Vu la requête, enregistrée le 19 décembre 2011 par télécopie et régularisée le 21 décembre 2011, présentée pour la société Coveis Ingéniérie, dont le siège est 1762 boulevard de Chantilly à Montauban (82000), représentée par son gérant en exercice, par la AARPI Thalamas-Maylie, avocats ;

La société Coveis Ingéniérie demande à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 0604850 du 14 octobre 2011 en tant que le tribunal administratif de Toulouse ne lui a pas accordé l’intégralité de la somme qu’elle avait demandée en première instance au titre du manque à gagner sur un marché à bons de commandes pour la recherche d’amiante sur les bâtiments municipaux de la ville de Toulouse ;

2°) de condamner la commune de Toulouse à lui verser une somme de 236 684,32 euros TTC en réparation de ses préjudices, majorée des intérêts au taux légal majoré de deux points et capitalisés ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Toulouse une somme de 2 500 euros au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu le décret n° 2002-232 du 21 février 2002 ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu le code général des impôts ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 30 mai 2013 :

- le rapport de Mme Sabrina Ladoire, conseiller ; - les conclusions de Mme Christine Mège, rapporteur public ; - et les observations de Me Sanson, avocat de la commune de Toulouse ;

1. Considérant que la commune de Toulouse a confié à la SARL CSBTP 31 un marché à bons de commande, notifié le 6 octobre 2004, portant sur la réalisation de diagnostics amiante sur des bâtiments municipaux pour les années 2004-2005 et 2005-2006 ; que la première période constituait une tranche ferme et la seconde une tranche conditionnelle ; que les montants minimum et maximum pour la durée initiale du marché étaient fixés respectivement à 150 000 euros HT et 450 000 euros HT ; que par lettre recommandée en date du 22 juin 2005, la commune de Toulouse a informé la SARL CSBTP 31 qu’elle ne reconduirait pas ce marché à compter du 7 octobre 2005 ; que par lettre du 7 décembre 2005, la SARL CSBTP 31 a demandé l’indemnisation du manque à gagner qu’elle avait subi du fait du non respect, par la commune de Toulouse, de ses obligations contractuelles au regard du minimum de commandes garanti par le marché ; que la commune de Toulouse a rejeté cette demande par une lettre du 9 janvier 2006 ; que suite à l’analyse comptable des justificatifs produits par la SARL CSBTP 31, la commune de Toulouse a évalué à 26 714 euros le manque à gagner de cette société et a proposé, par lettre du 31 août 2006, la conclusion d’une transaction sur cette base hors TVA ; que la SARL CSBTP 31 a rejeté cette offre et déposé une réclamation le 26 septembre 2006 ; que la société Coveis Ingénierie, venant aux droits de la SARL CSBTP 31, relève appel du jugement n° 0604850 du 14 octobre 2011 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a limité à la somme de 26 714 euros, assortie des intérêts au taux légal, le montant de son indemnisation, alors que cette société avait sollicité le versement d’une somme de 39 308,44 euros TTC en compensation de son manque à gagner et d’une somme de 197 375,88 euros TTC en réparation de la méconnaissance, par la commune, de son droit d’exclusivité ;

Sur la régularité du jugement :

2. Considérant que la société Covéis Ingeniérie fait valoir que la formation de jugement était irrégulièrement composée dans la mesure où le magistrat l’ayant présidée avait statué, en tant que juge des référés, sur la demande de provision qu’elle avait présentée ;

3. Considérant qu’en vertu de l’article R. 541-1 du code de justice administrative, le juge des référés peut, même en l’absence d’une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l’a saisi lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable ; qu’eu égard à la nature de son office, le juge, saisi sur le fondement de ces dispositions, doit nécessairement, pour trancher le litige qui lui est soumis, se prononcer sur l’existence de l’obligation invoquée ; que, par suite, le principe d’impartialité fait obstacle à ce qu’il siège à nouveau lors du jugement au fond de l’affaire ; qu’il est constant que, par une ordonnance du 20 décembre 2006, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a limité à 26 714 euros HT la somme qu’il a condamné la commune de Toulouse à verser à titre de provision à la SARL CSBTP 31 en réparation du préjudice résultant pour elle du non respect, par la commune, de ses obligations contractuelles, alors que la société sollicitait une indemnisation à hauteur de 236 684,32 euros TTC ; que ce magistrat a ultérieurement présidé la formation de jugement statuant au fond sur la contestation de la SARL CSBTP 31 ; qu’ainsi, le tribunal a méconnu les exigences découlant du principe d'impartialité ; que, par suite, son jugement est entaché d’irrégularité et doit, dès lors, être annulé ;

4. Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la société CSBTP 31, devenue la société Coveis Ingéniérie, devant le tribunal administratif de Toulouse ;

Sur les demandes indemnitaires :

En ce qui concerne le non respect du minimum contractuel :

5. Considérant qu’aux termes du I de l’article 71 du code des marchés publics alors en vigueur : « Le marché à bons de commande détermine les spécifications, la consistance et le prix des prestations ou ses modalités de détermination ; il en fixe le minimum et le maximum en valeur ou en quantité » ;

6. Considérant que selon l’article 2 de l’acte d’engagement du marché en litige, le montant minimum des commandes que devait passer la commune de Toulouse à la SARL CSBTP 31 s’élevait à 150 000 euros HT ; qu’il résulte de l’instruction que, s’agissant de la période du 6 octobre 2004 au 7 octobre 2005, la commune de Toulouse n’a émis des bons de commande que pour un montant de 90 260 euros HT ; que ce faisant, elle a, ainsi qu’elle l’a d’ailleurs reconnu, commis une faute de nature à engager sa responsabilité contractuelle ;

7. Considérant que l’inclusion dans un contrat d’un montant minimal de commandes oblige l’administration à atteindre ce montant en termes de commandes ; qu’elle ne donne, en revanche, pas nécessairement à son cocontractant un droit à la rémunération correspondante, mais à la réparation du préjudice subi du fait du non-respect par l’administration de ses engagements, correspondant à sa perte de marge bénéficiaire, et, le cas échéant aux dépenses qu’elle aurait engagées pour pouvoir satisfaire à ses obligations contractuelles minimales ;

8. Considérant que le préjudice subi par la SARL CSBTP 31 doit être déterminé en fonction de la marge bénéficiaire nette que lui aurait procurée la commande, par la commune de Toulouse, du minimum des prestations de diagnostic amiante prévu par l’acte d’engagement, déduction faite du montant des prestations qui auraient dû être facturées par le sous-traitant de la société requérante dès lors que ce dernier était directement rémunéré par l’administration ;

9. Considérant qu’il résulte de l’instruction que le montant des commandes non réalisées s’élève à 59 740 euros HT et que la part que la commune aurait dû verser au sous-traitant de la société requérante s’élève en réalité à 10,37% de ce montant ; qu’ainsi, la part du sous-traitant de la société Coveis Ingéniérie au titre des commandes non réalisées s’élevait à la somme de 6 195 euros HT ; qu’il résulte de l’expertise diligentée par la commune de Toulouse que le taux moyen de marge bénéficiaire nette dégagé pour ce marché est de 49,89 % ; que ce pourcentage n’est pas sérieusement contesté par la société requérante, laquelle ne critique aucune des observations du cabinet d’expertise comptable consulté par la commune ; que pour déterminer le manque à gagner de cette société, il convient en conséquence d’appliquer ce pourcentage à la somme de 53 545 euros, laquelle correspond à la différence entre le montant des commandes non réalisées et la somme due au sous-traitant de la société ; que, dans ces conditions, il sera fait une exacte appréciation du manque à gagner subi par la société Coveis Ingéniérie en le fixant à la somme de 26 714 euros ;

En ce qui concerne le non respect de l’obligation d’exclusivité :

10. Considérant que la société Coveis Ingéniérie reproche à la commune de Toulouse d’avoir méconnu son obligation d’exclusivité et demande, en réparation de ce chef de préjudice, le versement d’une somme de 197 375,88 euros ;

