Absence de compétence liée pour retirer un titre de séjour « travailleur saisonnier »
Par Administrateur le vendredi 11 mars 2016, 13:19 - ETRANGERS - Lien permanent
Même si un étranger à qui un titre de séjour « travailleur saisonnier » a été délivré ne remplit plus les conditions pour bénéficier d’un tel titre, le préfet n’est pas tenu de procéder au retrait de ce titre. N’est donc pas inopérant le moyen tiré de ce que ce retrait aurait dû être précédé de la procédure contradictoire prévue à l’article 24 de la loi du 12 avril 2000.
Arrêt 15BX03478- 3 mars 2016 – 1ère chambre – préfet de Tarn-et-Garonne.
Solution contraire : CAA Marseille, arrêt n° 09MA02424 du 2 mai 2011.
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A== C== a demandé au tribunal administratif de Toulouse d’annuler les décisions du préfet de Tarn-et-Garonne du 31 mars 2015 portant retrait du titre de séjour « travailleur saisonnier » qui lui avait été délivré le 5 juin 2012, lui faisant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de renvoi.
Par un jugement n° 1502086 du 29 septembre 2015, le tribunal administratif de Toulouse a annulé ces décisions et a mis à la charge de l’Etat une somme de 800 euros à verser à l’avocat de M. C== en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 22 octobre 2015, le préfet de Tarn-et-Garonne demande à la cour d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 29 septembre 2015.
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Considérant ce qui suit :
1. M. C==, ressortissant marocain né en 1993, est entré en France le 1er juin 2012 et a bénéficié à compter du 5 juin 2012 d’un titre de séjour en qualité de travailleur saisonnier valable jusqu’au 4 juin 2015. Il a sollicité le 30 décembre 2014 un changement de statut afin d’être titulaire d’un titre de séjour portant la mention « vie privée et familiale ». Par un arrêté en date du 31 mars 2015, le préfet de Tarn-et-Garonne lui a retiré son titre de séjour de séjour de travailleur saisonnier, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Le préfet de Tarn-et-Garonne relève appel du jugement du 29 septembre 2015 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a annulé cet arrêté.
Sur la légalité de l’arrêté du 31 mars 2015 :
2. Pour annuler cet arrêté, le tribunal a retenu, après avoir visé les dispositions de l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 que la décision de retrait du titre de séjour « saisonnier » délivré à M. C== ne pouvait « être regardée comme statuant sur la demande présentée par l’intéressé le 30 décembre 2014 qui ne portait que sur la délivrance d'un titre de séjour portant la mention « vie privée et familiale» et que, en l’absence d’urgence, de circonstances exceptionnelles ou de risque pour l’ordre public, le préfet ne pouvait prendre la mesure de retrait attaquée sans avoir préalablement mis M. C== à même de présenter ses observations ». Le préfet de Tarn-et-Garonne fait valoir en appel que, dès lors que M. C==, en l’absence d’un contrat de travail conclu préalablement au retour de son séjour au Maroc, ne remplissait plus les conditions pour bénéficier d’un titre de séjour « travailleur saisonnier », il était tenu, aux termes de l’article L. 311-8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, de procéder au retrait de ce titre et que cette situation de compétence liée rendait inopérants tous les moyens dirigés contre ce retrait et notamment celui tiré du défaut de procédure contradictoire.
3. D’une part, aux termes de l’article 1er de la loi du 11 juillet 1979 susvisée : « Les personnes physiques ou morales ont le droit d’être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui (…) / - retirent ou abrogent une décision créatrice de droits (…) ». Selon l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 susvisée : « Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application des articles 1er et 2 de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix. L’autorité administrative n'est pas tenue de satisfaire les demandes d'audition abusives, notamment par leur nombre, leur caractère répétitif ou systématique. / Les dispositions de l’alinéa précédent ne sont pas applicables : / 1°En cas d’urgence ou de circonstances exceptionnelles ; / 2° Lorsque leur mise en œuvre serait de nature à compromettre l’ordre public ou la conduite des relations internationales ; / 3° Aux décisions pour lesquelles les dispositions législatives ont instauré une procédure contradictoire particulière ». Si, en vertu de leurs termes mêmes, les dispositions de l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 ne peuvent être utilement invoquées à l’encontre d’une décision de refus de titre de séjour, qui est prise en réponse à une demande formulée par l’intéressé, ces dispositions trouvent en revanche à s’appliquer lorsque le préfet décide, d’office, de retirer un titre de séjour ou une autorisation provisoire de séjour.
4. D’autre part, aux termes de l’article L. 311-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : « La carte de séjour temporaire et la carte de séjour "compétences et talents" sont retirées si leur titulaire cesse de remplir l'une des conditions exigées pour leur délivrance. /Par dérogation au premier alinéa, la carte de séjour temporaire portant la mention "salarié », "travailleur temporaire" (…) ne peut être retirée au motif que l'étranger s'est trouvé, autrement que de son fait, privé d'emploi ». Contrairement à ce que soutient le préfet, ces dispositions ne lui imposent pas de retirer une carte de séjour, et ne le privent pas du pouvoir de régularisation qui lui appartient toujours au regard de la situation particulière de chaque étranger.
5. Il n’est pas contesté que M. C== n’a pas été mis à même de présenter préalablement des observations sur la décision du préfet de Tarn-et-Garonne de lui retirer son titre de séjour. A supposer même que, comme le soutient le préfet de Tarn-et-Garonne, M. C== ne remplissait plus les conditions afférentes à l’octroi d’une carte de séjour temporaire en qualité de travailleur saisonnier, le préfet de Tarn-et-Garonne n’était pas pour autant tenu de procéder au retrait du titre de séjour délivré. Dès lors, le préfet de Tarn-et-Garonne ne peut utilement invoquer la compétence liée pour soutenir que le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 serait inopérant.
6. Il résulte de ce qui précède que le préfet de Tarn-et-Garonne n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a annulé sa décision retirant le titre de séjour de M. C== pour méconnaissance de l’article 24 de la loi du 12 avril 2000, et a annulé par voie de conséquence les décisions du même jour obligeant M. C== à quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi.
Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :
7. M. C== ayant obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle totale, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, et sous réserve que Me Groc, avocat de M. C==, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat, de mettre à la charge de l’Etat le versement à Me Groc d’une somme de 700 euros.
DECIDE :
Article 1er : La requête du préfet de Tarn-et-Garonne est rejetée.
Article 2 : L’Etat versera à Me Groc une somme de 700 euros en application des dispositions de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat.