Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le département de Mayotte a demandé au tribunal administratif de Mayotte d’annuler la décision par laquelle le premier ministre a implicitement rejeté sa demande, formée par lettre en date du 29 mars 2012, tendant à ce que l’Etat lui verse la somme de 121 183 401,30 euros au titre des dépenses liées à la scolarisation des lycéens hors Mayotte que la collectivité a supportées de 2004 à 2013, et de condamner l'Etat à lui verser cette somme, le cas échéant actualisée, augmentée des intérêts au taux légal et de leur capitalisation.

Par un jugement n° 1300507 du 19 février 2015, le tribunal administratif de Mayotte a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête sommaire, un mémoire ampliatif et un mémoire complémentaire, enregistrés les 27 mars 2015, 5 mai 2015 et 16 juin 2016, complétés par des pièces enregistrées le 17 juin 2016, le département de Mayotte, représenté par Me Jorion, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d’annuler ce jugement du 19 février 2015 du tribunal administratif de Mayotte ;

2°) d’annuler la décision implicite de refus susmentionnée ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 133 610 626,06 euros sur la période 2004-2015, le cas échéant actualisée, augmentée des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts ;

4°) à titre subsidiaire, de désigner un expert afin d'évaluer la participation, entre 2004 et 2015, du conseil général de Mayotte aux dépenses liées à la scolarisation des lycéens hors Mayotte ;

5°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. ………………………………………………………………………………………..

Considérant ce qui suit :

1. Par une lettre du 29 mars 2012 communiquée à plusieurs ministres du gouvernement et au préfet de Mayotte, le président du conseil général de Mayotte a sollicité du Premier ministre le remboursement de diverses dépenses, regroupées sous le nom de charges indues, qu'il exposait avoir supportées depuis l’année 2004, sous la forme de mises à disposition de personnels, de dépenses d’investissement et de charges de fonctionnement ayant bénéficié selon lui à l'Etat, en dépit de l’objectif, fixé par les dispositions du I de l’article 65 de la loi n° 2001 616 du 11 juillet 2001 relative à Mayotte, d’une prise en charge progressive, par l’Etat, des dépenses qui relèvent de sa compétence, devant s’achever au plus tard le 31 décembre 2004. A cette lettre était joint un tableau récapitulatif des onze charges indues litigieuses et, plus particulièrement, celles liées à la scolarisation des lycéens hors du territoire de Mayotte, sur la période 2004 à 2013, que le département de Mayotte a chiffré à la somme totale de 121 183 401,30 euros. Le département de Mayotte relève appel du jugement du 19 février 2015 par lequel le tribunal administratif de Mayotte a rejeté ses demandes tendant, d’une part, à l’annulation de la décision implicite de rejet de sa demande de paiement et, d’autre part, à la condamnation de l’Etat à lui verser la somme de 121 183 401,30 euros à titre de remboursement des dépenses, engagées sur la période 2004 à 2013, en matière de scolarisation des lycéens hors du territoire de Mayotte, qu’il a portée, en instance d’appel, à 133 610 626,06 euros, par agrégation des deux années 2014 et 2015.

Sur les conclusions aux fins d’annulation :

2. La décision implicite de rejet de la réclamation préalable formée par la lettre du 29 mars 2012 susmentionnée a eu pour seul effet de lier le contentieux à l’égard de l’objet de la demande du département de Mayotte qui, en formulant des conclusions indemnitaires, a donné à l’ensemble de sa requête le caractère d’un recours de plein contentieux. Au regard de l’objet d’une telle demande, qui conduit le juge à se prononcer sur le droit de l’intéressé à percevoir la somme qu’il réclame, les vices propres dont serait, le cas échéant, entachée la décision qui a lié le contentieux sont sans incidence sur la solution du litige.