11. Considérant qu’aux termes de l’article 1.3 du cahier des clauses administratives particulières relatif à la durée du marché : « Chaque marché est conclu pour une période initiale d’un an allant de sa notification au titulaire à la date anniversaire de ce marché. / Le marché peut être reconduit pour une période de 1 an. / La personne responsable des marchés doit se prononcer par écrit au moins trois mois avant la fin de la durée de validité du marché ; elle est considérée avoir refusé la reconduction du marché si aucune décision n’est prise à l’issue de ce délai (…). » ;

12. Considérant qu’il résulte de l’instruction, que la commune de Toulouse a, conformément à ces dispositions, informé la SARL CSBTP 31, par lettre du 2 juin 2005, du fait que le marché en litige ne serait pas reconduit à compter du 7 octobre 2005 ; que la société requérante ne disposait d’aucun droit acquis à la reconduction de ce contrat ; qu’ainsi, la commune de Toulouse pouvait légalement publier, au bulletin officiel des annonces des marchés publics du 26 juillet 2005, un nouvel appel d’offres et attribuer ce marché le 14 novembre 2005, postérieurement à l’expiration du contrat, à un autre prestataire de services ; qu’il ne résulte pas de l’instruction que la commune aurait passé, avec une autre société que la société requérante, durant la période de validité du contrat, des commandes correspondant au marché de diagnostics techniques amiante ni même qu’elle aurait suspendu ses commandes en fin de contrat aux seules fins de les reporter sur l’exercice suivant ; qu’enfin, et contrairement à ce que soutient la société Coveis Ingéniérie, le non respect du minimum contractuel ne peut être assimilé à une résiliation anticipée du contrat ; que, dans ces conditions, la société Coveis Ingéniérie n’est pas fondée à solliciter une indemnisation à hauteur d’un bénéfice calculé sur le montant maximum du marché, à raison d’une prétendue méconnaissance de son droit d’exclusivité ;

En ce qui concerne les coûts afférents au personnel demeuré à son service sans pouvoir être affecté à d’autres tâches :

13. Considérant que le marché litigieux d’un montant minimal de 150 000 euros HT, facturé au coût horaire de 50 euros HT, portait sur un volume minimal de 3 000 heures de prestations ; que les commandes de la commune de Toulouse se sont élevées à 90 260 euros HT, ce qui représente un volume de 1 805 heures de prestations ; que la part du contrat non exécuté représente ainsi 1 197 heures de travail ; que cependant, comme l’a relevé le tribunal, la société n’établit pas, compte tenu d’une part, de son chiffre d’affaires net pour l’année 2005 qui s’élève à la somme de 146 587 euros, et d’autre part, du montant global des commandes de diagnostics effectuées pour les collectivités publiques s’élevant à 78 509 euros, n’avoir pu redéployer tout ou partie de son personnel à d’autres missions au sein de l’entreprise ; que, dès lors, ce chef de préjudice doit être écarté ;

En ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée :

14. Considérant que la société Coveis Ingéniérie demande que la somme qui lui est allouée soit majorée du montant de la taxe sur la valeur ajoutée en faisant valoir que l’obligation incombant à l’acheteur public de passer commande à hauteur d’un minimum vise, dans un marché à bons de commandes, à garantir au titulaire une rentabilité minimale de son marché et à compenser la capacité de production que l’entreprise aurait réservée à son cocontractant sans pouvoir la mobiliser afin d’exécuter d’autres marchés ;

15. Considérant cependant, qu’aux termes de l’article 256 du code général des impôts : « I- Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel » ; que selon l’article 266 du même code : « 1. La base d'imposition est constituée : a) Pour les livraisons de biens, les prestations de services et les acquisitions intracommunautaires, par toutes les sommes, valeurs, biens ou services reçus ou à recevoir par le fournisseur ou le prestataire en contrepartie de ces opérations, de la part de l'acheteur, du preneur ou d'un tiers, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations ; » ; qu’il résulte de ces dispositions que le versement d’une somme d’un débiteur à son créancier ne peut être regardé comme la contrepartie d’une prestation de service entrant dans le champ de la taxe sur la valeur ajoutée qu’à la condition qu’il existe un lien direct entre ce versement et une prestation individualisable ; que l’indemnité perçue par le titulaire d’un marché public du fait que l’administration n’a pas respecté le montant minimal de commandes prévu à ce marché n'est pas la contrepartie d'une prestation mais constitue la réparation d’un préjudice qui est dissociable de la prestation fournie par l’entreprise bénéficiaire du versement ; qu’il s’ensuit que la société Coveis Ingéniérie n’est pas fondée à soutenir que la somme allouée au titre de la responsabilité contractuelle de la commune devait être majorée de la taxe sur la valeur ajoutée ;

