Contrôle pédagogique des classes hors contrats (article L. 442-2 code de l’éducation) – mise en demeure non suivie d’effet - suites pénales (article 227-17-1 code pénal) –conséquences de la chose jugée au pénal sur la légalité de la mise en demeure
Par Benoît le mercredi 31 juillet 2019, 09:16 - ENSEIGNEMENT - Lien permanent
Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 442-2 du code de l’éducation et 227-17-1 du code pénal que lorsque le contrôle pédagogique des classes hors contrat révèle que l’enseignement dispensé n’est pas conforme à l’objet de l’instruction obligatoire, l’autorité de l’État compétente fait connaître les résultats de ce contrôle au directeur de l’établissement et le met en demeure de fournir des explications ou d’améliorer la situation. Cette mise en demeure doit indiquer le délai dans lequel ces explications ou l’amélioration de la situation doivent être apportés, exposer de manière précise et circonstanciée les mesures nécessaires pour que l’enseignement dispensé soit mis en conformité avec l’objet de l’instruction obligatoire et mentionner les sanctions applicables au directeur en cas d’inexécution. En cas de refus d’améliorer la situation, l'autorité académique avise le procureur de la République des faits susceptibles de constituer une infraction pénale.
La cour a estimé que dans cette hypothèse l’autorité académique est en situation de compétence liée pour mettre en demeure les parents des élèves concernés d'inscrire leurs enfants dans un autre établissement, lesquels s’exposent à être condamnés pénalement s’ils ne défèrent pas à cette mise en demeure.
La cour a en outre, au vu de l’économie générale de la procédure de contrôle des enseignements privés hors contrat et des sanctions pénales sur lesquelles elle peut déboucher, à l’exclusion de sanctions administratives, fait application de la jurisprudence traditionnelle du Conseil d’État qui étend, par exception, l’autorité de la chose jugée par le juge pénal à la qualification juridique donnée aux faits par ce dernier lorsque la légalité de la décision administrative est subordonnée à la condition que les faits qui servent de fondement à cette décision constituent une infraction pénale.
En effet, en l’occurrence les décisions attaquées, soit les mises en demeure adressées aux parents des élèves d’une école privée hors contrat d’association avec l’État d’inscrire leurs enfants dans un autre établissement, procédaient d’une première mise en demeure adressée à la direction de cette école de remédier à des carences constatées dans l’enseignement qui est dispensé, mise en demeure restée sans effet. Or la cour d’appel de Toulouse, dans un arrêt du 20 décembre 2018 a infirmé le jugement par lequel le tribunal correctionnel de Toulouse du 15 décembre 2016 a condamné, d’une part, l’association Al Badr à 5 000 euros d’amende, à une interdiction définitive d’exercer, directement ou indirectement une activité d’enseignement dans le cadre d’un établissement scolaire privé hors contrat et, d’autre part, le directeur de cet établissement, à quatre mois d’emprisonnement avec sursis, à une interdiction d’enseigner et de diriger un établissement scolaire et a ordonné la fermeture de l’établissement groupe scolaire Al Badr. La cour d’appel de Toulouse a ainsi renvoyé des fins de la poursuite le directeur et l’association précités aux motifs que la lettre du 7 mai 2015, adressée au directeur de l’école Al Badr à la suite du contrôle de l’établissement réalisé le 7 avril 2015 par deux inspecteurs de l’éducation nationale, ne peut valoir mise en demeure régulière en raison de l’imprécision de ses termes.
La cour administrative d’appel de Bordeaux en a tiré les conséquences en constatant que les décisions en cause devant le juge administratif se trouvaient, en raison de l’irrégularité de la mise en demeure adressée au directeur de l’établissement, telle que retenue par le juge pénal, privées de fondement.
Arrêt 17BX03127 – 2ème chambre – 30 juillet 2019 –M. Z=== et autres
S’agissant de l’extension de l’autorité de la chose jugée par le juge pénal à la qualification juridique des faits, voir Conseil d’État Assemblée 08/01/1971 Desamis Recueil Lebon p. 19, Conseil d’État 21/09/2011 ministre de la défense c/ M=== n° 349222 B et Conseil d’État Assemblée 12/10/2018 Société Super Coiffeur n° 408567 A.
