Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon a déféré devant le tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon la délibération du 14 décembre 2012 par laquelle le conseil exécutif de la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon a autorisé son président à signer un contrat relatif à l’entretien des moteurs du navire Le Cabestan avec la société Wajax Systèmes de puissance , ainsi que ce contrat. Le tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon a, par un jugement en date du 15 octobre 2013, accueilli ces deux demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 26 décembre 2013 et des mémoires enregistrés les 26 janvier et 10 août 2015, la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon, représentée par son président et par Me Blazy, demande à la cour :

1°) à titre principal d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Saint Pierre et Miquelon du 15 octobre 2013 ;

2°) à titre subsidiaire, d’annuler l’article 2 de ce jugement qui annule le contrat ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Considérant ce qui suit :



1. La collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon a acquis en 2009 le navire Le Cabestan pour assurer la desserte de passagers entre l’île de Saint-Pierre et l’île de Miquelon ainsi que la liaison entre Saint-Pierre et le port canadien de Fortune, sur Terre-Neuve. Selon le plan d’entretien, ce navire devait faire l’objet en 2013 d’une visite quinquennale en cale sèche ainsi que d’une révision importante des moteurs. La collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon a passé à cette fin plusieurs marchés dont l’un concernait l’entretien des moteurs et boîtes de vitesse du navire. Ce marché de prestations de services était composé de deux lots, le lot numéro 1 concernant le retrait et la réinstallation des moteurs, boîtes d’engrenage et raccords du navire et le lot numéro 2 concernant notamment l’entretien de ces éléments assorti d’une offre de garantie. Le lot numéro 2 a été attribué à la société Wajax Systèmes de puissance au terme d’une procédure qui ne faisait pas application du code des marchés publics. C’est pour ce motif que le préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon a déféré devant le tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon, à la suite du rejet implicite de son recours gracieux, la délibération du 14 décembre 2012 par laquelle le conseil exécutif de la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon a autorisé son président à signer les documents attribuant le lot numéro 2 du contrat d’entretien des moteurs et boîtes de vitesse du navire Le Cabestan à la société Wajax Systèmes de puissance, et à prendre toute disposition pour le lot n°1 qui a été déclaré infructueux, ainsi que le contrat signé en exécution de cette délibération pour le lot n°2. La collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon relève appel du jugement en date du 15 octobre 2013 par lequel le tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon a annulé cette délibération et ce contrat.

Sur la légalité de la délibération du 14 décembre 2012 :

2. En vertu de l’article premier du code des marchés publics, les marchés publics sont « les contrats conclus à titre onéreux entre les pouvoirs adjudicateurs définis à l'article 2 et des opérateurs économiques publics ou privés, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services ». L’article 2 mentionne parmi ces pouvoirs adjudicateurs les collectivités territoriales, dont la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon n’est pas exclue.

3. Il est constant que le contrat en litige a pour objet de satisfaire à un besoin de la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon, en l’occurrence l’entretien du navire qui assure la continuité de la liaison maritime entre les deux îles d’une part, et entre Saint-Pierre et le Canada d’autre part, et constitue un marché de services.

4. Pour contester l’annulation prononcée par le tribunal administratif au motif que les obligations de publicité et mise en concurrence prévues par le code des marchés publics n’auraient pas été respectées, la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon fait valoir que le code des marchés publics ne s’applique pas aux marchés signés et exécutés en dehors du territoire français, sauf manifestation de volonté contraire de la personne publique partie au contrat.

5. La circonstance que la collectivité territoriale ait entendu faire exécuter le marché en dehors du territoire français, pour des raisons au demeurant légitimes de limitation des délais d’exécution des prestations et des coûts, au regard de l’indisponibilité de moyens sur place et à la proximité géographique du territoire avec les côtes canadiennes, n’imposait pas nécessairement que le marché soit signé à l’étranger, ni même qu’il soit exclusivement annoncé au Canada, alors que la collectivité avait la possibilité, d’une part de définir son besoin en termes de proximité d’exécution compatible avec le rayon d’action de son navire et de délais de réalisation, et d’autre part de prévoir une pondération des critères d’appréciation des offres tenant largement compte des coûts, ce qui permettait de répondre à ses attentes. Par suite, la circonstance que le contrat de prestations de services a été signé, après une procédure de mise en concurrence exclusivement sur un site d’annonces de marchés publics canadien, à Québec (Canada) où le président du conseil territorial avait dépêché son mandataire, pour être exécuté à Saint-Jean de Terre-Neuve (Canada) n’était pas de nature à faire obstacle à l’application du code des marchés publics. La collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon ne pouvait légalement entendre, ainsi que son président l’a clairement explicité dans son rapport à l’assemblée délibérante, exclure la soumission d’un tel marché au code des marchés publics, tout en précisant au demeurant dans le contrat qu’il était soumis à la loi française, et c’est à juste titre que le tribunal administratif, après avoir rejeté les fins de non recevoir opposées par la collectivité territoriale par des motifs qu’elle ne conteste pas en appel, a retenu que ce code était applicable au contrat litigieux.

