Vu la requête, enregistrée le 28 septembre 2011, présentée pour la SCI Les Chevêches, dont le siège est 6 rue d'Arche de Luxe à Caudrot (33490), par Me Cazamajour ;

La SCI Les Chevêches demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement n° 0802748 du 28 juillet 2011 en tant que le tribunal administratif de Bordeaux a prononcé l’annulation partielle de l’arrêté de permis de construire du 22 novembre 2005 qui lui a été accordé pour l’extension d’un établissement pour personnes âgées dépendantes et en tant qu’il a refusé de moduler dans le temps les effets de cette annulation ;

2°) de différer, durant au moins une année, les effets de cette annulation jusqu’à la régularisation administrative de la situation par la délivrance d’un nouveau permis de construire ;

3°) de mettre à la charge de M. P== une somme de 6 000 euros au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu le code de l'urbanisme ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 13 juin 2013 :

- le rapport de Mme Sabrina Ladoire, conseiller ; - les conclusions de Mme Christine Mège, rapporteur public ; - et les observations de Me Platel, avocat de la SCI Les Chevêches et celles de Me Bernadou, avocat de M. P== ;

1. Considérant que par un arrêté en date du 22 novembre 2005, le préfet de la Gironde a délivré un permis de construire à la SCI Les Chevêches pour l'extension de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) « Le clos des Acacias » sis rue d'Arche de Luxe à Caudrot ; que cet arrêté autorise cette société à créer deux bâtiments D et E reliés aux constructions existantes ; que par un second arrêté du 28 juin 2006, le préfet de la Gironde a délivré à la SCI Les Chevêches un permis de construire modificatif pour une extension supplémentaire du bâtiment E et l'aménagement des combles du bâtiment A existant ; que par deux requêtes enregistrées sous les n° 0802748 et 0802754, M. Alain P==, voisin de ce projet, a sollicité l’annulation de ces arrêtés ; que le 28 juillet 2011, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l’arrêté du 22 novembre 2005 en tant qu’il autorisait la construction du bâtiment D ; que la SCI Les Chevêches relève appel de ce jugement en tant qu’il a refusé de faire droit à sa demande tendant à différer, d’au moins une année, les effets de cette annulation contentieuse ; que M. P== a présenté le 16 février 2012 un appel incident par lequel il demande à la cour d’annuler les deux arrêtés du 22 novembre 2005 et du 28 juin 2006 ;

Sur l’appel principal de la SCI Les Chevêches :

En ce qui concerne la recevabilité de la demande de M. P== devant le tribunal :

2. Considérant que la SCI Les Chevêches reproche au tribunal administratif de n’avoir pas accueilli la fin de non recevoir tirée de la tardiveté du recours présenté par M. P== contre l’arrêté du 22 novembre 2005 ; qu’elle fait valoir que cet arrêté avait été affiché de manière régulière et continue, tant sur le terrain d’assiette du projet qu’en mairie ;

3. Considérant qu’aux termes de l’article R. 490-7 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction applicable à la date d’édiction de l’arrêté en litige : « Le délai de recours contentieux à l’encontre d’un permis de construire court à l’égard des tiers à compter de la plus tardive des deux dates suivantes : a) Le premier jour d’une période continue de deux mois d’affichage sur le terrain des pièces mentionnées, selon le cas, au premier ou au deuxième alinéa de l’article R.421 39 ; b) Le premier jour d’une période continue de deux mois d’affichage en mairie des pièces mentionnées au troisième alinéa de l’article R.421-39.» ; que l’article R. 421-39 du même code alors en vigueur disposait que : « Mention du permis de construire doit être affichée sur le terrain, de manière visible de l'extérieur, par les soins de son bénéficiaire, dès la notification de la décision d'octroi et pendant toute la durée du chantier. (…). En outre, dans les huit jours de la délivrance expresse ou tacite du permis de construire, un extrait du permis ou une copie de la lettre visée à l'alinéa précédent est publié par voie d'affichage à la mairie pendant deux mois (…).» ; qu’enfin, selon l’article A. 421-7 de ce code : « L'affichage du permis de construire sur le terrain est assuré par les soins du bénéficiaire du permis de construire sur un panneau rectangulaire dont les dimensions sont supérieures à 80 centimètres. Ce panneau indique le nom, la raison sociale ou la dénomination sociale dudit bénéficiaire, la date et le numéro du permis, la nature des travaux et, s'il y a lieu, la superficie du terrain, la superficie du plancher autorisée ainsi que la hauteur de la construction exprimée en mètres par rapport au sol naturel et l'adresse de la mairie où le dossier peut être consulté. Ces renseignements doivent demeurer lisibles de la voie publique pendant toute la durée du chantier.» ;

4. Considérant qu’en vertu des dispositions précitées, le délai de recours contentieux pour contester un permis de construire n’est opposable à un tiers que si cet arrêté a été affiché durant une période continue de deux mois en mairie, dans les conditions prescrites par l’article R. 421-39 du code de l’urbanisme, et sur le terrain d’assiette du projet, dans le respect des exigences énoncées par les dispositions de l’article A. 421-7 du même code ;

