Vu la procédure suivante :

Par un arrêt avant dire droit du 10 juillet 2020, la cour a annulé le jugement n° 1304047 du 17 mars 2016 par lequel le tribunal administratif de T== a rejeté la demande de M. N== tendant à la condamnation de l’Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à l’indemniser de ses pertes de gains professionnels en lien avec sa contamination transfusionnelle par le virus de l’hépatite C dans les suites d’un accident survenu en 1979, ainsi que des préjudices résultant de l’aggravation de son état de santé depuis la date de consolidation initialement fixée au 31 août 2005, et a ordonné une expertise afin d’évaluer les préjudices de M. N==.

Le rapport d’expertise a été enregistré le 17 mars 2021.

Par des mémoires enregistrés les 1er juin et 23 septembre 2021, M. N==, représenté par la SCPI B== Avocats, demande à la cour :

1°) de condamner l’ONIAM à lui verser une indemnité d’un montant total de 664 376,44 euros ; 2°) de mettre à la charge de l’ONIAM une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêt avant dire droit du 10 juillet 2020, la cour a annulé le jugement n° 1304047 du 17 mars 2016 par lequel le tribunal administratif de T== a rejeté la demande de M. N== tendant à la condamnation de l’ONIAM à l’indemniser de ses pertes de gains professionnels en lien avec sa contamination transfusionnelle par le virus de l’hépatite C (VHC) dans les suites d’un grave accident de la circulation survenu le 25 avril 1979, ainsi que des préjudices résultant de l’aggravation de son état de santé depuis une consolidation initialement fixée au 31 août 2005, et a ordonné une expertise afin d’évaluer l’aggravation des préjudices de M. N==, lequel avait subi une greffe hépatique en urgence le 22 mai 2011. L’expert a déposé son rapport le 17 mars 2021. M. N== demande à la cour de condamner l’ONIAM à lui verser une indemnité d’un montant total de 664 376,44 euros. La CPAM du T== demande à la cour de réserver ses droits.

Sur les préjudices de M. N== :

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

S’agissant de l’assistance d’une tierce personne :

2. Il résulte de l’instruction, notamment de l’expertise réalisée le 31 août 2005 dans le cadre du litige opposant alors M. N== au Centre régional de transfusion sanguine de T== devant le tribunal de grande instance de T== pour l’indemnisation initiale des préjudices résultant de sa contamination par le VHC et des écritures de la CPAM du T== devant ce tribunal, que la cirrhose dont M. N== était atteint ne justifiait pas l’assistance d’une tierce personne, et que l’allocation pour tierce personne incluse dans la pension d’invalidité de troisième catégorie servie par la caisse à compter du 1er février 2002 se rapportait à un besoin d’assistance sans lien avec l’hépatite C. L’expertise ordonnée par la cour retient un besoin d’assistance à partir de la première décompensation œdémato-ascitique, en dehors des périodes d’hospitalisation, durant deux heures par jour du 28 octobre 2010 au 22 mai 2011 en raison de la dégradation de la fonction hépatique, du déséquilibre glycémique partiellement imputable à la cirrhose, de l’ascite et d’une dégradation franche de l’état général antérieurement à la greffe, puis postérieurement à celle-ci de deux heures par jour du 9 juin au 15 septembre 2011, et enfin de quatre heures par semaine du 16 septembre 2011 jusqu'à la consolidation fixée au 31 décembre 2014. Ainsi qu’il est précisé dans le rapport d’expertise, cette assistance relative à la toilette, à l’habillage et à la gestion du traitement médical et du diabète a été apportée par l’épouse de M. N==. Ce dernier affirme n’avoir perçu aucune allocation à ce titre, et aucune pièce du dossier ne démontre le contraire. Il y a lieu de retenir comme base d’indemnisation un taux horaire de 13 euros correspondant au montant moyen du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) brut augmenté des charges sociales entre 2011 et 2014, sur une base annuelle de 412 jours afin de tenir compte des congés payés. La somme due au titre de ce préjudice, après déduction des périodes d’hospitalisation, doit ainsi être fixée à 18 107 euros.

