Discrimination en raison de responsabilités syndicales – Faute de nature à engager la responsabilité de l’administration
Par Administrateur le mardi 11 mars 2014, 10:01 - FONCTION PUBLIQUE - Lien permanent
La cour, faisant une application positive de la jurisprudence du Conseil d’Etat (10 janvier 2011, n° 325268, Mme L===, Recueil Lebon p. 1), admet la responsabilité pour faute de l’Etat à l’égard d’un agent victime de discrimination pour n’avoir pas bénéficié d’avancement de grade pendant de nombreuses années en raison de l’exercice de ses responsabilités syndicales.
Arrêt 13BX00711 – 6ème chambre - 10 mars 2014 - Ministre des affaires sociales et de la santé et ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social c./ Mme I===
Vu le recours enregistré par télécopie le 5 mars 2013, et régularisé par courrier le 15 mars suivant, présenté par la ministre des affaires sociales et de la santé et le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social ;
La ministre des affaires sociales et de la santé et le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social demandent à la cour :
1°) d’annuler le jugement n° 1000228 du 27 décembre 2012 du tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion qui a annulé la décision du directeur régional des affaires sanitaires et sociales de la Réunion rejetant implicitement la demande de Mme M==R== I== tendant à la reconnaissance de son droit à une promotion rétroactive dans le grade d’adjoint administratif principal de 2ème classe et à l’octroi d’une indemnité en réparation des préjudices résultant de la discrimination dont elle a été victime du fait de ses responsabilités syndicales, enjoint à l’agence de santé Océan Indien de procéder dans un délai de deux mois au réexamen de la situation administrative de Mme I==, condamné l’Etat à verser à l’intéressée une somme de 10 000 euros en réparation des préjudices subis et mis à la charge de l’Etat une somme de 1 200 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; 2°) de condamner Mme I== à reverser à l’Etat, pour le cas où ces sommes lui auraient déjà été versées, la somme de 10 000 euros allouée à titre d’indemnité pour les préjudices subis et la somme de 1 200 euros allouée au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
1. Considérant que la ministre des affaires sociales et de la santé et le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social font appel du jugement du 27 décembre 2012 du tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion qui a annulé la décision du directeur régional des affaires sanitaires et sociales (DRASS) de la Réunion rejetant implicitement la demande du 26 octobre 2009 de Mme I==, adjoint administratif exerçant ses fonctions d’abord à la direction régionale des affaires sanitaires et sociales puis à l’agence régionale de santé Océan Indien, tendant à la reconnaissance de son droit à une promotion rétroactive dans le grade d’adjoint administratif principal de 2ème classe et à l’octroi d’une indemnité en réparation des préjudices résultant de la discrimination dont elle a été victime du fait de ses responsabilités syndicales, enjoint à l’agence de santé Océan Indien de procéder dans un délai de deux mois au réexamen de la situation administrative de Mme I==, condamné l’Etat à verser à l’intéressée une somme de 10 000 euros en réparation des préjudices subis et mis à la charge de l’Etat une somme de 1 200 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2. Considérant qu’aux termes de l’article 1er de la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, qui a transposé en droit interne les dispositions de la directive n° 2000/78 du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail : « Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, sa religion, ses convictions, son âge, son handicap, son orientation sexuelle ou son sexe, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable./ Constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d'entraîner, pour l'un des motifs mentionnés au premier alinéa, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés. (...) » ; qu’aux termes de l’article 4 de cette même loi : « Toute personne qui s'estime victime d'une discrimination directe ou indirecte présente devant la juridiction compétente les faits qui permettent d'en présumer l'existence. Au vu de ces éléments, il appartient à la partie défenderesse de prouver que la mesure en cause est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.(…) » ;
