MARCHES – Pacte de corruption – Nullité du contrat – Droit au remboursement des dépenses utilement exposées au profit de la personne publique (non) – Subrogation conventionnelle – Opposabilité de l’art. L. 313-29 du code monétaire et financier (non).
Par Cindy le lundi 10 novembre 2014, 10:07 - MARCHES ET CONTRATS ADMINISTRATIFS - Lien permanent
Les dispositions de l’article L. 313-29 du code monétaire et financier ne s’appliquent qu’aux cessions de créances faisant l’objet d’un bordereau prévues par les articles 1er et suivants de la loi du 2 janvier 1981 facilitant le crédit aux entreprises dont les dispositions sont désormais codifiées aux articles L. 313-23 et suivants du code monétaire et financier et ne s’étendent pas aux subrogations conventionnelles telles qu’elles sont prévues aux articles 1250 et suivants du code civil. Lorsque le juge, saisi d'un litige engagé sur le terrain de la responsabilité contractuelle, est conduit à constater, le cas échéant d'office, la nullité d’un contrat, les cocontractants peuvent poursuivre le litige qui les oppose en invoquant, y compris pour la première fois en appel, des moyens tirés de l'enrichissement sans cause que l'application du contrat frappé de nullité a apporté à l'un d'eux ou de la faute consistant, pour l'un d'eux, à avoir passé un contrat nul, bien que ces moyens, qui ne sont pas d'ordre public, reposent sur des causes juridiques nouvelles. Le cocontractant de l'administration dont le contrat est entaché de nullité est en principe fondé à réclamer le remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s'était engagé. Toutefois, les manœuvres frauduleuses commises par une société, dont le dirigeant a été condamné pour les infractions de recel de biens provenant d’atteinte à la liberté d’accès ou à l’égalité des candidats dans les marchés publics et pour les infractions de corruption active, proposition ou fourniture d’avantage à une personne dépositaire de l’autorité publique, sont de nature à vicier le consentement de la personne publique et de nature à exclure tout droit au remboursement des dépenses utilement exposées au profit de cette dernière. Arrêt n° 13BX00260 - 6ème chambre – 10 novembre 2014 – Communauté intercommunale des villes solidaires (CIVIS).
Vu I°), la requête enregistrée par télécopie le 25 janvier 2013, et régularisée par courrier le 30 janvier suivant, sous le n° 13BX00260, présentée pour la communauté intercommunale des villes solidaires (CIVIS), dont le siège est situé 17 rue François de Mahy, BP 370, à Saint-Pierre de la Réunion (97455), représentée par son président en exercice, par Me Claisse ;
La communauté intercommunale des villes solidaires (CIVIS) demande à la cour :
1°) d’annuler le jugement n° 0900050 du 3 octobre 2012 du tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion qui a condamné le syndicat mixte de coopération du Sud (SMCS), ou toute personne publique venant aux droits et obligations de ce syndicat mixte pris en la personne de son liquidateur, à payer à la société Natixis Factor la somme de 185 123,40 euros majorée des intérêts au taux légal à compter du 16 août 2006, eux-mêmes capitalisés à compter du 19 janvier 2009, ainsi que la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2°) de rejeter la demande présentée par la société Natixis Factor devant le tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion ;
3°) de mettre à la charge de la société Natixis Factor la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu II°), la requête enregistrée le 25 janvier 2013 sous le n° 13BX00261, présentée pour la communauté intercommunale des villes solidaires (CIVIS), représentée par son président en exercice, par Me Claisse ;
La communauté intercommunale des villes solidaires (CIVIS) demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 0900050 du 3 octobre 2012 du tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion sur le fondement de l’article R. 811-17 du code de justice administrative ;