5. Considérant en premier lieu, que si la mention au registre chronologique des actes de publication et de notification des arrêtés du maire apporte normalement la preuve de l'exécution de la formalité prescrite par les dispositions précitées de l’article R. 490-7 du code de l’urbanisme, cette justification peut également être rapportée par d’autres éléments, notamment une déclaration du maire attestant de la continuité de l’affichage en mairie de l’autorisation d’urbanisme dont s’agit ; que si, par un certificat du 11 juin 2008, le maire de Caudrot a attesté de la continuité de l’affichage du permis de construire délivré le 22 novembre 2005 durant deux mois, ces déclarations sont cependant contradictoires avec l’attestation qu’il avait rédigée le 7 avril 2008 et selon laquelle le permis n’aurait été affiché en mairie que du 25 novembre au 15 décembre 2005 ; qu’en outre, l’huissier de justice mandaté par la société pétitionnaire a relevé que l’arrêté du 22 novembre 2005 avait été mis à la disposition du public mais n’a pas fait état, dans son procès verbal, d’un affichage de cet arrêté ; qu’enfin, la mise à disposition du dossier de permis de construire et du permis lui-même à la mairie ne saurait tenir lieu d’affichage régulier ; que compte tenu de ces incertitudes, et en l’absence d'inscription de l’arrêté du 22 novembre 2005 dans le registre chronologique des arrêtés municipaux, il ne ressort pas des pièces du dossier que cet arrêté aurait été affiché de manière continue en mairie durant au moins deux mois ;

6. Considérant en second lieu, que la société pétitionnaire produit, afin d’établir la continuité et la régularité de l’affichage de l’arrêté du 22 novembre 2005 sur le terrain d’assiette du projet, un constat d’huissier non daté faisant état de constatations effectuées les 16 janvier, 16 février et 16 mars 2006 ; que si ce constat indique que l’affichage est visible depuis la voie publique, les photographies jointes au procès-verbal montrent que les mentions que comporte cet affichage n’étaient pas lisibles depuis la rue d’Arche de Luxe, empêchant ainsi les personnes intéressées d’appréhender la nature exacte des travaux projetés ; que de plus, M. P== a versé au dossier sept attestations concordantes émanant de riverains, affirmant qu’aucun affichage du permis n’était visible depuis la voie publique ; que, dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que l’arrêté en litige ait fait l’objet d’un affichage continu et régulier de nature à faire courir le délai de recours à l’égard des tiers ;

7. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la SCI Les Chevêches n’a pas rapporté la preuve du caractère continu et régulier de l’affichage de l’arrêté du 22 novembre 2005, tant à la mairie que sur le terrain d’assiette du projet ; que, par suite, c’est à bon droit que le tribunal administratif de Bordeaux a écarté la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la demande présentée par M. P== ;

En ce qui concerne la règle de prospect et la demande tendant à différer les effets de l’annulation prononcée par le tribunal administratif :

8. Considérant en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme issu de l'article 37 de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 : « Lorsqu'elle annule pour excès de pouvoir un acte intervenu en matière d'urbanisme ou en ordonne la suspension, la juridiction administrative se prononce sur l'ensemble des moyens de la requête qu'elle estime susceptibles de fonder l'annulation ou la suspension, en l'état du dossier » ; qu'en vertu de ces dispositions il appartient au juge d'appel, saisi d'un jugement par lequel un tribunal administratif a prononcé l'annulation d'un permis de construire en retenant un ou plusieurs moyens, de se prononcer sur le bien-fondé des moyens d'annulation retenus au soutien de leur décision par les premiers juges et d'apprécier si l'un au moins de ces moyens justifie la solution d'annulation ; que, dans ce cas, le juge d'appel n'a pas à examiner les autres moyens de première instance ; que dans le cas où il estime en revanche qu'aucun des moyens retenus par le tribunal administratif n'est fondé, le juge d'appel, saisi par l'effet dévolutif des autres moyens de première instance, examine ces moyens ; qu'il lui appartient de les écarter si aucun d'entre eux n'est fondé et, à l'inverse, en application des dispositions précitées de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, de se prononcer, si un ou plusieurs d'entre eux lui paraissent fondés, sur l'ensemble de ceux qu'il estime, en l'état du dossier, de nature à confirmer, par d'autres motifs, l'annulation prononcée par les premiers juges ;

9. Considérant qu’aux termes de l’article R.111-18 du code de l’urbanisme : « Lorsque le bâtiment est édifié en bordure d'une voie publique, la distance comptée horizontalement de tout point de l'immeuble au point le plus proche de l'alignement opposé doit être au moins égale à la différence d'altitude entre ces deux points. Lorsqu'il existe une obligation de construire au retrait de l'alignement, la limite de ce retrait se substitue à l'alignement. Il en sera de même pour les constructions élevées en bordure des voies privées, la largeur effective de la voie privée étant assimilée à la largeur réglementaire des voies publiques. / L'implantation de la construction à la limite de l'alignement ou dans le prolongement des constructions existantes peut être imposée. » ;

