Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme G== S==, épouse A==, et M. R== A== ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux, à titre principal, de condamner solidairement le centre hospitalier universitaire de Bordeaux (CHU) et l’Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à verser à Mme S== la somme de 567 546,91 euros et à M. A== la somme de 40 000 euros en réparation des préjudices qu’ils ont subis à raison des fautes médicales commises par le centre hospitalier universitaire de Bordeaux dans sa prise en charge de l’état de santé de Mme S==.

Par un jugement n° 1404511 du 12 avril 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné le CHU à leur verser une somme globale de 137 000 euros, à verser à la caisse primaire d’assurance maladie de Bayonne (CPAM) la somme de 376 614,88 euros en remboursement des débours que la caisse a déjà exposés et à rembourser la caisse au fur et à mesure de ses débours futurs dans la limite de 13 934,44 euros par an et à concurrence de 241 985,48 euros.



Procédure devant la cour :



Par une requête, enregistrée le 23 mai 2016 et des mémoires enregistrés les 26 août 2016 et 5 décembre 2017, Mme S== épouse A== et M. A==, représentés par Me Tournaire, demandent à la cour :



1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 1404511 du 12 avril 2016 ;

2°) de condamner le CHU de Bordeaux à verser à Mme S==, au moins à titre de provision, la somme de 514 265,91 euros après déduction de la provision de 40 000 euros que le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a ordonné à l’ONIAM de lui verser et à verser à M. A== la somme de 55 281 euros ;

3°) d’ordonner une expertise aux fins de déterminer les préjudices subis par Mme S== à raison de l’aggravation de son état de santé depuis le 15 septembre 2011 ;

4°) de mettre à la charge du CHU la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.




Considérant ce qui suit :



1. Mme S==, épouse A==, alors âgée de 50 ans, a subi, au sein du centre hospitalier universitaire de Bordeaux, une colectomie sigmoïdienne avec anastomose termino-terminale transuturaire le 3 février 2003, puis une colectomie subtotale le 23 avril 2003, une protectomie anastomose iléo sus anale, une iléostomie temporaire le 16 juillet 2003, une iléostomie terminale le 12 mai 2004 et, enfin, le 3 mars 2005, une amputation anorectale et une iléostomie définitive. Estimant ne pas avoir été correctement prise en charge, Mme S== a saisi, le 5 avril 2006, la commission régionale de conciliation et d’indemnisation (CRCI) d’Aquitaine, laquelle a émis, le 21 mai 2008, un avis favorable à son indemnisation au titre de la solidarité nationale. Par un jugement n° 1403511 du 12 avril 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné le CHU à verser à Mme S== et à son époux une somme globale de 137 000 euros. Mme S== et M. A== demandent à la cour de réformer ce jugement du 12 avril 2016 en condamnant, à titre principal, le CHU à verser à Mme S==, au moins à titre de provision, la somme de 514 265,91 euros, après déduction de la provision de 40 000 euros que le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a ordonné à l’ONIAM de lui verser, à verser à M. A== la somme de 55 281 euros et d’ordonner une nouvelle expertise aux fins de déterminer les préjudices subis par Mme S== à raison de l’aggravation de son état de santé depuis le 15 septembre 2011.

Sur la responsabilité :

2. Aux termes de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique : « I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (…) ».



3. En premier lieu, il résulte de l’instruction et notamment du rapport remis par l’expert judiciaire le 19 août 2013, que certains des examens dont le CHU soutient qu’ils ont été pratiqués pour caractériser la constipation dont souffrait Madame A== en 2002, en particulier la tenue d'un carnet de selles, la mesure du temps de transit aux marqueurs radio opaques et une défécographie n’ont pas été produits à l’instance ou lors des opérations d’expertise. En outre, il ressort du compte-rendu de la consultation donnée le 11 décembre 2002 par le chirurgien qui a, ensuite, pratiqué la plupart des interventions chirurgicales litigieuses, que la défécographie qui aurait été pratiquée ne montrait « pas de récidive de prolapsus rectal type rectocèle ou élytrocèle incomplets » et que la mesure du temps de transit aux marqueurs radio opaques qui aurait également été réalisée n'a pu faire la preuve d'une constipation de transit. Il résulte de ce même compte-rendu qu’il n’existait alors « aucune lésion organique ni anatomique à traiter sur le plan chirurgical », que la patiente pouvait « évacuer les selles sans difficulté lorsque celles-ci sont liquides et sans qu'il ne survienne d'épisodes d'incontinence » et « l'indication théorique (de l'exérèse colique) est l'inertie colique que la patiente n'a pas ... » Enfin, il ressort du compte-rendu établi à l’issue de la consultation donnée le 27 novembre 2012, par un gastroentérologue du CHU, que les alternatives thérapeutiques à une intervention chirurgicale n’étaient pas épuisées.

