Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme S== R==-B== a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe, d’une part, d’annuler la décision du procureur général près la Cour d’appel de Basse-Terre en date du 9 décembre 2013 rejetant sa demande de suppression des bureaux annexes sis à Saint-Barthélémy dont sont titulaires la SCP G== M==, N== J==, R== H==et T==C==, notaires associés, à la résidence de Saint-Martin, et la SCP A== S== et M== C==, notaires associés, à la résidence de Basse-Terre et, d’autre part, d’enjoindre au procureur général près la Cour d’appel de Basse-Terre d’abroger, dans le délai de deux mois, les arrêtés du garde des sceaux en date des 10 février 1987 et 24 septembre 1996 portant autorisation d’ouverture de ces bureaux annexes.

Par un jugement n° 1400117 du 19 novembre 2015, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, un mémoire ampliatif et deux mémoires en réplique enregistrés respectivement les 24 février 2016, 4 avril 2016, 5 décembre 2016 et 10 février 2017, Mme R==-B==, représentée par Me Potier de la Varde, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 19 novembre 2015 ;

2°) d’enjoindre au procureur général près la Cour d’appel de Basse-Terre d’abroger, dans le délai de deux mois, les arrêtés du Garde des Sceaux en date des 10 février 1987 et 24 septembre 1996 portant autorisation d’ouverture de bureaux annexes ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.


Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 10 février 1987, le garde des sceaux, ministre de la justice, a autorisé la SCP G== M==, P== M== et A== S==, devenue la SCP G== M==, S== R==-B==, N== J==, R== H== et T== B==, titulaire d’un office notarial à Saint-Martin, à ouvrir un bureau annexe à Saint-Barthélemy. Par un arrêté du 24 septembre 1996, le même ministre a par ailleurs autorisé la SCP R== B== et D== B==, devenue la SCP A== S== et M==C==, titulaire d’un office notarial à Basse-Terre, à ouvrir un bureau annexe à Saint-Barthélemy. A cette date, le service public notarial à Saint-Barthélemy était assuré par ces deux bureaux annexes, aucun office principal n’y étant installé.

2. Mme R==-B==, qui exerçait à Saint-Martin la profession de notaire au sein de la SCP G== M==, S== R==-B==, N== J==, R== H== et T==B==, a sollicité sa nomination en qualité de notaire avec office à Saint-Barthélemy. Par un arrêté du garde des sceaux du 12 décembre 2011, le retrait de Mme R==-B== de la SCP G== M==, S==R==-B==, N== J==, R== H== et T== B== a été accepté et, par un arrêté du même jour, le garde des sceaux a nommé la société d’exercice libéral par actions simplifiée S== R==-B==notaires & associés, notaire à la résidence de Saint-Barthélemy, Mme S== R==-B== étant nommée notaire associée.

3. Mme R==-B== a saisi le procureur général près la cour d’appel de Basse-Terre d’une demande tendant à l’abrogation des arrêtés du 10 février 1987 et du 24 septembre 1996 et à la suppression des bureaux annexes dont ils avaient autorisé la création. Cette demande a été rejetée par une décision du 9 décembre 2013 du procureur général près la cour d’appel de Basse-Terre. Par la présente requête, Mme R==-B==demande à la cour d’annuler le jugement du 19 novembre 2015 par lequel le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande tendant à l’annulation de cette décision et à ce qu’il soit enjoint au procureur général près la cour d’appel de Basse-Terre de prononcer la suppression des deux bureaux annexes existant à Saint-Barthélemy.




Sur les conclusions dirigées contre la décision du 9 décembre 2013 en tant qu’elle refuse de supprimer le bureau annexe de Saint-Barthélémy dépendant de l’office de notaire situé à Basse-Terre :

4. Par un arrêté intervenu le 22 juin 2015, soit après l’introduction de la demande de Mme R==-B== devant le tribunal administratif mais avant que ce dernier ne statue, le garde des sceaux, ministre de la justice, a transformé en office distinct le bureau annexe de l’office notarial situé à Basse-Terre. Il en résulte qu’à la date à laquelle a été rendu le jugement attaqué, la demande de Mme R==-B== était devenue sans objet en tant qu’elle tendait à la suppression de ce bureau annexe. C’est, par suite, à tort que le tribunal administratif n’a pas prononcé un non-lieu à statuer sur la demande présentée par Mme R==-B==en tant qu’elle tendait à cette suppression.