Sur les conclusions indemnitaires :

3. En premier lieu, d’une part, aux termes de l’article L. 111 1 du code de l’éducation dans sa rédaction applicable à l’espèce : « (…) Le droit à l'éducation est garanti à chacun afin de lui permettre de développer sa personnalité, d'élever son niveau de formation initiale et continue, de s'insérer dans la vie sociale et professionnelle, d'exercer sa citoyenneté. / Pour garantir ce droit dans le respect de l'égalité des chances, des aides sont attribuées aux élèves et aux étudiants selon leurs ressources et leurs mérites. La répartition des moyens du service public de l'éducation tient compte des différences de situation, notamment en matière économique et sociale. (…) ». Selon l’article L. 131-1 du même code : « L'instruction est obligatoire pour les enfants des deux sexes, français et étrangers, entre six ans et seize ans. (…) ». Par ces dispositions, le législateur a posé un droit à l’égal accès à l’instruction, qui est garanti tant par le treizième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, auquel se réfère celui de la Constitution de 1958, que l’article 2 du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Par suite, il incombe à l'Etat, au titre de sa mission d'organisation générale du service public de l'éducation, de prendre l'ensemble des mesures et de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que ce droit et cette obligation aient un caractère effectif. D’autre part, selon l’article L. 213-2 du code de l’éducation : « Le département a la charge des collèges. A ce titre, il en assure la construction, la reconstruction, l'extension, les grosses réparations, l'équipement et le fonctionnement, à l'exception, d'une part, des dépenses pédagogiques à la charge de l'Etat dont la liste est arrêtée par décret et, d'autre part, des dépenses de personnels prévues à l'article L. 211-8 sous réserve des dispositions de l'article L. 216-1 (…). ». En vertu de l’article L. 214-6 de ce même code : « La région a la charge des lycées, des établissements d'éducation spéciale et des lycées professionnels maritimes. Elle en assure la construction, la reconstruction, l'extension, les grosses réparations, l'équipement et le fonctionnement, à l'exception, d'une part, des dépenses pédagogiques à la charge de l'Etat dont la liste est arrêtée par décret et, d'autre part, des dépenses de personnels prévues à l'article L.211-8 sous réserve des dispositions de l'article L. 216-1. (…) ». L’article L. 262-1 dudit code, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2007 1801 du 21 décembre 2007, dispose : « Les articles (…) L. 213-1 à L. 213-5, L. 213-7 à L. 213-9, (…) L. 214-4 à L. 214 11 (…) ne sont pas applicables à Mayotte. (…) ». Enfin, selon l’article R. 262-1 de ce code : « A Mayotte, les compétences de l'Etat en matière d'enseignement des premier et second degrés ainsi que d'enseignement postérieur au baccalauréat dispensé dans les lycées sont exercées, dans les conditions fixées à l'article R. 262-2, sous l'autorité du préfet, par un vice-recteur. / Les fonctions de vice-recteur sont assurées par un inspecteur d'académie-inspecteur pédagogique régional nommé par arrêté conjoint du ministre chargé de l'éducation et du ministre chargé de l'outre-mer. ».

4. Le département de Mayotte soutient qu’en dépit de l'évolution démographique de Mayotte, qui se caractérise par un taux d'accroissement naturel élevé et une immigration significative, rendant les besoins actuels en matière de scolarisation particulièrement importants dès lors qu’en moyenne, chaque année, le système éducatif de Mayotte accueille 1 500 élèves supplémentaires dans le premier degré et 1 600 dans le second degré, l’Etat n’a pas pris de mesures suffisantes pour assurer la représentation de toutes les filières et pour pallier la pénurie de places disponibles dans 1'enseignement secondaire à Mayotte, où les 18 collèges et 10 lycées actuels ne permettent pas de faire face à l'accroissement du nombre d'élèves, ce qui l’a contraint à verser des bourses au profit de nombreux jeunes lycéens mahorais afin d’assurer leur scolarisation en dehors du département, à la Réunion ou en Métropole.

