Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. Jean-Louis C== a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d’annuler deux titres de perception du 27 février 2014 émis par le directeur régional des finances publiques de la Guadeloupe aux fins de recouvrer les sommes de 30 764,06 euros et 50 993,53 euros en remboursement de trop-perçus de rémunération.

Par un jugement n° 1401001 du 29 septembre 2016, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé ces deux titres de perception et rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 2 décembre 2016, le ministre de l’intérieur demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du 29 septembre 2016 du tribunal administratif de la Guadeloupe ;

2°) de rejeter la demande de M. C== présentée en première instance.


Considérant ce qui suit :

1. M. C==, fonctionnaire titulaire du grade de gardien de la paix, était affecté à la direction interrégionale de la police judiciaire à Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe, lorsque, par une ordonnance du 21 mai 2005, le juge d’instruction du tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre, d’une part, l’a mis en examen pour usage de stupéfiants, détournement de 80 grammes de cocaïne qui avaient été placés sous scellés judiciaires et infraction à la législation sur les armes, et, d’autre part, l’a placé sous contrôle judiciaire avec interdiction d’exercer ses fonctions. Par un arrêté du 30 juin 2005, le ministre d’Etat, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire, se fondant sur les dispositions de l’article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, a alors suspendu M. C== de ses fonctions tout en lui maintenu le bénéfice de son traitement. Toutefois, par un arrêté du 26 juillet 2006, cette autorité administrative a mis fin à l’arrêté précédent portant suspension de fonctions (article 1), indiqué que l’intéressé serait privé de traitement pour service non fait par arrêté préfectoral à intervenir (article 2) et qu’il serait de nouveau suspendu de ses fonctions à partir de la levée de la mesure judiciaire d’interdiction d’exercice de ses fonctions de gardien de la paix (article 3). Par un jugement n° 0600902 du 25 septembre 2008, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté la demande de M. C== tendant à l’annulation totale de cet arrêté ministériel. Toutefois, la cour administrative d’appel de Bordeaux, saisie par M. C==, a, par un arrêt n° 08BX02809 du 28 août 2009, partiellement annulé ce jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe, annulé l’arrêté litigieux en tant qu’il avait privé l’intéressé de la totalité de son traitement et rejeté le surplus de sa demande. Tirant les conséquences de caractère exécutoire de cet arrêt, le ministre de l’intérieur a entrepris de verser à M. C== les rémunérations dont il avait été privé entre le 26 juillet 2006, date d’effet de l’arrêté de privation de traitement susmentionné, et le 28 août 2009, date de lecture de l’arrêt de la Cour de céans, tout en formant un pourvoi en cassation contre celui-ci. Par un arrêt n° 333707 du 10 octobre 2011, le Conseil d’Etat a annulé les articles 1er, 2 et 3 de l’arrêt attaqué au motif tiré de ce que la cour s’était méprise sur la portée des articles 1 et 2 de l’arrêté du 26 juillet 2006 qui avaient pour objet de priver M. C== de son traitement en mettant fin à la mesure de suspension précédemment prononcée le 30 juin 2015, et non de proroger ladite mesure, puis, réglant l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, a confirmé la légalité de l’arrêté du 26 juillet 2006. C’est ainsi que, le ministre de l’intérieur entendant obtenir le remboursement des sommes versées à M. C== consécutivement à l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Bordeaux du 28 août 2009, deux titres de perception du 27 février 2014 ont été émis par le directeur régional des finances publiques de la Guadeloupe aux fins de recouvrer les sommes de 30 764,06 euros et 50 993,53 euros correspondant chacune, selon les libellés des titres de perception, à un « indu sur rémunération issu de paye de février 2012 et de mars 2012 ». Le ministre de l’intérieur relève appel du 29 septembre 2016 par lequel le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé ces deux titres de perception.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. D’une part, aux termes de l'article 2224 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. ». Aux termes de l'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000 susvisée, dans sa rédaction issue de l'article 94 de la loi du 28 décembre 2011 portant loi de finances rectificative pour 2011 : « Les créances résultant de paiements indus effectués par les personnes publiques en matière de rémunération de leurs agents peuvent être répétées dans un délai de deux années à compter du premier jour du mois suivant celui de la date de mise en paiement du versement erroné, y compris lorsque ces créances ont pour origine une décision créatrice de droits irrégulière devenue définitive. / Toutefois, la répétition des sommes versées n'est pas soumise à ce délai dans le cas de paiements indus résultant soit de l'absence d'information de l'administration par un agent de modifications de sa situation personnelle ou familiale susceptibles d'avoir une incidence sur le montant de sa rémunération, soit de la transmission par un agent d'informations inexactes sur sa situation personnelle ou familiale. (…) ». Il résulte des dispositions précitées de l'article 37-1 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, qui sont applicables à l'ensemble des sommes indûment versées par des personnes publiques à leurs agents à titre de rémunération, qu'une somme indûment versée par une personne publique à l'un de ses agents au titre de sa rémunération peut, en principe, être répétée dans un délai de deux ans à compter du premier jour du mois suivant celui de sa date de mise en paiement sans que puisse y faire obstacle la circonstance que la décision créatrice de droits qui en constitue le fondement ne peut plus être retirée. Dans les deux hypothèses mentionnées au deuxième alinéa de l'article 37-1, la somme peut être répétée dans le délai de droit commun prévu à l'article 2224 du code civil. En l'absence de toute autre disposition applicable, les causes d'interruption et de suspension de la prescription biennale instituée par les dispositions de l'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000 sont régies par les principes dont s'inspirent les dispositions du titre XX du livre III du code civil. Il en résulte que tant la lettre par laquelle l'administration informe un agent public de son intention de répéter une somme versée indûment qu'un ordre de reversement ou un titre exécutoire interrompent la prescription à la date de leur notification, la preuve de celle-ci incombant à l'administration. Par ailleurs, aux termes de l'article 2222 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008 susmentionnée : « La loi qui allonge la durée d'une prescription ou d'un délai de forclusion est sans effet sur une prescription ou une forclusion acquise. Elle s'applique lorsque le délai de prescription ou le délai de forclusion n'était pas expiré à la date de son entrée en vigueur. Il est alors tenu compte du délai déjà écoulé. / En cas de réduction de la durée du délai de prescription ou du délai de forclusion, ce nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure. ». Il résulte de ces dernières dispositions que, lorsqu'une loi nouvelle modifiant le délai de prescription d'un droit, abrège ce délai, le délai nouveau est immédiatement applicable et commence à courir à compter de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle. Par ailleurs, le délai ancien, s'il a commencé à courir avant l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, ne demeure applicable que dans l'hypothèse où sa date d'expiration surviendrait antérieurement à la date d'expiration du délai nouveau.

