Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 23 août 2011 et 14 février 2012, présentés pour la SARL FD2F, ayant son siège 142 avenue Raoul Follereau ZF4 cité Dillon à Fort-de-France (97200), par Me Moisson ;

La SARL FD2F demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement n° 1000099 du 23 juin 2011 par lequel le tribunal administratif de Fort-de-France a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune de Case-Pilote, sur le terrain de la responsabilité contractuelle, à lui verser la somme de 230 843,55 euros assortie des intérêts moratoires à compter du 25 décembre 1996, avec capitalisation des intérêts échus à la date du 12 novembre 2009 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, en règlement de trois factures impayées correspondant à des fournitures et équipements destinés à l’école maternelle et au stade municipal, subsidiairement, sur le fondement de l’enrichissement sans cause, à lui verser une indemnité de 189 152,74 euros ;

2°) d’annuler la décision implicite par laquelle la commune de Case-Pilote a rejeté sa demande d’indemnisation présentée le 12 novembre 2009 et de faire droit à ses conclusions indemnitaires ;

3°) de condamner la commune à lui verser la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ; Vu le code des marchés publics ; Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 14 mai 2013 :

- le rapport de Mme Marie-Thérèse Lacau, premier conseiller ; - les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public ; - les observations de Me Moisson, avocat de la SARL FD2F et de Me Dumont, avocat de la commune de Case-Pilote ;

1. Considérant que, le 22 février 2008, l’adjoint au maire de la commune de Case-Pilote a signé, sur papier à en-tête de la SARL FD2F, deux bons de commande afin que cette société fournisse du mobilier, des équipements sportifs et divers produits d’hygiène destinés à l’école maternelle et au stade municipal ; que, par courrier du 18 juin suivant, le maire de Case-Pilote a informé le fournisseur qu’en raison des importantes surfacturations relevées pour les commandes passées en 2007 et en 2008, il refuserait toute nouvelle livraison de sa part, qu’il l’invitait à reprendre les fournitures déjà livrées et ne procéderait à aucun règlement ; que la SARL FD2F fait appel du jugement du 23 juin 2011 par lequel le tribunal administratif de Fort-de-France a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune, sur le terrain de la responsabilité contractuelle, à lui payer la somme totale de 230 843,55 euros assortie des intérêts moratoires, en règlement des trois factures correspondant à ces commandes, subsidiairement, sur le terrain de la responsabilité quasi-délictuelle et de la responsabilité quasi-contractuelle, à lui verser une indemnité de 189 152,74 euros ;

Sur la régularité du jugement :

2. Considérant qu’en vertu de l’article R. 541-1 du code de justice administrative, le juge des référés peut, même en l’absence d’une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l’a saisi lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable ; qu’eu égard à la nature de son office, le juge, saisi sur le fondement de ces dispositions, doit nécessairement, pour trancher le litige qui lui est soumis, donner une réponse sur l’existence de l’obligation invoquée ; que, par suite, le principe d’impartialité fait obstacle à ce qu’il siège à nouveau lors du jugement au fond de l’affaire ; qu’il est constant que, par une ordonnance du 15 octobre 2010, le juge des référés du tribunal administratif de Fort-de-France a rejeté la requête de la SARL FD2F tendant à la condamnation de la commune de Case-Pilote à lui verser une provision en paiement des factures susmentionnées en se fondant notamment sur la nullité des contrats ; que ce magistrat a présidé la formation de jugement appelée à statuer sur la contestation de la SARL FD2F en qualité de juge du principal ; qu’ainsi, le tribunal a statué en méconnaissance des exigences découlant du principe d'impartialité ; que le jugement attaqué est entaché d’irrégularité ; que, par suite et sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen relatif à la régularité de ce jugement, celui-ci doit être annulé ;

3. Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la SARL FD2F devant le tribunal administratif de Fort-de-France ;

Sur la responsabilité contractuelle :

4. Considérant que lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l’exécution du contrat qui les lie ou lorsque l’une d’elles en conteste la validité, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat ; que, toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d’office par lui, tenant au caractère illicite du contrat ou à un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel ; qu’ainsi, lorsque le juge est saisi d’un litige relatif à l’exécution d’un contrat, les parties à ce contrat ne peuvent invoquer un manquement aux règles de passation, ni le juge le relever d’office, aux fins d’écarter le contrat pour le règlement du litige ; que, par exception, il en va autrement lorsque, eu égard d’une part à la gravité de l’illégalité et d’autre part aux circonstances dans lesquelles elle a été commise, le litige ne peut être réglé sur le fondement de ce contrat ;