En ce qui concerne le contenu des mises en demeures adressées à la direction d’un établissement scolaire privé hors contrat à la suite d’un contrôle pédagogique ayant révélé des anomalies et/ou des carences, voir Conseil constitutionnel décision n° 2018-710 QPC du 1er juin 2018 (rendue sur transmission de la cour d’appel de Toulouse, saisie de la question de la constitutionnalité de l’article 227-17-1 du code pénal par M. R=== et l’association « Les enfants de demain »).
Les conclusions rendues par M. Nicolas Normand dans cette affaire ont été publiées dans l’AJDA 2020-01 du 13 janvier 2020 p. 61 et s.
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D== Z==, l’association « Les enfants de demain » et M. A== F== R== ont demandé au tribunal administratif de Toulouse d’annuler la décision du 20 juillet 2016 par laquelle l’inspecteur d’académie-directeur académique des services de l’éducation nationale de la Haute-Garonne a mis en demeure les responsables légaux des élèves fréquentant l’école primaire Al Badr d’inscrire leurs enfants dans un autre établissement dans les plus brefs délais et précisant que le refus de se conformer à cette injonction constitue un délit, ensemble la décision du 29 août 2016 rejetant le recours gracieux formé le 30 juillet 2016 contre la décision du 20 juillet 2016.
Par un jugement n° 1604837 du 4 juillet 2017, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et deux mémoires, enregistrés le 18 septembre 2017 et les 15 juin et 20 décembre 2018, M. Z==, l’association « Les enfants de demain » et M. R==, représentés par Me Benech, demandent à la cour :
1°) avant dire droit, de désigner un expert afin d’obtenir un avis technique sur les enseignements dispensés par l’école Al Badr ;
2°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 4 juillet 2017 ;
3°) d’annuler la décision du 20 juillet 2016 par laquelle l’inspecteur d’académie-directeur académique des services de l’éducation nationale de la Haute-Garonne a mis en demeure les responsables légaux des élèves fréquentant l’école primaire Al Badr d’inscrire leurs enfants dans un autre établissement dans les plus brefs délais et précisant que le refus de se conformer à cette injonction constitue un délit, ensemble la décision du 29 août 2016 rejetant le recours gracieux formé le 30 juillet 2016 contre la décision du 20 juillet 2016.
Considérant ce qui suit :
1. M. R== a déclaré au cours de l’année 2013 l’ouverture d’un établissement privé d’enseignement du premier degré (classe maternelle et primaire) hors contrat dénommé « groupe scolaire privé Al Badr », situé 35 rue Gauguin à Toulouse. Cependant, un premier contrôle, diligenté par les services de l’éducation nationale de La Haute-Garonne, le 17 juin 2014, n’a pu être mené à bien, la direction de l’établissement ne permettant pas aux inspecteurs de réaliser un contrôle effectif. Il a toutefois été alors constaté que des élèves de collège y étaient accueillis alors qu’aucune déclaration préalable n’avait été effectuée pour des classes du second degré. Un deuxième contrôle a été opéré, le 7 avril 2015, à la suite duquel le directeur académique des services de l'éducation nationale de la Haute-Garonne a adressé, le 7 mai suivant, au directeur de l’école une lettre l’informant, notamment, des carences constatées. Le troisième contrôle, effectué le 12 avril 2016, a confirmé l’existence de carences et le directeur académique des services de l'éducation nationale a mis en demeure, le 20 juillet 2016, les familles d’enfants scolarisés dans cette école de les inscrire dans un autre établissement puis, le 29 août 2016, a rejeté les recours gracieux formés contre cette mise en demeure.
2. L’association « Les enfants de demain » et MM. Z== et R== ont demandé au tribunal administratif de Toulouse l’annulation des décisions du directeur académique des services de l'éducation nationale de Haute-Garonne des 20 juillet et 29 août 2016. Ils relèvent appel du jugement du 4 juillet 2017 par lequel cette juridiction a rejeté leur demande.