3. D’autre part, aux termes des dispositions de l’article L. 111-3 du code des procédures civiles d’exécution : « Seuls constituent des titres exécutoires : 1° Les décisions des juridictions de l'ordre judiciaire ou de l'ordre administratif lorsqu'elles ont force exécutoire, ainsi que les accords auxquels ces juridictions ont conféré force exécutoire ; / 2° Les actes et les jugements étrangers ainsi que les sentences arbitrales déclarés exécutoires par une décision non susceptible d'un recours suspensif d'exécution, sans préjudice des dispositions du droit de l'Union européenne applicables ; / 3° Les extraits de procès-verbaux de conciliation signés par le juge et les parties (…) ». Aux termes de l’article L. 111-4 de ce code : « L'exécution des titres exécutoires mentionnés aux 1° à 3° de l'article L. 111-3 ne peut être poursuivie que pendant dix ans, sauf si les actions en recouvrement des créances qui y sont constatées se prescrivent par un délai plus long. ».

4. En premier lieu, il est constant que consécutivement à l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux du 28 août 2009 déjà mentionné au point 1, le ministre de l’intérieur a entrepris de verser à M. C== les rémunérations dont il avait été privé entre le 26 juillet 2006 et le 28 août 2009. Il ressort des indications fournies par M. C== en première instance, lesquelles ne font l’objet d’aucun contredit, que le versement desdites rémunérations a été effectué entre le 27 janvier 2010 et le 27 janvier 2012 et non, contrairement à ce que mentionnent les titres exécutoires litigieux, sur les traitements de février et mars 2012. Ainsi que l’ont relevé à juste titre les premiers juges, dès lors que, dans son arrêt susmentionné du 10 octobre 2011, le Conseil d’Etat a annulé les articles 1er, 2 et 3 de l’arrêt de la Cour du 28 août 2009 puis confirmé la légalité de l’arrêté du ministre de l’intérieur du 26 juillet 2006 portant suppression du versement du traitement de M. C== pour service non fait, les rémunérations versées à M. C== en exécution de l’arrêt de la Cour devaient être regardées, à compter de la notification de l’arrêt du Conseil d’Etat du 10 octobre 2011, comme constitutives de paiements indus dont l’administration pouvait, dès cette date, exiger le remboursement auprès de l’intéressé.

