Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCI de Puybrandet, prise en la personne de son administrateur ad hoc, M. A== E==, a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner la commune de La Couronne à lui verser une indemnité de 142 000 euros en réparation des préjudices ayant résulté de la carence fautive du maire de la commune dans l’usage de ses pouvoirs de police.

Par un jugement n° 1200868 du 25 septembre 2014, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés respectivement les 21 novembre 2014 et 5 mai 2015, la SCI du Puybrandet et M. A== E==, représentés par Me E==, demandent à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 25 septembre 2014 ;

2°) de condamner la commune de La Couronne à leur verser la somme de 88 489,14 euros au titre des préjudices financier, matériel et patrimonial ayant résulté de la carence fautive du maire de la commune dans l’usage de ses pouvoirs de police ;

3°) d’assortir cette condamnation du paiement des intérêts à compter du 26 décembre 2011, et de leur capitalisation à compter du 26 décembre 2012 ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 6 000 euros au titre de l’article L. 761 1 du code de justice administrative.


Considérant ce qui suit :

1. Faisant état de dégradations commises sur le local lui appartenant, ayant notamment entraîné sa vente à un prix inférieur à celui qui aurait pu être obtenu, la SCI du Puybrandet, représentée par son administrateur ad hoc, M. E== a, par un courrier du 23 décembre 2011, demandé à la commune de La Couronne l’indemnisation des préjudices qu’elle estime avoir subis en invoquant les carences fautives du maire dans l’exercice de ses pouvoirs de police. Le maire de La Couronne a rejeté cette demande par un courrier du 22 février 2012. La SCI du Puybrandet et M. E== relèvent appel du jugement du 25 septembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté la demande de la SCI du Puybrandet tendant à ce que la commune soit condamnée à lui verser une indemnité de 142 000 euros. La SCI et M. E== demandent à la cour de mettre à la charge de la commune la somme de 88 489,14 euros à ce titre, assortie des intérêts au taux légal à compter du 26 décembre 2011, et de la capitalisation des intérêts à compter du 26 décembre 2012.

Sur la régularité du jugement :

2. Outre que le moyen tiré de ce que l’arrêté du 2 mai 2012 par lequel le maire de La Couronne a opposé la prescription quadriennale à la demande indemnitaire de la SCI du Puybrandet n’aurait pas été notifié à cette dernière n’a pas été invoqué devant les premiers juges, il était en tout état de cause inopérant ainsi qu’il sera dit au point 5 ci-dessous. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué est insuffisamment motivé faute d’avoir répondu à ce moyen ne peut qu’être écarté.

Sur les conclusions indemnitaires :

3. Aux termes de l’article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : « Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis ». L’article 2 de cette loi dispose que : « La prescription est interrompue par : (…) Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance ; (…) Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. Toutefois, si l'interruption résulte d'un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée. ». Selon l’article 3 de la même loi : « La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ». En vertu de l’article 6 de la même loi, si les autorités administratives ne peuvent renoncer à opposer la prescription qui découle de cette loi, les créanciers des personnes publiques entrant dans son champ peuvent toutefois « être relevés en tout ou en partie de la prescription, à raison de circonstances particulières et notamment de la situation du créancier » et, s’agissant des créanciers des communes, cette décision doit être prise par délibération motivée du conseil municipal, approuvée par l'autorité compétente pour approuver le budget de la commune. L’article 7 de ladite loi dispose que : « L’Administration doit, pour pouvoir se prévaloir, à propos d'une créance litigieuse, de la prescription prévue par la présente loi, l'invoquer avant que la juridiction saisie du litige au premier degré se soit prononcée sur le fond. (…) ». Enfin, aux termes de l’article 8 : « La juridiction compétente pour connaître de la demande à laquelle la prescription est opposée, en vertu de la présente loi, est compétente pour statuer sur l'exception de prescription » ;