5. Il est vrai, ainsi qu’il ressort des dispositions précitées de l’article L. 262-1 du code de l’éducation, que sur le territoire de Mayotte, la charge des collèges et lycées incombe à l’Etat. Toutefois, il résulte de l’instruction que tout au long de la période 2002-2013, les services de l’Etat se sont efforcés de remédier aux enjeux générés par l’afflux continu de nouveaux lycéens à Mayotte par la réalisation progressive d'opérations spécifiques qui demandent un effort financier notable, afin de générer des places supplémentaires, en procédant, d’une part, à l’extension de cinq lycées, en l’occurrence le Lycée polyvalent de Petite Terre (300 places en 2002), le Lycée de Mamoudzou (700 places en 2010 puis 540 en 2013), le Lycée professionnel de Kawéni (240 places en 2012), le Lycée de Kahani (240 places en 2012) et le Lycée de Petite Terre (180 places en 2012), et, d’autre part, à la création de deux nouveaux lycées polyvalents, celui de Chirongui (900 places en 2008) et de Dembéni (1 200 places en 2010), ce qui a permis de créer 4 300 places supplémentaires. En outre, le ministre des outre-mer a fait valoir dans ses écritures d’appel sans aucun contredit utile qu’un renforcement de ce programme était d'ores et déjà prévu pour les années à venir, par l’extension des lycées existants, la création, prévue pour les années 2016 et 2017, de deux nouveaux lycées à Mamoudzou Nord et Dzoumogné, destinés à accueillir chacun un total de 1 500 lycéens, la rénovation du Lycée de Chirongui et la construction de deux nouveaux lycées (Lycée de Mamoudzou Sud et Lycée du Nord). Il résulte également de l’instruction, et il n’est pas davantage contesté, qu’au-delà de ces actions en matière immobilière, le vice-rectorat de Mayotte a poursuivi le développement des filières à destination des lycéens qui souhaitent s'engager dans les séries technologiques ou professionnelles, finalisé le transfert des formations professionnelles qualifiantes existantes vers les lycées, développé les sections d'enseignement professionnel dans les lycées, impulsé l’évolution vers la labellisation « lycées de métiers » et créé de nouvelles formations en fonction des besoins économiques de l'île. En se bornant à faire valoir que les dépenses d’investissement engagées apparaissent insuffisantes et que les données chiffrées 2012-2013 d’un rapport sur l'éducation font état de nombreux lycéens affectés hors de Mayotte, le département de Mayotte ne démontre pas que l’Etat, compte tenu des efforts déjà entrepris et des décisions prises pour accroitre les capacités dont il n’est pas contesté que l’exécution est en cours, aurait, même si les efforts doivent être poursuivis, commis une faute dans sa mission d'organisation du service public de l'éducation de nature à engager sa responsabilité à son égard. Par suite, l’appelant n’est pas fondé à demander auprès de celui-ci le remboursement du coût induit par le système de bourses, modifié par trois délibérations successives n° 106/2007/CG du 5 juillet 2007, n° 05112010/CG du 29 mars 2010 et n° 566/2011/CG du 25 novembre 2011, qu’il a décidé de mettre en place de sa propre initiative, dans le cadre de la libre administration dont disposent les collectivités territoriales, au profit des lycéens scolarisés en dehors de Mayotte. Au demeurant, et ainsi que le fait valoir le ministre des outre-mer, un tel dispositif ne concerne que les lycéens qui sont déjà bénéficiaires de la bourse nationale, c’est-à-dire des élèves pour lesquels l'Etat a déjà rempli les obligations relevant de ses compétences propres.

6. En second lieu, aux termes du I de l’article 65 de la loi susvisée du 11 juillet 2001 : « A compter du 1er janvier 2002, l'Etat prend progressivement en charge les dépenses de personnel, de matériel, de loyer, de fonctionnement et d'équipement des services qui relèvent de sa compétence. Cette prise en charge est achevée au plus tard le 31 décembre 2004. ».

7. Contrairement à ce que soutient le département de Mayotte, les dispositions précitées ont eu pour seul objet, dans le cadre de l’érection de Mayotte en collectivité départementale et du transfert de l’exécutif du département au président du conseil général après les élections cantonales de mars 2004, d’instaurer une prise en charge progressive, par l’Etat, des dépenses relevant de sa compétence, et non d’ouvrir, au profit du département, un droit à remboursement, sans limitation de durée, de toute dépense qu’il serait amenée à engager.

8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de statuer sur l’exception de prescription quadriennale opposée en défense par le ministre des outre-mer et le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, que le département de Mayotte n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Mayotte a rejeté sa demande.

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Etat, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que le département de Mayotte demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du département de Mayotte est rejetée.