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1. Considérant que par un marché signé le 1er octobre 2003, le syndicat mixte de coopération du sud (SMCS), qui regroupe la communauté intercommunale des villes solidaires (CIVIS) et la commune de Saint-Philippe, a confié à la société ARM Pajani une mission de maintenance des équipements informatiques du SMCS, pour un montant annuel maximal de 792 641,11 euros ; que par un acte de cession du même jour, la société ARM Pajani a cédé, conformément aux dispositions du contrat d’affacturage n° 3761 signé le 25 octobre 2002 avec la société Natixis Factor, les créances nées ou à naître à son profit, en principal, intérêts et accessoires, ainsi que toutes indemnités dues pour quelque cause que ce soit, dans le cadre du marché dont elle est titulaire, à cette dernière société ; que, le 10 août 2006, la société Natixis Factor a, en sa qualité de créancier subrogé, demandé au SMCS le paiement de 21 factures pour un montant total de 238 843,05 euros ; qu’en l’absence de réponse et faute d’avoir obtenu du préfet de la Réunion le mandatement d’office des sommes en cause, la société Natixis Factor a saisi le tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion d’une demande tendant à la condamnation du SMCS à lui verser cette somme de 238 843,05 euros, ainsi que les intérêts au taux légal à compter du 10 août 2006 et la capitalisation des intérêts, en paiement des factures émises par la société ARM Pajani pour l’exécution du marché public de maintenance des équipements informatiques du syndical mixte de coopération du sud signé le 1er octobre 2003 ; que dans l’instance n° 13BX00260, la communauté intercommunale des villes solidaires (CIVIS), venant aux droits du syndicat mixte de coopération du Sud (SMCS), fait appel du jugement du 3 octobre 2012 du tribunal administratif de Saint-Denis qui a condamné le SMCS ou toute personne publique venant aux droits et obligations de ce syndicat mixte à payer à la société Natixis Factor la somme de 185 123,40 euros majorée des intérêts au taux légal à compter du 16 août 2006, eux-mêmes capitalisés à compter du 19 janvier 2009, ainsi que la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; que la société Natixis Factor conclut au rejet de cette requête et, par la voie de l’appel incident, à la réformation du jugement attaqué en tant qu’il n’a pas fait entièrement droit à sa demande, à la condamnation de la communauté intercommunale des villes solidaires (CIVIS) à lui payer la somme de 238 843,05 euros majorée des intérêts au taux légal à compter du 10 août 2006 eux mêmes capitalisés, et à ce qu’une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la CIVIS au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; que dans l’instance enregistrée sous le n° 13BX00261, la CIVIS demande à la cour d’ordonner, en application de l’article R. 811-17 du code de justice administrative, le sursis à l’exécution de ce même jugement ; qu’il y a lieu de joindre ces deux requêtes pour statuer par un seul arrêt ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant que contrairement à ce que soutient la communauté intercommunale des villes solidaires (CIVIS), le tribunal administratif de Saint-Denis n’a pas omis de statuer sur les conclusions formulées dans le mémoire enregistré le 25 mai 2012 tendant au rejet de la demande de la société Natixis Factor ainsi qu’à la mise à la charge de cette dernière des frais exposés et non compris dans les dépens sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; que si la CIVIS se prévaut d’un autre mémoire enregistré le 2 août 2012, celui-ci n’émanait pas d’elle mais avait été déposé pour le compte de la société Natixis Factor ;
3. Considérant que la CIVIS soutient que les premiers juges ont omis de statuer sur le moyen soulevé en première instance par le syndicat mixte de coopération du sud (SMCS) tiré de ce que des fraudes et manœuvres dolosives avaient entouré la conclusion du marché de maintenance informatique litigieux ; que, toutefois, en relevant qu’aucun élément ne permettait de regarder les bons de commande et les factures relatives audit marché comme frauduleux, le tribunal administratif de Saint-Denis n’a entaché son jugement d’aucune omission à statuer ;
4. Considérant que la CIVIS soutient enfin, que les premiers juges ont entaché leur jugement d’irrégularité pour n’avoir pas soulevé d’office le moyen d’ordre public tiré de ce que le marché de maintenance informatique passé entre le SMCS et la société ARM Pajani était entaché de nullité ; que toutefois, le juge n’est tenu de relever d’office un moyen d’ordre public que si l’existence de ce moyen ressort des pièces du dossier qui lui est soumis ; qu’il résulte de l’instruction qu’aucun des éléments versés au dossier de première instance par les parties n’aurait permis aux premiers juges de soulever d’office une telle nullité, dès lors que le jugement du tribunal correctionnel du tribunal de grande instance de Saint-Pierre du 28 avril 2011, prononçant la relaxe de M. P==, gérant de la société ARM Pajani, des chefs des délits de faux et usage de faux, était frappé d’appel et que l’arrêt de la cour d’appel de Saint Denis du 28 juin 2012, statuant sur les circonstances frauduleuses ayant entouré la conclusion du marché en cause, n’avait pas été versé au dossier par les parties ; que, par suite, contrairement à ce que soutient la CIVIS, les premiers juges ne disposaient pas d’éléments suffisants pour soulever d’office la nullité du marché de maintenance informatique litigieux ;