5. Il résulte de ce qui précède que le jugement attaqué doit être annulé en tant qu’il statue sur les conclusions de Mme R==-B== tendant à la suppression du bureau annexe de l’office précédemment situé à Basse-Terre. Il y a lieu, après évocation sur ce point, de constater un non-lieu à statuer sur ces conclusions.

Sur la légalité de la décision du 9 décembre 2013 en tant qu’elle refuse de supprimer le bureau annexe de Saint-Barthélémy dépendant de l’office de notaire situé à Saint-Martin :

En ce qui concerne la régularité du jugement :

6. En relevant que Mme R==-B== n’établissait pas que la commission de localisation des offices de notaires se serait réunie à l’occasion de la création des bureaux annexes dont celle-ci demandait la suppression, le tribunal administratif de la Guadeloupe n’a pas, contrairement à ce que soutient l’intéressée, relevé d’office un moyen de droit mais s’est contenté de répondre au moyen, invoqué dans la demande, selon lequel, en application du principe du parallélisme des formes, cette commission devait être consultée préalablement au rejet d’une demande de suppression d’un bureau annexe. Mme R==-B==n’est par suite pas fondée à soutenir que le tribunal administratif aurait méconnu les dispositions de l’article R. 611 7 du code de justice administrative et aurait ainsi entaché son jugement d’irrégularité.

7. Il résulte des motifs mêmes du jugement attaqué que le tribunal administratif de la Guadeloupe, qui n’était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par la requérante, a répondu avec suffisamment de précision au moyen tiré de ce que la décision en litige aurait été entachée d’erreur manifeste d’appréciation.

En ce qui concerne la légalité externe de la décision du 9 décembre 2013 :

8. Aux termes de l’article 2 du décret susvisé du 26 novembre 1971, dans sa rédaction applicable à la date de la décision contestée : « Il est institué auprès du garde des sceaux, ministre de la justice, une commission chargée de donner son avis ou d'émettre des recommandations sur la localisation des offices de notaires en fonction des besoins du public et de la situation géographique, démographique et économique. (…) ». Aux termes de l’article 2-5 : « Saisie par le garde des sceaux, la commission donne son avis sur tout projet de création, de transfert ou de suppression d'un office de notaire, sur l'ouverture de bureaux annexes ou leur transformation en offices distincts. Cet avis peut être assorti de conditions particulières. Les chambres départementales et les conseils régionaux de notaires sont préalablement consultés (…) ». Enfin, selon l’article 2-7 du même décret : « La création, le transfert ou la suppression d'un office, la transformation d'un bureau annexe en office distinct et la désignation du ressort du tribunal d'instance dans lequel l'office créé sera implanté font l'objet d'un arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice. / (…) L'ouverture d'un bureau annexe et sa suppression font l'objet d'une décision du procureur général près la cour d'appel dans le ressort de laquelle est établi l'office. ».

9. D’une part, il résulte des termes mêmes des dispositions précitées de l’article 2-5 du décret du 26 novembre 1971 que la consultation de la commission instituée par l’article 2 n’est pas requise pour ce qui est de la suppression d’un bureau annexe d’un office de notaire. D’autre part, si la consultation de cette commission est exigée préalablement à l’autorisation d’ouverture d’un tel bureau annexe, aucun principe de parallélisme des procédures n’imposait au procureur général, saisi d’une demande de suppression d’un tel bureau, de recueillir l’avis de ladite commission avant de prendre sa décision. Enfin, la circonstance, invoquée par la requérante, que le procureur général a, préalablement à l’adoption de la décision en litige, recueilli l’avis de la chambre départementale des notaires de Guadeloupe, ne saurait signifier qu’il aurait entendu ce faisant appliquer la procédure prévue par les dispositions précitées de l’article 2-5 du décret susvisé du 26 novembre 1971. Par suite, le moyen tenant au vice de procédure ne peut qu’être écarté.