S’agissant des pertes de revenus professionnels :

3. Ainsi que l’a retenu l’arrêt avant dire droit du 10 juillet 2020, l’indemnité de 20 000 euros allouée à M. N== par le jugement du tribunal de grande instance de T== du 18 décembre 2007 était seulement destinée à réparer l’incidence professionnelle caractérisée par la perte de chance de retrouver un emploi, et non les pertes de revenus professionnels. Il résulte de l’instruction que M. N== a été placé en invalidité à compter du 1er février 2002 en raison de l’évolution de la cirrhose post-hépatitique C résistante aux traitements, à l’origine d’une asthénie intense, ainsi que d’un état dépressif en lien avec le risque d’évolution de la cirrhose vers un cancer du foie, et non avec les séquelles de l’accident du 25 avril 1979, à l’origine d’un handicap physique malgré lequel M. N== avait trouvé un emploi de cadre et bénéficié d’une promotion professionnelle. Quand bien même son état de santé n’aurait pas fait obstacle à la reprise de toute activité professionnelle après la consolidation fixée au 31 décembre 2014, M. N==, âgé à cette date de 54 ans et éloigné de l’emploi par les conséquences de sa contamination transfusionnelle depuis près de quinze ans, était dans l’impossibilité de reprendre une activité comparable. Par suite, il a droit à l’indemnisation de l’intégralité de ses pertes de revenus, sans application de la réfaction de 50 % revendiquée à tort par l’ONIAM au motif que la pension d’invalidité ne serait que partiellement en lien avec la contamination par le VHC.

4. M. N== demande l’indemnisation de ses pertes de revenus sur la base d’un montant annuel de 26 452,24 euros correspondant à sa rémunération nette imposable de 1999, dernière année précédant son placement en congé de longue maladie, pour la période allant du 1er février 2002 au 31 janvier 2023, date à laquelle il indique qu’il aurait pris sa retraite. Toutefois, il résulte de l’instruction qu’il aurait pu faire valoir ses droits à la retraite à l’âge de 62 ans à compter du 1er février 2022, et en l’absence de précision sur le montant moyen des primes variables perçues au cours des années antérieures à 1999, il y a lieu de retenir le salaire annuel moyen de 24 287,94 euros à partir duquel la CPAM du T== a fixé le montant annuel de la pension d’invalidité à 13 048 euros, hors allocation pour tierce personne. Par suite, il y a lieu de fixer les pertes de revenus professionnels du 1er février 2002 au 31 janvier 2022 à la somme de 216 302,46 euros.

En ce qui concerne les préjudices extra-patrimoniaux :

S’agissant du déficit fonctionnel temporaire :

5. Il résulte de l’instruction, notamment de l’expertise, que le déficit fonctionnel temporaire a été de 100 % durant les hospitalisations du 8 juillet 2009, du 20 au 28 octobre 2010, du 13 au 18 février 2011, du 6 au 8 avril 2011, du 2 mai au 8 juin 2011 et des 20 juin 2011, 22 mai 2012, 23 août 2012 et 9 septembre 2013 et, hors hospitalisation, de 35 % du 1er septembre 2005 au 19 octobre 2010 et de 50 % du 29 octobre 2010 au 1er mai 2011 et du 9 juin 2011 au 30 décembre 2014, veille de la consolidation. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en fixant son indemnisation à 24 000 euros sur la base de 500 euros par mois de déficit fonctionnel total.

S’agissant des souffrances endurées :

6. Les souffrances endurées ont été évaluées par l’expert à 5 sur 7 pour la greffe hépatique réalisée le 22 mai 2011 et les multiples hospitalisations l’ayant précédée, la nécessité de suivre un traitement immunosuppresseur à vie, et les souffrances morales liées à l’abandon d’une première transplantation en raison de la mauvaise qualité du greffon alors que le patient se trouvait déjà au bloc opératoire, ainsi qu’à la crainte de ne pas pouvoir éradiquer le virus de l’hépatite C, résistant à tous les traitements avant la greffe et réapparu un mois après. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en fixant son indemnisation à 15 000 euros.

S’agissant du préjudice esthétique temporaire :

7. Il y a lieu de fixer à 500 euros l’indemnisation du préjudice esthétique temporaire, évalué à 1 sur 7 par l’expert en raison de l’existence d’une ascite entre le 28 octobre 2010 et le 22 mai 2011, date de la greffe hépatique.

S’agissant du déficit fonctionnel permanent :

8. Lorsque la victime a été indemnisée au titre d’un déficit fonctionnel permanent, et que par suite d’une évolution de son état de santé, les atteintes qui avaient justifié cette indemnisation ont disparu, mais que de nouvelles déficiences sont apparues, l’indemnisation du déficit fonctionnel permanent résultant de ces dernières doit, en vertu du principe de réparation intégrale du préjudice, être fixée en tenant compte de l’évolution effective du déficit permanent, globalement apprécié. Dès lors, si l’autorité de chose jugée fait obstacle à ce que la cour revienne sur une indemnisation précédemment accordée, le requérant ne peut en revanche prétendre à une réparation excédant la part d’aggravation de son déficit fonctionnel permanent par rapport au taux initialement indemnisé.