Sur les intérêts moratoires :

16. Considérant qu’aux termes de l’article 96 du code des marchés publics dans sa rédaction applicable au litige : « Le délai global de paiement d’un marché public ne peut excéder : / (…) 2° 45 jours pour les collectivités territoriales et les établissements publics locaux autres que ceux mentionnés au 3° / (…) / Le dépassement du délai de paiement ouvre de plein droit et sans autre formalité, pour le titulaire du marché ou le sous-traitant, le bénéfice d'intérêts moratoires, à compter du jour suivant l'expiration du délai. (…) » ; que l’article 11.3 du cahier des clauses administratives particulières applicable au marché en litige et relatif au mode de règlement stipule que : « (…) Les sommes dues au(x) titulaire(s) et au(x) sous-traitant(s) de premier rang éventuel(s), seront payées dans un délai global de 45 jours à compter de la réception des factures ou des demandes de paiement équivalentes. / Le taux des intérêts moratoires sera celui de l’intérêt légal en vigueur à la date à laquelle les intérêts moratoires auront commencé à courir, augmenté de deux points. » ;

17. Considérant que l’indemnité due par la commune de Toulouse est liée au non respect, par cette dernière, des stipulations de l’article 2 du contrat en litige, lesquelles lui imposaient de passer des commandes pour un montant minimum de 150 000 euros ; que la demande d’indemnisation présentée par la société Coveis Ingéniérie le 7 décembre 2005 ayant été reçue par la commune le 9 décembre suivant, la somme de 26 714 euros doit être assortie des intérêts moratoires au taux légal augmenté de deux points à compter du 24 janvier 2006 ;

Sur la capitalisation des intérêts :

18. Considérant qu'aux termes de l'article 1154 du code civil : « Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s’agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière » ; que pour l’application de ces dispositions, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond ; que cette demande prend effet lorsque les intérêts sont dus au moins pour une année entière ; que, le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande ;

19. Considérant que le receveur des finances de Toulouse a mis en paiement, le 16 février 2007, un ordre de payer au profit de la SARL CSBTP 31 d’un montant de 27 317,17 euros en exécution de l’ordonnance du juge des référés du 20 décembre 2006 allouant à cette dernière une provision de 26 714 euros HT assortie des intérêts au taux légal ;

20. Considérant cependant que les intérêts résultant de l’exécution du présent arrêt, qui ont couru à compter de janvier 2006 et non de décembre 2006, à un taux majoré, sont supérieurs au montant de 603,17 euros versé en février 2007 à titre de provision, calculé au taux légal ; qu’ainsi, pour la fraction qui dépasse la somme de 603,17 euros, ils étaient dus pour au moins une année entière à la date de la demande de capitalisation des intérêts présentée par la SARL CSBTP 31 le 25 octobre 2007 ; qu’il y a dès lors lieu de faire droit dans cette mesure à la demande de capitalisation à cette dernière date et à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative :

21. Considérant qu’il n’y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit à aucune des conclusions des parties présentées au titre de ces dispositions ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 0604850 du tribunal administratif de Toulouse du 14 octobre 2011 est annulé.

Article 2 : La commune de Toulouse est condamnée à verser une somme de 26 714 euros à la société Coveis Ingéniérie, cette somme portant intérêts au taux légal augmenté de deux points à compter du 24 janvier 2006, ces intérêts étant capitalisés, pour la fraction qui dépasse 603,17 euros, pour produire eux-mêmes intérêts au 25 octobre 2007 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.