4. Dans ces conditions, l’erreur de diagnostic et, par suite, de traitement, commise par ce chirurgien, qui l’a conduit à pratiquer une colectomie sigmoïdienne lors de la laparotomie à visée exploratrice du 3 février 2003 - dont a résulté une aggravation de la constipation, laquelle a justifié des interventions de reprises de plus en plus lourdes qui ont elles-mêmes donné lieu à de multiples complications et ont finalement entraîné une amputation anorectale et une iléostomie définitive ainsi qu’une fistule pelvi vaginale - caractérise une faute de nature à engager la responsabilité du CHU dès lors qu’il résulte de ce qui précède que le diagnostic de constipation de transit, seul à même de justifier cette intervention, n’a pas pu être confirmé, qu’il existait des alternatives thérapeutiques et que cette intervention était risquée, aux dires même du chirurgien qui l’a réalisée, le « rapport critique d’expertise » produit en défense par le CHU précisant au demeurant qu’elle est suivie d’un taux de morbidité de 18 %, de douleurs abdominales dans 41 % des cas, d’occlusion intestinale dans 18 % des cas et d’incontinence anale également dans 18 % des cas.

Sur la demande d’expertise :

5. Aux termes de l’article R. 621-1 du code de justice administrative : « La juridiction peut, soit d’office, soit sur la demande des parties ou de l’une d’elles, ordonner, avant dire droit, qu’il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision. » Il appartient au demandeur qui engage une action en responsabilité à l'encontre de l'administration d'apporter tous éléments de nature à établir devant le juge l'existence d'une faute et la réalité du préjudice subi. Il incombe alors, en principe, au juge de statuer au vu des pièces du dossier, le cas échéant après avoir demandé aux parties les éléments complémentaires qu'il juge nécessaires à son appréciation. Il ne lui revient d'ordonner une expertise que lorsqu'il n'est pas en mesure de se prononcer au vu des pièces et éléments qu'il a recueillis et que l'expertise présente ainsi un caractère utile.

6. Les appelants demandent à la cour de prescrire une nouvelle expertise pour tenir compte de l’aggravation de l’état de santé de Mme S==. Ils produisent à l’appui de cette demande des pièces médicales relatives à des douleurs vaginales récurrentes causées par une fistule vaginale ainsi qu’une éventration péristomiale asymptomatique. Toutefois, ces pièces ne permettent pas de considérer que l’aggravation alléguée de ces douleurs, dont l’intensité est régulièrement évoquée depuis 2004 - à raison desquelles des interventions à visées exploratoires et réparatrices ont été réalisées sans succès les 3 mars 2005, 13 octobre 2006 ainsi qu’au cours du mois de février 2010 et un déficit fonctionnel permanent de 5 % a déjà été retenu par l’expert judiciaire - pourraient caractériser une aggravation de son état de santé en lien avec les fautes commises par le CHU alors qu’une nouvelle exploration chirurgicale par laparotomie, le 12 juin 2016, n’a pas permis de confirmer la persistance de la fistule qui en serait responsable. Dans ces conditions, il n’y pas lieu d’ordonner l’expertise demandée.