4. En premier lieu, il résulte des dispositions précitées de la loi du 31 décembre 1968 que l’administration ne peut renoncer à opposer la prescription, sauf à en relever le créancier selon la procédure ou pour les motifs qu’elles prévoient. Ces dispositions ne déterminent pas l’autorité ayant qualité pour l’opposer ni ne régissent les formes dans lesquelles cette autorité peut l’invoquer devant la juridiction du premier degré. Ni ces dispositions, ni aucun élément tenant à la nature de la prescription ne font obstacle à ce que celle-ci soit opposée par une personne ayant reçu de l’autorité compétente une délégation ou un mandat à cette fin, et l’avocat, à qui l’administration a donné mandat pour la représenter en justice et qui, à ce titre, est habilité à opposer pour la défense des intérêts de cette dernière toute fin de non-recevoir et toute exception, doit être regardé comme ayant été également mandaté pour opposer l’exception de prescription aux conclusions du requérant tendant à la condamnation de cette administration à l’indemniser. Ces dispositions imposent simplement à l’administration, lorsqu’elle entend opposer la prescription à la demande d’un créancier, de l’invoquer avant que le tribunal administratif saisi du litige se soit prononcé sur le fond, ce qui a été le cas en l’espèce. Dès lors, le moyen tiré de ce que l’arrêté du maire du 2 mai 2012 opposant la prescription quadriennale n’a pas été valablement notifié à la SCI doit être écarté comme inopérant.

5. En deuxième lieu, les requérants soutiennent que c’est à tort que le tribunal administratif a estimé que le délai de prescription avait couru au plus tard à compter du 26 avril 2006, date du jugement d’adjudication ayant décidé la cession de l’immeuble détenu par celle-ci au prix de 62 000 euros. Ils font valoir à cet égard que le mandataire liquidateur nommé dans le cadre de la procédure collective ouverte à l’encontre de la SCI du Puybrandet par jugement du tribunal de grande instance d’Angoulême du 24 juin 2004, n’a informé celle-ci, ni du jugement du 26 avril 2006, ni de la plainte pénale avec constitution de partie civile déposée afin que les auteurs des dégradations soient condamnés à réparer les préjudices subis. Ils soutiennent que ces éléments ayant été portés à leur connaissance le 22 avril 2009 en ce qui concerne le jugement du 26 avril 2006, et le 10 février 2011 en ce qui concerne le jugement rendu le 14 mars 2007 statuant sur les intérêts civils, la prescription ne peut avoir commencé de courir avant ces dates.

6. Lorsque la responsabilité d’une personne publique est recherchée, les droits de créance invoqués en vue d’obtenir l’indemnisation des préjudices doivent être regardés comme acquis, au sens des dispositions précitées de l’article 1er de la loi du 31 décembre 1968, à la date à laquelle la réalité et l'étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés. Les préjudices invoqués par la SCI du Puybrandet résultent d’actes de vandalisme qui ont été commis au cours du deuxième semestre de l’année 2004 et jusqu’en mai 2005, dont l’existence et l’importance étaient connus dès le mois de mai 2005, comme en atteste notamment l’article publié dans le journal « Charente Libre - Grand Angoulême » du 10 mai 2005, produit par les requérants. Les préjudices résultant de ces actes étaient connus dans leur principe et leur étendue en 2005, alors même que le local dégradé n’avait pas encore été vendu, de sorte que le délai de prescription a couru au plus tard à compter du 1er janvier 2006.

7. Il résulte en outre des dispositions des articles L. 641-9 et suivants du code de commerce qu’un débiteur dessaisi en application de l’article L. 641-9 est représenté par le liquidateur judiciaire pour toute action tendant au recouvrement de créances afférentes à son patrimoine et ne peut, par suite, se prévaloir, au motif de la désignation de ce liquidateur judiciaire, de la suspension du délai de prescription prévue par l’article 3 de la loi du 31 décembre 1968. Par suite, à supposer même que la SCI du Puybrandet et M. E== n’auraient pas été tenus informés par le mandataire liquidateur des différentes opérations menées par celui-ci, cette circonstance n’est pas de nature à reporter le point de départ de la prescription à une date postérieure au 1er janvier 2006.

8. En troisième lieu, les requérants soutiennent que la SCI du Puybrandet s’est trouvée dans l’incapacité d’agir entre la date de la clôture des opérations de liquidation pour insuffisance d’actif, prononcée le 27 mai 2009, et le 29 novembre 2011, date de la désignation de M. E== comme administrateur ad hoc de la société, en raison de l’absence, entre ces deux dates, de tout représentant légal seul susceptible de mettre en œuvre les mesures nécessaires au recouvrement de sa créance. Ils en déduisent que, par application des dispositions précitées de l’article 3 de la loi du 31 décembre 1968, le cours de la prescription s’est trouvé suspendu du 27 mai 2009 au 29 novembre 2011.