9. Il résulte de l’instruction que par le jugement du tribunal de grande instance de T== du 18 décembre 2007, M. N== a obtenu une indemnité tenant compte d’un déficit fonctionnel permanent alors évalué à 35 % en raison de l’existence d’une cirrhose post-hépatitique dans la classe B du tableau de Child, avec une altération modérée de la fonction hépatique. L’expert ultérieurement désigné par la cour a constaté que la greffe avait entièrement remédié à cette pathologie. Pour évaluer le déficit fonctionnel permanent à la date de son expertise, cet expert a tenu compte du traitement immuno-suppresseur à vie nécessité par la greffe, dont le caractère contraignant a justifié un taux de 25 %, ainsi que des aggravations d’un diabète et d’une hypertension artérielle préexistants, cotées respectivement à 20 % et 3 %. Il a précisé que la cirrhose était en partie responsable du diabète, lequel avait été majoré par la corticothérapie utilisée dans la phase post-greffe et déséquilibré par le traitement immuno-suppresseur, et que l’hypertension artérielle avait également été favorisée par ce traitement. Ainsi, contrairement à ce que soutient l’ONIAM, l’expert a limité son évaluation au déficit en lien avec les conséquences de la greffe hépatique, sans y inclure la part de l’état antérieur imputable à d’autres causes. La règle de Balthazar prévue par des dispositions relatives aux pensions d’invalidité des fonctionnaires, selon laquelle une nouvelle infirmité s’ajoutant à une infirmité initiale doit être prise en compte à un taux réduit calculé par référence à la capacité restante, ne constitue pas un principe général applicable sans texte. C’est ainsi à tort que l’expert, à la demande de l’ONIAM, a calculé selon cette règle un taux de 41,80 %, de sorte que le déficit fonctionnel permanent résultant des taux de 25 %, 20 % et 3 % qu’il a retenus doit être fixé à 48 %.

10. A la date de consolidation de son état de santé, le 31 décembre 2014, M. N== était âgé de 54 ans. Il sera fait une juste appréciation de l’aggravation de son déficit fonctionnel permanent en fixant son indemnisation à 18 000 euros.

S’agissant du préjudice esthétique permanent :

11. Le préjudice esthétique permanent, caractérisé par des cicatrices et une gynécomastie bilatérale persistante résultant du traitement de la cirrhose, a été évalué à 1,5 sur 7 par l’expert. Il en sera fait une juste appréciation en fixant son indemnisation à la somme de 1 500 euros.

S’agissant du préjudice sexuel :

12. Il résulte de l’instruction, notamment de l’expertise et d’une attestation de l’épouse de M. N==, que les différents traitements en lien avec la cirrhose et la greffe sont à l’origine d’un préjudice sexuel permanent, dont il sera fait une juste appréciation en fixant son indemnisation à la somme de 2 000 euros.

S’agissant du préjudice d’agrément :

13. Si M. N== produit une attestation de la directrice de l’Institut de développement des Ressources Renouvelables du T== selon laquelle il a démissionné en mars 2011 des fonctions de président de cette association qu’il occupait depuis avril 2000, l’impossibilité de reprendre une activité associative postérieurement à la consolidation fixée au 31 décembre 2014 n’est pas démontrée, et le préjudice d’agrément temporaire subi antérieurement à cette date relève des troubles de toute nature dans les conditions d’existence réparés au titre du déficit fonctionnel temporaire. Par suite, la demande présentée au titre du préjudice d’agrément ne peut être accueillie.

14. Il résulte de tout ce qui précède que l’ONIAM doit être condamné à verser à M. N== une indemnité d’un montant total de 295 409,46 euros.

Sur la demande de la CPAM du T== :

15. Il n’appartient pas à la cour de « réserver les droits » de la CPAM du T== en vue d’un recours, sans lien avec le présent litige, qu’elle envisagerait d’exercer « en temps utile » à l’encontre de l’Etablissement français du sang. Par suite, la demande de la caisse ne peut qu’être rejetée comme irrecevable.

Sur les frais d’expertise :

16. Les frais et honoraires d’expertise, liquidés et taxés à la somme de 1 800 euros par une ordonnance de la présidente de la cour du 6 mai 2021, doivent être mis à la charge de l’ONIAM.

Sur les frais exposés par les parties à l’occasion du litige :

17. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’ONIAM une somme de 2 000 euros à verser à M. N== au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : L’ONIAM est condamné à verser une indemnité de 295 409,46 euros à M. N==.

Article 2 : Les frais et honoraires d’expertise, liquidés et taxés à la somme de 1 800 euros, sont mis à la charge de l’ONIAM.

Article 3 : L’ONIAM versera à M. N== une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.