Service public de santé - Indication erronée de la présence de membres du fœtus sur les clichés d’une échographie réalisée dans le cadre du suivi de grossesse – Faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier
Par Secrétariat Présidence le mercredi 2 avril 2014, 13:45 - RESPONSABILITE - Lien permanent
En donnant aux parents des assurances manifestement erronées sur la présence de membres du fœtus sur les clichés d’une échographie réalisée dans le cadre du suivi de grossesse, sans laisser place à aucun doute ni aucune réserve sur l’absence de malformation de l’enfant à naître alors que ses membres supérieurs ne sont pas visibles sur ces clichés, le centre hospitalier d’Arcachon a commis une faute de nature à engager sa responsabilité sur le fondement de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles. (à rapprocher de Cour de Cassation, 1ère ch. civile, 16 janvier 2013, n°12-14020, publié au bulletin)
Du fait de cette faute, la mère a perdu une chance de solliciter dès cette échographie une interruption médicale de grossesse.
Condamnation de l'hôpital à indemniser les parents des préjudices matériels et moraux en résultant, compte tenu du coefficient de chance perdue.
Arrêt 12BX02507 - 2ème chambre - 25 mars 2014 - Mme H=== et M. D===
Vu la requête, enregistrée le 17 septembre 2012, présentée pour Mme H== et M. D== ;
Mme H== et M. D== demandent à la cour :
1°) de réformer le jugement n° 1003739 du 17 juillet 2012 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a limité à la somme de 1 500 euros le montant de l’indemnité que le centre hospitalier d’Arcachon a été condamné à leur verser à chacun en réparation de leur préjudice moral ;
2°) de porter l’indemnisation de leur préjudice moral à 25 000 euros chacun ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier d’Arcachon une somme de 3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
1. Considérant que Mme H== et M. D==, son compagnon, ont saisi le tribunal administratif de Bordeaux d'une demande tendant à la condamnation du centre hospitalier d'Arcachon à réparer les préjudices subis en conséquence du retard de diagnostic de la malformation de leur enfant ; que, par un jugement du 17 juillet 2012, le tribunal administratif de Bordeaux a, sur le fondement du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, reconnu le centre hospitalier d'Arcachon responsable des conséquences dommageables de ce retard de diagnostic et l'a condamné à verser à Mme H== et à M. D== chacun la somme de 1 500 euros en réparation de leur préjudice moral ainsi qu'une somme de 1 586,36 euros au titre des frais d'obsèques ; que Mme H== et M. D== relèvent appel de ce jugement en tant qu'il a limité le montant de l'indemnisation qui leur a été allouée en réparation de leur préjudice moral ; que le centre hospitalier d’Arcachon conclut au rejet de la requête et à l’annulation du jugement attaqué en contestant notamment le principe même de sa responsabilité ;
Sur la responsabilité du centre hospitalier d'Arcachon :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles : "... Lorsque la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé est engagée vis à vis des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice..." ;
3. Considérant que le 6 décembre 2007, Mme H== a fait l'objet, au cours de sa grossesse d'une échographie au centre hospitalier d'Arcachon où aucune anomalie n'a été signalée ; qu'au vu d'une deuxième échographie réalisée le 27 décembre 2007 à douze semaines d'aménorrhée et ayant pour objet de vérifier le développement de l'embryon et de s'assurer qu'il ne pouvait être suspecté de trisomie, le médecin du centre hospitalier d'Arcachon a conclu à une bonne mobilité du foetus et à l'existence d'une fréquence cardiaque foetale normale et a barré les items correspondant à la présence des membres dans le compte rendu écrit de l'échographie ; que le 11 mars 2008, lors de l'échographie du deuxième trimestre effectuée au centre hospitalier universitaire de Bordeaux, une agénésie complète des membres supérieurs du foetus a été décelée ; qu'alors informée de la grave malformation dont été atteint son enfant, Mme H== a sollicité une interruption médicale de grossesse qui a été réalisée le 20 mars 2008 quatre mois avant le terme ;
4. Considérant qu'en barrant d'un trait unique l'ensemble des cases correspondant à la présence des membres du foetus dans le compte-rendu écrit de l’échographie réalisée le 27 décembre 2007, le médecin du centre hospitalier d'Arcachon a attesté avoir vérifié, ainsi que l'indique une des cases barrées, que « les 4 membres sont présents et comportent trois segments » ; qu'il a, ce faisant, affirmé avoir vu l'ensemble de ces membres et qu'ils étaient normaux alors que les clichés joints à ce compte-rendu ne permettent pas de déceler la présence des membres supérieurs qui étaient complètement absents du fait de l'agénésie ; qu'en donnant ainsi aux parents des assurances manifestement erronées sans laisser place à aucun doute ni aucune réserve sur l'absence de malformation de l'enfant à naître, le médecin du centre hospitalier d'Arcachon a commis une faute qui, par son intensité et son évidence, est caractérisée alors même que l'échographie constituerait un examen difficile comportant une marge d’erreur dans la détection des malformations du foetus et l’établissement du diagnostic anténatal ; qu’une telle faute caractérisée est de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier d'Arcachon en application du troisième alinéa de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles ; que dès lors, le centre hospitalier d’Arcachon n’est pas fondé à se plaindre de ce que le tribunal administratif de Bordeaux l’a déclaré responsable des conséquences dommageables du retard de diagnostic de la malformation de l’enfant de Mme H== et de M. D== ;
Sur les préjudices :
5. Considérant que, dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n’est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu ; que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ; qu'en l'espèce, Mme H== affirme qu'elle aurait pris la décision de recourir à une interruption médicale de grossesse si les malformations avaient été diagnostiquées lors de l'échographie réalisée le 27 décembre 2007 ; que toutefois, compte tenu notamment de la marge d'erreur habituellement admise pour ce type d'examen et de l'incertitude quant à la décision qui aurait été prise sur la demande de Mme H== de pratiquer une interruption médicale de grossesse dès le 27 décembre 2007, la perte de chance d'éviter les conséquences dommageables de cette faute peut être évaluée à 80% ;
6. Considérant que du fait de la faute commise au centre hospitalier d’Arcachon, Mme H== a dû subir une interruption médicale de grossesse à un stade particulièrement avancé alors que les parents s’étaient attachés à l'enfant à naître, qu’ils pensaient indemne de tout handicap et auquel ils avaient attribué un prénom, P== ; que de plus, l’interruption médicale de grossesse s’étant déroulée au-delà de 22 semaines d'aménorrhée, les parents ont dû effectuer certaines démarches obligatoires, telles une déclaration de naissance d'enfant sans vie et l’organisation d’obsèques, rendant leur deuil plus douloureux ; qu’en allouant à chacun une somme de 1 500 euros, le tribunal n’a pas fait une évaluation suffisante du préjudice moral subi ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, compte tenu de sa gravité, d’évaluer ce préjudice à 3 000 euros ; que, compte tenu de la perte de chance retenue, la somme allouée à ce titre à chacun des parents s’élève à 2 400 euros ; que par suite, Mme H== et M. D== sont fondés à demander la réformation en ce sens du jugement attaqué ;
Sur l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu en application de ces dispositions, de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire d’Arcachon le versement à Mme H== et M. D== d’une somme globale de 1 500 euros au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
DECIDE
Article 1er : La somme que le centre hospitalier d’Arcachon a été condamné à verser à Mme H== et à M. D== par le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 17 juillet 2012 en réparation du préjudice moral est portée de 1 500 euros à 2 400 euros chacun.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 17 juillet 2012 est réformé en ce qu’il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le centre hospitalier d’Arcachon versera à Mme H== et M. D== la somme globale de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.