5. Considérant que les marchés passés en application du code des marchés publics sont soumis aux principes qui découlent de l’exigence d’égal accès à la commande publique, rappelés au II de l'article 1er du code dans sa rédaction issue du décret du 1er août 2006 selon lequel : « Les marchés publics et les accords-cadres (...) respectent les principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures (...) » ; qu’en vertu du II de l’article 26 du code des marchés publics dans sa rédaction applicable en l’espèce, les marchés peuvent être passés selon une procédure adaptée lorsque le montant estimé du besoin est inférieur à 206 000 euros HT pour les fournitures des collectivités territoriales ; qu’aux termes du II de l’article 27 du même code : « Le montant estimé du besoin est déterminé dans les conditions suivantes : (…) 2° En ce qui concerne les fournitures et les services, il est procédé à une estimation de la valeur totale des fournitures ou des services qui peuvent être considérés comme homogènes soit en raison de leurs caractéristiques propres, soit parce qu’ils constituent une unité fonctionnelle. La délimitation d’une catégorie homogène de fournitures ou de services ne doit pas avoir pour effet de soustraire des marchés aux règles qui leur sont normalement applicables en vertu du présent code » ; que l’article 28 du même code dispose : « Lorsque leur valeur estimée est inférieure aux seuils mentionnés au II de l'article 26, les marchés de fournitures, de services ou de travaux peuvent être passés selon une procédure adaptée, dont les modalités sont librement fixées par le pouvoir adjudicateur en fonction de la nature et des caractéristiques du besoin à satisfaire, du nombre ou de la localisation des opérateurs économiques susceptibles d'y répondre ainsi que des circonstances de l'achat. Pour la détermination de ces modalités, le pouvoir adjudicateur peut s'inspirer des procédures formalisées prévues par le présent code, sans pour autant que les marchés en cause ne soient alors soumis aux règles formelles applicables à ces procédures. En revanche, s'il se réfère expressément à l'une des procédures formalisées prévues par le présent code, le pouvoir adjudicateur est tenu d'appliquer les modalités prévues par le présent code. (…) Le pouvoir adjudicateur peut décider que le marché sera passé sans publicité ni mise en concurrence préalables si les circonstances le justifient, ou si son montant estimé est inférieur à 4 000 euros HT ou dans les situations décrites au II de l’article 35 » ; qu’aux termes du II de l'article 35 : « Peuvent être négociés sans publicité préalable et sans mise en concurrence : 1° Les marchés et les accords-cadres conclus pour faire face à une urgence impérieuse résultant de circonstances imprévisibles (…) 2° Les marchés et les accords-cadres de fournitures concernant des produits fabriqués uniquement à des fins de recherche, d'essai, d'expérimentation, d'étude ou de développement (…) 3° Les marchés et les accords-cadres passés selon la procédure de l'appel d'offres, pour lesquels aucune candidature ou aucune offre n'a été déposée ou pour lesquels seules des offres inappropriées ont été déposées (…) 4° Les marchés complémentaires de fournitures, qui sont exécutés par le fournisseur initial et qui sont destinés soit au renouvellement partiel de fournitures ou d'installations d'usage courant, soit à l'extension d'installations existantes, lorsque le changement de fournisseur obligerait le pouvoir adjudicateur à acquérir un matériel de technique différente entraînant une incompatibilité avec le matériel déjà acquis ou des difficultés techniques d'utilisation et d'entretien disproportionnées (…) 10° Les marchés et les accords-cadres ayant pour objet l'achat de fournitures à des conditions particulièrement avantageuses, soit auprès d'un fournisseur en cessation définitive d'activité, soit auprès des liquidateurs d'une faillite ou d'une procédure de même nature. » ; qu’enfin, aux termes de l’article 40 du même code : « I. - En dehors des exceptions prévues au quatrième alinéa de l'article 28 ainsi qu'au II de l'article 35, tout marché ou accord-cadre d'un montant égal ou supérieur à 4.000 euros HT est précédé d'une publicité, dans les conditions définies ci-après. II. - Pour les achats de fournitures, de services et de travaux d'un montant compris entre 4 000 euros HT et 90 000 euros HT (…) le pouvoir adjudicateur choisit librement les modalités de publicité adaptées en fonction des caractéristiques du marché, notamment le montant et la nature des travaux, des fournitures ou des services en cause » ;

6. Considérant que l’un des deux bons de commande signés le 22 février 2008 portait sur 120 chaises de classe pour un montant de 14 400 euros HT, 120 autres chaises pour un montant de 17 760 euros HT, 120 tables ergonomiques réglables pour un montant de 80 400 euros HT, 20 lits de camp pliables pour un montant de 4 360 euros, 5 tables pour un montant de 6 475 euros HT et 10 tapis de sol pour un montant de 1 280 euros HT ; que le second bon de commande signé le même jour portait sur 600 litres de peinture de traçage pour un prix de 46 800 euros HT, une paire de filet de football pour 498 euros HT, 10 haies réglables au prix unitaire de 128 euros HT, 500 rouleaux de papier hygiénique pour un prix total de 13 000 euros, soit 26 euros l’unité, et 500 rouleaux d’ « essuie-main » pour un montant total de 12 000 euros, soit 24 euros l’unité ; que les parties ne soutiennent pas que ces montants commandés étaient supérieurs au montant estimé des besoins ; qu’ainsi, pour l’application du II précité de l’article 27 du code des marchés publics, le montant estimé des besoins de fournitures de mobilier scolaire s’élevait à 124 675 euros HT, celui des fournitures et équipements destinés au stade municipal à 48 875 euros HT et celui des produits d’hygiène à 25 000 euros HT ; que ces montants étaient très supérieurs au montant de 4 000 euros HT au-dessous duquel le pouvoir adjudicateur est dispensé de recourir à la publicité ; qu’eu égard à la nature desdites fournitures, qui ne présentaient aucun caractère particulier, aucune circonstance n’était de nature à justifier que la commune s’affranchît des règles destinées à assurer les principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures rappelées par le II précité de l’article 1er du code des marchés publics ; qu’aucun élément de l’instruction ne fait ressortir que les commandes litigieuses auraient pu entrer dans les cas mentionnés au II précité de l’article 35 du code des marchés publics ; que, compte tenu de ce que le montant estimé des besoins dépassait, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, très largement le plafond au-dessus duquel la commune devait recourir à des mesures de publicité et de mise en concurrence, le non-respect de ces mesures a constitué, en l’espèce, un vice d’une particulière gravité ;