5. En deuxième lieu, le ministre de l’intérieur soutient pour la première fois en appel qu’en vertu des dispositions, précitées au point 3, de l’article L. 111-4 du code des procédures civiles d’exécution, il disposait, à compter de cet arrêt du Conseil d’Etat du 10 octobre 2011 qui a fait naître à son profit une créance sur M. C==, d’un délai de dix ans pour exercer cette action en répétition de l’indu. Toutefois, il ressort des dispositions de l'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000 susvisée, dans sa rédaction issue de l'article 94 de la loi du 28 décembre 2011 portant loi de finances rectificative pour 2011, que le législateur a entendu instaurer une règle de prescription biennale spécifique applicable en principe à l'ensemble des sommes indûment versées par des personnes publiques à leurs agents à titre de rémunération, exception faite de l’une des deux hypothèses limitativement mentionnées au deuxième alinéa de l'article 37-1 où lesdits éléments de rémunérations peuvent être répétés dans le délai de droit commun de cinq ans prévu à l'article 2224 du code civil, au nombre desquelles la créance litigieuse ne figure pas. Dès lors, le ministre de l’intérieur appelant ne saurait utilement se prévaloir des règles de prescription générales mentionnées aux articles L. 111-3 et L. 111-4 du code des procédures civiles d’exécution pour faire obstacle à l’applicabilité, de plein droit, de la règle spéciale instaurée par l'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000, à la créance dont il cherche à obtenir le remboursement auprès de M. C==.

6. En troisième lieu, il résulte des dispositions, précitées au point 2, qu'à la date à laquelle l’arrêt du Conseil d’Etat du 10 octobre 2011 est intervenu, mettant en évidence le caractère indu des sommes versées par le ministre de l’intérieur à M. C== à compter du 27 janvier 2010, la prescription quinquennale s'appliquait à toutes les actions relatives aux rémunérations des agents publics, qu'il s'agisse d'une action en paiement ou d'une action en restitution de ce paiement. Il est constant que le délai de ladite prescription quinquennale n'était pas expiré lorsque les dispositions de l'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000, issu de la loi du 28 décembre 2011, sont entrées en vigueur le 30 décembre 2011. D’une part, ces dispositions, qui ont eu pour objet d’instaurer une prescription biennale applicable à l'ensemble des sommes indûment versées par des personnes publiques à leurs agents à titre de rémunération, ont fait courir un nouveau délai de deux ans à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, le 30 décembre 2011, qui expirait en l’espèce le 31 décembre 2013 en ce qui concerne les éléments de rémunération versés par le ministre de l’intérieur avant le 31 décembre 2011. D’autre part, s’agissant des éléments de rémunération versés jusqu’au 27 janvier 2012, l’administration disposait d’un délai de deux ans pour en obtenir la répétition à compter du premier jour du mois suivant celui de la date de mise en paiement du versement erroné, qui expirait en l’espèce le 31 janvier 2014. Or ce n’est que le 27 février 2014 que, saisi d’une demande de répétition de l’indu par le ministre de l’intérieur, le directeur régional des finances publiques de la Guadeloupe 2014 a émis deux titres de perception aux fins de recouvrer les sommes de 30 764,06 euros et 50 993,53 euros correspondantes. En outre, le ministre de l’intérieur n’établit ni même n’allègue qu’il aurait, avant l’expiration de ce délai de deux ans, adressé à M. C== des lettres l’informant de l’existence de cet indu et de son intention ferme d’en obtenir la répétition, ce qui aurait été de nature - en pareille hypothèse - à interrompre la prescription biennale de l'action. Il s’ensuit, ainsi que l’ont relevé les premiers juges, qu’à la date d’édiction des deux titres de perception le 27 février 2014, la créance mise à la charge de M. C== était prescrite.

7. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l’intérieur n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé ces deux titres de perception pour ce motif.

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :



8. Aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ».

9. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances particulières de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme que M. C== demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.



DECIDE :

Article 1er : La requête du ministre de l’intérieur est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de M. C== tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.