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
5. Considérant qu’aux termes de l’article R. 421-3 du code de justice administrative : « Toutefois, l'intéressé n'est forclos qu'après un délai de deux mois à compter du jour de la notification d'une décision expresse de rejet : 1° En matière de plein contentieux ; (…). » ; que comme l’ont relevé à juste titre les premiers juges, en l’absence de décision expresse rejetant la réclamation préalable du 10 août 2006 de la société Natixis Factor, aucune tardiveté ne peut lui être opposée ; que, dès lors, la fin de non-recevoir opposée par le SMCS tirée de la tardiveté de la demande de la société Natixis Factor, doit être écartée ;
6. Considérant qu’aux termes de l’article 106 du code des marchés publics alors applicable : « I. - La personne responsable du marché remet au titulaire une copie certifiée conforme de l’original du marché revêtue d’une mention dûment signée, par elle, indiquant que cette pièce est délivrée en unique exemplaire en vue de permettre au titulaire de céder ou de nantir des créances résultant du marché. / L’exemplaire unique doit être remis par l’organisme bénéficiaire au comptable assignataire en tant que pièce justificative pour le paiement. » ; qu’aux termes de l’article L. 313-23 du code monétaire et financier : « Tout crédit qu'un établissement de crédit consent à une personne morale de droit privé ou de droit public, ou à une personne physique dans l'exercice par celle-ci de son activité professionnelle, peut donner lieu au profit de cet établissement, par la seule remise d'un bordereau, à la cession ou au nantissement par le bénéficiaire du crédit, de toute créance que celui-ci peut détenir sur un tiers, personne morale de droit public ou de droit privé ou personne physique dans l'exercice par celle-ci de son activité professionnelle. / Peuvent être cédées ou données en nantissement les créances liquides et exigibles, même à terme. Peuvent également être cédées ou données en nantissement les créances résultant d'un acte déjà intervenu ou à intervenir mais dont le montant et l'exigibilité ne sont pas encore déterminés. (…) » ;
7. Considérant que la société Natixis Factor, dont la qualité d’établissement de crédit n’est pas contestée, justifie, par la production de l’exemplaire unique du marché public conclu le 1er octobre 2003 par le syndicat mixte de coopération du sud en vue de l’achat d’équipements et d’opérations de maintenance informatique qui, contrairement à ce que soutient la CIVIS, respecte les formes prévues par les dispositions précitées de l’article 106 du code des marchés publics, avoir bénéficié de la cession des créances nées de ce marché ; que contrairement à ce que soutient la CIVIS, la société Natixis Factor a régulièrement informé le trésorier principal du SMCS de ce nantissement par un courrier du 15 mars 2004 ;
8. Considérant que la société Natixis Factor, anciennement dénommée Natexis Factorem, société spécialisée dans les opérations d’affacturage, a signé, le 25 octobre 2002, un contrat d’affacturage avec la société ARM Pajani en vertu duquel cette dernière lui cédait, par voie de subrogation conventionnelle conformément aux articles 1250 et suivants du code civil, la propriété des factures émises sur ses clients ; que dans le cadre de ce contrat d’affacturage, la société ARM Pajani a également cédé à la société Natixis Factor, selon acte de cession du 1er octobre 2003 conforme aux articles L. 313-23 à L. 313-24 du code monétaire et financier, les créances nées ou à naître en principal, intérêts et accessoires en exécution du marché public de maintenance des équipements informatiques conclu le 1er octobre 2003 avec le SMCS ;
9. Considérant que lorsque, à l’occasion d’un litige relevant de la compétence de la juridiction administrative, une contestation sérieuse s’élève sur la validité d’une convention d’affacturage, il appartient au juge saisi de ce litige de surseoir à statuer jusqu’à ce que l’autorité judiciaire se soit prononcée sur la question préjudicielle que présente à juger cette contestation ; que toutefois, eu égard à l’exigence de bonne administration de la justice et aux principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions, en vertu desquels tout justiciable a droit à ce que sa demande soit jugée dans un délai raisonnable, il en va autrement s’il apparaît manifestement, au vu d’une jurisprudence établie, que la contestation peut être accueillie par le juge saisi au principal ;