6. Aux termes de l’article 293 du code des marchés publics alors applicable : « Les dispositions du présent code sont applicables à Saint-Pierre-et-Miquelon sous réserve des adaptations suivantes : (…) 2° Le III de l'article 40 est rédigé comme suit :III. ― Lorsque le montant estimé du besoin est compris entre 90 000 euros HT et les seuils de procédure formalisée définis à l'article 26, le pouvoir adjudicateur est tenu d'émettre un avis par voie radiophonique dans des conditions telles qu'il puisse susciter une mise en concurrence suffisante et de publier un avis d'appel public à la concurrence soit dans une publication locale soit, si les caractéristiques et le montant du marché le justifient, dans le Bulletin officiel des annonces des marchés publics ou dans un journal habilité à recevoir des annonces légales ou dans un journal spécialisé correspondant au secteur économique concerné ou dans une publication équivalente diffusée dans la région géographique de Saint-Pierre-et-Miquelon. /Lorsque le montant estimé du besoin est égal ou supérieur aux seuils de procédure formalisée définis à l'article 26, le pouvoir adjudicateur est tenu, d'une part, d'émettre un avis par voie radiophonique dans des conditions telles qu'il puisse susciter une mise en concurrence suffisante ou de publier un avis d'appel public à la concurrence dans une publication locale et, d'autre part, de publier un avis d'appel public à la concurrence dans le Bulletin officiel des annonces des marchés publics ou dans un journal habilité à recevoir des annonces légales ou dans un journal spécialisé correspondant au secteur économique concerné ou dans une publication équivalente diffusée dans la région géographique de Saint-Pierre-et-Miquelon. ».

7. La collectivité ne conteste pas que la procédure adaptée, qu’elle a visée dans sa délibération faisant mention de « l’avis de la commission d’ouverture des plis (MAPA) », n’a comporté aucune annonce dans une publication locale, et ne respectait pas le code des marchés publics, dont l’article 26 fixait alors à un maximum de 200 000 euros le montant hors taxes des marchés pouvant être passés suivant une procédure adaptée, alors que le contrat a été conclu pour un montant de 398 850 euros. Par suite, elle n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif a annulé la délibération du 14 décembre 2012.

Sur la validité du contrat :

8. Lorsqu’il constate l’existence de vices entachant la validité du contrat, il appartient au juge d’en apprécier l’importance et les conséquences. Il lui revient ainsi, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, soit d’inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu’il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d’irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l’exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s’il se trouve affecté d’un vice de consentement ou de tout autre vice d’une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d’office, l’annulation totale ou partielle de celui-ci.

9. Pour estimer que le vice tiré d’un défaut de publicité dans le Bulletin officiel des annonces de marchés publics (BOAMP) et le Journal officiel de l’Union européenne (JOUE) était d’une particulière gravité, les premiers juges ont retenu qu’il résulte des écritures mêmes de la collectivité que la non-application du code des marchés publics avait pour but d’éviter de retenir des candidats basés en Europe et que ce vice a trait au choix du cocontractant. Toutefois, il ressort des écritures de la collectivité qu’elle avait seulement pour but de rechercher les entreprises qui pouvaient répondre utilement à son besoin à un coût acceptable, et que cette considération l’a conduite à organiser directement au Canada une procédure de mise en concurrence, laquelle n’excluait nullement les entreprises d’origine européenne, alors que deux offres ont d’ailleurs été présentées par une entreprise française et une entreprise tchèque. Dans les circonstances très particulières de l’espèce, et alors qu’aucune publication au BOAMP ou au JOUE n’était imposée au regard des dispositions spéciales applicables à Saint-Pierre-et-Miquelon précitées, et que ni le préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon, ni la ministre des outre-mer n’établissent ni même n’allèguent que, eu égard au contexte géographique et économique du marché, d’autres entreprises identifiées et répondant à l’agrément du constructeur des moteurs auraient été susceptibles d’exécuter les prestations, le vice afférent au défaut de publicité locale, même non régularisable, ne peut être regardé comme ayant le caractère de gravité requise pour justifier l’annulation du marché. Il est par ailleurs constant que ce contrat est entièrement exécuté et ne peut faire l’objet d’une résiliation. Dans ces conditions, la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon est fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon a annulé le contrat en litige.

Sur l’application de l’article L.761-1 du code de justice administrative :

10. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme que la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 13/3 du tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon en date du 15 octobre 2013 est annulé en tant qu’il a annulé le contrat passé par la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon avec la société Wajax Systèmes de puissance. La demande du préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon sur ce point est rejetée.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon est rejeté.