Sur les préjudices :

S'agissant des préjudices de Mme S== :

7. En premier lieu, aux termes de l’article L. 245-1 du code de l’action sociale et des familles : « Toute personne handicapée résidant de façon stable et régulière en France (…) dont le handicap répond à des critères définis par décret prenant notamment en compte la nature et l’importance des besoins de compensation au regard de son projet de vie, a droit à une prestation de compensation (…) ». Selon l’article L. 245-3 du même code : « La prestation de compensation peut être affectée, dans des conditions définies par décret, à des charges : / 1° liées à un besoin d’aides humaines y compris, le cas échéant, celles apportées par des aidants familiaux (…) ». L’article L. 245-4 dudit code énonce que : « L'élément de la prestation relevant du 1° de l'article L. 245-3 est accordé à toute personne handicapée (…) lorsque son état nécessite l'aide effective d'une tierce personne pour les actes essentiels de l'existence ou requiert une surveillance régulière (..). Le montant attribué à la personne handicapée est évalué en fonction du nombre d'heures de présence requis par sa situation et fixé en équivalent-temps plein, en tenant compte du coût réel de rémunération des aides humaines en application de la législation du travail et de la convention collective en vigueur. ». Enfin l’article L. 245-7 du même code prévoit que les sommes versées au titre de cette prestation ne font pas l’objet d’un recouvrement à l’encontre du bénéficiaire lorsque celui-ci est revenu à meilleure fortune.



8. En vertu des principes qui régissent l’indemnisation par une personne publique des victimes d’un dommage dont elle doit répondre, il y a lieu de déduire d’une rente allouée à la victime du dommage dont un établissement public hospitalier est responsable, au titre de l’assistance par tierce personne, les prestations versées par ailleurs à cette victime et ayant le même objet. Il en va ainsi tant pour les sommes déjà versées que pour les frais futurs. Cette déduction n’a, toutefois, pas lieu d’être lorsqu’une disposition particulière permet à l’organisme qui a versé la prestation d’en réclamer le remboursement si le bénéficiaire revient à meilleure fortune.

9. Il résulte de l’instruction, en particulier du rapport de l’expert judiciaire que l’état de santé de Mme S== justifie l’aide d’une tierce personne non qualifiée à raison de cinq heures hebdomadaires. Toutefois, le centre hospitalier fait valoir que ce poste de préjudice est déjà indemnisé par la prestation de compensation du handicap prévue par l’article L. 245-1 précité du code de l’action sociale et des familles, laquelle a notamment pour objet de couvrir les frais d’assistance par tierce personne. Les appelants ne contestent pas que Mme S== remplissait les conditions auxquelles le bénéfice de cette prestation est subordonné et ne produisent aucun élément permettant de considérer, comme ils le soutiennent, qu’elle n’a pas sollicité le bénéfice de la prestation de compensation du handicap et qu’elle ne la perçoit pas alors qu’il leur appartient d’apporter, par tous moyens, la preuve de ces allégations. Dans ces conditions, les conclusions des appelants tendant à ce que le CHU soit condamné à leur verser les sommes de, respectivement, 24 829,19 et 18 707,72 euros au titre des dépenses passées et futures d’assistance de Mme S== par une tierce personne doivent être rejetées.




10. En second lieu, il résulte de l’instruction et n’est pas contesté par les parties que Mme S== a subi une période de déficit fonctionnel temporaire total à compter du 1er février 2013 et pendant 319 jours, une période de déficit fonctionnel temporaire à 60 % pendant 311 jours, une période de déficit fonctionnel temporaire à 40 % pendant 2 102 jours ainsi qu’une période de déficit fonctionnel temporaire à 30 % pendant 308 jours et à 20 % pendant 53 jours. Eu égard à la durée de ces différentes périodes, l’évaluation du préjudice qui en a résulté, fixée par les premiers juges à 500 euros par mois s’agissant du déficit fonctionnel temporaire total et à la somme globale de 24 000 euros pour l’ensemble des périodes considérées résulte d’une juste appréciation qu’il y a lieu de confirmer.

11. Il résulte de l’instruction et notamment des constatations de l'expert, que Mme S== a enduré des souffrances physiques, évaluées par l’expert à 5/7, à raison des huit interventions chirurgicales qu’elle a subies, de la perte d'autonomie qui en a résulté, de la nécessité de s'astreindre à des soins de stomie, des échecs chirurgicaux répétés. Au regard de l’intensité de ces souffrances, la somme de 20 000 euros fixée par les premiers juges résulte d’une juste appréciation qu’il y a lieu de confirmer.