10. Considérant qu’aux termes de l’article 1156 du code civil : « On doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes. » ;
11. Considérant que si l’article 3.1 des conditions générales du contrat type d’affacturage précise que l’adhérent garantit l’existence et le montant des créances confiées ainsi que leur exigibilité à l’échéance, cette dernière ne pouvant excéder 130 jours date de facture et que les créances devront toujours avoir un caractère commercial ou professionnel et correspondre à des ventes fermes, des livraisons de marchandises ou des prestations de services effectivement rendues en France métropolitaine, il résulte clairement de l’intention des parties représentées d’une part, par la société ARM Pajani, dont le siège est fixé à Sainte-Clotilde (97491) et, d’autre part, par l’agence Factorem dont le siège est situé à Saint-Denis de la Réunion, que celles-ci n’ont pas entendu, en dépit des termes de l’article 3.1 précité, exclure les ventes, les livraisons de marchandises ou les prestations de services effectivement rendues par la société ARM Pajani dans le département de la Réunion ; que, dès lors, la société Natixis Factor est fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif a fait droit à la fin de non recevoir opposée par la CIVIS et tirée de ce qu’elle ne justifiait pas, par la production d’une convention d’affacturage dont le champ d’application exclurait les départements d’outre-mer, avoir bénéficié d’une subrogation conventionnelle conformément aux articles 1250 et suivants du code civil ;
12. Considérant que la société Natixis Factor a produit aux débats les quittances subrogatives relatives à chaque facture dûment signées par la société ARM Pajani laquelle a, en contrepartie du paiement, subrogé l’intimée dans tous ses droits, actions, privilèges ou hypothèques attachés aux créances individuelles énumérées dans le bordereau récapitulatif conformément aux dispositions de l’article 1250 du code civil ; que chaque quittance subrogative est accompagnée du détail des factures remises ; que la société Natixis Factor a produit les relevés de compte courant faisant apparaître les inscriptions, au crédit, valant paiement, de chaque remise de factures attestant de sa subrogation dans les droits de la société ARM Pajani ; que chacune des factures en cause portait une mention apparente avisant le SMCS de la subrogation bénéficiant à l’intimée et rappelant que, pour être libératoire, le règlement de ces factures devait être effectué directement à la société Natexis Factorem ; que la CIVIS ne peut utilement soutenir que ni elle, ni le SMCS n’ont accepté la cession de créances au sens des dispositions de l’article L. 313-29 du code monétaire et financier, dès lors que ces dispositions ne s’appliquent qu’aux cessions de créances faisant l’objet d’un bordereau prévues par les articles 1er et suivants de la loi du 2 janvier 1981 facilitant le crédit aux entreprises dont les dispositions sont désormais codifiées aux articles L. 313-23 et suivants du code monétaire et financier et ne s’étendent pas aux subrogations conventionnelles telles qu’elles sont prévues aux articles 1250 et suivants du code civil ; que, dans ces conditions, la société Natixis Factor doit être regardée comme justifiant de sa qualité de créancier subrogé ;
13. Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu d’annuler le jugement attaqué en tant qu’il a rejeté comme étant irrecevables les conclusions de la société Natixis Factor présentées en sa qualité de créancier subrogé dans les droits de la société ARM Pajani ; qu’il y a lieu d’évoquer dans cette mesure et de statuer sur les autres conclusions de la requête dans le cadre de l’effet dévolutif de l’appel ;
Sur le bien-fondé des demandes indemnitaires présentées par la société Natixis factor :
En ce qui concerne les factures émises dans le cadre du marché de maintenance informatique du SMCS :