7. Considérant qu’il résulte de l’instruction, notamment des éléments de comparaison fournis par la commune dont la validité n’est pas sérieusement contestée, que les fournitures dont il s’agit ont été facturées à des prix manifestement excessifs ; que les deux bons de commande en cause, datés du 22 février 2008, étaient établis sur du papier à en-tête de la SARL FD2F et signés par une adjointe au maire ; qu’à l’instar de ceux précédemment émis auprès du même fournisseur à partir de 2004 pour des montants qui ont atteints 330 280, 41 euros en 2005, 334 494, 38 euros en 2006, 586 247, 56 euros en 2007, ils ont été signés sans consultation de l’assemblée délibérante sur les éléments essentiels du contrat et sans aucune publicité ni mise en concurrence ; que les soupçons de collusion entre un conseiller municipal et la SARL FD2F ont conduit le maire de Case-Pilote à déposer, le 4 juin 2008, une plainte contre X auprès du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Fort-de-France pour prise illégale d’intérêts, favoritisme, soustraction et détournement de biens, corruption passive et trafic d’influence ; que, dès lors, compte tenu de la gravité de l’illégalité commise et des circonstances dans lesquelles elle l’a été, le litige ne peut pas être réglé sur le terrain contractuel ; que la société requérante ne peut donc utilement invoquer l’exigence de loyauté des relations contractuelles ;

Sur la responsabilité quasi-délictuelle et quasi-contractuelle :

8. Considérant que le cocontractant de l'administration dont le contrat est entaché de nullité peut prétendre, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement de celles de ses dépenses prévues au contrat qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s'était engagé ; que dans le cas où la nullité du contrat résulte d'une faute de l'administration, il peut en outre, sous réserve du partage de responsabilité découlant le cas échéant de ses propres fautes, prétendre à la réparation du dommage imputable à la faute de l'administration ; que toutefois, si le cocontractant a lui-même commis une faute grave en se prêtant à la conclusion d'un marché dont, compte-tenu de son expérience, il ne pouvait ignorer l'illégalité, et que cette faute constitue la cause directe de la perte du bénéfice attendu du contrat, il n'est pas fondé à demander l'indemnisation de ce préjudice ;

9. Considérant, en premier lieu, que si la commune de Case-Pilote a irrégulièrement émis les bons de commande en cause, la SARL FD2F a elle-même commis une faute en se prêtant volontairement à la conclusion de contrats dont, compte tenu de son expérience, elle ne pouvait ignorer l’illégalité ; que cette faute de la société constitue la cause directe de son préjudice ; que la SARL FD2F n’est ainsi fondée ni à demander une indemnisation sur un terrain quasi-délictuel, nonobstant la faute de la commune, ni à solliciter le versement d’une somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

10. Considérant, en second lieu, que si les fournitures en cause ont été livrées le 27 mai 2008 sur différents sites, il n’est pas contesté qu’elles ont été rassemblées, puis stockées, encore emballées, dans un local fermé ; que, par courrier du 18 juin 2008, le maire de Case-Pilote a enjoint à la SARL FD2F de les reprendre ; que, dans ces conditions, les dépenses exposées par la société requérante, qui n’allègue pas qu’une partie des marchandises aurait été utilisée, ne peuvent être regardées comme ayant été utiles à la commune de Case-Pilote ; qu’elles ne lui ouvrent donc aucun droit à indemnisation sur le fondement de l’enrichissement sans cause de la collectivité publique ;

11. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la demande présentée par la SARL FD2F devant le tribunal administratif de Fort-de-France doit être rejetée ;

Sur l’application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Case-Pilote, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la SARL FD2F demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de condamner, sur le même fondement, la société requérante à payer la somme de 1 500 euros à la commune ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du 23 juin 2011 du tribunal administratif de Fort-de-France est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la SARL FD2F devant le tribunal administratif de Fort-de-France et le surplus des conclusions de la requête sont rejetés.

Article 3 : La SARL FD2F versera la somme de 1 500 euros à la commune de Case-Pilote au titre des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative.