Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. M== a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d’annuler l’arrêté du 1er août 2022 par lequel le ministre de l’intérieur lui a infligé la sanction de révocation.

Par un jugement n° 2205173 du 20 septembre 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 10 novembre 2023, M. M==, représenté par Me Ruffié, demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement du 20 septembre 2023 du tribunal administratif de Bordeaux ;

2°) d’annuler l’arrêté du ministre de l’intérieur du 1er août 2022 ;

3°) d’enjoindre au ministre de l’intérieur et des outre-mer de le réintégrer dans un délai d’un mois à compter de l’arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761 1 du code de justice administrative.

Par un mémoire, enregistré le 8 juillet 2024, le ministre de l’intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.

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Considérant ce qui suit :

1. Entré dans les cadres de la police nationale en 1998, M. M== a été titularisé au grade de gardien de la paix le 1er octobre 2000 et a été promu au grade de brigadier de police le 1er janvier 2006 puis à celui de brigadier-chef le 1er janvier 2007. A compter du 1er janvier 2005, il a été détaché auprès de l’association nationale d’action sociale (ANAS) pour exercer les fonctions de directeur du centre de vacances de Gujan-Mestras. En août 2015, il a été mis en examen du chef d’abus de confiance aggravé au préjudice de l’ANAS. Une enquête administrative a été confiée à l’inspection générale de la police nationale (IGPN), qui a rendu son rapport le 28 août 2017. M. M== a été convoqué devant le conseil de discipline le 14 mars 2018. A l’issue de sa réunion, le conseil de discipline a émis un avis favorable à la sanction de révocation envisagée à l’encontre de M. M== en s’appuyant sur un décompte du nombre de voix calculé de manière erronée par rapport aux suffrages exprimés et non, comme l’impose l’article 8 du décret du 25 octobre 1984, par rapport au nombre de présents. Constatant que cette proposition de sanction ne pouvait être regardée comme ayant recueilli l’accord de la majorité des membres présents, l’autorité administrative a convoqué à nouveau M. M== devant un conseil de discipline qui, réuni le 10 avril 2018, a rendu un avis favorable à la sanction de révocation à la majorité de ses membres présents. Par un arrêté du 13 septembre 2018, le ministre de l’intérieur a révoqué M. M==. Cet arrêté a été annulé par un arrêt de la cour n° 19BX03517 du 23 mars 2022 au motif que l’administration, qui avait décidé de reprendre la procédure suivie devant le conseil de discipline, ne pouvait soumettre à nouveau au vote une proposition de sanction déjà écartée par une majorité des membres présents lors de la précédente réunion du conseil de discipline. Le pourvoi présenté par le ministre de l’intérieur contre cet arrêt a été rejeté par une décision du Conseil d’Etat n° 464361 du 26 juin 2023.

2. A la suite de cette annulation, M. M== a été réintégré à la circonscription de sécurité publique d’Arcachon le 25 mai 2022. Le même jour, l’administration a engagé une nouvelle procédure disciplinaire à son encontre. L’intéressé a été convoqué devant le conseil de discipline qui, réuni le 28 juin 2022, ne s’est prononcé en faveur d’aucune des propositions qui lui étaient soumises, y compris celle consistant à ne pas prononcer de sanction. Par un arrêté du 1er août 2022, le ministre de l’intérieur a infligé à M. M== la sanction de révocation. Ce dernier relève appel du jugement du 20 septembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l’annulation de cet arrêté.

3. En premier lieu, aux termes de l’article 19 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : « Le pouvoir disciplinaire appartient à l'autorité investie du pouvoir de nomination. (…) Aucune sanction disciplinaire autre que celles classées dans le premier groupe par les dispositions statutaires relatives aux fonctions publiques de l'Etat (…) ne peut être prononcée sans consultation préalable d'un organisme siégeant en conseil de discipline (…) ». Aux termes de l’article 66 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat : « Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. Premier groupe : - l'avertissement ; - le blâme. Deuxième groupe : - la radiation du tableau d'avancement ; - l'abaissement d'échelon ; - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de quinze jours ; - le déplacement d'office. Troisième groupe : - la rétrogradation ; - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de trois mois à deux ans. Quatrième groupe : - la mise à la retraite d'office ; - la révocation (…) ». Aux termes de l’article 8 du décret du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l’Etat : « Le conseil de discipline, au vu des observations écrites produites devant lui et compte tenu, le cas échéant, des déclarations orales de l'intéressé et des témoins ainsi que des résultats de l'enquête à laquelle il a pu être procédé, émet un avis motivé sur les suites qui lui paraissent devoir être réservées à la procédure disciplinaire engagée. /A cette fin, le président du conseil de discipline met aux voix la proposition de sanction la plus sévère parmi celles qui ont été exprimées lors du délibéré. Si cette proposition ne recueille pas l'accord de la majorité des membres présents, le président met aux voix les autres sanctions figurant dans l'échelle des sanctions disciplinaires en commençant par la plus sévère après la sanction proposée, jusqu'à ce que l'une d'elles recueille un tel accord (...) ».

4. M. M== soutient que, dès lors que l’accord de la majorité des membres présents en faveur de la révocation n’avait pas été recueilli lors de la séance du conseil de discipline réuni le 14 mars 2018, le conseil de discipline ne pouvait, lors de sa séance du 28 juin 2022, régulièrement débattre de nouveau sur une proposition de révocation, mais devait seulement délibérer sur les autres sanctions, moins sévères, prévues dans l’échelle des sanctions disciplinaires. Toutefois, la première sanction de révocation infligée à M. M== le 13 septembre 2018 a, comme il a été dit, été annulée en raison de l’irrégularité affectant la procédure de consultation du conseil de discipline. A la suite de cette annulation contentieuse, il appartenait à l’administration, si elle entendait engager une nouvelle procédure disciplinaire à l’encontre de l’intéressé, de reprendre entièrement la procédure de consultation du conseil de discipline. Dès lors, la circonstance que, lors du conseil de discipline réuni le 28 juin 2022 dans le cadre de la nouvelle procédure disciplinaire engagée par l’administration à l’encontre de M. M==, la sanction de révocation ait été mise aux voix, n’affecte pas la régularité de la procédure suivie.

5. En deuxième lieu, en vertu du II de l’article 25 du décret du 28 mai 1982 relatif aux commissions administratives paritaires, ces commissions se réunissent en conseil de discipline pour l'examen des propositions de sanction des deuxième, troisième et quatrième groupes de l'échelle des sanctions prévue à l'article 66 de la même du 11 janvier 1984. Aux termes de l’article 5 de ce décret : « Les commissions administratives paritaires comprennent en nombre égal des représentants de l'administration et des représentants du personnel. Elles ont des membres titulaires et un nombre égal de membres suppléants ». Aux termes de l’article 34 du décret, dans sa rédaction applicable à la date du conseil de discipline du 28 juin 2022 : « Les commissions administratives siègent en formation restreinte lorsqu'elles sont saisies de questions résultant de l'application des articles 55, 67 et 70 de la loi du 11 janvier 1984 ainsi que des décisions refusant l'autorisation d'assurer un service à temps partiel et des décisions refusant le bénéfice des congés prévus aux 7° et 7° bis de l'article 34 de cette même loi. Dans les autres cas, elles siègent en assemblée plénière ». L’article 35 de ce décret précise que, lorsque les commissions administratives paritaires siègent en formation restreinte, seuls les membres titulaires et, éventuellement, leurs suppléants représentant le grade auquel appartient le fonctionnaire intéressé et les membres titulaires ou suppléants représentant le grade immédiatement supérieur ainsi qu'un nombre égal de représentants de l'administration sont appelés à délibérer. Enfin, aux termes de l’article 41 du même décret : « Les commissions administratives ne délibèrent valablement qu’à la condition d’observer les règles de constitution et de fonctionnement édictées par la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat et par le présent décret, ainsi que par le règlement intérieur. / En outre, les trois quarts au moins de leurs membres doivent être présents lors de l’ouverture de la réunion. Lorsque ce quorum n’est pas atteint, une nouvelle convocation est envoyée dans le délai de huit jours aux membres de la commission qui siège alors valablement si la moitié de ses membres sont présents ».