3. Considérant que, de manière générale, il appartient au juge administratif, dans la conduite de la procédure inquisitoire, de demander aux parties de lui fournir tous les éléments d’appréciation de nature à établir sa conviction ; que cette responsabilité doit, dès lors qu’il est soutenu qu’une mesure a pu être empreinte de discrimination, s’exercer en tenant compte des difficultés propres à l’administration de la preuve en ce domaine et des exigences qui s’attachent aux principes à valeur constitutionnelle des droits de la défense et de l’égalité de traitement des personnes ; que, s’il appartient au requérant qui s’estime lésé par une telle mesure de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte à ce dernier principe, il incombe au défendeur de produire tous ceux permettant d’établir que la décision contestée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; que la conviction du juge, à qui il revient d’apprécier si la décision contestée devant lui a été ou non prise pour des motifs entachés de discrimination, se détermine au vu de ces échanges contradictoires ; qu’en cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d’instruction utile ;
4. Considérant que les premiers juges ont rappelé que, pour soutenir que les décisions de refus de promotion dont elle a fait l’objet ont été prises en raison de ses responsabilités syndicales, Mme I== produisait l’ensemble des notations attribuées en administration centrale, puis dans son emploi de détachement à la DRASS de la Réunion ; qu’ils ont relevé que ces notations démontraient des qualités professionnelles constamment reconnues par les supérieurs hiérarchiques de l’intéressée, qui lui avaient attribué depuis plusieurs années la note maximale de vingt sur vingt ; que les premiers juges ont également constaté que les seules réserves émises à l’encontre de cet agent, qui n’avait fait l’objet d’aucune sanction au cours de sa carrière, l’avaient été à partir de l’année 2004, qui correspond, d’une part, à la période où Mme I== avait intenté plusieurs recours contre l’administration et, d’autre part à une absence prolongée pour maladie suivie d’une reprise délicate dans le contexte d’un mi-temps thérapeutique ; qu’ils ont considéré que ces éléments de fait étaient corroborés par la circonstance que les propositions d’avancement formulées par la DRASS en faveur de l’intéressée à partir de l’année 1998 l’ont toujours été au titre de la seule administration centrale, alors que cet agent se trouvait en détachement depuis plusieurs années et ne manifestait nullement l’intention de rejoindre son administration d’origine ; que les premiers juges ont noté que la requérante versait au dossier des éléments circonstanciés attestant du traitement plus favorable dont avaient bénéficié la plupart de ses collègues de la DRASS de la Réunion ayant une ancienneté équivalente à la sienne, qui avaient obtenu ces dernières années une promotion au grade d’adjoint administratif principal de 2ème classe ;
5. Considérant que les premiers juges ont déduit de l’ensemble de ces faits que Mme I== devait être regardée comme ayant établi, au sens des dispositions de l’article 4 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, l’existence d’une présomption de discrimination à son encontre et que, dès lors que l’administration, en l’état du dossier, ne démontrait pas que les propositions d’avancement précitées, notamment celle émise au titre de l’année 1998, présentaient un caractère utile, qu’elle ne s’expliquait pas sur les motifs de service ayant pu conduire l’autorité compétente à ne pas donner suite à ces propositions, émises en faveur d’un agent dont la situation était objectivement favorable tant sur le critère de l’ancienneté que sur celui de la notation, qu’elle ne s’expliquait pas davantage sur les circonstances l’ayant amenée à négliger systématiquement l’éventualité d’un avancement de grade dans le corps de détachement et qu’enfin elle n’établissait pas que les agents ayant bénéficié d’une promotion effective présentaient une aptitude supérieure à celle de Mme I==, cette dernière était fondée à soutenir que les décisions lui refusant l’avancement au grade d’adjoint administratif principal de 2ème classe, qui devaient être regardées comme reposant sur des motifs entachés de discrimination à son égard, étaient entachées d’illégalité et, par suite, devaient être annulées ;
6. Considérant que si la ministre des affaires sociales et de la santé et le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social soutiennent devant la cour qu’à supposer que les décisions par lesquelles l’administration n’a, depuis 1994, pas promu l’intéressée au grade d’adjoint administratif principal soient illégales, elles n’ont jamais été contestées et sont devenues définitives de sorte que l’administration n’était pas tenue de les rapporter et avait même l’obligation de ne pas le faire, ces décisions ayant créé des droits à l’égard d’autres agents ; que, cependant, la demande de Mme I== présentée devant le tribunal administratif tendait, non pas au retrait de ces décisions, mais à l’annulation de la décision du directeur régional des affaires sanitaires et sociales de la Réunion rejetant implicitement son recours gracieux du 26 octobre 2009 tendant, d’une part, à la reconnaissance de son droit à une promotion rétroactive dans le grade d’adjoint administratif principal de 2ème classe et, d’autre part, à l’octroi d’une indemnité en réparation des préjudices résultant de la discrimination dont elle a été victime du fait de ses responsabilités syndicales ; que, dès lors, le moyen soulevé ne peut qu’être écarté ;
