable et des allocations perçues excéderait le montant total des frais d'assistance par une tierce personne. L’indemnisation doit alors être diminuée du montant de cet excédent. Le montant de l’indemnisation susceptible d’être allouée, cumulée à celle des prestations versées au titre de la PCH, de l’AEEH, de l’AJPP et de son complément s’élèverait à la somme de 216 892,07 euros tandis que le montant total des frais d’assistance à tierce personne s’élève à la somme de 248 316,25 euros, de sorte qu’en l’absence d’excédent, il n’y a pas lieu, en l’espèce, de procéder à une réfaction sur le montant alloué. L’indemnité mise à la charge de l’établissement doit donc être fixée à la somme de 74 495 euros, telle que déterminée au point 19.
Quant aux préjudices personnels de l’enfant :
25. Il résulte de l’instruction et notamment des deux rapports d’expertise que si le jeune O=== a subi un déficit fonctionnel total du 30 décembre 2009 au 12 février 2010, seule la période comprise entre le 4 janvier et le 12 février 2010 est en lien avec les fautes commises par le CHU de Limoges au titre de la perte de chance d’éviter l’aggravation du dommage constitué par le traumatisme crânien sévère dont l’enfant était atteint à son admission. Il sera, dès lors, fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en le fixant à la somme de 450 euros. Compte tenu du taux de perte de chance applicable, le CHU et la SHAM devront verser une indemnité de 150 euros à ce titre.
26. Par ailleurs, il n’est pas contesté, comme l’ont relevé les experts désignés par la CRCI puis les experts judiciaires, que l’enfant est atteint d’un déficit fonctionnel temporaire de classe IV qui, s’il n’est pas consolidé à ce jour, peut être raisonnablement évalué à 75 % en moyenne du 12 février 2010 au 6 mai 2019, date à laquelle l’enfant a atteint l’âge de 10 ans, soit pour une période de 9 ans et 3 mois. Il a également enduré des souffrances temporaires, liées aux conditions de sa prise en charge à l’issue de l’accident de la sonde d’intubation, qui peuvent être évaluées à 1 sur une échelle de 7. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation de ce poste de préjudice en l’évaluant à la somme totale de 43 000 euros. Compte tenu du taux de perte de chance imputable aux fautes commises, il y a lieu de mettre à la charge du CHU de Limoges et de son assureur une indemnité de 12 900 euros.
Quant aux frais divers :
27. Mme M=== et M. C=== ont, au soutien de leur demande de réparation, recouru à l’assistance d’un médecin conseil, le Pr D===, médecin expert agréé et spécialiste de réanimation pédiatrique, dont les observations ont été utiles à la solution du litige. Ils ont acquitté à ce titre, pour le compte de leur enfant, la somme totale de 5 500 euros. En vertu du principe de réparation intégrale du préjudice et dès lors que les frais ainsi engagés résultent entièrement du dommage subi, les requérants ont droit au remboursement de l’intégralité de cette somme, qui sera mise à la charge du CHU de Limoges et de son assureur, la SHAM.
28. Il résulte de ce qui précède que le montant des préjudices actuellement indemnisables de l’enfant O=== C===, compte tenu de la chance perdue d’échapper à l’aggravation de son état, peut être fixé à la somme de 93 045 euros, qu’il y a lieu de mettre à la charge du CHU de Limoges et de la SHAM.
S’agissant des préjudices de Mme M=== et de M. C=== :
29. En premier lieu, si Mme M=== fait valoir qu’en raison de l’état de santé de son enfant et des séquelles liées au dommage subi, elle a dû cesser totalement son activité professionnelle afin de s’occuper elle-même de son enfant, elle n’apporte cependant aucun élément de nature à établir qu’elle aurait été empêchée de poursuivre l’activité professionnelle à mi-temps qu’elle indique avoir antérieurement exercée alors que, ainsi qu’il vient d’être dit, elle a pu bénéficier d’allocations d’assistance par une tierce personne à raison de 5 heures par jour dès le retour à domicile de l’enfant. Par ailleurs, elle n’établit pas davantage la réalité même et le quantum de l’activité professionnelle qu’elle aurait exercée antérieurement à la survenance du dommage et qu’elle aurait été contrainte d’arrêter, alors que cela est formellement contesté en défense. Dans ces conditions, le chef de préjudice tiré de l’incidence professionnelle du dommage, qui n’apparaît pas comme étant une conséquence directe du dommage imputable au CHU de Limoges et qui ne présente pas de caractère certain, ne peut, en l’état, être indemnisé.
30. En second lieu, il n’est pas contesté que l’évolution séquellaire de l’état de santé de l’enfant, qui reste notamment atteint de handicaps psychomoteurs et de retards de développement pour partie en lien avec les conditions fautives de sa prise en charge et leurs répercussions, causent à ses parents un préjudice moral et des troubles de toute nature dans leurs conditions d’existence. Il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en le fixant, pour chacun d’entre eux, à la somme de 30 000 euros. Au regard du taux de perte de chance applicable, il y a donc lieu de condamner le CHU de Limoges et son assureur à verser à chacun une indemnité de 9 000 euros à ce titre.
31. Il résulte de ce qui précède que les préjudices propres et actuels des parents d’O=== C=== devront être indemnisés par le CHU de Limoges et la SHAM à hauteur de la somme de 9 000 euros pour chacun d’entre eux.