6. Il résulte de ces dispositions qu’une commission administrative paritaire ne peut valablement délibérer, en formation restreinte ou en assemblée plénière, qu’à la condition qu’aient été régulièrement convoqués, en nombre égal, les représentants de l’administration et les représentants du personnel, membres de la commission, habilités à siéger dans chacune de ces formations, et eux seuls, et que le quorum ait été atteint. Si la règle de la parité s’impose ainsi pour la composition des commissions administratives paritaires, en revanche, la présence effective en séance d’un nombre égal de représentants du personnel et de représentants de l’administration ne conditionne pas la régularité de la consultation d’une commission administrative paritaire, dès lors que, ni ces dispositions, ni aucune autre règle, ni enfin aucun principe ne subordonnent la régularité des délibérations des commissions administratives paritaires à la présence en nombre égal de représentants de l’administration et de représentants du personnel.

7. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie.

8. M. M== soutient que les représentants de l’administration et ceux du personnel n’ont pas été convoqués en nombre égal en vue du conseil de discipline du 28 juin 2022. L’administration ne produit aucune pièce de nature à établir que l’obligation de convocation paritaire aurait été respectée. Il ressort du procès-verbal de la réunion du conseil de discipline que, lors de la séance du 28 juin 2022, quatre représentants du personnel et sept représentants de l’administration étaient présents. Toutefois, le même procès-verbal mentionne, sans que cela soit contesté par M. M==, que trois des sept représentants de l’administration ont assisté à la réunion sans voix délibérative et sans participer aux débats. Le requérant a ainsi bénéficié de la présence effective en séance d’un nombre égal de représentants du personnel et de représentants de l’administration ayant voix délibérative. Dans ces conditions, à supposer même que la règle de la convocation paritaire ait été méconnue, une telle méconnaissance n’a pas, en l’espèce, privé M. M== d’une garantie, ni exercé une influence sur le sens de la décision finalement prise par le ministre de l’intérieur.

9. Enfin, il appartient au juge de l’excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l’objet d’une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

10. L’arrêté contesté du 1er août 2022 du ministre de l’intérieur prononce la révocation de M. M== aux motifs qu’il a fait prendre en charge par l’ANAS des frais de bouche, en grande partie injustifiés, pour un montant exorbitant de 10 900 euros, ainsi que certaines de ses dépenses personnelles, en particulier la taxe d’habitation et la contribution à l’audiovisuel public de son logement personnel, pour un montant de 1 182 euros, et ses frais de téléphonie fixe et internet personnels entre 2012 et 2014, pour un montant de 1 443 euros. L’arrêté relève aussi qu’il a, durant les périodes estivales, occupé sans autorisation préalable un logement appartenant à l’association, ce qui lui a permis de tirer des revenus locatifs de sa résidence principale pour un montant total de 39 000 euros. L’arrêté relève encore qu’entre 2010 et 2015, M. M== a encaissé sur ses comptes bancaires personnels 133 chèques de l’ANAS pour un montant estimé à près de 66 000 euros ainsi que 3 chèques de l’ANAS d’un montant total de 13 000 euros sur le compte bancaire d’un tiers, qui les lui a reversés en espèces, pour se faire prétendument rembourser du paiement par ses soins, en espèces, de prestations d’entrepreneurs qu’il a justifiées par la production de factures falsifiées. L’arrêté indique enfin que M. M== a tardé à rendre compte et à entamer les démarches utiles suite à la découverte, le 5 janvier 2015, d’un écart de caisse négatif de 12 000 euros dans la caisse du snack du centre.