7. Considérant que la ministre des affaires sociales et de la santé et le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social soutiennent que l’exposé fait par les premiers juges de la situation de Mme I== serait inexact dès lors que l’intéressée n’apporterait pas la preuve de son engagement syndical depuis 1997 ; qu’il résulte cependant de l’instruction, et notamment des observations du 13 novembre 2012 du Défenseur des droits présentées devant les premiers juges, que cet agent a adhéré au syndicat CFDT, puis est devenue déléguée syndicale en qualité de secrétaire du syndicat CFTC-SNAS en 1998 et a été élue, en 2004, membre du comité technique paritaire de la DRASS de la Réunion ; que si l’administration fait également valoir que l’appréciation des supérieurs hiérarchiques sur la valeur professionnelle de cet agent n’est pas aussi élogieuse que celle retenue par les premiers juges en se prévalant des termes d’une note en date du 17 décembre 1998 du médecin inspecteur de santé et d’une réponse du 25 mai 1999 du directeur régional des affaires sanitaires et sociales de la Réunion adressée à son ministre de tutelle, pièces qui au demeurant ne figurent pas dans son dossier individuel ainsi qu’il ressort du procès-verbal du 11 février 2013 établi lors de la consultation de celui-ci par quatre agents dont deux représentants du service des ressources humaines de la DRASS, elle ne conteste pas sérieusement que ces différentes appréciations sont globalement positives ; que, dès lors, le moyen tiré de l’inexactitude des faits relatés dans le jugement attaqué doit être écarté ;
8. Considérant qu’en se bornant à rappeler que l’inscription au tableau d’un fonctionnaire ne saurait résulter de la seule ancienneté et de la seule notation mais s’effectue au vu de l’appréciation du mérite et de la valeur professionnelle de l’agent, qui inclut notamment le comportement de l’agent, sa manière de servir et les acquis de l’expérience professionnelle des intéressés, de sorte que le seul fait que Mme I== n’ait pas bénéficié d’un avancement de grade, alors que d’autres collègues de même ancienneté ont été promus, ne saurait fonder l’existence d’une discrimination à son encontre, la ministre des affaires sociales et de la santé et le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social ne contestent pas utilement les motifs retenus par les premiers juges pour considérer que Mme I== établissait, au sens des dispositions précitées de l’article premier de la loi du 27 mai 2008, l’existence d’une discrimination directe à son encontre ;
9. Considérant qu’en se bornant à soutenir que l’injonction faite par les premiers juges à l’administration de procéder, dans un délai de deux mois, au réexamen de la situation administrative de Mme I== conformément aux motifs du jugement attaqué, doit être annulée en conséquence de l’annulation demandée de ce jugement en tant qu’il annule la décision implicite de rejet contestée, la ministre des affaires sociales et de la santé et le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social ne critiquent pas utilement les motifs et le dispositif du jugement attaqué en tant qu’ils se rapportent à cette injonction ;
10. Considérant que les premiers juges ont fait une juste appréciation de l’ensemble des préjudices de toute nature subis par Mme I== dans le déroulement de sa carrière à raison de cette discrimination, en lui allouant une indemnité de 10 000 euros ;
11. Considérant qu’il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par Mme I==, que la ministre des affaires sociales et de la santé et le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social ne sont pas fondés à soutenir que, c’est à tort, que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion a, d’une part, annulé la décision du directeur régional des affaires sanitaires et sociales de la Réunion rejetant implicitement la demande du 26 octobre 2009 de Mme I== tendant à la reconnaissance de son droit à une promotion rétroactive dans le grade d’adjoint administratif principal de 2ème classe et à l’octroi d’une indemnité en réparation des préjudices résultant de la discrimination dont elle a été victime du fait de ses responsabilités syndicales, d’autre part, enjoint à l’agence de santé Océan Indien de procéder dans un délai de deux mois au réexamen de la situation administrative de Mme I==, enfin, condamné l’Etat à verser à l’intéressée une somme de 10 000 euros en réparation des préjudices subis ;
12. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l’Etat, le versement à Mme I== d’une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DECIDE
Article 1er : Le recours de la ministre des affaires sociales et de la santé et du ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social est rejeté.
Article 2 : L’Etat versera à Mme I== une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.