14. Considérant que si, en principe, l’autorité de la chose jugée au pénal ne s’impose aux autorités et juridictions administratives qu’en ce qui concerne les constatations de fait que les juges répressifs ont retenues et qui sont le support nécessaire de leurs décisions, il en est autrement lorsque la légalité d’une décision administrative est subordonnée à la condition que les faits qui servent de fondement à cette décision constituent une infraction pénale ; que, dans cette dernière hypothèse, l’autorité de la chose jugée s’étend exceptionnellement à la qualification juridique donnée aux faits par le juge pénal ;
15. Considérant que pour demander la prononciation de la nullité du marché de maintenance informatique litigieux, la CIVIS, venant aux droits du SMCS, invoque, pour la première fois devant la cour, l’autorité de la chose jugée qui s’attache à l’arrêt du 28 juin 2012 de la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion condamnant d’une part, M. P==, gérant de la société ARM Pajani, à 24 mois d’emprisonnement, dont 12 mois avec sursis, ainsi qu’à une amende délictuelle de 10 000 euros, pour les infractions de recel de biens provenant d’atteinte à la liberté d’accès ou à l’égalité des candidats dans les marchés publics et, d’autre part, M. L==, en sa qualité de personne chargée d’une mission de service public, et M. S==, investi d’un mandat public électif, pour les infractions de corruption active, proposition ou fourniture d’avantage à une personne chargée de mission de service public ou investi d’un mandat électif public ; que, par suite, à raison de l’autorité de la chose jugée qui s’attache aux constatations de faits et à leur qualification ayant fondé cette décision du juge pénal, il y a lieu pour la cour de constater un vice d’une particulière gravité entachant le marché litigieux, relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, et d’en prononcer la nullité ;
16. Considérant que le cocontractant de l'administration dont le contrat est entaché de nullité est fondé à réclamer, en tout état de cause, le remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s'était engagé ; que dans le cas où la nullité du contrat résulte d'une faute de l'administration, il peut en outre prétendre à la réparation du dommage imputable à cette faute et le cas échéant, demander à ce titre, le paiement du bénéfice dont il a été privé par la nullité du contrat si toutefois le remboursement à l'entreprise de ses dépenses utiles ne lui assure pas une rémunération supérieure à celle que l'exécution du contrat lui aurait procurée ;
17. Considérant que lorsque le juge, saisi d'un litige engagé sur le terrain de la responsabilité contractuelle, est conduit à constater, le cas échéant d'office, la nullité du contrat, les cocontractants peuvent poursuivre le litige qui les oppose en invoquant, y compris pour la première fois en appel, des moyens tirés de l'enrichissement sans cause que l'application du contrat frappé de nullité a apporté à l'un d'eux ou de la faute consistant, pour l'un d'eux, à avoir passé un contrat nul, bien que ces moyens, qui ne sont pas d'ordre public, reposent sur des causes juridiques nouvelles ;
18. Considérant qu’aux termes de l'article 1er de la loi du 2 janvier 1981 facilitant le crédit aux entreprises alors en vigueur, dont les dispositions sont désormais codifiées à l'article L. 313-23 du code monétaire et financier : « Tout crédit qu'un établissement de crédit consent à une personne morale de droit privé ou de droit public, ou à une personne physique dans l'exercice par celle-ci de son activité professionnelle, peut donner lieu au profit de cet établissement, par la seule remise d'un bordereau, à la cession ou au nantissement par le bénéficiaire du crédit, de toute créance que celui-ci peut détenir sur un tiers, personne morale de droit public ou de droit privé ou personne physique dans l'exercice par celle-ci de son activité professionnelle. (…) » ; qu’en vertu de l'article 5 de la même loi, dont les dispositions ont été codifiées à l'article L. 313-28 du même code : « L'établissement de crédit peut, à tout moment, interdire au débiteur de la créance cédée ou nantie de payer entre les mains du signataire du bordereau. A compter de cette notification, dont les formes sont fixées par le décret en Conseil d'Etat prévu à l'article L. 313-35, le débiteur ne se libère valablement qu'auprès de l'établissement de crédit (…). » ; que selon l'article 6 dont les dispositions ont été codifiés à l'article L. 313-29 de même code : « Sur la demande du bénéficiaire du bordereau, le débiteur peut s'engager à le payer directement : cet engagement est constaté, à peine de nullité, par un écrit intitulé : " Acte d'acceptation de la cession ou du nantissement d'une créance professionnelle ". / Dans ce