En ce qui concerne la légalité interne :

10. Selon l’article 10 du décret n° 71-942 du 26 novembre 1971 modifié, dans sa rédaction applicable à la date à laquelle a été pris l’arrêté du 10 février 1987 : « (…) Le garde des sceaux, ministre de la justice, peut, à la demande du titulaire de l'office, autoriser par arrêté l'ouverture d'un bureau annexe, soit à l'intérieur du département, soit à l'extérieur de ce département, dans un canton et une commune limitrophe du canton où est établi l'office (…) ». Dans leur version en vigueur à la date à laquelle la décision litigieuse du 9 décembre 2013 a été prise, ces dispositions étaient ainsi rédigées : « Le procureur général près la cour d'appel dans le ressort de laquelle est établi l'office, peut, à la demande du titulaire de l'office, prendre une décision autorisant l'ouverture d'un bureau annexe, soit à l'intérieur du département, soit à l'extérieur de ce département, dans un canton ou une commune limitrophe du canton où est établi l'office. (…) ».

11. L’acte par lequel est autorisée la création, par un office notarial, d’un bureau annexe, qui a pour objet l’organisation même du service public assuré par les officiers ministériels que sont les notaires, est un acte à caractère réglementaire. Dès lors, l’arrêté du garde des sceaux du 10 février 1987 autorisant la création à Saint-Barthélémy d’un bureau annexe de l’office notarial situé à Saint-Martin est un acte règlementaire.

12. L’autorité compétente, saisie d’une demande tendant à l’abrogation d’un règlement illégal est tenue d’y déférer, soit que ce règlement ait été illégal dès sa signature, soit que l’illégalité résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date. C'est à la date à laquelle l'autorité se prononce sur la demande d'abrogation dont elle a été saisie qu'il convient de se placer pour apprécier si cette demande était fondée.

13. En premier lieu, la requérante soutient que, depuis l’entrée en vigueur de la loi organique du 21 février 2007 qui a érigé Saint-Barthélémy et la partie française de Saint-Martin en collectivités d’outre-mer, un office notarial situé à Saint-Martin ne peut être autorisé sur le fondement des dispositions précitées de l’article 10 du décret du 26 novembre 1971 à créer un bureau annexe à Saint-Barthélémy, de sorte que le procureur général était tenu, en 2013, d’abroger l’autorisation délivrée en 1987 à l’office notarial situé à saint-Martin de créer un bureau annexe à Saint-Barthélémy.

14. En vertu de l’article 4 de la loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer, codifié à l’article LO 6211-1 du CGCT, a été instituée une collectivité d'outre-mer, régie par l'article 74 de la Constitution, qui prend le nom de « collectivité de Saint-Barthélemy » et qui se substitue, sur le territoire de l'île de Saint-Barthélemy et des îlots qui en dépendent et sont situés à moins de huit milles marins de ses côtes, à la commune de Saint-Barthélemy, au département de la Guadeloupe et à la région de la Guadeloupe. En vertu de l’article 5 de la même loi, codifié à l’article LO 6311-1 dudit code, a été instituée une collectivité d'outre-mer, également régie par l'article 74 de la Constitution, qui prend le nom de « collectivité de Saint-Martin » et qui se substitue, sur le territoire de la partie française de l'île de Saint-Martin et des îlots qui en dépendent, à la commune de Saint-Martin, au département de la Guadeloupe et à la région de la Guadeloupe. La même loi organique précise que les dispositions législatives et réglementaires sont applicables de plein droit dans ces collectivités, cette applicabilité de plein droit ne faisant pas obstacle à l’adaptation des lois et règlements à l'organisation particulière de ces deux collectivités d’outre-mer. L’article 18-IX de ladite loi organique dispose : « Les dispositions législatives et réglementaires non contraires à la présente loi organique demeurent en vigueur à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin. / Pour l'application de ces dispositions, les références aux communes, aux départements, aux régions, au département de la Guadeloupe et à la région de la Guadeloupe sont remplacées par les références à la collectivité d'outre-mer de Saint-Barthélemy et à la collectivité d'outre-mer de Saint-Martin ; la référence à la commune de Saint-Barthélemy est remplacée par la référence à la collectivité d'outre-mer de Saint-Barthélemy et la référence à la commune de Saint-Martin est remplacée par la référence à la collectivité de Saint-Martin. ».