10. Considérant qu’il ressort des plans versés au dossier, que le bâtiment D projeté devrait atteindre, à l’égout du toit, une hauteur de 9,94 mètres alors que la rue d’Arche de Luxe présente, au niveau de la façade de ce bâtiment, une largeur de 5,61 mètres selon le constat d’huissier établi par Me Henri Flahault le 17 septembre 2008 ; que, dès lors, l'arrêté en litige méconnaît, comme l’a jugé le tribunal pour annuler le permis en tant qu’il autorise la construction du bâtiment D, les dispositions de l'article R. 111-18 du code de l'urbanisme imposant que la distance comptée horizontalement d'un point de la construction au point le plus proche de l'alignement opposé soit supérieure à la différence d'altitude entre ces deux points ; que la circonstance que la maison de M. P== soit orientée perpendiculairement à la rue, et ne perdrait ainsi que peu d’ensoleillement, et que la méconnaissance de la règle de prospect soit constatée principalement au regard de son jardin, ne peut être utilement invoquée pour contester l’annulation du permis ;

11. Considérant en second lieu, que la SCI Les Chevêches reproche au tribunal administratif de n’avoir pas fait droit à sa demande, présentée dans une note en délibéré, tendant à ce que soient différés les effets de l’annulation, en faisant valoir, d’une part que l’établissement sanitaire qu’elle dirige participe au service public de prise en charge des personnes âgées dépendantes et en particulier, des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, et d’autre part, qu’elle pouvait obtenir, en vertu de l’article R. 111-20 du code de l’urbanisme, une dérogation aux règles de prospect énoncées par l’article R. 111-18 du même code ;

12. Considérant que l’annulation d’un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n’être jamais intervenu ; que, toutefois, s’il apparaît que cet effet rétroactif de l’annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison de l’intérêt général pouvant s’attacher à un maintien temporaire de ses effets, il appartient au juge administratif de prendre en considération, d'une part, les conséquences de la rétroactivité de l’annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d’autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l’annulation ;

13. Considérant que la SCI Les Chevêches soutient qu’elle pouvait obtenir, et a d’ailleurs obtenu par arrêté du 10 septembre 2012, une dérogation à cette règle de prospect en vertu de l’article R.111-20 du code de l’urbanisme selon lequel : « Des dérogations aux règles édictées dans la présente section peuvent être accordées par décision motivée de l'autorité compétente, après avis dans chaque cas particulier du maire de la commune, lorsque celui-ci n'est pas l'autorité compétente (…) » ; que toutefois, la dérogation prévue par ces dispositions ne peut être accordée qu’au moment de la délivrance du permis de construire initial et ne saurait avoir pour objet de régulariser une situation de fait résultant de la construction d’un immeuble édifié en vertu d’un permis de construire illégal ; qu’au demeurant, la société pétitionnaire ne détaille pas les conséquences manifestement excessives résultant du caractère rétroactif de l’annulation contentieuse prononcée par le tribunal administratif, alors même que la construction est achevée ; que la gravité de ces conséquences sur les intérêts publics ou privés en présence n’étant pas suffisamment caractérisée, la modulation des effets de cette annulation emporterait des inconvénients excessifs au regard du principe de légalité et du droit de M. P== à un recours effectif ; qu’il s’ensuit que la SCI Les Chevêches n’est en tout état de cause pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux s’est abstenu de faire droit à sa demande, présentée dans une note en délibéré, tendant à différer les effets de l’annulation de l’arrêté du 22 novembre 2005 en tant qu’il autorise la construction du bâtiment D ; qu’elle ne peut utilement se prévaloir du « permis modificatif » délivré par le maire de Caudrot le 10 septembre 2012, postérieurement à l’annulation du permis initial, lequel reste sans autre effet sur la présente instance que de rendre sans objet les conclusions tendant à ce que la cour prononce elle-même le différé dans le temps de l’annulation du permis de construire ;

Sur les conclusions incidentes de M. P== dirigées contre l’arrêté du 22 novembre 2005 en tant qu’il autorise la construction du bâtiment E et l’arrêté modificatif du 28 juin 2006 :

14. Considérant que les conclusions incidentes de M. P== portant d’une part, sur l’arrêté du 22 novembre 2005 en tant qu’il autorise la construction du bâtiment E, lequel est dissociable du bâtiment D, et d’autre part, sur le permis modificatif du 28 juin 2006 autorisant une extension du bâtiment E et l’aménagement des combles du bâtiment A, soulèvent un litige distinct de celui porté devant la cour par la SCI Les Chevêches, qui porte uniquement sur l’annulation partielle du permis initial du 22 novembre 2005 en tant qu’il autorise le bâtiment D ; que, présentées le 16 février 2012 au-delà du délai d’appel contre le jugement du 28 juillet 2011, elles sont par suite irrecevables ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de M. P==, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie principalement perdante ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la SCI Les Chevêches une somme de 1 500 euros à verser à M. P== au titre de ces dispositions ;

DECIDE :

Article 1er : La requête de la SCI Les Chevêches est rejetée.

Article 2 : La SCI Les Chevêches versera à M. P== une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions incidentes de M. P== sont rejetées.