cas, le débiteur ne peut opposer à l'établissement de crédit les exceptions fondées sur ses rapports personnels avec le signataire du bordereau, à moins que l'établissement de crédit, en acquérant ou en recevant la créance, n'ait agi sciemment au détriment du débiteur. » ; qu’enfin, aux termes de l'article 106 du code des marchés publics dans sa rédaction alors en vigueur : « (…) II. - En cas de cession ou de nantissement effectué conformément aux articles L. 313-23 à L. 313-34 du code monétaire et financier, la notification prévue à l'article L. 313-28 de ce code est adressée au comptable public assignataire désigné dans le marché dans les formes fixées par le décret en Conseil d'Etat prévu à l'article L. 313-35. Elle doit reproduire les mentions obligatoires du bordereau prévu à l'article L. 313-23 (…) » ;
19. Considérant que les dispositions précitées des articles 5 et 6 de la loi du 2 janvier 1981 modifiée facilitant le crédit aux entreprises, codifiés aux articles L. 313-28 et L. 313-29 du code monétaire et financier, sont applicables aux créances détenues sur des personnes morales de droit public ; que dans ce cadre, la cession d'une créance détenue par une entreprise sur une personne publique pour des services réalisés au profit de cette dernière autorise l'établissement de crédit cessionnaire, substitué à l'entreprise dans les droits résultant de la créance cédée, à réclamer à la collectivité publique, en cas de nullité du marché pour l'exécution duquel avaient été effectués les services, le remboursement des dépenses engagées et qui ont été utiles à la commune ;
20. Considérant qu’il résulte de l’instruction que la société Natixis Factor a, par un document adressé le 18 mars 2004 au trésorier principal de Saint-Pierre, procédé à la notification régulière de la cession de créances que la société ARM Pajani lui avait consentie, conformément aux dispositions de l’article 5 de la loi du 2 janvier 1981 ; que nonobstant l’absence d’acceptation de la cession par le syndicat tel que prévu à l’article 6 de la loi précitée, cette seule circonstance suffit à la rendre opposable au SMCS, débiteur cédé, ainsi qu’à substituer la société Natixis Factor dans les droits de la société ARM Pajani ; que la société requérante est ainsi fondée à user de la totalité des droits attachés aux créances ainsi transférées ; que, par suite, bien que n'ayant invoqué initialement que des conclusions sur le fondement contractuel, la société Natixis Factor, en sa qualité de créancier cessionnaire, est recevable à saisir la cour, par la voie de l’appel incident, de conclusions fondées sur l'enrichissement sans cause du SMCS et sur la faute que celui-ci aurait commise en passant le contrat dans des conditions irrégulières ;
21. Considérant que les fautes éventuellement commises par l’entrepreneur antérieurement à la signature du contrat sont sans incidence sur le droit à indemnisation de l'établissement de crédit cessionnaire au titre de l’enrichissement sans cause de la collectivité, sauf si le contrat a été obtenu dans des conditions de nature à vicier le consentement de la personne publique, ce qui fait obstacle à l’exercice d’une telle action ; que dans le cas où la nullité du contrat résulte d'une faute de l'administration, le créancier cessionnaire peut en outre, sous réserve du partage de responsabilités découlant le cas échéant de ses propres fautes, prétendre à la réparation du dommage imputable à la faute de l'administration ; qu’à ce titre, il peut demander le paiement des sommes correspondant aux autres dépenses exposées pour l’exécution du contrat et aux gains dont il a été effectivement privé par sa nullité, notamment du bénéfice auquel il pouvait prétendre, si toutefois l’indemnité à laquelle il a droit sur un terrain quasi-contractuel ne lui assure pas déjà une rémunération supérieure à celle que l’exécution du contrat lui aurait procurée ;
22. Considérant qu’à supposer même que la société ARM Pajani ait exposé des dépenses utiles pour le SMCS du 26 mai 2005 au 22 novembre 2005, les manœuvres frauduleuses commises par cette société, dont le dirigeant a été condamné pour les infractions de recel de biens provenant d’atteinte à la liberté d’accès ou à l’égalité des candidats dans les marchés publics et pour les infractions de corruption active, proposition ou fourniture d’avantage à une personne dépositaire de l’autorité publique, ont été de nature à vicier le consentement du SMCS ; que, par suite, et en tout état de cause, ces circonstances sont de nature à exclure tout droit au remboursement des dépenses exposées au profit du SMCS ;