12. Il résulte de l’instruction et notamment des constatations de l'expert, que Mme S== a subi un préjudice esthétique permanent, évalué par l’expert à 3/7, à raison de l'appareillage de l'iléostomie, de la nécessité de porter une garniture périnéale et de la présence de cicatrices abdominales. Dans ces conditions, la somme de 5 000 euros retenue par les premiers juges pour l’évaluation de ce préjudice esthétique résulte d’une juste appréciation qu’il y a lieu de confirmer.

13. En troisième et dernier lieu, il résulte de l’instruction, et notamment des conclusions de l'expert judiciaire, que Mme S== demeure atteinte d'un déficit fonctionnel permanent global de 35 % qui se décompose comme suit : iléostomie définitive 20 %, douleurs abdominales 10 %, écoulements vaginaux 5 %, troubles de la statique pelvienne 5 %, troubles anxio dépressifs 10 %. Il sera fait une juste évaluation de ce poste de préjudice ainsi que du préjudice d’agrément qui en résulte en les fixant à la somme globale de 90 000 euros. Mme S== a également subi un préjudice sexuel substantiel dont il sera fait une juste appréciation en l’évaluant à la somme de 10 000 euros.

S’agissant des préjudices de M. A== :

14. M. A== soutient qu’il est quotidiennement demeuré au chevet de son épouse lors de chacune de ses hospitalisations. Toutefois, il ne produit aucun élément à l’appui de cette allégation et notamment aucune facture ni aucun relevé bancaire. Dans ces conditions, il n’établit pas avoir exposé des frais matériels pour l’accompagnement de Mme S==. En outre, la fixation, par les premiers juges, de ses troubles dans ses conditions d'existence et de son préjudice d'affection à la somme globale de 10 000 euros résulte d’une juste appréciation qu’il y a lieu de confirmer.

15. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants sont seulement fondés à demander que la somme que le CHU a été condamné à verser aux appelants au titre du préjudice de Mme S== soit portée de 127 000 à 149 000 euros.

S’agissant des débours de la caisse primaire d’assurance maladie de Bayonne (CPAM) :

16. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier soumis à la cour que la caisse a produit des relevés détaillés de ses débours récapitulant l’ensemble des prestations servies à son assurée entre le 3 février 2003 et le 15 septembre 2011 à raison des interventions chirurgicales dont s’agit et une attestation d’imputabilité du médecin-conseil du recours contre tiers de la direction du service médical d’Aquitaine indiquant « que l’ensemble des prestations (….) a été authentifié lors de l’expertise judiciaire du 19 avril 2013 (…)». Dans ces conditions, le CHU n’est pas fondé à soutenir qu’elle ne justifie pas de l’imputabilité de ces dépenses aux fautes qu’il a commises. Il n’établit pas non plus qu’en raison de la pathologie dont était atteinte Mme S==, la CPAM aurait, en tout état de cause, été contrainte d’exposer certains de ces débours. Par suite, il n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que les premiers juges l’ont condamné à verser à la CPAM la somme totale de 376 614,88 euros au titre des débours exposés par la caisse.

17. En second lieu, il ressort du jugement attaqué que, contrairement à ce qu’il soutient, le CHU n’a pas été condamné à verser un capital représentatif d’un montant de 241 985,48 euros au titre des dépenses de santé futures exposées par la CPAM mais uniquement à rembourser la caisse au fur et à mesure que ces débours auront été exposés et sur présentation de justificatifs dans la double limite de 13 934,44 euros par an et d’un capital représentatif de 241 985,48 euros. Par suite, les conclusions du CHU tendant à ce que le jugement soit réformé sur ce point ne peuvent qu’être rejetées.

18. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge du CHU, et au bénéfice des appelants, la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :



Article 1er : La somme que le centre hospitalier universitaire de Bordeaux est condamné à verser à Mme S== et à M. A== est portée de 137 000 à 159 000 euros.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 12 avril 2016 est réformé en tant qu’il est contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le CHU versera à Mme S== et à M. A== la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.