En ce qui concerne les débours de la caisse primaire d’assurance maladie de La Rochelle :
32. En premier lieu, il résulte de ce qui a été précédemment exposé aux points 6 et 7 que la responsabilité du centre hospitalier de Confolens n’est pas engagée à l’égard de la victime et de ses représentants légaux. Dès lors, les conclusions de la caisse doivent être rejetées en tant qu’elle sollicite la condamnation solidaire du CH de Confolens avec le CHU de Limoges et la SHAM à l’indemniser au titre de ses débours.
33. En second lieu, la CPAM de La Rochelle justifie, dans le dernier état de ses écritures, avoir engagé des frais actuels d’hospitalisation au CHU de Limoges, à l’hôpital national de Saint-Maurice et dans le service de soins à domicile (SSAD) « Bertha Roos », ainsi que des frais médicaux, pharmaceutiques et d’appareillage, qui sont en lien direct avec le dommage subi par l’enfant à compter du 4 janvier 2010, pour un montant total non contesté de 190 673,37 euros. Dès lors que, ainsi qu’il a été dit plus haut, les fautes commises par le CHU de Limoges ne sont à l’origine que d’une perte de chance d’éviter l’aggravation du dommage dont l’enfant était atteint à son admission, la caisse est seulement fondée à obtenir le remboursement sollicité à proportion du taux de perte de chance applicable en l’espèce, soit la somme de 57 202,01 euros.
Sur la demande de nouvelle expertise :
34. Aux termes de l’article R. 621-1 du code de justice administrative : « La juridiction peut, soit d’office, soit sur la demande des parties ou de l’une d’entre elles, ordonner, avant dire droit, qu’il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision ».
35. La prescription d’une mesure d’expertise est subordonnée au caractère utile de cette mesure. Il appartient au juge, saisi d’une demande d’expertise dans le cadre d’une action en réparation des conséquences dommageables d’un acte médical, d’apprécier son utilité au vu des pièces du dossier, notamment, le cas échéant, des rapports des expertises préalablement prescrites par une autre juridiction ou par la commission de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux, et au regard des motifs de droit et de fait qui justifient, selon le demandeur, la mesure sollicitée.
36. Il résulte des observations concordantes issues des expertises menées en février 2011 et mars 2014, ainsi qu’il a été dit plus haut, que l’état de santé de l’enfant, aujourd’hui âgé de 10 ans et demi, ne pourra être regardé comme consolidé qu’à la fin de son adolescence, de sorte que l’actualisation ou l’évaluation de ses préjudices futurs, au-delà de la période présentement indemnisée, ne peut être réalisée de manière exacte et certaine, compte tenu du caractère précisément évolutif de cet état jusqu’à ce qu’O=== ait atteint une maturité physiologique. Dans ces conditions, la demande de réalisation d’une nouvelle expertise dans le cadre de la présente instance, laquelle permet de réparer les préjudices actuels de l’enfant jusqu’à l’âge de 10 ans, qu’il a atteint le 6 mai 2019, ne présente pas le caractère d’utilité immédiate exigé par les dispositions précitées et pourrait s’avérer, de surcroît, frustratoire en l’état. Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande d’expertise complémentaire. Il appartiendra à l’intéressé ou à ses représentants légaux de solliciter l’organisation d’une nouvelle expertise aux fins de réparation des préjudices futurs une fois que ceux-ci auront, le cas échéant, été subis et présenteront alors un caractère certain.
Sur les conclusions de la CPAM de La Rochelle au titre de l’article L. 376-1 du code de la sécurité sociale :
37. Compte tenu du montant de ses débours indemnisables, la caisse primaire d’assurance maladie de La Rochelle a droit à l’indemnité forfaitaire prévue par les dispositions de l’article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, pour le montant de 1 080 euros auquel elle a été fixée par l’arrêté interministériel du 27 décembre 2018. Cette somme doit être mise à la charge solidaire du CHU de Limoges et de la SHAM.
Sur les frais exposés par les parties à l’occasion du litige :
38. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge du CHU de Limoges et de la SHAM le paiement à Mme M=== et M. C=== d’une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par ailleurs, le CHU et la SHAM verseront solidairement à la CPAM de La Rochelle la somme de 800 euros que celle-ci demande sur ce même fondement. En revanche, les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du CH de Confolens, qui n’est pas partie perdante dans la présente instance, le paiement de la somme que la CPAM de La Rochelle demande au titre des frais qu’elle indique avoir exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : L’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales est mis hors de la cause.
Article 2 : Le CHU de Limoges est condamné à verser à Mme M=== et M. C=== la somme de 93 045 euros, pour le compte de leur fils O===, et des sommes de 9 000 euros chacun, au titre de leurs préjudices propres.
Article 3 : Le CHU de Limoges et la SHAM verseront solidairement à la CPAM de La Rochelle, venant aux droits de la CPAM de la Charente, une somme de 57 202,01 euros au titre de ses débours ainsi que la somme de 1 080 euros au titre de l’article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.
Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Limoges est réformé en ce qu’il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : Le CHU de Limoges et la SHAM verseront à Mme M=== et M. C=== une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le CHU de Limoges et la SHAM verseront solidairement à la caisse primaire d’assurance maladie de La Rochelle une somme de 800 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 7 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme M=== et M. C=== et le surplus des conclusions de la CPAM de La Rochelle sont rejetés.
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à Mme M===, à M. C===, au centre hospitalier universitaire de Limoges, au centre hospitalier de Confolens, à la caisse primaire d'assurance maladie de La Rochelle, à l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la Société hospitalière d'assurances mutuelles.