9. Toutefois, si le jugement prononçant la clôture de la liquidation d’une société pour insuffisance d’actif met fin au mandat du liquidateur de sorte que celui-ci ne peut plus la représenter, il laisse subsister la personnalité morale de la société aussi longtemps que les droits et obligations à caractère social ne sont pas liquidés et cette société n’est pas empêchée d’agir puisqu’elle peut valablement poursuivre un débiteur en justice après nomination par le juge, à la demande de toute personne intéressée, d’un administrateur désigné à cet effet. Dans ce cas, et lorsque le débiteur est une personne publique, la prescription quadriennale dont celle-ci peut se prévaloir cesse de courir entre la date de l’introduction de la demande en justice tendant à la nomination d’un mandataire ad hoc, laquelle marque la volonté de poursuivre le recouvrement de la créance invoquée, et la date de la décision de justice se prononçant sur cette demande, qui seule permet, s’il y est fait droit, d’engager les poursuites envisagées.

10. En l’espèce, il résulte de l’instruction que la SCI du Puybrandet et M. et Mme E== ont formé une demande de nomination de M. E== en qualité de mandataire ad hoc de cette société par requête enregistrée au greffe du tribunal de grande instance d’Angoulême, « aux fins de la représenter pour agir en justice en réparation des préjudices subis antérieurement à la clôture de sa liquidation du fait des dégradations et destructions de son bâtiment sis Les Sablons à La Couronne », le 14 septembre 2011. A cette date, le délai de prescription, qui avait commencé à courir, comme il a été dit au point 7 ci-dessus, le 1er janvier 2006, était d’ores et déjà expiré. Il ne résulte pas de l’instruction que cette demande de désignation d’un mandataire ad hoc n’aurait pu être présentée avant l’expiration, le 31 décembre 2009, du délai de prescription. Par suite, cette demande n’a pu faire échec à la prescription.

11. En quatrième lieu, les requérants soutiennent que la prescription a été interrompue par la constitution de partie civile formée par la SCI du Puybrandet le 21 mars 2006 devant le tribunal pour enfants d’Angoulême, dans le cadre de l’instance pénale ouverte à l’encontre de quatre mineurs mis en examen pour avoir commis à la fin de l’année 2004 différents vols en réunion, avec effraction, dans l’immeuble dont elle était alors propriétaire. Les faits portaient notamment sur le vol, avec effraction, d’haltères appartenant à Mme E==. Les auteurs présumés ont été condamnés pénalement par un jugement du 22 mars 2006. Au plan civil, le tribunal pour enfants a, par un jugement du 14 mars 2007, débouté la SCI du Puybrandet de sa demande tendant à la condamnation desdits auteurs à lui verser la somme de 52 000 euros correspondant à la différence entre l’offre initiale de rachat de son immeuble et le prix de cession finalement appliqué, au motif que le lien de causalité entre le retrait de l’offre initiale et les dégradations commises sur l’immeuble à l’occasion des vols en litige n’était pas établi.

12. Pour fonder leurs prétentions à l’encontre de la commune de La Couronne, la SCI du Puybrandet et M. E== se prévalent devant le juge administratif d’une créance sur celle-ci dont le fait générateur serait la carence fautive du maire dans l’exercice de ses pouvoirs de police. L’action civile engagée par la SCI du Puybrandet devant le tribunal pour enfants, qui tendait à ce qu’elle soit indemnisée des conséquences dommageables des dégradations commises par les quatre mineurs condamnés à ce titre, ne portait dès lors pas sur la même créance que celle invoquée devant le juge administratif. Dans ces conditions, et comme l’a jugé le tribunal administratif de Poitiers, la prescription quadriennale de la créance dont les requérants se prévalent sur la commune de La Couronne n’a pas été interrompue par la constitution de partie civile formée par la société devant le tribunal pour enfants dans le cadre de l’instance pénale ouverte à l’encontre des quatre mineurs ayant pénétré avec effraction dans l’immeuble lui appartenant.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la prescription quadriennale de la créance invoquée par la SCI du Puybrandet et M. E== à l’encontre de la commune de La Couronne, dont le délai avait commencé à courir au plus tard le 1er janvier 2006, était acquise au 31 décembre 2009. Par suite, la SCI du Puybrandet et M. E== ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande tendant à la condamnation de la commune de La Couronne.

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de La Couronne, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, quelque somme que ce soit au titre de ces dispositions. Dans les circonstances de l’espèce, il convient de rejeter les conclusions présentées au même titre par la commune de La Couronne.

DECIDE :

Article 1er : La requête présentée par la SCI du Puybrandet et par M. E== est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la commune de La Couronne au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.