Vu le recours, enregistré au greffe de la cour le 26 septembre 2012, présenté par le ministre de l’économie et des finances ;

Le ministre demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement n° 1101576 du 15 juin 2012 par lequel le tribunal administratif de Cayenne a, d’une part, accordé à M. F== Gay la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée correspondant à des prestations ayant fait l’objet d’encaissements d’acompte ou de solde, facturés à des clients domiciliés en Guyane, soit à titre personnel, soit parce qu’ils ont élu domicile en son cabinet, d’autre part, mis à la charge de l’Etat une somme de 1 000 euros au profit de M. G== sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) de rétablir l’imposition mise à la charge de M. G== en matière de taxe sur la valeur ajoutée au titre des années 2006, 2007 et 2008, à due concurrence de la réduction accordée par les premiers juges ;


Vu la directive n° 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 ; Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 24 septembre 2013 :

- le rapport de M. Jean-Michel Bayle, président-assesseur ; - les conclusions de M. Olivier Gosselin, rapporteur public ; - les observations de Mme Mehala, représentant le ministre de l’économie et des finances ;

1. Considérant que M. G==, qui exerce une activité d’avocat à Cayenne, a fait l’objet d’une vérification de comptabilité qui a porté sur les années 2006, 2007 et 2008 ; qu’à la suite de ce contrôle, l’administration lui a notifié, dans le cadre de la procédure de taxation d’office, des propositions de rectification en matière de taxe sur la valeur ajoutée, qui se sont traduites par des rappels de droits, assortis de majorations et d’intérêts de retard, pour les périodes correspondant à ces trois années ; que, par jugement du 15 juin 2012, le tribunal administratif de Cayenne a, d’une part, prononcé un non-lieu à statuer à due concurrence du dégrèvement de 2 151,30 euros, en droits, intérêts de retard et majoration, accordé par l’administration au titre de l’année 2006, d’autre part, déchargé M. G== de l’imposition supplémentaire correspondant aux prestations ayant fait l’objet d’encaissements d’acompte ou de solde facturé à des clients domiciliés en Guyane, soit personnellement, soit du fait de leur élection de domicile au cabinet de l’intéressé, enfin, rejeté le surplus des conclusions ; que le ministre demande la réformation du jugement en tant qu’il a donné satisfaction à M. G== tandis que, par la voie du recours incident, ce dernier demande la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée demeurés à sa charge ;



2. Considérant qu’aux termes de l’article 259 B du code général des impôts : « Par dérogation aux dispositions de l’article 259, le lieu des prestations suivantes est réputé se situer en France lorsqu’elles sont effectuées par un prestataire établi hors de France et lorsque le preneur est un assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée qui a en France le siège de son activité ou un établissement stable pour lequel le service est rendu ou, à défaut, qui y a son domicile ou sa résidence habituelle : / (…) 4° Prestations des conseillers, ingénieurs, bureaux d’études dans tous les domaines y compris ceux de l’organisation, de la recherche et développement, prestations des experts-comptables » et qu’aux termes de l’article 294 du même code : « 1. La taxe sur la valeur ajoutée n’est provisoirement pas applicable dans le département de la Guyane. / 2. Pour l’application de la taxe sur la valeur ajoutée, est considérée comme exportation d’un bien : / 1° L’expédition ou le transport d’un bien hors de France métropolitaine à destination des départements de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique ou de la Réunion ; / (…) 3. Pour l’application de la taxe sur la valeur ajoutée, est considérée comme importation d’un bien : / 1° L’entrée en France métropolitaine d’un bien originaire ou en provenance des départements de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique ou de la Réunion ; / 2° L’entrée dans les départements de la Guadeloupe ou de la Martinique d’un bien originaire ou en provenance de la France métropolitaine (…) des départements de la Guyane ou de la Réunion » ; qu’aux termes de l’article 269 du même code : « 1. Le fait générateur de la taxe se produit: / (…) a bis) Pour les livraisons autres que celles qui sont visées au c du 3° du II de l’article 256 ainsi que pour les prestations de services qui donnent lieu à l’établissement de décomptes ou à des encaissements successifs, au moment de l’expiration des périodes auxquelles ces décomptes ou encaissements se rapportent » ;

3. Considérant qu’il résulte de l’ensemble de ces dispositions que les prestations de services rendues par un prestataire dont l’établissement est implanté dans le département de la Guyane et qui donnent lieu à décomptes ou encaissements successifs sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée lorsqu’elles ont été servies à des preneurs dont l’établissement stable ou le domicile est situé effectivement hors de ce département à la date du fait générateur, lequel est fixé par le a bis) du 1 de l’article 269 du code général des impôts à la fin de la période à laquelle ces décomptes et ces encaissements se rattachent ; que l’élection de domicile qui résulte de la constitution d’avocat, dont la portée est limitée à la procédure juridictionnelle, est sans incidence sur l’application des règles de territorialité en matière de taxe sur la valeur ajoutée ;

4. Considérant que, pour accorder une décharge partielle des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels M. G== a été assujetti, le tribunal administratif a pris en compte la domiciliation des preneurs, soit à titre personnel, soit à raison de leur domiciliation chez leur conseil, sur le territoire de la Guyane à la date des facturations « intermédiaires » ; qu’en retenant ce critère alors que, ainsi qu’il a été dit, le fait générateur de la taxe dans le cas de décomptes ou d’encaissements successifs au titre de prestations de services est fixé à la fin de la période à laquelle ces décomptes ou encaissements se rattachent, le tribunal administratif, qui, en outre, a pris en compte à tort les élections de domicile au cabinet de Me Gay, a méconnu les dispositions de l’article 269 1 a bis) du code général des impôts ; que le ministre est donc fondé à soutenir que la décharge partielle accordée par les premiers juges repose sur une erreur de droit ;