11. Pour contester la matérialité des faits qui lui sont reprochés ou leur caractère fautif, le requérant fait tout d’abord valoir que la prise en charge, par l’ANAS, des impôts locaux de sa résidence principale et de ses factures personnelles d’abonnement téléphonique et internet ainsi que l’occupation, durant la période estivale, d’un logement du centre de vacances dont il était le directeur, correspondait à un usage de l’ANAS. Il n’apporte cependant aucun commencement de preuve à l’appui de cette affirmation et ne conteste pas que de tels avantages n’ont été formalisés par aucune décision. S’il fait valoir qu’il devait occuper un logement d’astreinte pour pouvoir répondre aux sollicitations des familles occupant le centre de vacances, il n’établit pas la réalité d’une telle nécessité alors qu’il est constant que son logement personnel était situé dans la même rue que le centre de vacances. Si le requérant soutient aussi que la prise en charge de ses abonnements téléphonique et internet par l’ANAS était justifiée par son activité professionnelle pour cette association, il ressort au contraire des pièces du dossier que les factures correspondantes ont été établies à ses nom et adresse personnelle.

12. Concernant ensuite les frais de bouche pris en charge par l’ANAS pour un montant total de 10 900 euros, le requérant persiste à soutenir qu’ils correspondent à des repas avec des prestataires de l’association. L’enquête administrative a toutefois révélé que ce montant était sans commune mesure avec celui observé pour les frais de bouche des directeurs des autres centres de vacances de l’ANAS et correspondaient pour partie à des repas dominicaux.

13. Il n’est enfin pas contesté que M. M== a encaissé sur ses comptes bancaires personnels 133 chèques de l’ANAS, pour un montant de l’ordre de 66 000 euros, et a fait encaisser sur le compte bancaire d’un proche 3 autres chèques de l’ANAS, d’un montant de 13 000 euros, somme qui lui a ensuite été reversée en espèces. Le requérant fait valoir que, n’ayant pas pu obtenir une carte bancaire de paiement sur le compte du centre de vacances, et de nombreux prestataires refusant les chèques d’association, il a été amené à régler en espèces les fournisseurs depuis son compte personnel. Selon lui, les encaissements litigieux correspondaient ainsi au remboursement des paiements réalisés pour le compte de l’ANAS. Toutefois, M. M== n’établit pas avoir sollicité en vain une carte de paiement pour le centre de vacances et l’enquête administrative a d’ailleurs révélé que les autres directeurs des centres de vacances de l’ANAS disposaient tous d’un tel moyen de paiement. Le requérant, qui aurait au demeurant pu régler les prestataires par des virements bancaires réalisés depuis le compte bancaire du centre, ne produit pas davantage d’élément justifiant des retraits d’espèces qu’il aurait réalisés sur ses comptes personnels. Enfin, si M. M== a produit des factures afférentes aux prestations litigieuses, sept prestataires interrogés dans le cadre de l’enquête administrative ont remis en cause la validité de ces factures, et il n’est pas contesté que des modèles de factures vierges ont été retrouvés au domicile de M. M== lors d’une perquisition judiciaire de son domicile. Dans ces conditions, le manquement tenant au détournement de fonds de l’ANAS doit être tenu pour établi.

14. Il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que les faits ci-dessus décrits, dont la matérialité est établie, sont constitutifs de manquements aux devoirs de probité et d’exemplarité, et, compte tenu de leur médiatisation dans la presse, ont eu pour effet de jeter le discrédit sur l’administration policière. Ces faits revêtent ainsi un caractère fautif. Eu égard à la gravité et au caractère répété des manquements reprochés, et alors même que sa manière de servir avait antérieurement donné satisfaction, l’autorité investie du pouvoir disciplinaire n’a pas, dans les circonstances de l’espèce et au regard du pouvoir d’appréciation dont elle disposait, pris une sanction disproportionnée en infligeant à M. M== la sanction de révocation.

15. Il résulte de ce qui précède que M. M== n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin d’injonction et celles présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, être accueillies.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. M== est rejetée.