Vu la requête, enregistrée le 31 juillet 2013, présentée pour M. B==, par Me Ruffié ;

M. B== demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement n° 1100494 du 30 mai 2013 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa requête tendant à la condamnation de l’Etat à l’indemniser des préjudices subis du fait de la suppression du tribunal d’instance d’Aubusson ;

2°) à titre principal, de condamner l’Etat à lui verser 54 422 euros au titre de son préjudice financier professionnel évalué entre le 1er octobre 2010 et le 31 juillet 2013 sous réserve de l’évaluation de son préjudice futur et 50 000 euros au titre de son préjudice moral, et, à titre subsidiaire, de désigner avant-dire droit un expert ayant pour mission d’évaluer son préjudice ;

3°) de juger que les sommes dues porteront intérêts au taux légal à compter, à titre principal de la réception de son recours préalable, soit le 21 octobre 2010, et, à titre subsidiaire, à compter de sa requête de première instance, et, à titre infiniment subsidiaire, à compter de la décision à intervenir ;

4°) de juger que ces intérêts produiront eux-mêmes intérêts à échéance annuelle à compter de sa requête du 24 mars 2011 ;

5°) de condamner l’Etat à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, outre le droit de timbre de 35 euros ;

6°) de condamner l’Etat à verser directement à son avocat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;

7°) de lui accorder le bénéfice de l’aide juridictionnelle provisoire ;

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1. Considérant que, dans le cadre de la réforme de l’ensemble de la carte judiciaire, les décrets du 30 octobre 2008 et du 22 décembre 2008 ont supprimé le tribunal d’instance d’Aubusson situé dans le ressort de la cour d’appel de Limoges et procédé au rattachement du ressort de ce tribunal au tribunal d’instance de Guéret à compter du 1er janvier 2009 ; que par courrier du 20 octobre 2010, M. B==, qui exerçait la profession d’avocat à Aubusson depuis 1993, a sollicité du Premier ministre l’indemnisation des préjudices qu’il estime avoir subis de ce fait ; qu’il relève appel du jugement du 30 mai 2013 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l’Etat à lui verser une somme globale de 87 642 euros ;

Sur la demande d’admission provisoire à l’aide juridictionnelle ;

2. Considérant que par une décision du bureau d’aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Bordeaux en date du 26 septembre 2013, M. B== a été admis au bénéfice de l’aide juridictionnelle totale ; que, par suite, les conclusions tendant à ce que soit prononcée l’admission provisoire à l’aide juridictionnelle du requérant sont devenues sans objet ;

Sur la régularité du jugement :

3. Considérant qu’aux termes de l’article L. 5 du code de justice administrative : « L’instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l’urgence » ; qu’aux termes de l’article R. 611-1 du même code de justice administrative : « La requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposés ou adressés au greffe. / La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-3, R. 611-5 et R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux.» ; qu’aux termes du premier alinéa de l’article R. 613-2 de ce code : « Si le président de la formation de jugement n'a pas pris une ordonnance de clôture, l'instruction est close trois jours francs avant la date de l'audience indiquée dans l'avis d'audience prévu à l'article R. 711-2. Cet avis le mentionne.» ; qu’aux termes de l'article R. 613-3 de ce code : « Les mémoires produits après la clôture de l'instruction ne donnent pas lieu à communication et ne sont pas examinés par la juridiction. / Si les parties présentent avant la clôture de l'instruction des conclusions nouvelles ou des moyens nouveaux, la juridiction ne peut les adopter sans ordonner un supplément d'instruction. » ; qu’aux termes de l'article R. 613-4 de ce code : « Le président de la formation de jugement peut rouvrir l'instruction par une décision qui n'est pas motivée et ne peut faire l'objet d'aucun recours. (...) / La réouverture de l'instruction peut également résulter d'un jugement ou d'une mesure d'investigation ordonnant un supplément d'instruction. / Les mémoires qui auraient été produits pendant la période comprise entre la clôture et la réouverture de l'instruction sont communiqués aux parties. » ;

4. Considérant qu’il résulte de ces dispositions que lorsqu’il décide de soumettre au contradictoire une production de l’une des parties après la clôture de l’instruction, le président de la formation de jugement du tribunal administratif ou de la cour administrative d’appel doit être regardé comme ayant rouvert l’instruction ; que lorsque le délai qui reste à courir jusqu’à la date de l’audience ne permet plus l’intervention de la clôture automatique trois jours francs avant l’audience prévue par l’article R. 613-2 du code de justice administrative mentionné ci-dessus, il appartient à ce dernier, qui, par ailleurs, peut toujours, s’il l’estime nécessaire, fixer une nouvelle date d’audience, de clore l’instruction ainsi rouverte ;

5. Considérant qu’il résulte de l’instruction que le mémoire en défense du garde des sceaux, ministre de la justice a été produit le 7 mai 2013 après la clôture de l’instruction qui avait été fixée par ordonnance au 3 janvier 2013 ; que ce mémoire a été communiqué à M. B== le plus rapidement possible par le greffe du tribunal administratif de Limoges qui l’a également informé que l'instruction de l'affaire était réouverte par ordonnance du 7 mai 2013 ; qu’en application des dispositions précitées de l’article R. 613-2 du code de justice administrative, la nouvelle clôture de l’instruction est intervenue trois jours francs avant l’audience fixée au 16 mai 2013 ; qu’ainsi M. B== a disposé d’un délai d’une huitaine de jours, suffisant pour produire ses observations sur le mémoire en défense du ministre ; que, par suite, M. B== qui, pendant ce délai, n’a pas demandé le report de la date d’audience, n’est pas fondé à soutenir que le principe du contradictoire n'aurait pas été respecté et que le jugement aurait été rendu sur une procédure irrégulière ;

Sur les conclusions à fin d’indemnisation :

6. Considérant qu’au soutien de ses conclusions, M. B== fait valoir que les textes relatifs à la réforme de la carte judiciaire et la suppression du tribunal d’Aubusson lui ont causé un préjudice anormal et spécial de nature à engager la responsabilité de la puissance publique pour rupture d’égalité devant les charges publiques, et ce alors qu’il ne se trouvait pas dans une situation objectivement différente de celle de certains de ses confrères qui ont été indemnisés, et méconnaissent le principe de sécurité juridique ;

7. Considérant en premier lieu, que le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que l’autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’elle déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un comme l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la norme qui l’établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier ; que cependant la responsabilité de la puissance publique se trouve engagée, même sans faute, sur le fondement du principe d’égalité des citoyens devant les charges publiques, au cas où des mesures légalement prises ont pour effet d’entraîner directement au détriment d’une personne physique ou morale, un dommage qui, excédant les aléas inhérents à l'activité de celui qui en demande réparation, revêt un caractère grave et spécial ;