5. Considérant toutefois qu’il appartient à la cour administrative d’appel, saisie de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel et par le recours incident de M. G== d’examiner les autres moyens soulevés par ce dernier devant les premiers juges et devant la cour ;

6. Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article L. 66 du livre de procédure fiscale : « Sont taxés d’office : / (…) 3° aux taxes sur le chiffre d’affaires les personnes qui n’ont pas déposé dans le délai légal les déclarations qu’elles sont tenues de souscrire en leur qualité de redevables des taxes » et qu’aux termes de l’article L. 193 du même livre : « Dans tous les cas où une imposition a été établie d’office la charge de la preuve incombe au contribuable qui demande la décharge ou la réduction de l’imposition » ; qu’il n’est pas contesté que M. G==, qui demeure assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée pour les opérations entrant dans le champ d’application de cette taxe, n’a pas satisfait à ses obligations déclaratives en la matière pour les années en cause ; que, dès lors, l’administration était fondée à procéder à la taxation d’office des opérations imposables ; que, par suite, et alors même que les redressements ont été notifiés dans le cadre de la procédure contradictoire, M. G== supporte la charge de la preuve ;

7. Considérant que le requérant n’établit pas que les clients de son cabinet dont les décomptes ou paiements successifs ont été taxés avaient conservé ou fixé leur domicile ou leur établissement stable, notamment celui au titre duquel il est intervenu dans le cas de sociétés ayant plusieurs implantations, dans le département de la Guyane à la fin des périodes auxquelles se rattachent ces décomptes et paiements ; qu’en revanche, l’administration démontre, par les pièces produites, que plusieurs clients du cabinet de M. G== avaient leur domicile ou leur établissement stable hors du territoire de la Guyane à l’expiration des périodes correspondant aux décomptes et encaissements successifs ; que, par suite, M. G== ne peut se prévaloir, pour contester les rectifications auxquelles ont donné lieu les décomptes ou encaissements successifs, des prescriptions de l’article 294 précité du code général des impôts ;

8. Considérant, en deuxième lieu, qu’aux termes de l’article 259 A dudit code : « Par dérogation aux dispositions de l’article 259 le lieu des prestations suivantes est réputé se situer en France : / (…) 2° Les prestations de services se rattachant à un immeuble situé en France, y compris les prestations tendant à préparer ou à coordonner l’exécution de travaux immobiliers et les prestations des agents immobiliers ou des experts ; / (…) 5° Les prestations accessoires aux transports intracommunautaires de biens meubles corporels, ainsi que les prestations de services effectuées par les intermédiaires qui agissent au nom et pour le compte d’autrui et interviennent dans la fourniture de ces prestations… » ;

9. Considérant que M. G== soutient que les prestations rendues en lien avec des immeubles situés en Guyane n’étaient pas assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée par l’application combinée de l’article 294 du code général des impôts et de la règle de territorialité posée par le 2° de l’article 259 A précité ; qu’il résulte toutefois des éléments de l’instruction que les prestations en litige à ce titre ont eu pour objet la représentation de clients devant des juridictions, dans des actions engagées pour la protection de leurs intérêts financiers ; que de telles prestations ne peuvent avoir pour effet direct une modification juridique du bien immeuble, modification qui ne peut résulter que de la décision juridictionnelle ; que, dans ces conditions, et alors même que les intérêts des clients de M. G== ont pu avoir un rapport avec des immeubles, les prestations en cause, qui ne sauraient être assimilées à celles d’un intermédiaire en matière immobilière, ne peuvent être regardées comme ayant un lien suffisamment direct avec des biens immeubles ; que, compte tenu de la différence de nature entre, d’une part, les prestations rendues par un intermédiaire en matière immobilière, dont l’intervention est susceptible d’affecter directement la situation juridique de l’immeuble, et, d’autre part, les prestations délivrées par un avocat pour la défense de ses clients devant les tribunaux, le traitement distinct réservé à ces deux catégories de prestations au regard des règles de territorialité de la taxe sur la valeur ajoutée ne méconnaît pas le principe d’égalité devant les charges publiques ;

10. Considérant que les dispositions du 5° de l’article 259 A du code général des impôts, qui se rapportent aux prestations accessoires aux transports intracommunautaires de biens meubles ainsi qu’aux prestations de services effectuées par des intermédiaires agissant au nom et pour le compte d’autrui et intervenant dans la fourniture de telles prestations ne sont pas applicables aux prestations de conseil juridique et de représentation rendues par un avocat, dont l’activité est visée par le 4° de l’article 259 B du même code ;

11. Considérant, enfin, que M. G== ne peut se prévaloir utilement, sur le fondement de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de l’instruction référencée sous le n° 3 A-1-10 du 4 janvier 2010, qui est postérieure aux années en litige ;

12. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l’économie et des finances est fondé à soutenir que c’est à tort que, par les articles 2 et 3 de son jugement du 15 juin 2012, le tribunal administratif de Cayenne a, respectivement, accordé à M. G== une décharge partielle des rappels de droits qui lui ont été assignés au titre des périodes du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2008 et mis à la charge de l’Etat une somme de 1 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, tandis que les conclusions de l’appel incident de M. G== doivent être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Considérant que les dispositions de cet article font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Etat, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme dont M. G== demande le versement au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : Les articles 2 et 3 du jugement du tribunal administratif de Cayenne n° 1101576 du 15 juin 2012 sont annulés.

Article 2 : Les droits de taxe sur la valeur ajoutée dont la réduction a été accordée à M. G== par le tribunal administratif de Cayenne au titre des périodes du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2008 ainsi que les intérêts de retard et les majorations y afférents sont remis à la charge de M. G==.

Article 3 : Les conclusions du recours incident de M. G== sont rejetées.