Vu la procédure suivante :

M. A== C==, représenté par Me Poudampa, a saisi la cour, le 10 mai 2017, d’un appel dirigé contre l’ordonnance n° 1701751 du 5 mai 2017 par laquelle le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître sa requête tendant à l’annulation de la décision du préfet de la Gironde du 11 avril 2017 le plaçant en rétention.

Par un mémoire distinct, enregistré le 13 mai 2017, déposé au titre des articles 23-1 de l’ordonnance n° 58-1067 modifiée du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel et R. 771-3 du code de justice administrative, M. C== demande à la cour de transmettre au Conseil d’Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité des dispositions du III de l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dans leur rédaction issue de l’article 33 de la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016, en tant que ces dispositions prévoient que la décision de placement en rétention ne peut être contestée que devant le juge des libertés et de la détention.


1. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que la cour administrative d’appel saisie d’un moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

2. Le requérant invoque l’inconstitutionnalité des dispositions du premier alinéa du III de l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans leur rédaction issue de l’article 33 de la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016, en tant que ces dispositions prévoient que : « La décision de placement en rétention ne peut être contestée que devant le juge des libertés et de la détention, dans un délai de quarante-huit heures à compter de sa notification, suivant la procédure prévue à la section 1 du chapitre II du titre V du présent livre et dans une audience commune aux deux procédures, sur lesquelles le juge statue par ordonnance unique lorsqu’il est également saisi aux fins de prolongation de la rétention en application de l’article L. 552-1. ».

3. Avant l’entrée en vigueur de cette disposition, le juge administratif était compétent pour connaître des recours dirigés contre les décisions de placement en rétention tandis que le juge des libertés et de la détention était compétent pour contrôler les conditions d’interpellation de l’étranger avant son placement en rétention et les conditions du déroulement de la rétention, ainsi que pour autoriser ou refuser la prolongation de la mesure de rétention. La disposition législative contestée confère au juge des libertés et de la détention une compétence exclusive pour connaître de la contestation d’une décision de placement en rétention. Ce transfert de compétence, qui ne remet pas en cause la compétence du juge administratif pour connaître des recours dirigés contre les mesures d’éloignement dont la rétention tend à assurer l’exécution dans certains cas délimités par la loi, aboutit ainsi à confier au juge des libertés et de la détention, en plus des compétences qui étaient déjà les siennes en matière de rétention, le contrôle de la légalité de la décision de placement en rétention.

4. En premier lieu, le requérant invoque la méconnaissance par ces dispositions du principe fondamental reconnu par les lois de la République selon lequel, à l’exception des matières réservées par nature à l’autorité judiciaire, relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative l’annulation ou la réformation des décisions prises, dans l’exercice des prérogatives de puissance publique, par les autorités exerçant le pouvoir exécutif, leurs agents, les collectivités territoriales de la République ou les organismes publics placés sous leur autorité ou leur contrôle.

5. Toutefois, la méconnaissance du principe de séparation des pouvoirs, duquel découle le principe qui vient d’être rappelé, ne peut être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit (Décision du Conseil constitutionnel n° 2016-555 QPC du 22 juillet 2016).

6. En second lieu, aux termes de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. ». Sont garantis par cette disposition le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif ainsi que le droit à un procès équitable (décision 2006-450 DC du 27 juillet 2006). Le requérant soutient que le transfert de compétence opéré par la disposition législative critiquée porte atteinte à ces droits dans la mesure où le législateur n’a pas conféré au juge des libertés et de la détention un pouvoir d’annulation ou de réformation de la décision de placement en rétention.

7. La disposition législative critiquée permet, comme il a été dit, au juge des libertés et de la détention de procéder, en plus du contrôle qui lui était auparavant dévolu et qui a été rappelé au point 3, à un contrôle de la légalité de cette mesure privative de liberté que constitue la décision de placement en rétention, le juge administratif conservant le contrôle notamment de la légalité de la mesure d’éloignement et de la décision refusant un départ volontaire. L’article L. 554-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile précise que lorsque la mesure d’éloignement est annulée par le juge administratif, il est immédiatement mis fin au maintien de l’étranger en rétention, et l’article L. 512-4 du même code confère le même effet à l’annulation par le juge administratif de la décision refusant un délai de départ volontaire. Le juge des libertés et de la détention, qui statue selon la procédure définie par les articles L. 552-1 et suivants du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, a le pouvoir, s’il estime que la décision de placement en rétention est entachée d’illégalité, d’ordonner la mise en liberté de l’étranger ou, le cas échéant, son assignation à résidence. Dès lors, compte tenu, d’une part, de l’ensemble des recours permettant de contester, soit devant le juge administratif, soit devant le juge judiciaire, toutes les mesures prises par l’autorité administrative en vue d’assurer l’éloignement d’un étranger en situation irrégulière sur le territoire français, d’autre part, des pouvoirs dont disposent tant le juge administratif que le juge judiciaire pour contrôler la légalité des décisions qui relèvent de leurs compétences respectives, enfin des effets qu’ont ces recours, lorsqu’ils sont accueillis par les juges, sur la situation de l’étranger placé en rétention, le seul fait que la disposition législative critiquée ne confère pas au juge des libertés et de la détention un pouvoir d’annulation de la décision de placement en rétention ne porte manifestement pas atteinte au droit dont dispose l’étranger faisant l’objet d’un placement en rétention d’exercer un recours juridictionnel effectif et de bénéficier d’un procès équitable.

8. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité présentée par M. == est dépourvue de caractère sérieux. Par suite, il n’y a pas lieu de la transmettre au Conseil d’Etat.

ORDONNE :

Article 1er : Il n’y a pas lieu de transmettre au Conseil d’Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. ==.