23. Considérant que si la société Natixis Factor soutient que le SMCS aurait lui-même commis une faute dès lors que certains agents ou élus du syndicat ont largement participé aux conditions d’attribution du marché litigieux, la société ARM Pajani, à laquelle elle est substituée, a elle-même commis une grave faute en initiant un pacte de corruption pour obtenir le marché litigieux dont elle n’ignorait dès lors pas l’illégalité manifeste ; que cette faute constitue la seule cause directe du préjudice subi par la société Natixis Factor que ce soit en sa qualité de créancier subrogé dans les droits de la société ARM Pajani ou en sa qualité de cessionnaire de la créance ; que la société Natixis Factor n’est ainsi pas fondée à demander l’indemnisation d’un tel préjudice ;
En ce qui concerne les autres chefs de demandes :
24. Considérant qu’aux termes de l’article 1249 du code civil : « La subrogation dans les droits du créancier au profit d’une tierce personne qui le paie est conventionnelle ou légale. » ; que le 1° de l’article 1250 du même code dispose que cette subrogation est conventionnelle « lorsque le créancier recevant son paiement d’une tierce personne la subroge dans ses droits, actions, privilèges ou hypothèques contre le débiteur : cette subrogation doit être expresse et faite en même temps que le paiement ; » ;
25. Considérant qu’ainsi qu’il a été dit ci-dessus au point 8 la société Natixis Factor, anciennement dénommée Natixis Factorem, société spécialisée dans les opérations d’affacturage, a signé, le 25 octobre 2002, un contrat d’affacturage avec la société ARM Pajani en vertu duquel cette dernière lui cédait, par voie de subrogation conventionnelle conformément aux articles 1250 et suivants du code civil, la propriété des factures émises sur ses clients ; que dans le cadre de ce contrat d’affacturage, la société ARM Pajani a également cédé à la société Natixis Factor, selon acte de cession du 1er octobre 2003 conforme aux articles L. 313-23 à L. 313-24 du code monétaire et financier, les créances nées ou à naître en principal, intérêts et accessoires en exécution du marché public de maintenance des équipements informatiques conclu le 1er octobre 2003 avec le SMCS ; que la société Natixis Factor justifie avoir procédé au paiement d’une somme à la société ARM Pajani correspondant aux deux factures de livraison de fourniture dont il est demandé paiement et produit deux quittances subrogatives la subrogeant dans ses droits ; que s’agissant de la première facture d’un montant de 3 050 euros correspondant à la livraison de matériel informatique, l’intimée produit une quittance subrogative intervenue le 13 juillet 2005 suivie d’un paiement le 15 juillet suivant ; que s’agissant de la seconde facture d’un montant de 1 678,50 euros correspondant à la livraison de matériel audio et vidéo, l’intéressée produit une quittance subrogative intervenue le 22 septembre 2005 suivie d’un paiement le 26 septembre 2005 ; que ces subrogations doivent ainsi être regardées comme étant intervenues concomitamment au paiement correspondant ; que, par suite, la société Natixis Factor apporte la preuve de sa qualité de créancier subrogé dans les droits de la société ARM Pajani s’agissant de ces deux factures de livraison de fournitures ;
26. Considérant que si la CIVIS soutient que les factures litigieuses n’ont pas fait l’objet d’une certification de service fait, la société Natixis Factor produit pour chacune des factures en cause, un bon de livraison, daté et signé de la main du responsable informatique du SMCS ; qu’aucune pièce du dossier ne permet de regarder tant les bons de commandes que les bons de livraisons correspondants comme frauduleux ;
27. Considérant toutefois, que la facture de 1 678,50 euros correspondant à la livraison de matériel audio et vidéo mentionne un prix différent de celui du bon de commande d’un montant de 1 456,07 euros ; qu’il sera fait une juste appréciation du montant dû au titre de cette livraison en le fixant à la somme de 1 456,07 euros ;