8. Considérant, d’une part, que la suppression du tribunal d’instance d’Aubusson situé dans le ressort de la cour d’appel de Limoges s’inscrit dans le cadre de la réforme de l’ensemble de la carte judiciaire qui vise à rationaliser la carte des tribunaux de grande instance, des tribunaux d’instance, des juridictions de proximité et des greffes détachés dans le but de procéder à une meilleure affectation des moyens de la justice, de permettre une professionnalisation et une spécialisation accrues des magistrats, de limiter l’isolement des juges et de renforcer la continuité du service public de la justice ; que pour ces motifs d’intérêt général, il a été procédé dans le cadre de cette réforme, à la suppression de 23 tribunaux de grande instance sur 181, de 178 tribunaux d’instance sur 473, des juridictions de proximité situées dans le ressort des tribunaux d’instance supprimés ainsi que de greffes détachés et permanents, et à la création concomitante de 7 tribunaux d’instance et d’autant de juridictions de proximité ; qu’au regard des motifs d’intérêt général justifiant la réforme globale de la carte judiciaire, les atteintes éventuellement portées aux intérêts économiques des professionnels du droit du ressort des juridictions supprimées ne sont pas excessives et ne constituent pas une discrimination illégale à l’égard de ces professionnels par rapport à ceux qui exercent dans les ressorts de juridictions maintenues, alors même qu’ils devraient affronter une concurrence accrue dans un ressort élargi, ainsi que des difficultés pour s’adapter aux évolutions de la carte judiciaire ; que dès lors qu’ils ne disposent d’aucun droit au maintien de la réglementation en vigueur, aucune disposition législative ni réglementaire n’impose que des mesures de compensation soient prises au bénéfice des professionnels du droit qui s’estimeraient lésés par cette réforme ; que, par suite, M. B== n’est pas fondé à soutenir qu’en ne prévoyant pas d’indemnisation au bénéfice des avocats exerçant dans le ressort de tribunaux d’instance supprimés, le décret du 29 juillet 2008 instituant une aide à l'adaptation de l'exercice de la profession d'avocat aux conditions nouvelles résultant de la suppression de certains tribunaux de grande instance, aurait méconnu le principe d’égalité ;

9. Considérant, d’autre part, que M. B==, qui impute lui-même en partie la perte de sa clientèle à la situation économique, ne fait état d’aucun élément de nature à établir que la suppression du tribunal d’instance d’Aubusson et le rattachement de son ressort au tribunal d'instance de Guéret, distant d’une cinquantaine de kilomètres, seraient à l’origine exclusive de la perte substantielle de son chiffre d’affaires et de sa dépression ; que la seule circonstance qu’il aurait exercé sa profession sur la base de barèmes intangibles qu’il ne pouvait pas modifier notamment du fait des seuils fixés pour l’aide juridictionnelle ne suffit pas à démontrer l’existence d’un lien de cause à effet entre, d’un côté, la mise en œuvre de la réforme de la carte judiciaire et la suppression du tribunal d’instance d’Aubusson et, de l’autre, les préjudices dont il se plaint alors que, de plus, M. B==, qui ne soutient pas qu’il serait dans l’impossibilité de se rendre à Guéret pour y traiter les dossiers de ses clients, n’était pas tenu de changer son domicile professionnel ; que, de plus, malgré l’éloignement qui en résulte pour certains justiciables, la suppression du tribunal d’instance d’Aubusson, dans le cadre de cette réforme de l’ensemble de la carte judiciaire, ne saurait être regardée comme ayant pour effet d’entraîner au détriment des avocats exerçant leur activité dans le ressort de cette juridiction, un dommage revêtant un caractère grave et spécial excédant les aléas inhérents à leur activité ; que pour ces motifs, les conditions susrappelées mises à l’engagement de la responsabilité de l’Etat sur le fondement de la rupture d’égalité devant les charges publiques ne sont pas réunies ;

10. Considérant, en second lieu, qu’eu égard aux effets de la mise en œuvre de la réforme de la carte judiciaire et la suppression du tribunal d’instance d’Aubusson, qui, ainsi qu’il vient d’être dit, n’emportent aucune atteinte excessive à l’intérêt public ou à la situation de M. B==, ce dernier n’est pas fondé à soutenir qu’elles sont contraires au principe de sécurité juridique en ce que les décrets du 30 octobre 2008 et du 22 décembre 2008 ne prévoient pas de mesures transitoires et sont entrés en vigueur dans un délai insuffisant pour lui permettre de s’adapter ;

11. Considérant qu’il résulte de ce tout ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’ordonner la mesure d’expertise sollicitée, que M. B== n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l’Etat du fait du préjudice subi du fait de la suppression du tribunal d’instance d’Aubusson ; qu’il y a lieu de rejeter, par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de l’article 37 de la loi du 11 juillet 1991 ; qu’il n’y a pas lieu, en tout état de cause, de faire droit à la demande de M. B== tendant au remboursement du droit de timbre ;

DECIDE

Article 1er : La requête de M. B== est rejetée.