15. Les collectivités d’outre-mer de Saint-Barthélémy et de Saint-Martin constituent, chacune, une circonscription administrative unique, de sorte que chacune d’elles doit être regardée comme correspondant à la fois à un département et à une commune au sens des dispositions précitées de l’article 10 du décret du 26 novembre 1971. Ces collectivités sont toutes deux exclusivement constituées d’îles et d’îlots ; elles sont situées à proximité l’une de l’autre, ne sont séparées que par la mer, et entretiennent des liens étroits. Compte tenu de cette situation particulière et eu égard à l’objet des dispositions de l’article 10 du décret du 26 novembre 1971, ces deux collectivités, quand bien même leurs limites administratives ne sont pas communes, doivent être regardées comme limitrophes au sens et pour l’application de ces dispositions. Il en résulte que l’institution de ces deux collectivités d’outre-mer en 2007 ne fait pas obstacle à ce que puisse être autorisée la création, par un office notarial situé à Saint-Martin, d’un bureau annexe à Saint-Barthélémy. Dès lors, le moyen sus-analysé de Mme R==-B== doit être écarté.

16. En second lieu, il résulte des dispositions de l’article 2 du décret du 26 novembre 1971 que, dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont conférés par ce décret, et notamment lorsqu’il est appelé à statuer sur une demande de suppression d’un bureau annexe, le procureur général près la cour d'appel doit se fonder, dans l’intérêt du service public, sur les besoins du public ainsi que sur la situation géographique, démographique et économique. Dans l’appréciation de ces intérêts, il peut légalement tenir compte des exigences liées à la viabilité d’un office de notaire dont le maintien apparaît nécessaire.

17. Il ressort des pièces du dossier qu’à la date de la décision litigieuse, l’île de Saint-Barthélemy se caractérisait par sa vitalité démographique ainsi que par une conjoncture économique favorable, du fait du dynamisme de deux secteurs clés pour l’économie locale, à savoir le tourisme et le BTP. Par suite, le procureur général près de la cour d’appel n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en rejetant la demande de Mme R==-B== tendant à l’abrogation de l’arrêté du 10 février 1987.

18. Il résulte de ce qui a été dit aux points 8 à 17 que Mme R==-B==n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision du procureur général près la Cour d’appel de Basse-Terre en date du 9 décembre 2013 en tant qu’elle refuse la suppression du bureau annexe de Saint-Barthélémy de l’office de notaire situé à Saint-Martin.

Sur les conclusions à fin d’injonction :

19. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d’annulation présentées par Mme R==-B==, n’implique aucune mesure d’exécution. Par suite, les conclusions à fin d’injonction présentées par l’intéressée ne peuvent qu’être rejetées.

Sur les conclusions au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

20. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l’Etat, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement des sommes que Mme R==-B==demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

21. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de Mme R==-B== le versement de la somme de 1 500 euros à la SCP R==H==, N== J==et T== C== et le versement de la même somme à la SCP S== A==et C== M==.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 19 novembre 2015 est annulé en tant qu’il statue sur les conclusions de Mme R==-B== tendant à la suppression du bureau annexe de l’office précédemment situé à Basse-Terre.

Article 2 : Il n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions de Mme R==-B== visées à l’article 1er ci-dessus.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme R==-B==est rejeté.

Article 4 : Mme R==-B==versera la somme de 1 500 euros à la SCP R== H==, N== J== et T== C== et la même somme à la SCP S== A==et C== M==.