28. Considérant que la société Natixis Factor demande également la condamnation de la CIVIS à lui régler onze factures d’un montant de 1 856,37 euros chacune, émises entre le 25 mars 2005 et le 20 janvier 2006, pour l’entretien du service de l’état-civil de la commune de Saint-Pierre, membre de la CIVIS ; qu’elle soutient, sans d’ailleurs l’établir, que ces factures ont été émises dans le cadre de l’exécution d’un marché de maintenance informatique n° 9912 TO 01 signé le 2 décembre 1999 entre la société ARM Pajani et la CIVIS, pour l’état civil de Saint-Pierre ; que la société Natixis ne conteste pas sérieusement les affirmations de la CIVIS, étayées par un rapport d’audit établi au mois de mai 2006 par le cabinet «DM Conseil Nouvelles Technologies » qu’elle produit au dossier, selon lesquelles la matérialité des prestations, dont elle demande le paiement par la personne publique, ne serait pas établie et n’a pas été justifiée par la société ARM Pajani en dépit d’une invitation faite par lettre du 4 avril 2006 du président de la CIVIS ; que la société Natixis ne saurait en sa qualité de bénéficiaire d’une subrogation conventionnelle détenir plus de droits que le créancier ; que, par suite, les conclusions de la société Natixis tendant à la condamnation de la CIVIS à lui payer à ce titre la somme de 20 420,07 euros doivent être rejetées ;
29. Considérant qu’il résulte de ce qui a été dit précédemment que la société Natixis Factor, en sa qualité de créancier subrogé dans les droits de la société ARM Pajani, est seulement fondée à demander la condamnation de la CIVIS à lui payer les deux factures précitées pour un montant de 4 506,07 euros ; que cette somme doit être assortie des intérêts au taux légal à compter du 16 août 2006, date de réception par le SMCS de sa demande de paiement ; que la société Natixis Factor a demandé la capitalisation des intérêts le 19 janvier 2009, date de l’enregistrement de sa demande devant le tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion ; qu’à cette date, il était dû au moins une année d’intérêts ; que, dès lors, conformément à l’article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande, ainsi qu’à chaque échéance annuelle ultérieure ;
30. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que, d’une part, la CIVIS est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Saint-Denis a condamné le SMCS, ou toute personne venant aux droits et obligations de ce dernier, à verser à la société Natixis Factor la somme de 185 123,40 euros correspondant aux factures émises dans le cadre du marché de maintenance informatique passé avec le SMCS, et que, d’autre part, la société Natixis Factor est seulement fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Saint-Denis a rejeté sa demande tendant à la condamnation du SMCS, ou de toute personne publique venant aux droits de ce syndicat mixte, à lui payer les deux factures de livraison de matériel informatique produites pour un montant total de 4 506,07 euros ;
Sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement :
31. Considérant que le présent arrêt statue sur l’appel de la communauté intercommunale des villes solidaires (CIVIS) tendant à l’annulation du jugement attaqué ; que, dès lors, il n’y a pas lieu de statuer sur sa requête tendant à ce qu’il soit sursis à l’exécution du même jugement ;
Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
32. Considérant qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’affaire, de faire droit aux conclusions des parties présentées sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DECIDE
Article 1er : Le jugement n° 0900050 du 3 octobre 2012 du tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion est annulé en tant qu’il a rejeté comme étant irrecevables les conclusions de la société Natixis Factor présentées en sa qualité de créancier subrogé dans les droits de la société ARM Pajani.
Article 2 : La somme de 185 123,40 euros à laquelle le syndicat mixte de coopération du sud ou toute personne publique venant aux droits et obligations de ce syndicat mixte ont été condamnés par le jugement du 3 octobre 2012 du tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion est ramenée à 4 506,07 euros. Cette dernière somme portera intérêts au taux légal à compter du 16 août 2006. Les intérêts échus le 19 janvier 2009 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts, ainsi qu’à chaque échéance annuelle ultérieure.
Article 3 : Les articles 1er et 3 du jugement du 3 octobre 2012 du tribunal administratif de Saint Denis sont réformés en ce qu’ils ont de contraires au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la communauté intercommunale des villes solidaires (CIVIS) et des conclusions incidentes de la société Natixis Factor, y compris leurs conclusions présentées au titre de l’article L. 761 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 5 : Il n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement contenues dans la requête n° 13BX00261.