3. D’une part, aux termes de l’article L. 131-1-1 du code de l’éducation : « Le droit de l'enfant à l'instruction a pour objet de lui garantir, d'une part, l'acquisition des instruments fondamentaux du savoir, des connaissances de base, des éléments de la culture générale et, selon les choix, de la formation professionnelle et technique et, d'autre part, l'éducation lui permettant de développer sa personnalité, son sens moral et son esprit critique d'élever son niveau de formation initiale et continue, de s'insérer dans la vie sociale et professionnelle, de partager les valeurs de la République et d'exercer sa citoyenneté. / Cette instruction obligatoire est assurée prioritairement dans les établissements d'enseignement ». Aux termes de son article L. 131-2 : « L'instruction obligatoire peut être donnée soit dans les établissements ou écoles publics ou privés, soit dans les familles par les parents, ou l'un d'entre eux, ou toute personne de leur choix ». Aux termes de l’article L. 442-2 du même code : « Le contrôle de l’État sur les établissements d'enseignement privés qui ne sont pas liés à l’État par contrat se limite aux titres exigés des directeurs et des maîtres, à l'obligation scolaire, à l'instruction obligatoire, au respect de l'ordre public et des bonnes mœurs, à la prévention sanitaire et sociale. L'autorité de l’État compétente en matière d'éducation peut prescrire chaque année un contrôle des classes hors contrat afin de s'assurer que l'enseignement qui y est dispensé respecte les normes minimales de connaissances requises par l'article L. 131-1-1 et que les élèves de ces classes ont accès au droit à l'éducation tel que celui-ci est défini par l'article L. 111-1. Ce contrôle a lieu dans l'établissement d'enseignement privé dont relèvent ces classes hors contrat. Les résultats de ce contrôle sont notifiés au directeur de l'établissement avec l'indication du délai dans lequel il sera mis en demeure de fournir ses explications ou d'améliorer la situation et des sanctions dont il serait l'objet dans le cas contraire. En cas de refus de sa part d'améliorer la situation et notamment de dispenser, malgré la mise en demeure de l'autorité de l’État compétente en matière d'éducation, un enseignement conforme à l'objet de l'instruction obligatoire, tel que celui-ci est défini par les articles L. 131-1-1 et L. 131-10, l'autorité académique avise le procureur de la République des faits susceptibles de constituer une infraction pénale. Dans cette hypothèse, les parents des élèves concernés sont mis en demeure d'inscrire leur enfant dans un autre établissement ».
4. D’autre part, aux termes de l’article 227-17-1 du code pénal : « Le fait, par les parents d'un enfant ou toute personne exerçant à son égard l'autorité parentale ou une autorité de fait de façon continue, de ne pas l'inscrire dans un établissement d'enseignement, sans excuse valable, en dépit d'une mise en demeure de l'autorité de l’État compétente en matière d'éducation, est puni de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende. Le fait, par un directeur d'établissement privé accueillant des classes hors contrat, de n'avoir pas pris, malgré la mise en demeure de l'autorité de l’État compétente en matière d'éducation, les dispositions nécessaires pour que l'enseignement qui y est dispensé soit conforme à l'objet de l'instruction obligatoire, tel que celui-ci est défini par l'article L. 131-1-1 et L. 131-10 du code de l'éducation, et de n'avoir pas procédé à la fermeture de ces classes est puni de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende. En outre, le tribunal peut ordonner à l'encontre de celui-ci l'interdiction de diriger ou d'enseigner ainsi que la fermeture de l'établissement. ».
5. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que lorsque le contrôle pédagogique des classes hors contrat révèle que l’enseignement dispensé n’est pas conforme à l’objet de l’instruction obligatoire, l’autorité de l’État compétente fait connaître les résultats de ce contrôle au directeur de l’établissement et le met en demeure de fournir des explications ou d’améliorer la situation. Cette mise en demeure doit indiquer le délai dans lequel ces explications ou l’amélioration de la situation doivent être apportés, exposer de manière précise et circonstanciée les mesures nécessaires pour que l’enseignement dispensé soit mis en conformité avec l’objet de l’instruction obligatoire et mentionner les sanctions applicables au directeur en cas d’inexécution. En cas de refus d’améliorer la situation, l'autorité académique avise le procureur de la République des faits susceptibles de constituer une infraction pénale et, dans cette hypothèse, est en situation de compétence liée pour mettre en demeure les parents des élèves concernés d'inscrire leur enfant dans un autre établissement, lesquels s’exposent à être condamnés pénalement s’ils ne défèrent pas à cette mise en demeure.
6. Par ailleurs, en principe, l'autorité de la chose jugée au pénal ne s'impose à l'administration comme au juge administratif qu'en ce qui concerne les constatations de fait que les juges répressifs ont retenues et qui sont le support nécessaire du dispositif d'un jugement devenu définitif, tandis que la même autorité ne saurait s'attacher aux motifs d'un jugement de relaxe tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu'un doute subsiste sur leur réalité. Il appartient, dans ce cas, à l'autorité administrative d'apprécier si les mêmes faits sont suffisamment établis et, dans l'affirmative, s'ils justifient l'application d'une sanction administrative. Il n'en va autrement que lorsque la légalité de la décision administrative est subordonnée à la condition que les faits qui servent de fondement à cette décision constituent une infraction pénale, l'autorité de la chose jugée s'étendant alors exceptionnellement à la qualification juridique donnée aux faits par le juge pénal.
7. Par un arrêt du 20 décembre 2018, la cour d’appel de Toulouse a infirmé le jugement par lequel le tribunal correctionnel de Toulouse du 15 décembre 2016 a condamné, d’une part, l’association Al Badr à 5 000 euros d’amende et à une interdiction définitive d’exercer, directement ou indirectement une activité d’enseignement dans le cadre d’un établissement scolaire privé hors contrat et, d’autre part, M. R==, à quatre mois d’emprisonnement avec sursis et à une interdiction d’enseigner et de diriger un établissement scolaire et a ordonné la fermeture de l’établissement groupe scolaire Al Badr. La cour d’appel de Toulouse a renvoyé des fins de la poursuite M. R== et l’association précitée aux motifs que la lettre du 7 mai 2015, adressée au directeur de l’école Al Badr à la suite du contrôle de l’établissement réalisé le 7 avril 2015 par deux inspecteurs de l’éducation nationale, ne peut valoir mise en demeure régulière en raison de l’imprécision de ses termes.
8. Les décisions du directeur académique des services de l'éducation nationale de la Haute-Garonne des 20 juillet et 29 août 2016 mettant en demeure les parents des élèves scolarisés dans l’établissement privé d’enseignement hors contrat dénommé « groupe scolaire privé Al Badr » d’inscrire leurs enfants dans un autre établissement procèdent directement de la saisine, à la suite de la mise en demeure du 7 mai 2015 et du contrôle opéré le 12 avril 2016, par les services de l’éducation nationale du procureur de la République de faits susceptibles de constituer l’infraction réprimée par l’article 227-17-1 du code pénal, cité au point 4 du présent arrêt. Par conséquent et eu égard à l’irrégularité de la mise en demeure du 7 mai 2015 retenue par le juge pénal celle-ci doit être regardée comme n’ayant pas pu fonder les décisions litigieuses.
9. Il résulte de tout ce qui précède que MM. Z== et R== et l’association « Les enfants de demain » sont fondés à soutenir, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté leur demande tendant à l’annulation des décisions du directeur académique des services de l'éducation nationale de Haute-Garonne des 20 juillet et 29 août 2016. En revanche, il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’État la somme demandée par les appelants sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif du 4 juillet 2017 est annulé.
Article 2 : Les décisions du directeur académique des services de l'éducation nationale de la Haute-Garonne des 20 juillet et 29 août 2016 sont annulées.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.